samedi 28 mai 2011

année 2008, archives "alleztheo"




Nouveau texte : Loyaux-avec-la-foi.blogspot.com





pour encourager la théologie
Je me propose de publier ici, dix fois par an, un texte théologique ou spirituel, des compte-rendus critiques de lectures. Je suis de culture protestante, mais ma question con­cerne la façon dont le christianisme peut s’anticiper aujourd'hui. Pareille, perspective ne peut s’ac­com­moder d’une attitude purement confessionnelle ou dogmatique.
Je tire une inspiration indépassable de la source biblique et je m’adosse à la tradition chrétienne dont je suis solidaire. En même temps, je vis en tension l’incomplétude actuelle de la réalité et de la vérité (ce qui est différent du doute), avec les autres religions et cultures, la mo­dernité et la postmodernité.
Jacques Gruber

Janvier 2008
LE SERPENT
D’où sort le serpent de Genèse 3 ?


On ne peut prendre les traditions de Ge 2-3 dans la continuité de Ge 1. Ce n’est pas la suite, c’est un autre départ.


La lecture de ces textes en continu crée des contradictions insurmontables : comment concevoir l’existence d’un animal perfide (le serpent de Ge 3) dans une création qualifiée de « bonne », de « très bonne » (Ge 1) ?
Proposition : les deux récits de la Genèse, loin de nous introduire à une gnose de ce qui est « originel », se situent dans une apperception immédiate de la création. Ce que vous voyez-là, ce que vous contemplez aujourd'hui, est l’état actuel de l’œuvre du Créateur.
Le serpent de Genèse 3 est l’indice que quelque chose comme l’Évolution s’est produit : l’être humain entend la voix de l’animalité d’où il est issu et à laquelle il reste attaché (voir notre "cerveau reptilien"). D’où sort le serpent ? Il est le fait de notre appartenance à la lignée animale. Nous entendons la voix de l’animalité dont nous sommes solidaires.
L’animal connaît le bien-être et le mal-être, la satisfaction ou la souffrance, l’être humain qui « pense » le bien-être et le mal-être connaît le bonheur et le malheur sur le plan existentiel.
L’homme, qui pense le bonheur et le malheur, dégage, par abstraction, les notions de bien et de mal, il accède au plan de l’éthique : Adam et Ève couvrent leur nudité. Honte ? respect de soi, respect de l’autre ?
Écouter la voix de l’animalité dont nous restons solidaires ne nous ramène pas à un état animal, cela nous conduit à des comportements éthiques et l’éthique à la tentation de l’inhumanité.
Seul Dieu (les dieux ?) peut connaître le bien et le mal sans problème, car il est « saint » : autrement dit parfaite mais l’incomplétude, avec soi. L’être humain, qui ne vit pas la coïncidence, le connaît de façon problématique : c’est ce qu’exprime la notion biblique du péché.
C’est a) le fait que le mal est toujours déjà-là (mal radical de Kant, mal de fondation, constante de la condition humaine), antécédent dans une régression à l’infini qui, comme le nombre e des séries mathématiques, exige un point d’arrêt transcendant : un originel; b) la référence à un Dieu (Éternel) Saint ; c) la permanence en nous de l’Évolution et notre préférence pour ce qui nous ramène en arrière sur nous-mêmes.
Peut-on parler de péché héréditaire ? Oui dans la cadre de notre préférence pour notre atavisme animal.
« Vous serez comme des dieux, pouvant connaître le bien et le mal parce que coïncidant avec vous-mêmes ».
Ni bonne conscience ni culpabilisation.
La Bible ne répond pas à nos questions de curiosité teintée de gnose, elle nous dit ce que nous avons besoin de savoir pour nous tirer de l’incendie où nous sommes. Serons-nous assez forts pour recevoir toute la vérité sur l’existence du mal ?
Le contre-pied : Jésus lors de la tentation (propre au Messie) qui répond par la parole de Dieu au « Dieu n’a-t-il pas dit que… » du Tentateur.
Jacques Gruber

Février 2008

ÉVANGÉLISER
Mt 9, 35 à 10, 15, texte central : « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux, priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson » (Mt 9, 37-38).
Comparé à ce que nous pouvons lire dans le Premier Testament, un prophète non écrivain qui forme une communauté de disciples, qui les envoie, nantis de son esprit, en mission dont ils vont lui rendre compte, puis qui les renvoie en mission et, finalement, leur donne son Esprit afin qu’ils soient ses témoins jusqu’aux extrémités du monde, est une innovation.
Dans le Premier Testament, nous trouvons la mention de prophètes non écrivains (Samuel, Élie, par exemple) de prophètes écrivains (Ésaïe, Jérémie, par exemple) et, à l’époque royale, de troupes de prophètes errants de style charismatique. Élie est le seul qui reçoive nommément un successeur. Lire 1 Sa 10 ; 19, 18-24 ; 2 R 2.
Lorsque je lis Mt 9,35 à 10, 15, j’éprouve un sentiment d’admiration et de gratitude. Admiration que le message de Jésus (qui n’avait rien écrit), ait traversé vingt siècles ; gratitude envers tous ceux qui ont été les fidèles porteurs de ce message, souvent au péril de leur vie. Sans eux, je n’aurais rien aujourd'hui de ce qui m’éclaire, me nourrit, me fortifie, donne un sens à mon existence.
Il ne peut y avoir de vraie réflexion actuelle sur l’évangélisation qui ne commence par cette action de grâce circonstanciée (avec le rappel historique de la nuée de témoins).
Mais ces sentiments s’accompagnent d’une angoisse : si c’était fini ? Si nous étions les derniers à bénéficier de l’Évangile ? Si Jésus n’avait plus aucun ouvrier travaillant dans sa moisson ? Si Dieu avait renoncé à en envoyer ?
Telle est la première question.
Jésus emploie l’image de la moisson. Cela signifie que, pour lui, à ce moment-là, dans cette « Galilée des païens » où il commence son ministère (et rencontre ses premières difficultés : Mc 6,1-6 ; 8, 14-21 ; 10, 35-45 ; Mt 15, 5-12 ; Lc 4, 16-30 ; 8, 19-21) les esprits sont mûrs pour recevoir, en actes et en paroles, le message de l’Envoyé venu apporter la Bessorah, la Bonne Nouvelle aux pauvres, la liberté aux captifs, la vue aux aveugles, la liberté aux opprimés, le temps du salut pour tous ; venu non pour les bien portants, mais pour les malades, non pour les justes, mais pour les pécheurs ; non en vue du triomphe nationaliste d’Israël, mais pour l’ouverture universaliste de la foi au Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob, du Dieu vivant d’Israël, le seul Saint, le seul Dieu.
Pourrions-nous dire la même chose aujourd'hui ? L’esprit consumériste sans cesse réactivée par la publicité ; l’indiffé­ren­ce religieuse ou, au contraire, l’attrait de la découverte souvent émotionnelle) d’autres religions, même très archaïques ; l’agnosticisme réclamé par la pratique des sciences, l’athéisme militant, la mentalité revendicative engendrée par les luttes sociales ; l’attirance pour la vie facile, la jouissance du corps et du monde (sex, sun and sea) dopée par les drogues qui vont de l’alcool aux pilules chimiques ; l’intérêt pour l’exploration prodigieuse de l’uni­vers, de la matière, de la nature, de l’esprit ; le passif des Églises, le confusionnisme introduit par les dérives religieuses sectaires, le retour de l’oc­cul­tisme, de l’astrologie, du satanisme ; tout cela ne nous a-t-il pas fermés à l’Évangile ?
En matière d’évangélisation, rien n’est plus erroné que de prendre notre attente (l’es­poir d’obtenir des conversions) pour guide. C’est soit du prosélytisme, soit de la christianisation ou de la rechristianisation. Dans le cadre de la mission relatée ici par les évangiles, il s’agit plus précisément d’un « réveil » : « Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël ». L’évangélisation consiste en un message libérateur en rapport avec les aspirations spirituelles ignorées, méconnues, soupçonnées ou même connues que dénotent les divers comportements, attitudes ou postures énumérées plus haut. N’attendons pas de résultats immédiats, surtout que l’ingratitude est répandue et que beaucoup ont la gratitude paresseuse, longue à la détente.
Jésus sentait intuitivement que les esprits étaient mûrs pour son message, nous ne pouvons pas envisager d’évangélisation si nous ne savons pas analyser les attentes de nos con­tem­porains. Il y a des lieux et des moments où le sol est tellement en friche que le temps est aux labours ; d’autres où il se prête aux semailles ; d’autres où il faudrait passer la herse ; d’autres où il peut être propre à la récolte. Penser d’emblée que l’on va faire une belle moisson peut être une erreur totale. L’image prise par Jésus est largement eschatologique : il se voit dans les derniers temps (c’est le sens de l’appellation de Fils de l’homme). La générosité ne suffit pas, nous devons encore savoir mesurer nos ambitions à la situation spirituelle donnée ici et maintenant (sur les plan local, régional, national, international). Pour cela, nous devons être capables d’opérer une analyse à la fois anthropologique, sociopolitique, culturelle et spirituelle.
Telle est la seconde question.
Dans les textes évangéliques de l’envoi en mission des disciples, Jésus donne des indications très précises sur la manière de faire (voir les verstes 9-15 et leurs parallèles dans Marc et dans Luc).
Nous pouvons être tentés de penser que c’est là la recette révélée. Le porte à porte, la distribution gratuite de Bibles sur une grande échelle, les campagnes d’évangé­li­sa­tion prolongées ou orchestrées par les moyens audio-visuels, la diffusion de littérature évangélique, les cours, les débats, les forums, les agapes, les spectacles, les expositions, les visites, les excursions, rien de cela n’est à négliger, mais nous devons veiller à ce qu’aucune de ces démarches, victime de son succès, devenue répétitive, ne devienne contre-productive. Il nous faut encore savoir inventer d’autres approches, caritatives, pastorales, culturelles, artistiques, cultuelles, toujours plus conformes à l’esprit de l’Évangile. La libération des corps et des esprits par l’an­nonce d’une « parole » non magique, mais prophétique et charismatique, se place avant le « oui » donné au salut, avant l’accueil personnel du Dieu de Jésus Christ (le « soupe, savon, salut » de l’Armée du salut). L’adhésion à des croyances et plus encore à des formules de foi vient en tout dernier lieu.
Et pourtant là n’est pas l’essentiel, celui-ci est contenu dans ces mots : « Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson ». Tout le reste n’est que conséquences. L’évangélisation, en un sens, n’est autre chose que de relayer l’appel à travailler dans l’œu­vre de Dieu (au Règne de Dieu : sainteté, justice, amour) : « Vous qui travaillez sans goût, sans satisfaction, avec peine, parfois au prix de votre santé physique et mentale, venez prendre votre place avec les ouvriers du Seigneur sans pour autant quitter votre profession ni votre famille, elles en seront, les premières, transformées ».
Est-ce que nous croyons encore que l’avenir de l’Évangile dépend de stratégies ecclésiales plus habiles (rien n’est plus contraire à l’esprit de l’Évangile) ou est-ce que, agissant nous-mêmes comme des ouvriers dans l’œuvre du Seigneur, nous prions, dans le secret de notre chambre et, ensemble, réunis dans l’Église, avec confiance et espérance, que Dieu envoie des ouvriers dans son œuvre ?
Telle est la troisième question.
Ces questions sont là pour nourrir le débat de l’Église. Je n’ai pas la réponse. Nous n’avons rien à vendre, même rien à donner qui sorte de notre propre fonds, ce que nous servons est un message en actes et en paroles dont la substance me semble-t-il est bien exprimée par ce passage de la deuxième épître aux Corinthiens :
« Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici qu’une réalité nouvelle est là. Tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation. Car, de toutes façons, c’était Dieu qui, en Christ, réconciliait le monde avec lui-même, ne mettant pas leurs fautes au compte des hommes et mettant en nous la parole de la réconciliation. C’est au nom du Christ que nous sommes en ambassade et, par nous, c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous en supplions laissez-vous réconcilier avec Dieu. » (2 Co, 5, 17-20).
Remarquons comment Paul, suivant en cela sa ligne constante, pose que tout ce que nous faisons dans la foi c’est Dieu qui le réalise et, par là, nous porte à notre accomplissement personnel, social et spirituel (« une nouvelle créature ») qui nous fait voir le monde (l’univers et la société) sous un aspect nouveau et le recevoir d’une manière nouvelle : « une nouvelle réalité est là ».
Il n’emploie pas les termes habituels de mission ou d’évangélisation, mais celui d’ « ambassade » qui rend bien cette idée. Les ambassadeurs sont des nationaux comme tous les autres, qui, d’une part, du fait de la confiance que leur fait la nation à laquelle ils appartiennent (ici, l’élection et la vocation) et, d’autre part, du fait du droit international et des traités bilatéraux qui existent avec d’autres États (ici, l’Alliance dont témoignent les Écritures bibliques ou l’œuvre du Saint Esprit qui peut s’identifier à partir de ces Écritures), sont les agents plénipotentiaires d’une Puissance (ici, Dieu).
Les ambassadeurs que les Puissances échangent entre elles sont des signes et des gages de paix. Comme chrétiens, nous sommes des signes et des gages de la Paix de Dieu là où nous vivons et partout où nous sommes appelés à aller. L’histoire passée et récente de l’Église nous avertit que cela peut être au prix de souffrances voire du martyre.
Le travail des ouvriers de l’Évangile consiste en un témoignage rendu en paroles et en actes à la réconciliation de Dieu avec le monde. Cela n’est pas un vœu pieux, c’est un événement, historique et actuel, qui a nom Jésus Christ ou Évangile (les deux sont interchangeables). La Réconciliation de Dieu le Père avec le monde a pour seul et unique médiation Jésus ou l’Évangile, rendus présents et efficaces par le Saint Esprit (l’Église jouant le rôle d’un milieu nourricier indispensable, mais pas d’un intermédiaire).
Cette Réconciliation n’est pas une formule creuse, elle s’incarne dans la réconciliation avec nous-mêmes (nos tensions devenant dynamisme de la foi), avec les autres (traités en prochains), avec la nature (reçue comme Création), avec notre histoire personnelle et celle de l’humanité (vécues comme salut entrant dans nos histoires et dans l’histoire).
Jacques Gruber

Mars 2008
PARDONNER
Mt 18, 23-35
21 Alors Pierre s'approcha et lui dit: "Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je? Jusqu'à sept fois?"
22 Jésus lui dit: "Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois.
18:23 "Ainsi en va-t-il du Royaume des cieux comme d'un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.
24 Pour commencer, on lui en amena un qui devait dix mille talents. 25 Comme il n'avait pas de quoi rembourser, le maître donna l'ordre de le vendre ainsi que sa femme, ses enfants et tout ce qu'il avait, en remboursement de sa dette. 26 Se jetant alors à ses pieds, le serviteur, prosterné, lui disait: Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.
27 Pris de pitié, le maître de ce serviteur le laissa aller et lui remit sa dette. 28 En sortant, ce serviteur rencontra un de ses compagnons, qui lui devait cent pièces d'argent; il le prit à la gorge et le serrait à l'étrangler, en lui disant: Rembourse ce que tu dois.
29 Son compagnon se jeta donc à ses pieds et il le suppliait en disant: Prends patience envers moi, et je te rembourserai. 30 Mais l'autre refusa; bien plus, il s'en alla le faire jeter en prison, en attendant qu'il eût remboursé ce qu'il devait.
18:31 Voyant ce qui venait de se passer, ses compagnons furent profondément attristés et ils allèrent informer leur maître de tout ce qui était arrivé.
32 Alors, le faisant venir, son maître lui dit: Mauvais serviteur, je t'avais remis toute cette dette, parce que tu m'en avais supplié. 33 Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j'avais eu pitié de toi?
34 Et, dans sa colère, son maître le livra aux tortionnaires, en attendant qu'il eût remboursé tout ce qu'il lui devait.
35 C'est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du coeur."
Le chapitre 18 de l'évangile selon Matthieu réunit des textes qui concernent les nouvelles relations qui existent désormais entre les membres de la communauté chrétienne. Ici, c’est du pardon qu’il s’agit. Ce qui nous laisse voir qu’au tout début de l’Église, et peut-être même déjà dans le groupe des Douze, les problèmes relationnels ne manquaient pas.
Le Premier Testament nous rappelle que le pardon est l’initiative essentielle, mais jamais automatique, de Dieu : l’Alliance avec le peuple élu comporte des exigences pour ce peuple (És 55, 6-9 ; Da 9, 8-12, 18-19). Dans plusieurs textes du livre des Actes, on trouve une équivalence entre salut et pardon (Ac 1039-42 ; 13,36-39 ; 26,1218).
A la question de Pierre: « Combien de fois pardonnerais-je à mon frère, sera-ce jusqu'à sept fois? », Jésus répond: « Jusqu'à soixante-dix sept fois sept fois » ce qui signifie: à chaque fois, autant qu’il faudra.
Pour illustrer cela, Jésus raconte une histoire, une parabole dite « Du serviteur impitoyable ». Le Maître représente Dieu, les serviteurs sont des membres de l'Église.
L'existence de maîtres et de serviteurs est censée ne plus exister dans nos sociétés démocratiques et laïques, pourtant des relations de responsabilité, et même de subordination existent toujours. Il y a des patrons, des chefs, des sous-chefs. Ce qui a changé vient de l’application des Droits de l'Homme : ils exigent que chacun soit non seulement respecté, mais considéré comme un citoyen à part entière, à l’égal de tout autre. D’autre part, les causes de ressentiment ne manquent pas : nous pouvons avoir été licenciés, trompés en affaire, spoliés par l’État, jalousés, moqués, harcelés, per­sé­cutés, victime d’un attentat, méprisés, repoussés par ceux vers qui nous allions, handicapés de naissance …
Dans la parabole, la relation existante entre ce Maître et ses serviteurs est celle d'une dette. Cela nous situe dans un autre contexte que celui des Droits de l'Homme, mais aussi de la relation du péché. La relation culpabilisante du péché est remplacée par une relation de gratitude engendrée par la dette qui est remise.
Nous contractons beaucoup de dettes au cours de notre existence : vis-à-vis de nos parents, de nos éducateurs, de nos professeurs, des médecins qui nous ont soigné ... mais il s'agit de dettes sinon remises du moins acquittées.
La dette remise ou acquittée n'engendre pas la culpabilité ou l'obligation. Parents, éducateurs, professeurs, médecins nous ont donné, rendu la liberté ou affermis dans celle-ci. Vis-à-vis de Dieu, Source de la vie, de toute vie nouvelle, de la vie éternelle, notre dette est infinie. C’est bien ce qu’exprime ici le montant de la dette (dix mille talents, soit soixante millions de journées de travail) : c’est une dette inextinguible si le maître (Dieu) lui-même ne nous la remet pas. A la dette infinie remise correspond une liberté infinie.
Le péché originel laisse la place à une dette native. La transformation apportée par Jésus (par l’Évangile) pourrait résider en cela, telle est, du moins, la toile de fond de cette parabole. La formule « Nous sommes tous, toujours, des pécheurs pardonnés », toujours pardonnés et néanmoins toujours pécheurs, peut être reprise par : « Nous sommes tous, toujours, des débiteurs à qui la dette a été remise », toujours acquittés et néanmoins toujours débiteurs, en même temps débiteurs et sans plus aucune dette.
C‘est évidemment ce que le serviteur de la parabole, qui se montre impitoyable envers son compagnon, n’a ni compris ni vécu. Si, entre membres de l’Église, nous pardonnons à nos frères et sœurs en Christ, c’est parce que nous avons conscience d’être nous-mêmes au bénéfice d’un pardon immérité et que nous avons tout lieu de penser que la sœur ou le frère qui nous ont nui ou offensé sont dans les mêmes dispositions d’esprit. Au cas où, cependant, il n’en serait pas ainsi au sein de la communauté chrétienne, que nous n’y rencontrerions pas la réciprocité évoquée ici, la faute de celle ou celui qui y aurait manqué est plus qu’une faute vis à vis d’un frère ou d’une sœur, c’est une faute à l’égard de Dieu lui-même qui nous a pardonnés en Christ. Les dimensions où se situent désormais les relations entre chrétiens expliquent la dernière rigueur du châtiment appliqué au serviteur impitoyable.
Ces dimensions même excluent que nous puissions transposer la situation dans la société. Là, nous côtoyons des personnes de toutes mentalités. Des gens peuvent nous nuire, nous offenser gravement sans regret ni remord, avec le sentiment d’être dans leur bon droit. L’idée qu’il est normal de se défendre, que nous sommes dans notre droit, peut même engendrer un sentiment de satisfaction.
Dans ce cas de figure, nous ne pouvons pas pardonner s’il n’y a pas de demande de pardon, à Dieu ou à nous-mêmes, de la part de la personne qui nous a nui ou offensé. Nous ne pouvons ni pardonner ni oublier. L’oubli n’est pas le pardon. En tant que débiteurs infinis qui ont été gracieusement relevés de toute dette, nous avons toutefois, la possibilité de ne pas vivre cette situation de manière vindicative ou dans la frustration. Si nous ne pouvons renouer des relations normales avec notre offenseur, nous pouvons, en tout cas, être en paix avec nous-mêmes.
Mieux même, nous pouvons tirer un bénéfice de cette conjoncture, car toute expérience de ce genre comporte une leçon. Tirer la leçon de ce qui nous est arrivé et de ce que nous sommes obligés de vivre est profitable pour nous, nous donne un regain de maturité, approfondit notre spiritualité.
Enfin, il peut survenir des circonstances où, sans qu’aucun pardon ne nous ait jamais été demandé, nous pouvons quand même pardonner : lorsque, par exemple, la personne qui nous a nui rencontre un coup du sort : une maladie mortelle, un échec retentissant, une ruine soudaine, un deuil cruel. À ce moment-là, la compassion qui entre en jeu prime le pardon et l’enveloppe.
Jacques Gruber


Avril 2008
PÂQUES
Le fils de la Sunamite, le fils de la veuve de Naïn, Lazare, ont été rendus à la vie, afin qu’ils puissent accomplir une pleine destinée humaine. Aux témoins martyrs de la foi d’Apo­ca­lypse 20 (v.4), il est donné un règne de mille ans en compensation de leur vie coupé dans sa fleur.
Au surlendemain de la crucifixion, les femmes, les disciples, les amis, d’autres encore, ont pu croire que la vie avec Jésus allait reprendre comme avant, mais triomphale. Pentecôte leur a appris que Jésus n’avait pas été rendu à cette vie-là, mais à l’éternité qui était sa vraie condition.
Tel est le témoignage évangélique. Il se développe sur un fond de sortie d’une terre de servitude et d’extermination grâce à laquelle la petite communauté des Hébreux conduite par Moïse a été redue à la vie pour devenir le peuple d’Israël, l’élu du Dieu unique. Tel est le témoignage biblique.
Qu’en est-il de notre témoignage ? Nous sommes parents ou enfants, maîtres ou élèves.
Jacques Gruber

Mai 2008
LE CHANTIER
Matthieu 21, 33-46, la parabole des vignerons
33 "Écoutez une autre parabole. Il y avait un propriétaire qui planta une vigne, l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour; puis il la donna en fermage à des vignerons et partit en voyage.
34 Quand le temps des fruits approcha, il envoya ses serviteurs aux vignerons pour recevoir les fruits qui lui revenaient. 35 Mais les vignerons saisirent ces serviteurs; l'un, ils le rouèrent de coups; un autre, ils le tuèrent; un autre, ils le lapidèrent. 36 Il envoya encore d'autres serviteurs, plus nombreux que les premiers; ils les traitèrent de même. 37 Finalement, il leur envoya son fils, en se disant: Ils respecteront mon fils. 38 Mais les vignerons, voyant le fils, se dirent entre eux: C'est l'héritier. Venez! Tuons-le et emparons-nous de l'héritage. 39 Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.
40 Eh bien! lorsque viendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là?"
41 Ils lui répondirent: "Il fera périr misérablement ces misérables, et il donnera la vigne en fermage à d'autres vignerons, qui lui remettront les fruits en temps voulu."
42 Jésus leur dit: "N'avez-vous jamais lu dans les Écritures: La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs, c'est elle qui est devenue la pierre angulaire; c'est là l'oeuvr e du Seigneur: Quelle merveille à nos yeux. 43 Aussi je vous le déclare: le Royaume de Dieu vous sera enlevé, et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits. 44 Celui qui tombera sur cette pierre sera brisé, et celui sur qui elle tombera, elle l'écrasera."
45 En entendant ses paraboles, les grands prêtres et les Pharisiens comprirent que c'était d'eux qu'il parlait. 46 Ils cherchaient à l'arrêter, mais ils eurent peur des foules, car elles le tenaient pour un prophète.
Entré à Jérusalem, Jésus rencontre de l’opposition et même de l’hostilité, Il n’hésite pas à critiquer les autorités du lieu et du moment, il ira même jusqu’à chasser du parvis du Temple les gens qui y faisaient commerce.
Á plusieurs reprises, nous trouvons dans ces chapitres l’image de la vigne : parabole des ouvriers de la onzième heure, parabole des deux fils, parabole des vignerons. Comme dans le Premier Testament, cette image illustre l’œuvre de Dieu : la terre et le peuple d’Israël. Pour sa part, Jésus emploie l’expression « royaume de Dieu », d’ailleurs dans ce texte même, là où les disciples ont parlé de « vigne » (v. 41), Jésus emploie le mot de « Royaume » (v. 43).
La difficulté d’une prédication sur ce texte provient de ce qu’il est peu évangélique. La réponse des disciples : "Il fera périr misérablement ces misérables, et il donnera la vigne en fermage à d'autres vignerons, qui lui remettront les fruits en temps voulu" est la réaction, brute de décoffrage, des partisans de la peine de mort. Nous mesurons combien ils sont, à cette heure encore, loin d’avoir compris le message de Jésus.
Sans être aussi catégorique, Jésus, reprend le thème de la vigne (ou du Royaume) enlevée à ceux à qui elle avait été confiée pour être donnée à d’autres « Qui en produiront les fruits » et parle de la pierre angulaire, cause de chute et de ruine pour ceux qui l’ont rejetée. Il ne fait que citer le Psaume 118, 22-23 et n’est pas plus sévère pour son peuple qu’Ésaïe ; « Je vais vous apprendre ce que je vais faire à ma vigne [qui n’a produit que de mauvais raisins] : enlever la haie pour qu’elle soit dévorée, faire une brèche dans le mur pour qu’elle soit piétinée. J’en ferai une pente désolée, elle ne sera ni aillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces et j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie » (És 5, 5-6). Ce qui est de l’ordre de l’admonestation ou de la mise en garde, lorsque cela se dit entre Juifs, au sein du peuple Juif est devenu un argument de l’antisémitisme chrétien dès lors que les lecteurs des évangiles ont tous été des non-juifs (l’Église s’est substituée à Israël comme peuple de Dieu). Deux mille ans de lecture non critique, au premier degré, ont donné ce résultat qui va droit à l’encontre du but poursuivi par Jésus.
Il n’est pas recommandé de mettre bout à bout la théologie matthéenne et celle de Paul. Il est cependant intéressant de se demander ce que peut apporter le rapprochement entre cette parabole et ce qu’écrit Paul dans Romains 8, 14-17 : « 14 Ceux-là sont fils de Dieu qi sont conduits par l’Esprit de Dieu : 15 vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. 16 Cet esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. 17 Enfants, et donc héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ, puisque ayant part à ses souffrances, nous aurons part aussi à sa gloire ».
Nous mesurons la distance qui sépare le moment rétrospectif de Jésus que reflètent les évangiles de l’époque apostolique de Paul ou de Jean. En vingt-cinq ans environ, la situation spirituelle a profondé­ment changé : le Fils a été envoyé pour annoncer à la fois aux vignerons et aux ouvriers agricoles travaillant ailleurs, sans même bien savoir pour quel maître ils le font, la bonne nouvelle, inimaginable dans le cadre de la parabole des vignerons, qu’ils sont cohéritiers du Père. Ils ne travaillent pas à leur propre compte, mais pour un commun profit à venir. Un testament nouveau a été établi à leur endroit. Ils entreront en jouissance de cet héritage lorsque le Fils paraîtra. Maintenant, ils savent que les fruits qu’ils cultivent, grâce au propriétaire qui les a embauchés, ne sont pas leurs, mais leur sont destinés, sont pour eux. Ils ont la mission d’annoncer aux autres cultivateurs travaillant alentour qu’il en va de même pour eux. Ils s’aperçoivent alors (ce qu’ils ne voyaient pas avant) que la récolte qui s’annonce est surabondante au point qu’ils peuvent, dès à présent, faire entrer dans la vigne les ouvriers travaillant sur toutes les autres terres du maître.
Cherchant une expression plus parlante aujourd'hui pour cette parabole, je propose l’image du chantier : sur le terrain préparé et entouré de soins constants par Israël, Jésus a ouvert un chantier mondial de foi, d’espérance et d’amour (1 Co 13). Si nous appliquons la parabole des vignerons à cette Église-chantier, toujours en chantier, que dirons nous
Le Psaume 118,22-23, dans Ac 4,11 et 1 Pi 2,7-8 ; És 8,14, 28,16, dans Rm 9, 33 et 1 Pi 2, 6, sont cités pour le même propos qu’en Mt 21,42, mais ne nous y trompons pas, c’est à nous aussi, aujourd'hui, que s’adresse cet avertissement. Gardons-nous de tout orgueil ; n’imaginons pas que « c’est arrivé » ; ne nous reposons pas sur nos lauriers ; balayons devant notre propre porte. Au cours de l’histoire, les chrétiens ont, plus que de raison, pratiqué l’amour possessif à l’égard de ce qui appartient à Dieu. Nous nous sommes conduits en propriétaires dans le domaine qui ne nous était gracieusement confié. Nous serions bien présomptueux de dire que nous avons produit les fruits que le Seigneur attendait de nous. Nous pratiquons une adoration et une contemplation de Jésus qui le mettent à l’honneur et non plus au fondement. Sans qu’il s’agisse formellement d’un rejet, cette exaltation aboutit subtilement à une mise à l’écart, laissant la place du fondement de l’Église disponible pour d’autres pierres fondatrices, hors du terrain préparé, et toujours encore maintenu dans son intégrité, par Israël.
Jésus, seul fondement de l’Église, est une affirmation non seulement paulinienne (1 Co 3,11 ; Ép 2,20), mais de la première épître de Pierre (1 Pi 2, 4-5).
Concernant les fruits, j’ai devant les yeux la vision d’Apoca­ly­pse 22, 2 : « Au milieu de la place de la cité [la Jérusalem céleste] et des deux bras du fleuve [jaillissant du trône de Dieu et de l’agneau = Jésus Christ] est un arbre de vie produisant douze récoltes. Chaque mois, il donne son fruit, et son feuillage sert à la guérison des nations [le salut étendu aux non-juifs] ». Les fruits sont un thème des épîtres : « Voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi » (Ga 5, 22-23) ; « Autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Vivez en enfants de lumière. Et le fruit de la lumière s’appelle bonté, justice, vérité » (Ép 5, 8-9) ; « Le fruit de la justice est semé dans la paix pour ceux qui font œuvre de paix » (Jac 3,18).
Pour comprendre que les fruits que nous produisons ne sont pas pour autant les nôtres, je prendrai une image : Je trouve dans la campagne un plant de prunier sauvage qui donne de petits fruits aigres et astringents. Je le transplante dans mon terrain où je le soigne bien, puis je lui greffe un greffon de cerises bigarreau et, le temps venu, dans sa saison, il me donne une récolte de cerises. Ces cerises sont bien produites par ce plant, mais peut-on dire qu’elles sont ses fruits ? Si je ne l’avais pas greffé, ce plant continuerait de produire des prunes sauvages. Nous avons été greffés par l’Évangile et les fruits que nous produisons sont les fruits du Seigneur de l’Évangile.
Nous traversons périodiquement des crises mondiales financières, écono­mi­ques, sociales et politiques dont nous ne savons pas comment sortir. Ces crises sont d’abord un fiasco moral : la recherche effrénée du profit individuel, des crédits menteurs. Hier, un journal titrait : « Une crise qui marque la fin d’un monde ». Si ce monde qui périclite était un monde d’in­jus­tice, je ne pleurerai pas sur lui, mais je n’ai aucune garantie que le monde qui le remplacera sera plus juste. C’est pourquoi je me dis : Sur le terrain mis en état par le peuple Juif, gardé par lui et par lui préparé pour une venue messianique, Jésus a ouvert un chantier mondial de foi, d’espérance et d’amour, c’est là qu’il vaut la peine de consacrer ses forces. Pour nous et pour les autres. Au surplus, soyons attentifs aux petits commencements qui peuvent se manifester ici ou là.
Jacques Gruber
Juin 2008


LES OUVRIERS DE LA ONZIÈME HEURE


Matthieu 2, 1-16


1 "Le Royaume des cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sortit de grand matin, afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne. 2 Il convint avec les ouvriers d'une pièce d'argent [une drachme, 3 grammes 35 d’argent, environ 120 euros] pour la journée et les envoya à sa vigne.
3 Sorti vers la troisième heure [9h du matin], il en vit d'autres qui se tenaient sur la place, sans travail, 4 et il leur dit: Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste. 5 Ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième [vers midi puis vers 15 h], il fit de même. 6 Vers la onzième heure [17 h], il sortit encore, en trouva d'autres qui se tenaient là et leur dit: Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour, sans travail? 7 C'est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés. Il leur dit: Allez, vous aussi, à ma vigne.
8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant: Appelle les ouvriers, et remets à chacun son salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.
9 Ceux de la onzième heure vinrent donc et reçurent chacun une pièce d'argent. 10 Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu'ils allaient recevoir davantage; mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d'argent. 11 En la recevant, ils murmuraient contre le maître de maison: 12 Ces derniers venus, disaient-ils, n'ont travaillé qu'une heure, et tu les traites comme nous, qui avons supporté le poids du jour et la grosse chaleur. 13 Mais il répliqua à l'un d'eux: Mon ami, je ne te fais pas de tort; n'es-tu pas convenu avec moi d'une pièce d'argent? 14 Emporte ce qui est à toi et va-t-en. Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi. 15 Ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon?
16 Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront les derniers ."
Que cette parabole reflète un monde patriarcal sédentaire vivant d’une économie rurale (rappelant ce que Karl Marx avait qualifié de « mode de production asiatique ») n’atténue en rien ce que la conduite arbitraire du maître de la vigne a de choquant. Que cette manière de parler de la grâce à partir d’une question de salaires n’ait été ni supprimée, ni évitée, ni édulcorée, ni contournée, milite en faveur d’une fidélité dans la transmission du message de Jésus.
Dans le Premier Testament, la vigne est une image d’Israël comme terre promise inséparablement d’Israël comme peuple élu. On peut lire à ce propos la seconde partie du Psaume 80 : elle reflète les sentiments d’un Juif pieux au moment où son pays traverse une période catastrophique de son existence. Le psalmiste ne s’explique pas cette ruine autrement que par l’infidélité du peuple choisi, mais il croit à la fidélité (=grâce) de son Seigneur, qui, elle, il n’en doute pas, ne fera jamais défaut : « Fais briller ta face [manifeste-toi] et nous serons sauvés », formule qui revient comme un refrain. Dieu suscitera un libérateur, un re­cons­truc­teur et un restaurateur (« Le fils que tu as affermi pour toi […], l’homme de ta droite […], le fils de l’homme que tu as affermis pout toi » : un « juge », un « roi fidèle, juste, puissant », un « messie » ?).
Les heures trouvent leur signification de « moment du salut » (comme aussi la notion de « jour », reprenant ici le Premier Testament) dans les évangiles : Mt 24,36-50 et par. ; Mc 13,11, 32 ; Lc 22,53 ; dans le iv ème, en ce qui concerne Jésus : Jn 2,4 ; 4,23 ; 5,25, 28 ; 7,30 ; 8,20 ; 12,23, 27 ; 13,1 ; 16,2, 4, 21, 26, 32 ; 17,1 et dans les Épîtres en ce qui nous concerne : « Vous savez en quel temps nous sommes : voici l’heure de sortir de votre sommeil : aujourd'hui, en effet, la salut est plus près de nous qu’au moment où nous avons cru. La nuit est avancée, le jour est tout proche » (Rm 13,11-12) ; la citation du Psaume 95 « Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n’en­dur­cis­sez pas vos cœurs » (Hé 3, 13-15 ; 4, 6-7).
Par cette parabole, Jésus ne prétend pas légiférer dans le domaine du monde du travail. De même que la Bible ne contient ni cosmologie ni biologie ni constitution civile ou reli­gieuse révélées, elle ne prescrit aucun mode de production particulier.
La parabole contient une leçon applicable à la vie des chrétiens dans l’É­glise : ne jalousez pas ceux qui, récemment venus à la foi, venant d’horizons très éloignés, manifestent une profusion de charismes. Réjouissez-vous plutôt de ce sang nouveau qui revigore votre paroisse.
Elle relève aussi d’une interprétation prophétique et, par là, politique. Dans cette optique, les ouvriers embauchés successivement dans l’œuvre ac­com­plie par le Dieu de la Bible sont les protagonistes du salut dans l’histoire. Les ouvriers de la première heure sont les Juifs, ceux de 9 heures du matin sont les orthodoxes et les catholiques, ceux de midi sont les protestants, ceux de la onzième heure, l’heure avant-dernière, sont, les pentecôtistes, les charismatiques, les évangéliques, les Juifs messianiques. Tous sont des chômeurs de la justice et de l’amour auxquels il est fait grâce.
Ces arrivées successives viennent de tous les horizons, mais ont une marque dis­tinc­tive qui réside dans leur référence biblique. Les derniers venus sont les ouvriers de l’a­vant-dernière heure, l’Homme de la dernière heure, si ce n’est pas le Christ, c’est l’antichrist (1 Jn 2,18).
La grâce est représentée ici par la pièce d’argent remise à chacun sans acception de personne et la dernière heure évoque l’émergence dans l’éternité où tout le monde se retrouve sur le même rang. Les derniers sont les premiers et les premiers les derniers, non par discrimination, mais parce qu’au dernier jour tous ressuscitent en même temps.
La grâce est l’accueil sans condition qui nous est fait par Dieu. Le patron qui embau­che les ouvriers pour sa vigne ne les juge pas sur leur curriculum vitae, il le fait parce qu’ils sont sans travail. Ensuite, il semble que cet homme soit entièrement démuni de monnaie, comme s’il n’avait exclusivement que des pièces d’argent. De même que la grâce ne pose aucune condition, elle est indivise, elle ne se monnaie pas. C’est comme la citoyenneté : une personne qui devient citoyen(ne) d’un pays reçoit tout ses droits d’un seul coup, il n’y a pas de citoyen de seconde, troisième ou quatrième zone. La grâce, comme la citoyenneté, ne se mégote pas. Enfin, le travail de chacun est reconnu, mais non en fonction de ses mérites. Il est rémunéré en considération de ce dont chacun a besoin pour vivre pendant une journée avec sa famille : les sauveteurs ne se règlent ni sur les mérites ni sur les démérites, ils se portent aussi bien au secours des victimes innocentes ou accidentelles que des imprudents, des irrespon­sa­bles et de ceux qui se sont mis en péril, parfois avec d’autres, à la suite d’une faute carac­té­ri­sée. La gratuité n’est pas signe d’une non-valeur, mais de ce qui n’a aucun équivalent, l’unique, l’irremplaçable.
L’incompréhension de la grâce manifestée par les ouvriers des premières heures, comme par le frère aîné dans la parabole du fils perdu (mort) et retrouvé (revenu à la vie) de Luc 15, vient de ce que nous rapportons les choses à nous-mêmes. Si nous sommes attentifs aux autres, nous commençons de pouvoir accéder à une compréhension de la grâce.
Souvenons-nous de ce que nous étions lorsque nous étions des chômeurs de la foi, l’amour et l’espérance. Pensons avec gratitude à Celui qui nous a appelés à travailler dans son œuvre alors même que nous n’avons nulle qualification pour cela comme à tous ceux par l’intermédiaire desquels son appel nous est parvenu. Sachons reconnaître l’ouvrage accompli par ceux qui nous ont précédés, c’est d’eux que nous avons appris le métier sur le tas, nous bénéficions de leur expérience et de leur travail. Ne nous imaginons pas que nous serions destinés à nous substituer à eux parce que, venant après eux, nous serions meilleurs. N’allons pas les chasser de la vigne. Posons-nous toujours à nouveau la question de notre propre travail : regardons-nous faire les autres, leur laissons-nous les tâches les plus dures, difficiles ou rebutantes pour ne faire que ce qui nous plaît, nous honore ou nous gratifie. Cette situation nouvelle nous a-t-elle permis de mieux assumer notre place dans la société, au sein de ceux qui sont les actuels chômeurs de la foi, l’espérance et l’amour sur la place publique du village mondial ? Prenons garde de nous conduire en pro­prié­taires, de nous imaginer que cette œuvre est devenue nôtre, que nous aurions acquis des droits dessus. S’approprier l’œuvre de Dieu, c’est exclure les autres. Accueillons ceux que le maître de la vigne appelle en cette avant-dernière heure comme s’ils étaient nous-mêmes, admirons encore qu’ils reçoivent, avec nous, la plénitude de la grâce. Les arrivées successives des vagues de nouveaux travailleurs nous permettent de lire l’heure sur l’horloge du temps du salut.
Jacques Gruber

Juillet 2008
Vous avez dit: créationniste ?
Les chrétiens créationnistes défraient de temps en temps la chronique. Je me propose de présenter ici quelques éléments et quelques réflexions afin de permettre à chacun de se faire une idée et de se situer.
« Je crois en Dieu le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre »
(Symbole des Apôtre, ii ème siècle) : SUIS-JE CRÉATIONNISTE ?
Aperçu du débat :
L’Origine des espèces : Le livre de Darwin sur l’origine des espèces, paru en 1859, est un pavé jeté dans la mare des religions monothéistes qui n’a pas fini de faire des ronds.
Avant Darwin, Lamarck avait présenté une théorie du « transformisme » : les espèces se sont modifiées au cours des époques géologiques sous l’effet des transformations (parfois brutales) du milieu.
La théorie de Darwin fait intervenir deux facteurs : les mutations et la sélection naturelle. Les espèces animales que nous observons aujourd'hui (l’être humain compris) sont l’aboutissement d’une évolution à partir des bactéries primitives. Cette évolution s’est déroulée d’une manière totalement naturelle à la fois accidentelle et mécani­que. Les facteurs accidentels sont des mutations, le facteur mécanique est la sélection naturelle. Dans la lutte pour la vie, les individus les plus aptes ont éliminé les autres.
Cette dernière remarque devrait suffire pour écarter l’idée que l’homme descend du singe, puisque les singes n’ont pas été éliminés, mais à l’époque (et aujourd'hui encore dans certains milieux) l’évolutionnisme se réduit à la thèse que l’homme descend du singe.
La vie est une compétition, une notion à la mode dans les sociétés anglosaxonnes industrielles, commerciales et sportives du xix ème siècle. Darwin est un représentant de la société occidentale progressiste née de la sécularisation de l’Évangile par les Lumières.
Le darwinisme (tout comme la mécanique quantique de Max Planck et la psychanalyse de Sigmund Freud, moins de cinquante après) est comparable à la découverte d’un nouveau monde, il a directement influencé Ernst Haeckel (1834-1919), fondateur de l’écologie.
Le créationnisme : notre parenté avec les primates choque notre sentiment de dignité et la thèse évolutionniste contre­dit le récit biblique pris à la lettre, d’où il découle que les espèces et l’être humain ont été créés par Dieu, au commen­ce­ment, tels qu’ils sont aujourd'hui (Genèse 1 et 2).
À l’époque du scientisme, du positivisme et des luttes anticléricales, la théorie de l’é­vo­lutionnisme a pris la forme d’une idéologie à pointe antireligieuse. De son côté, le créa­tion­nisme, né dans les milieux protestants fon­da­men­talistes et puritains, est devenu une doctrine religieuse au service d’une réaction antiprogressiste. L‘autorité du littéralisme biblique prendra-t-elle le pas sur celle de la méthode scientifique ?
Ce qui choque dans le créationnisme, c’est l’affirmation d’un savoir universel révélé sur Dieu et sur l’univers.
Le créationnisme se manifeste dans tous les milieux monothéistes fondamentalistes (il a des adeptes Juifs, musulmans, et, dans sa version du Dessein intelligent, dans la Curie romaine qui entoure le pape). Il a réussi à mettre en difficulté les scientifiques, les exégètes, les théologiens, les juristes, les politiciens, les Églises, les États et l’État fédéral américain. Nous sommes en présence d’un empiètement de magistères : la Bible ou la Science.
Le néocréationnisme (le Dessein intelligent) : Les esprits et les positions ont évolué. Les croyants ont compris que la Bible n’est pas le livre d’un savoir, mais d’un témoignage ; les philosophes ne veulent plus d’une raison qui fasse violence ; les savants ont pris conscience qu’ils ne posséderont jamais la nature. Actu­el­lement, les évolutionnistes pensent que l’être humain descend d’un cousin du singe et les créationnistes parlent plus volontiers d’un univers témoignant d’un « Dessein in­tel­ligent » à l’œuvre à son origine et dans sa conservation.
Le créationnisme n’est pas le fait des seuls esprits crédules, mal informés ou limités dans leur entendement. Des intellectuels, des scientifiques (anglosaxons) y ont adhéré pour des raisons de foi, mais l’ont aussi fait évoluer. Ces nouveaux créationnistes admettent la micro-évolution, c'est à dire les transformations morphologiques dues à l’adaptation au milieu, mais critiquent la théorie de l’évo­lu­tion qui est devenue une idéologie imposée par les programmes scolaires. Pour eux, cette théorie ne repose pas sur une interprétation impartiale des faits, mais sur l'adhésion dogmatique à une philosophie en dépit des faits. Il s’agit d’une prise de position d'essence quasi religieuse qui va au-delà des faits scientifiques, d'une philosophie naturaliste dépassée qui n’est même plus enseignée comme telle.
Leur critique porte sur les lacunes de la théorie. Les gènes sont une information et la molécule d'ADN son support matériel. L'é­­volution de ces supports (mutations, sélection naturelle, modifications de l'environnement, le tout sur de très longues périodes) ne dit rien du mécanisme physico-chimique susceptible de produire une programmation génétique. À cela s'ajoutent l’impossi­bi­li­té de dériver le monde animal entier d'une bactérie primitive, l’absence ou extrême pauvreté des fossiles intermédiaires, le fait que tous les grands embranchements animaux apparaissent simultanément au cambrien, que les systèmes moléculaires complexes sont irréductibles.
L’observation objective des faits (tout particulièrement que l’information génétique imprimée dans l’ADN ne peut être produite par une mécanique biologique) oblige à reconnaître que le vrai fondement de la rationalité ne se trouve ni dans les particules ni dans des lois impersonnelles, mais dans l'intelligence du Créateur qui nous a façonnés à son image : c’est la preuve qu’un « Dessein intelligent » est à l’œuvre. ».
Philip Johnson (Comment penser l'évolution? traduction française, 2003) appelle à libérer l'intelligence de toutes les idéologies. Il demande que l’on aide les jeunes à sortir du domaine protégé de la foi pour entrer dans celui de la raison avertis du parti pris naturaliste régnant. Pour lui, c’est aller vers plus de démocratie. Il estime que l’on peut refuser qu'il y ait un Créateur pour des raisons philosophiques, mais qu’on n’a pas le droit de l'ériger en constatation scientifique.
Ce qui choque dans cette version du créationnisme, c’est qu’elle continue de maintenir le refus d’une genèse de l’univers, d’une genèse de la planète Terre, d’une genèse du vivant, d’une genèse de l’être humain et qu’elle soutient la thèse d’une programmation génétique des êtres vivants par un Être transcendant.
Il reste aussi vrai que la philosophie ni la science ne rendent pas compte de façon décisive du fait que l’univers et l’être humain sont intelligibles. La programmation génétique des êtres reste énigmatique. Le principe anthropique, selon lequel l’apparition de l’être humain à un moment de l’histoire de l’univers, de la Terre et de la vie ne peut pas se ramener à des coïncidences heureuses à répétition, mais atteste d’une finalité sans projet, constitue une façon agnostique et intellectuellement inachevée d’y répondre. Je me méfie des gens qui parlent de l’Évolution comme d’autres parlent de l’Église. Il n’y a pas d’entité de ce nom, il n’existe qu’une théorie de l’évolution, révisable et, d’ailleurs, non unifiée.
Actuellement, aux États-Unis, on assiste à un dialogue de sourds qui s’éternise. Le débat est pourtant essentiel : quelle peut être l’attitude juste des croyants chrétiens en présence de théories scientifiques athées, naturalistes et déterministes par définition ?
Croyans et savants se sont rapprochés : quelle différence y a-t-il entre le Dessein intelligent et le principe anthropique ? Dans sa définition faible : l’univers est tel qu’il a permis l’existence d’un être humain ; dans sa définition forte : l’univers a été créé pour que nous existions.
Le déiste Voltaire écrivait dans ses Satires : « L’univers m’embarrasse et je ne puis songer/ Que cette horloge existe et n’ait pas d’horlo­ger », mais on ne peut voir là le traitement théologique que la question mérite.
Science et foi : Les Églises ont eu de la peine à accepter l’autono­mie de la raison et de la science. Que l’on se souvienne de l’affaire Galilée. Les credos s’ouvrent sur une confession de foi au Dieu unique, tout puissant, Père et Créateur. La création ex nihilo, selon la formule augustinienne, a valeur de dogme.
La présence du divin dans le monde : Suite à leur conception substantialiste de l’In­ca­rn­ation, orthodoxes et catholiques conçoivent une présence du divin dans la réalité du monde humain (la théanthropie orthodoxe, la plénitude catholique, une Incarnation continuée ou ininterrompue) : « Notre foi en l’incarnation du Verbe insère Dieu lui-même dans l’histoire de l’humanité et de l’univers » (Ch. Theobald, Le christianisme comme style, p. 891). Dieu est mystère du monde et mystère de l’histoire, l’Église est définie comme sacrement pour le monde (Vatican ii).
Ainsi, Pierre Teilhard de Chardin a conçu une vision évolutionniste qui intègre, par voie de complexification croissante, les réalités spirituelles et la présence du Christ dans la marche de l’humanité et de l’univers, vers le Point Ôméga, l’épanouissement final en Dieu.
La théologie du Process (libéralisme protestant non trinitaire) conçoit une évolution concomitante de Dieu lui-même en fonction de l’évolution de l’univers et du monde humain.
La position protestante de la non-ingérence de la foi dans la science : Depuis Luther, le monde protestant a choisi la non-ingérence du théologien dans les matières scientifiques. Dans sa Préface à l’œuvre de Nicolas Copernic (De revolutionibus orbium celestium de 1534) Andreas Osiander, réformateur de Nuremberg (exagérément mystique pour Luther), faisait la part de la Bible qui nous conduit au salut et des calculs mathématiques qui permettent de formuler des hypothèses cosmologiques. La recherche scientifique, le travail du savant, vus comme la suite de l’in­jonction biblique à « dominer le monde » pour le bien commun (Ge 1,28), peuvent même être des œuvres de la foi. C’était la position d’Ambroise Paré (« Je le pansai, Dieu le guarit »), de Bernard Palissy, de Jan Swammerdam, de Johann Kepler, de Carl Linné. Karl Barth est régulièrement cité à ce propos pour avoir radicalement séparé le message biblique qui ne concerne en rien la connaissance scientifique et cette dernière, œuvre purement humaine, qui ne nous dit rien sur Dieu ni sur son œuvre créatrice et rédemptrice.
Le concordisme : Une interprétation intermédiaire, aujourd'hui généralement abandonnée, a été soutenue : le concordisme. Il s’agit de faire concorder le texte biblique avec les avancées de la science. Par exemple : les six jours de la création reproduisent les étapes de la cosmogenèse, de la géogenèse, de la biogenèse, de l’anthropogenèe. Selon Genèse 1, Dieu fait émerger un continent primordial (une pangée, un Gondwana) d’un océan planétaire, il crée la lumière avant les plantes, les plantes avant les animaux, les poissons et les oiseaux avant les animaux terrestres et l’être humain après ceux-ci. Des esprits conciliateurs, adoptant la théorie de l’évolution, ont soutenu que cette dernière était à prendre comme l’œu­vre créatrice continuée de Dieu.
Les théologiens catholiques se rangent aujourd'hui du côté de la non-ingérence entre science et foi : La constitution Dei Filius du concile de Vatican i (1871), chapitre iv, dit : « Dieu ne révèle rien de ce que nous pouvons ou pourrons savoir et comprendre par nous-mêmes ». Le théologien catholique Karl Rahner écrivait : « Dieu n’a qu’une seule chose à nous révéler, c’est Lui-même et Lui-même comme destinée de l’humanité » (Traité fondamental de la foi, 1976). Jacques Arnould, dominicain, opte pour un barthisme modéré : foi et science sont des sphères non pas radicalement séparées, mais distinctes. Elles méritent le respect mutuel. Entre elles, le dialogue est possible et souhaitable. Elles devraient pouvoir s’enri­chir mutuellement (Dieu versus Darwin, 2007). Christoph Theobald, jésuite, parle d’un « engendrement messianique » de la création, d’une une structure christique de l’univers, non au titre d’un savoir chrétien sur le monde, mais comme le témoignage que les chrétiens sont appelés à rendre (Le christianisme comme style, 2007).
Recherche d’une attitude juste : Ne réduisons jamais, en nous ni parmi nous, la richesse humaine, sachons conserver notre faculté d’émerveillement malgré les violences et la malignité qui régnent en ce monde.
Sensibilité, intellectualité spiritualité : La célébration immédiate de la nature dans la poésie, dans les textes religieux ou philosophiques les plus anciens, est humainement aussi vraie dans son registre, celui de la sensibilité, que l’explication scientifique du monde qui est médiate parce qu’elle fait appel à des observations, des calculs, des expérimentations. Non moins vraies, dans leur ordre, les idéologies et les utopies qui ont remplacé la vision chrétienne du monde. Elles donnent des visions globales de l‘u­ni­vers et, par là, servent à l’ins­tru­men­­ta­liser, elles jouent un rôle d’intermédiaires. De cet ordre sont : la théologie naturelle, la théologie de la création ou la théologie rationnelle (métaphysique chrétienne) ; les divers humanismes dans l’ordre de la compréhension pratique de l’hu­main (dont la théosophie, l’an­thro­­po­so­phie, par exemple), de la dignité hu­maine et du statut de droit des personnes ; la mondialisation dans l’ordre économico-po­li­ti­que ; l’écologie dans l’ordre du pragmatisme politico-cosmique et, hélas, les idéologies ou simples pratiques politiques totalitaires.
La Genèse parle à notre sensibilité, la science répond à notre intellectualité, pourtant, de part et d’autre, il n’est pas exclu que la raison soit à l’œuvre : une raison théologique, une raison expérimentale.
Pour la raison théologique, le texte biblique ne parle pas de la nature et des humains que nous sommes, de Dieu lui-même, sur le mode de la sensibilité seulement, il parle dans une perspective spirituelle éthique où Dieu ne s’exprime jamais sur soi que dans son rapport à ses créatures. Les trois premiers chapitres de la Genèse donnent au surplus la vision dynamique d’un théâtre du monde où chaque être (l’être humain en particulier) est à sa place. L’être humain est dans son rôle pour autant qu’il ne rende pas mensongère la parole de Dieu en écoutant d’autres voix. Ce qui risque d’entraîner le théâtre du monde tout entier dans la parodie.
Le témoignage chrétien : Dans l’ordre du témoignage en parole(s) et en acte(s), les chrétiens ont quelque chose à apporter, aussi bien au regard de Dieu ou de la religion qu’en ce qui concerne la nature, l’univers, le monde, l’histoire, l’être humain. Ce quelque chose est une Parole qui se réalise dans la personne de Jésus de Nazareth chaque fois que nous mettons nos pas à la suite (ou la « suivance ») de sa Bonne Nouvelle (l’Évangile enraciné dans la Bible hébraïque) ; qui s’ins­crit dans notre tête et dans notre cœur par le témoignage intérieur du Saint Esprit ; qui s’atteste dans et par les réalisations historiques ecclésiales du christianisme, même si nous avons toujours à confesser leur passif.
Ce témoignage dit que l’on a été élargi, libéré, sauvé, il pose les actes et exprime les pensées qui en découlent. Pour le barthiste Gerhard von Rad, c’est la libération d’Égypte qui fonde la foi au Créateur et non l’inverse (1957-1960). Jésus aussi commence par guérir des malades du corps et de l’esprit, par apporter la délivrance, le pardon. Ce n’est que dans un se­cond temps qu’il parle de lui comme le Fils de l’homme, qu’il accepte d’être appelé Saint de Dieu, Fils de David, Messie.
À partir du salut vécu ici et maintenant comme cela vient d’être décrit ci-dessus, Dieu, la religion, la nature, l’univers, le monde, l’histoire, l’être humain valent plus et vont plus loin. Le langage technique de la théologie, qui est née dans l’aire chrétienne, exprime cela en parlant de création et de rédemption. La reconnaissance d’un Dessein intelligent est seconde par rapport à la gratitude éprouvée par celui qui a connu la transformation opérée dans sa vie par le Saint Esprit (par le moyen de la parole de Dieu biblique).
L’intelligence peut-elle se contenter de se rendre hommage à elle-même, individuellement, confraternellement, socia­le­ment, ou lui convient-il de s’interroger, et même d’éprou­ver un mouvement de gratitude, devant la dimension de dépassement et de générosité inhérent à sa propre nature ? L’intelligence est-elle diminuée quand elle reconnaît qu’elle est dépassée ? S’abdique-t-elle pas quand elle admet qu’elle (et tout ce qui existe) ne peut-être sa propre origine ? Est-elle déshumanisée quand elle reconnaît un ailleurs tout autre ? Se déjuge-t-elle quand elle se découvre elle-même jugée ? Dépérit-elle parce qu’elle a puisé à des sources vitales préconceptuelles ? Sera-t-elle dénaturée par le choc avec une Parole qui suit une raison et une logique qui n’appartiennent pas à sa structure ?
Je peux très bien affirmer la création sans être créationniste et respectant (de façon néanmoins critique) les avancées des sciences et de leurs applications dans tous les domaines, du moment que ceux qui me voient agir et m’écoutent comprennent que je le fais effectivement à partir et de l’intérieur d’un vécu en Christ que je leur propose comme promis à tous.
Le regard de l’autre : Cela n’empêchera sans doute pas que je sois taxé de créationniste à l’occasion, sans que cela doive me surprendre outre mesure, car cela peut être une occasion offerte de clarifier les choses. Ce n’est pas ma foi qui est créationniste, mais c’est ce regard des autres sur moi qui me met en porte-à-faux. D’autant plus que, par la spécialisation de l’universalité moderne, ce regard est relativement étriqué. L’image qui m’est renvoyé par le miroir d’autrui qui me classe dans la catégorie des croyants crédules (que je côtoie sans effectivement dans l’Église, mais aussi hors d’elle) fait que je sens deux hommes en moi : l’homme intellectuel et l’homme spirituel. Le pre­mier est rationaliste, le second refuse d’être suprana­tu­ra­liste (porté sur le mystère, le merveilleux, le miraculeux).
Entre ces deux hommes, il n’y a pas de compartimentage, mais une tension qui peut se renforcer jusqu’à devenir conflictuelle parce que l’homme intellectuel et l’homme spirituel se sociali­sent inévitablement dans des Institutions scientifiques et des Églises. Il s’ensuit une manichéisation : il faut choisir, être d’un côté ou de l’autre, s’embrigader et, par là même, ajouter à la confusion. J’ai, à tout instant, la possibilité d’abdiquer cette tension, de préférer le repos en choisissant de hurler avec une meute plutôt qu’avec l’autre. Pourquoi le refusé-je ? Pourquoi est-ce que je préfère cet écartèlement à ce que je ressens comme une mutilation ?
Le regard oriental, ésotérique, occultiste, gothique, astrologique, mystique, lui aussi, va faire de moi un créationniste parce qu’il est lui-même tel. Avec eux aussi, je me trouverai écartelé. J’au­rai besoin de savoir refuser la voie mystagogique dans laquelle ils voudraient m’engager avec eux.
Les confessions de foi : Il faut dire que les confessions de foi ne nous aident pas. Comme la Genèse, elles suivent un ordre formel : la création puis le salut et non la logique du salut qui commence avec le salut pour aboutir à la création. Les symboles énoncent un savoir obligatoire sur Dieu, sur l’univers, sur l’être humain.
Qui, parmi les chrétiens qui suivent les liturgies dominicales sait que « Je crois en Dieu » ne signifie pas « Je crois qu’il existe un seul Dieu » (credo in deo uno, in suivi de l’ablatif), mais « Je mets ma confiance et mon espérance en Dieu seul » (credo in unum deum, in suivi de l’accusatif, marquant un mouvement).
Si je ne suis pas capable de comprendre la nuance qui vient d’être dite, la confession de foi de l’Église ne me permet pas d’entendre l’écho de ma situation spirituelle. Au lieu de m’indiquer un cheminement, elle m’impose, en résumé, le point d’arrivée de la réflexion des chrétiens des siècles passés sur leur foi. Elle ne m’in­tro­duit pas dans l’acte de foi qui conduit au Dieu Père et Créateur, elle me propose une doctrine toute faite.
Les confessions de foi qui partent du Saint Esprit ou du Christ pour arriver au Père et Créateur, offrent une alternative intéressante (voir la liturgie de l’Église réformée de France, fascicule 1, p. 8-9, fascicule 2, p. 8-9 ; les textes de confession de foi 7, 8, 9, 10, 15, 16A, 17, 19, tirés du classeur de la Région centre-Alpes-Rhône de l’Église réformée de France). Ces manières de confesser la foi qui mettent en premier lieu l’œuvre salvatrice de Jésus et l’action du Saint Esprit pour aboutir au Dieu Père et Créateur sont trinitaires, mais elles reflètent la Trinité économique (Dieu au-dedans de nous, Dieu parmi nous, Dieu en soi, Transcendance), non celle qui est dite « immanente », qui est, en fait spéculative.
Propositions : Le créationnisme, le néocréationnisme, tout comme l’art dit « contemporain » et la postmodernité dans son ensemble, sont la manifestation socio-politique de la dichotomie entre sensibilité et rationalité et de la perte de la spiritualité biblique qui caractérisent l’hom­me occidental d’autant plus qu’il rencontre aujourd'hui la vérité de l’homme oriental. Cela peut aller jusqu’à prendre des formes pathologiques (schizophrénie). Dans la perspective de la foi chrétienne, cela relève en dernier ressort de la Réconciliation.
Aujourd'hui, dans les conditions la postmodernité où se rencontrent aussi bien l’athé­isme et l’agnosticisme que les superstitions et les croyances archaïques (mauvais œil, anges gardiens, astrologie, satanisme), après la mort du Dieu de la religiosité bourgeoise, la démythologisation, l’explosion des sciences humaines et sociales, nous ne pouvons plus préconiser l’at­ti­tude des Paré, Palissy, Swam­merdam, Kepler, Linné. Déjà Georges Cuvier (pourtant fondateur de la paléontologie), qui participait encore de cet esprit protestant au début du xixème siècle et qui devait mourir peu avant la parution de L’Origine des espèces, s’était montré hostile à l’idée de l’évo­lu­tion.
Je m’inspirerai plutôt de Dietrich Bonhoeffer (Lettre de la prison de Flossenburg, datée du 30 avril 1944, un an avant son exécution) : « J’aimerais parler de Dieu […] non dans la faiblesse, mais dans la force, non à propos de la mort et de la faute, mais dans ce que l’être humain a de vivant et de bon ». Parler ainsi rappelle la phrase qui rythme le texte de Genèse 1 : « Dieu vit que c’était bon ». Tout ce qui se projette et se réalise d’authen­ti­que, de généreux, de juste, de beau, dans un esprit désintéressé et constructif et qui est reçu avec gratitude ici-bas, est à la fois un signe du Royaume et un signe de la Création, au sens courant et au sens fort du mot « signe ».
Cela ne signifie pas que « tout le monde est beau, tout le monde est gentil » (pour rester dans le cadre théologique : que le péché dit « originel » est oublié), mais que toute attitude disqualifiante ou de dénigrement à l’égard de ce qui nous est offert ici et maintenant, malgré tout ce qui ne va pas ou peut même nous menacer, nous disqualifie nous-mêmes au titre de ceux qui se veulent à la suite de Jésus.
Pour qui a conservé sa faculté d’émerveillement sans parti-pris, l’évolution recèle une surabondance gratuite et intelligente. Pourtant, seule l’Alliance que scelle en nous la parole de Dieu biblique permet que cette surabondance (qui inclut jusqu’au regard de l’autre sur nous), cette gratuité et cette intelligence puissent être reconnues comme Transcendance, Grâce et Dessein.
La théorie de l’évo­lu­­tion, comme attestation de la puissance intellectuelle humaine, mais aussi du fait de son contenu thématique, peut être reçue par notre foi comme un fait libérateur universel : elle nous permet de mieux connaître notre place dans l’espace et dans le temps, d’être plus solidaires du destin du monde animal, plus respectueux de l’envi­ron­ne­­ment et de tout ce qui s’y trouve, d’adopter une attitude ouverte, accueillante et participante pour ce qui peut améliorer le sort des êtres vivants dans tous les domaines, le bien être de notre planète, la recherche de la vie dans l’univers, l’embellissement du cadre de nos existences, l’en­ri­chis­­se­ment artistique, intellectuel, spirituel, l’accomplissement de la justice sociale, le soulagement des misères et des souffrances, la fin des frustrations qui créent le ressentiment, l’éducation de la personne et l’ouverture des esprits; tout cela sans jamais ménager notre reconnaissance et notre admiration pour la suite des coïncidences heureuses que la théorie de l’évolution met en évidence dans la genèse de l’univers, de la Terre, de la vie, de l’être humain.
Au lieu de nous disputer autour d’une théorie de l’évolution, veillons à l’évolution afin qu’elle ne s’enroule pas sur elle-même, l’être humain travaillant sur soi jusqu’à devenir un être artificiel. L’évolution ne peut continuer sans des révisions déchirantes et des compétions loyales.
La science peut servir pour le pire et pour le meilleur : elle fournit des moyens efficaces pour répondre au programme messianique : « Les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle [de la justice sociale] est annoncée aux pauvres » (Mt 11, 5, voir aussi Mt 15, 30-31 ; Lc 4, 18-19 ; 14, 13, 21 ; Hé 12,12).
Il existe ainsi un esprit dans lequel les avancées scientifiques et leurs applications peuvent être conçues et reçues comme le cheminement libérateur vers le Royaume qui conduit à la reconnaissance du Dieu Créateur.
Le service que nous pouvons rendre aux tenants de la théorie de l’évolution comme de toute autre théorie scientifique n’est pas de les récupérer pour notre foi et notre Église, mais de les garder de devenir des idéologues ou simplement des spécialistes exposés à une mentalité réductrice. Cela dépend de notre fidélité dans une annonce intelligente de la parole de Dieu, d’un esprit de finesse qui ne méprise pas l’esprit de géométrie, de la clairvoyance évangélique.
En résumé, pour confesser la foi au Dieu créateur et dans la Création en un temps où s’affrontent créationnistes et théorie de l’évolution, j’ai fait appel à trois réflexions :
a) la non-ingérence de la foi biblique dans la science et inversement (position protestante depuis Luther) ;
b) la logique du salut biblique place la foi au Dieu sauveur préalablement à la foi au Dieu créateur (Gerhard von Rad) ;
c) « Parler de Dieu [de son œuvre créatrice et salvatrice] […] non dans la faiblesse, mais dans la force, non à propos de la mort et de la faute, mais dans ce que l’être humain a de vivant et de bon [entre autres, les théories scientifiques] » (Dietrich Bonhoeffer).
Jacques Gruber

Septembre 2008

LES RICHESSES
Mt 19, 16-30, l’épisode du jeune homme riche.
16 Et voici qu'un homme s'approcha de lui et lui dit: "Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle?"
17 Jésus lui dit: "Pourquoi m'interroges-tu sur le bon? Unique est celui qui est bon. Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements." -
18 "Lesquels?" lui dit-il. Jésus répondit: "Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d'adultère. Tu ne voleras pas. Tu ne porteras pas de faux témoignage.
19 Honore ton père et ta mère. Enfin: Tu aimeras ton prochain comme toi-même."
20 Le jeune homme lui dit: "Tout cela, je l'ai observé. Que me manque-t-il encore?"
21 Jésus lui dit: "Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi!"
22 A cette parole, le jeune homme s'en alla tout triste, car il avait de grands biens.
23 Et Jésus dit à ses disciples: "En vérité, je vous le déclare, un riche entrera difficilement dans le Royaume des cieux. 24 Je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu."
25 A ces mots, les disciples étaient très impressionnés et ils disaient: "Qui donc peut être sauvé?"
26 Fixant sur eux son regard, Jésus leur dit: "Aux hommes c'est impossible, mais à Dieu tout est possible."
27 Alors, prenant la parole, Pierre lui dit: "Eh bien! nous, nous avons tout laissé et nous t'avons suivi. Qu'en sera-t-il donc pour nous?"
28 Jésus leur dit: "En vérité, je vous le déclare: lors du renouvellement de toutes choses, quand le Fils de l'homme siégera sur son trône de gloire, vous qui m'avez suivi, vous siégerez vous aussi sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël. 29 Et quiconque aura laissé maisons, frères, soeurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra beaucoup plus et, en partage, la vie éternelle.
30 Beaucoup de premiers seront derniers et beaucoup de derniers, premiers.
LECTURE DU RÉCIT
Au cours de ces derniers mois, nous avons vécu une crise financière internationale déclenchée par la pratique des prêts immobiliers à taux variable qui, aux États-Unis, a jeté à la rue des centaines de modestes épargnants, des opérations hasardeuses de traders portant sur des milliards d’euros, des faillites de banques s’expliquant par des investissements douteux, une escroquerie de grande envergure (Bernard Madoff). Nous avons là l’illustration que, si nous ne savons pas nous-mêmes dominer nos appétits, les régulations et les contrôles mis en place par la société sont d’une efficacité toute relative et même simplement inefficaces. La crise actuelle du capitalisme est une crise morale et spirituelle : la sanction d’une recherche effrénée du profit personnel au mépris des autres.
C’est pourquoi cet épisode, qui met en cause notre attitude fondamentale face à l’ar­gent, nous intéresse particulièrement. Au surplus, il nous présente deux sortes de religions et nous donne une image de Jésus qui tranche avec celles, traditionnelles, que nous nous faisons de lui.
Deux religions : a) la religion du faire et de l’avoir : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » laquelle est toujours en manque : « Tout cela je l’ai observé. Que me manque-t-il encore ? ». b) La religion qui consiste à suivre Jésus si bien que les disciples se rendent compte, par un regard en arrière, qu’ils ont laissé, nullement par devoir, mais comme naturellement, leurs sécurités et leurs biens (famille, maison, gagne-pain).
L’image que l’on se fait de Jésus : Le jeune homme appelle Jésus « maître » c'est à dire rabbin. D’autres protagonistes des évangiles verront en lui un prophète, Élie de retour, le Fils de David, le Messie. Jésus lui-même s’intitule Fils de l’homme, ce qui est une figure eschatologique est signifie, à peu près « l’homme des jours avant derniers » (pour reprendre une expression de D. Bonhoeffer) celui qui se trouve au seuil de l’accomplissement final des temps. Nous avons une image mièvre, pieuse ou sadique (voir les crucifix) de Jésus. Dans ce texte, nous trouvons un esprit libre, capable d’humour (« Il est plus facile de faire passer un gros cordage par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux ») et usant de la provocation pour nous secouer (« Va, vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres, puis viens et suis-moi », dans la même ligne Mt 18, 18, 8-9 par exemple). Gros cordage : le mot kamilos (gros cordage) a été transcrit par erreur par « kamèlos » (chameau).
Jésus prend le jeune homme au mot : à quoi penses-tu en parlant de faire ce qui est bon ?; puisqu’il se situe dans la religion du « faire », il lui cite le Décalogue et, puisqu’il renchérit : « Si tu veux être parfait, va, vends, distribue et suis-moi ».
Le jeune homme surprend Jésus en posant la question de ce qui est « bon », on peut y voir une influence de l’hellénisme (l’homme kalos kagathos bel et bon des Grecs) et montre une spiritualité avancée (« la vie éternelle » alors que, dans le Premier Testament, l’obéissance aux commandements est assortie de promesses limitées à la vie terrestre : De 6, 1-2 ; 24-25 ; 7, 1-15), à moins qu’il ne s’agisse d’une influence de la civilisation égyptienne tournée vers la survie. Il ne tire pas de libération de sa rencontre avec Jésus, mais éprouve de la tristesse, ce qui ne veut pas dire qu’il ne suivra pas, dans un second temps, l’injonction de Jésus. Notre curiosité, qui nous pousse à savoir quelle aura été la suite et la fin de la vie de ce jeune homme, ne sera pas satisfaite, car ce qui importe n’est pas ce à quoi se décidera finalement le jeune homme en question, mais ce que nous nous ferons. Les disciples ont bien compris que c’est là la pointe : « Qui peut être sauvé ? ».
La réponse de Jésus (« "Aux hommes c'est impossible, mais à Dieu tout est possible.") trouve son explicitation chez Paul : « Dieu est riche en miséricorde : à cause du grand amour dont il nous a aimés, alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ –c’est par grâce que vous êtes sauvés- avec lui il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux en Jésus Christ. Ainsi, par sa bonté pour nous en Jésus Christ, il a voulu montrer dans les siècles à venir l‘incomparable richesse de sa grâce. C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi : vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil. Car c’est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance, afin que nous nous y engagions » (Ép 2, 4-10). « Ce n’est pas le besoin qui me fait parler, j’ai appris en toute situation à me suffire. Je sais vivre dans la gène, je sais vivre dans l’abondance. J’ai appris, en toute circonstance et de toutes les manières, à être rassasié comme à avoir faim, à vivre dans l’abondance comme dans le besoin. Je peux tout en Celui qui me rend fort » (Ph 4, 11-13). La religion de la confiance et de l’espérance que nous puisons dans le Christ ressuscité engendre la gratitude envers le don de Dieu, don infini, et cette gratitude ouvre les cœurs, les esprits et les porte-monnaie.
Dans la religion du faire et de l’avoir, les derniers versets (28-29) seront compris comme la reconnaissance de nos mérites. La religion de la foi y verra l’aboutissement dernier, l’épanouissement ultime, du Don de Dieu (Jésus), reçu d’abord par les disciples pour eux, et, ensuite, par et pour tout autre être humain. Le Don de Dieu est un ici et maintenant porteur d’une Promesse, ce que le langage biblique appelle l’Alliance.
La formule « Beaucoup de premiers seront derniers et beaucoup de derniers, premiers » est répétée en Mt 20,16, en conclusion de la parabole des ouvriers de la onzième heure. Les évangélistes ont retenu cette parole sans avoir conservé la circonstance précise où elle a été prononcée. Nous la retrouvons dans Lc 13,30, en conclusion d’une série de paroles relatives à l’entrée dans le royaume de Dieu. C’est peut-être une parole que Jésus a, en effet, prononcée à diverses reprises, mais toujours en rapport avec l’entrée dans le royaume de Dieu. L’accomplissement dernier réserve des surprises, mais le texte n’est pas catégorique, il ne dit pas que tous les premiers seront derniers et inversement, mais parle de « beaucoup » d’entre eux.
LA REDISTRIBUTION ÉQUITABLE DES RICHESSES
Cela dit, revenons au sujet central du texte qui concerne les richesses et notre attitude à leur endroit.
« Va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi!". Il est moins question d’argent que de biens : terres, maisons, troupeaux : « Réalise tout cela et partages-en le montant entre les pauvres ».
Nous pouvons discuter sur les termes : la vente des biens se fait souvent à perte, mais la question n’est pas d’en retirer un maximum, il s’agit d’une libération ; « les pauvres » : nous savons que ce mot général recouvre bien des cas particuliers, encore faudra-t-il savoir effectuer cette distribution à bon escient (il y a du gâchis) ; « tu auras un trésor dans le ciel », est-ce : « au final tu auras fait une bonne affaire » ou bien « tu auras un cœur nouveau» (Mt 6, 19-21) ?
Je pense à Vincent Van Gogh : de son vivant, il n’a vendu qu’une seule de ses toiles, le portrait de son médecin, le docteur Gachet, achetée par ce dernier. Il a été poussé au suicide par l’indifférence générale, alors qu’il avait conscience de la place de son œuvre dans l’histoire. Aujourd'hui, non seulement celle-ci a une valeur inestimable, mais Van Gogh est une richesse universelle. Il a renoncé à toute réalisation bourgeoise cossue de son existence pour répondre à la vocation de l’art qui l’habitait, il est devenu un pauvre prodigieux qui ne cesse de nous enrichir tous. Il a acquis un trésor au ciel de notre humanité et, lui qui avait pensé rendre l’espérance aux populations du Borinage rendues misérables par la dure loi de l’industrialisation capitaliste, certainement aussi au ciel dont parle Jésus dans l’Évangile selon Matthieu. Sans jamais en faire état ni même sans doute l’avoir clairement projeté, il a vécu de la pauvreté du Christ qui nous enrichit tous (2 Co, 8,9).
L’histoire rapporte des exemples de personnes qui ont résilié tous leurs biens pour un absolu : Çakya Mouni (le Bouddha), les ascètes, les moines, les nonnes chrétiens, des révolutionnaires ou des idéologues, de grands philanthropes. Il n’est pas évident que cela ait subvenu de façon décisive aux pauvres. Cela a pu enrichir les grands Ordres catholiques, cela a permis de fonder d’importantes institutions privées caritatives et culturelles, cela a aussi eu pour conséquence égalitaire une pauvreté généralisée. Ce qui nous est demandé n’est ni d’éradiquer la pauvreté ni de secourir les pauvres, mais de leur donner les moyens de s’en sortir par eux-mêmes.
Le Premier Testament ne manque pas de rappeler que « La terre appartient au Seigneur » (Ex 9,29, 33 ; 10,6 ; 19,5), nous connaissons la parole d’Aggée 2,8 : « À moi l’or et l’argent ». et celle de Jésus : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent (Mamon) » (Mt 6, 24).
Pour autant, la production des richesses n’est pas condamnable, elle découle de la volonté exprimée lors de la création de l’être humain (Ge 1, 26, 28), elle est un signe de bénédiction amplement répété tout au long de la Bible hébraïque, quant au Nouveau Testament, il nous parle de la surabondance de Dieu qui rend généreux ceux qui en éprouvent de la gratitude (Mt 7,12 et nombre d’autres textes).
En revanche, l’acca­pa­re­ment des richesses, l’attache­ment compulsif à l’argent, la corruption, l’usure, les agissements mafieux, le capital pour la capital, l’enrichisse­ment qui se réalise par l’ex­ploi­ta­tion des êtres humains, la redistribution des richesses qui se fait mal ou ne s’effectue pas du tout sont l’objet de condamnations explicites. La recherche exclusive du profit pour laquelle tous les moyens sont bons tombe sous la même réprobation que la recherche de la jouissance sexuelle hors mariage.
Lorsque nous cultivons la terre, que nous produisons de meilleures variétés de céréales, de légumes, de fruits, lorsque nous créons des races de bétail, de chiens, de chevaux plus performantes, nous créons des richesses. Il en va de même lorsque nous faisons des découvertes scientifiques, que nous créons des œuvres d’art, de littérature, que la réflexion avance dans l’ordre de la pensée et de l’éthique. Même dans le domaine financier : le fait de faire fructifier l’argent n’est pas assimilable à de l‘usure, il a permis l’essor industriel et soutient les économies.
En justifiant la prolifération de l’argent (qu’il fasse des petits) on libère l’entreprise et on court le risque de l’exploitation de l’être humain. Calvin exhortait à ne pas s’adonner à l’amour de l’ar­gent tout en reconnaissant qu’il est légitime de le faire fructifier comme toute autre richesse que Dieu nous a remise dans la création (l’or, l’argent, l’ivoire, le marbre, sont dans l’ordre de la création que Dieu déclare « bonne », Ge 1). Il ajoute toutefois que « Chacun réputera que de tout ce qu’il a et de tout ce qu’il peut il est detteur à ses prochains » (Institution de la religion chrétienne, Livre III, chapitre vii, § 7 : « detteur » ou « debteur », au sens premier : celui qui a contracté une dette). En termes actuels : l’exploitation des richesses n’est pas illégitime du moment que les richesses créées sont équitablement redistribuées.
Le capitalisme n’a retenu que la première partie de la leçon, pas la seconde si bien que les salariés sont obligés de revendiquer cette redistribution pour en obtenir une petite part, parfois au prix de secousses révolutionnaires qui produisent d’autres injustices. Dans les années soixante-dix, le Père Girardi, théologien de la libération, allait jusqu’à dire que déposséder les riches c’est leur rendre service puisque cela les libère de la déshumanisation propre à la possession des biens de ce monde.
Dans son projet de penser l’économie en fonction de sa foi chrétienne, l’économiste Jean-Baptiste de Foucault, fait un certain nombre de propositions. Il énumère les divers aspects de l’Évangile : le primat de la contemplation sur l’action (Jésus, Marthe et Marie) ; la légitimité de la fructification des richesses (parabole des talents) ; le devoir de solidarité, l’attention à l’autre (jeune homme riche, Zachée, Samaritaine) ; la résistance violente à l’égard des richesses (vendeurs du Temple) et estime qu’il faut les tenir tous ensemble. Il tire une leçon du marxisme qui a su conjuguer trois lignes : la résistance à l’inacceptable ; la régulation (organisation, moyens) ; une utopie qui transcende le réel (grand projet de style messianique de la société sans classes). Il reprend cette grille à sa façon : résister à bon escient, pas sytématiquement ; réguler c'est à dire ne pas capter le pouvoir, accepter la critique ; admettre l’existence de diverses sortes d’utopies, mais privilégier celle de la démocratie non formelle, mais réelle (égalité effective, droits souverains égaux, que chacun puisse donner le meilleur de lui-même) ; convaincre et non contraindre ; recourir à la vertu de l’exemplarité. Une économie au service de l’Homme, non l’Homme au service de l’économie. Pareille économie réunit en bouquet nos besoins matériels qui exigent la productivité, la division du travail, les contrats, les risques (temps court) ; nos besoins relationnels qui fonctionnent sur le rythme donner-recevoir-rendre (temps long) ; nos besoins spirituels qui impliquent recherche, doute, développement de l’intériorité (temps non programmable qui comporte des coupures et appelle, de ce fait, l’insertion dans une communauté où se trouve la continuité). (Notes prises à une conférence tenue à Sucy-en-Brie, le 7 mars 2004 dans le cadre de l’Amitié judéo-chrétienne)
Il me semble que, dans le contexte de la mondialisation et compte tenu des expériences passées, la meilleure façon de répondre collectivement de façon à la fois rationnelle et charismatique à l’exigence évangélique aujourd'hui réside en ceci : la sauvegarde des richesses tant matérielles qu’immatérielles, naturelles, culturelles, spirituelles ; l’autorestreinte volontaire en ce qui concerne l’exploitation de ces richesses ; les mesures pour favoriser l’accès de tous à toutes (y compris l’éducation, l’enseignement, la formation, la santé, la spiritualité) ; la redistribution équitable, soumise à un contrôle permanent, des terres, de l’argent, du travail. Tout ceci implique le développement des mesures sociales et la socialisation des richesses (ce qui ne signifie pas leur nationalisation).
Le commerce équitable (une initiative de chrétiens protestants) m’apparaît comme un signe du Royaume.
Ces dispositions comportent une part de réalisme (l’acceptation de l’essor capitaliste au plan mondial) et une part d’utopie (l’équité), elles contribuent à l’établissement et à la sauvegarde de la satisfaction des besoins premiers (alimentation, logement, vêtement, instruction, travail, hygiène et santé, sécurité civile, paix, environnement écologique) à l’échelle du monde entier. La satisfaction de ces besoins constitue le substrat indispensable pour l’établissement des échanges dans l’harmonie ainsi que pour l’épanouissement et la communication des biens culturels. En même temps, ces dispositions expriment une spiritualité dans laquelle les chrétiens, malgré leurs infidélités, retrouvent l’Évangile et tout être humain l’appel à la générosité dont il nous faut le créditer en dépit de nos manifestations naturelles de possesivité.
Je reprendrais l’apostrophe de François Guizot : « Enrichissez-vous » de la façon suivante : « Enrichissez l’humanité et le monde, sans penser spécialement à vous-mêmes, par gratitude pour ce que vous avez reçu, serait-ce peu de chose au dire des gens ». La redistribution des richesses, quelles soient données, acquises ou produites, est le partage du Don de Dieu qui, seul, possède la promesse pour tout l’à-venir.
Un capitalisme de répartition, par exemple et à titre de simple suggestion : 36% pour les investissements, réinvestissements et frais d’entre­pri­se ; 24% pour les salariés ou pour les producteurs (charges comprises) ; 12% pour les actionnaires ou, dans le cas des producteurs, destinés aux intermédiaires ; 10% de participation civique (taxes) ; 6% pour le logement social ; 4% pour l’emploi (RSA, création d’emplois et d’en­tre­prises) ; 4% affectés à la recherche et au mécénat ; 2% à répartir entre des œuvres, institutions, fondations non lucratives reconnues, présentant un ’intérêt général, social, éducatif ou religieux; 1% destinés aux syndicats et aux partis politiques (qui ne seront plus subventionnés par ailleurs) en fonction de proratas à déterminer ; 1% de participation internationale à un fond mondial d’inves­tis­se­ments. Dispositions qui s’appliquent évidemment aux banques et tous autres organismes financiers.
L’assainissement des professions financières et la moralisation de la société en général ne se feront ni par la crainte du châtiment divin ni par la seule application de lois et de règlements, mais, d’abord, par une éducation du sens civique (les droits de l’être humain ne vont pas sans devoirs correspondants) et, surtout, par l’intériorisation du message de la grâce, la conversion au sens évangélique du terme.
Jacques Gruber
Octobre 2008
PROLOGUES
Chacun des quatre évangiles fait précéder d’un Prologue les quelques 12 à 72 mois de la vie publique de Jésus qui s’ouvre par le ministère de Jean le baptiste.
Marc met la vie publique de Jésus dans la perspective directe de l’accomplissement de l’an­nonce messianique des prophètes (Ésaïe 40, 3, Malachie 3,1). Prophétie.
Matthieu et Luc affirment que Jésus n’est pas un dieu venu tout fait du ciel, mais qu’il naît du sein d’une mère, dans une lignée juive, à une époque et dans un lieu bien définis, comme un obscur humain. Histoire.
Jean lie immédiatement la vie publique de Jésus à la création du monde. Une histoire directement branchée sur une Spéculation théologique (d’où les majuscules).
Il fait appel à l’idée-force du monde grec d’alors : le Logos (Verbe et Raison). Si l’on ne se situe pas dans la conception hébraïque du Dieu vivant qui se définit à la fois par sa transcendance et par sa présence au cœur du plus humble, par sa Sainteté qui est justice et miséricorde, le terme johannique de « dieu » se réfère à la notion hébraïque de « El » (Élohim, au pluriel, dans le récit de la Création de Genèse 1), non à l’idée du Seigneur (le tétra­gram­me). Nous le retrouvons dans ÉLéYôn : le Très Haut, dans des noms de lieux comme Pénel, El-Béthel, et dans des prénoms comme Yoel, Éléazar). Certains prénoms unissent El et Ya : Élye, Éliyahou. C’est le nom repris par les musulmans : Allah. Il correspond à la notion gréco-latine de théos-deus laquelle véhicule une idée sacrale du divin et conduit à une interprétation divinisante et sacra­li­sante de l’incarna­tion.
Le rapprochement avec la Logos a une portée philosophique : tout ce qui existe est intelligible pour l’être doué de la parole, mais constitue aussitôt une folie pour l’intelligence par l’affirmation que la Parole a été faite être humain.
La paraphrase hébraïque est celle-ci : « Au Commencement était la Parole et la Parole était avec le Dieu Saint, elle était le Dieu Saint. Elle était au commencement avec le Dieu Saint. Tout a été par Elle et rien de ce qui a été n’a été sans Elle. En Elle était la Vie et la Vie était la Lumière des Hommes ; la Lumière brille dans les Ténèbres et les Ténèbres ne l’ont point reçue. Et la Parole a été faite Être humain, Elle a dressé sa tente parmi nous, ouvrant un lieu de grâce et de vérité dans nos espaces. À ceux qui l’ont reçue, Elle a donné de devenir enfants du Dieu Saint. Son rejet a eu pour conséquence heureuse le don de l’Esprit Saint si bien que, désormais, le Dieu Saint est avec la Parole et à tous ceux qui La reçoivent il est donné, par grâce et en vérité, d’être des saints ».
Marc : le plus petite distance, Jean la plus grande.
Bien que la conceptualisation johannique en impose le plus, la teneur théologique des trois autres Prologues n’est pas moins forte.
Marc : Commencement : nouveau commencement dans le Commencement : commencement qui a nom « évangile », Bonne Nouvelle de Jésus Christ (evangelium Christi et de christo) Fils de Dieu où Jésus est appelé Messie et Fils de Dieu. La Parole est une promesse qui se réalise. La Parole qui ne revient pas à Dieu sans effet, sans avoir accompli ce qu’elle annonce. Pourtant Marc est l’évangile du secret messianique : c’est à chacun de découvrir ce qu’il a lui-même découvert. La confession de foi du centenier au pied de la Croix y répond (Mc 15,39).
Matthieu et Luc : le Dieu Saint est le Dieu de nos histoires et de l’Histoire, une histoire qui valorise tous les commencements, surtout les plus petits. Matthieu se montre préoccupé de la descendance davidique et de la naissance virginale, Luc rapporte les témoignages d’Élisabeth, de Marie (Magnificat) de Sy­méon, de Zacharie (père du Baptiste), il fait intervenir l’ange Gabriel, mais confère l’intervention décisive au Saint Esprit. Matthieu et Luc établissent l’universalité de ce moment chacun à sa façon : Matthieu en extension avec les mages, Luc en compréhension avec les bergers.
Les trois synoptiques rapportent que Jésus parlait de lui comme du Fils de l’homme (entre fils d’homme et Fils de l’Homme) annonçant le déjà-là et le pas-encore du royaume de Dieu, faisant ainsi pleinement droit à la réserve eschatologique qui est absente dans le Prologue du Quatrième Évangile.
Les titres donnés à Jésus dans les synoptiques : « juste », « rabbi » (mon maître), « rabbouni » (mon maître très cher) ; le Prophète, Élie, Jérémie ou l’un des prophètes ressuscités ; Fils de David (équivalent de Fils de Dieu) ; Fils de l’Homme (l’homme des derniers temps) conviennent à l’Église de la circoncision (les judéochrétiens, les Juifs messianiques). Le seul titre partagé avec les paganochrétiens est Christ c'est à dire MaChiaHr (Oint, Messie)
Les apellations johanniques: lumière, berger, cep, vie, résurrection, agneau (de Dieu), Alpha et Ôméga, ont une portée universelle.
[voir lexique à christologie] La christologie traditionnelle a développé le Prologue johannique dans le sens de la théan­thropie, de l’histoire sainte continuée, de l’Incarnation ininterrompue, de la plénitude sacra­mentelle, de la vie personnelle théologale et de la vie communautaire sacramentale, de la sainteté surnaturelle, de la béatification et de la canoni­sa­tion et, finalement, de la divinisation (à l’image de l’apothéose des empereurs romains qui se trouve ainsi démocratisée).
La Réfor­ma­tion n’a pas renié l’héritage des siècles précédents (Calvin, comprenant la substance de manière spatiale, pensait que l’incarnation dans notre monde ne pou­vait accueillir toute la divinité du Christ Jésus, d’où l’extra­cal­vi­nis­ti­cum. De même, il localisait le corps de Jésus élevé et glorifié dans le « ciel »), pourtant elle a mis l’accent sur l’économie de préférence à la théologie (qui virait parfois à la théo­gra­phie !) : le salut par la seule grâce, par le moyen de la seule foi, sous l’autorité de la seule Écriture. Le protestantisme dans son ensemble (évangéliques compris) a repris la confession christo­lo­gi­que existentielle des Actes et des Épîtres : Jésus Seigneur et Sauveur (ou Sauveur et Seigneur) : à la fois « mon Seigneur et mon Sauveur » (une relation person­nelle) comme aussi « Sei­gneur er Sauveur du monde » (une vision universelle). De là, la sanctification dans et par la vie profane, mais, par là même, il a retrouvé la vérité dérangeante de l’élection et du rejet (Mt 2, 1-18 ; Lc 1, 51-5, 2,34-35 ; Jn 1, 4-5 ; 10-12). Schleierma­cher, au départ de la théologie moderne, synthétisait le Seigneur et Sauveur par le mot de Ré­dem­p­teur qui se situe dans la ligne paulinienne du rachat (le Goël, celui qui rachète par sa mort).
Les christologies dites « nou­velles » ont dédogmatisé Jésus, fait de lui un exemple ou un modèle, jusqu’à vulgariser la notion de « christ » en l’appliquant à toute personne qui donne sa vie pour la vie de tous (rejoignant les justes du Judaïsme, les bodhisattvas bouddhiques) (John Cob). Avec la suivance de Jésus, mise à l’honneur par Dietrich Bonhoef­fer, avec une prise une compte plus sérieuse de l’eschatologie (Jürgen Moltmann), Jésus ressuscité, logé « au ciel », laisse la place à Jésus qui marche devant nous en même temps qu’il nous ad-vient (une christologie dynamique appropriée au don du Saint Esprit : « vous rece­vrez une puissance », Lc 24,49, Ac 1, 24).
Les quatre évangiles ont chacun un Prologue, ont-ils des épilogues ? Ceux de Marc et (16, 9-20), de Jean (chapitre 21) sont des rajouts, comme Matthieu et Luc, Marc et Jean n’ont pas de conclusions, ils sont l’annonce d’une suite, un envoi en mission, une ouverture, un appel, un accueil.
Les Prologues évangéliques annoncent le témoignage néotestamentaire sur Jésus, lequel comporte les idées de commencement nouveau ou de reprise du Commencement et de derniers temps ou de temps et monde nouveaux ; d’histoires et d’His­toire ; d’être humain quelconque en même temps que de plain pied avec le Dieu d’Israël (Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob, le Vivant) ce que l’on conceptualise avec la notion de Médiateur ; d’Oint c'est à dire d’em­pli par l’Esprit, voire d’engendré par l’Esprit Saint ; de rachat : le Goël : celui qui rachète, soit : de Sauveur personnel en même temps qu’universel ; de vie donnée victorieuse de la mort sous toutes ses formes ; de justice, de paix, de joie en dépit de tout ; de relèvement, d’élévation, de glorification (ce qui signifie : le don de la com­plé­tude : être enfin tel qu’on est appelé à être). Quelque chose de premier et de dernier est en cours de réalisation.
situation de chrétienté, situation de modernité, situation de postmodernité qui n’est plus de chrétienté, qui peut être antichrétienne : la confession de foi de Jésus comme Fils de Dieu (comme Seigneur, comme Dieu) ne peut que suivre celle de Jésus éprouvé comme Sauveur (pour soi, pour les autres, pour le monde, pour l’a-venir).

Novembre 2008
Une Vision pour le monde
Évangile selon Matthieu, 25, 31-46
31 Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous les anges, alors il siégera sur son trône de gloire.
32 Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres. 33 Il placera les brebis à sa droite et les chèvres à sa gauche.
34 Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. 35 Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'étais un étranger et vous m'avez recueilli; 36 nu, et vous m'avez vêtu; malade, et vous m'avez visité; en prison, et vous êtes venus à moi.
37 Alors les justes lui répondront: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire? 38 Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu et de te vêtir? 39 Quand nous est-il arrivé de te voir malade ou en prison, et de venir à toi?
40 Et le roi leur répondra: En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait!
41 Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche: Allez-vous-en loin de moi, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. 42 Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire; 43 j'étais un étranger et vous ne m'avez pas recueilli; nu, et vous ne m'avez pas vêtu; malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité.
44 Alors eux aussi répondront: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou en prison, sans venir t'assister?
45 Alors il leur répondra: En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait.
25:46 Et ils s'en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes à la vie éternelle.
Une Vision :
À quel genre littéraire avons-nous affaire ? Ce n’est pas une parabole, c’est plutôt une vision. non pas un rêve nocturne, mais un rêve éveillé, une vue d’avenir et même de fin de l’histoire.
L’importance des visions : Ézé 47, 1-12 : la vision de la reconstruction du Temple se réalisera après la venue de Cyrus ; l’Apocalypse (21, 1-5) retrouve la vision du fleuve source de vie pour le monde dans la vision de la Jérusalem céleste où il n’y aura plus besoin du Temple ; Martin-Luther King avait la vision d’un monde sans racisme et, quarante ans plus tard, une famille noire habite la Maison Blanche.
Ce ne sont pas des rêves nocturnes dont on se souvient au réveil, ce sont des visions éveillées des évocations pour un avenir. Concernant Matthieu 25, c’est une vision de la fin de l’histoire.
Une vision pour l’Église :
A qui s’adresse cette vision ? Elle ne concerne pas Israël, mais nommément les « na­tions ». Pour un jugement d’Israël voir Mt 19, 28. C’est une vision concernant l’avenir dernier des nations. Vision qui s’appliquerait à un monde des nations qui serait une chrétienté.
Les avertissements sur lesquels le texte se termine (le châtiment final) montrent que le texte vise précisément ceux d’entre les nations qui se prévalent de Jésus comme du Messie Christ : « Vous vous dites chrétiens et vous ignorez ceux qui sont dans le besoin, or je m’identifie à eux. Ainsi, vous me rejetez moi-même ».
Dans la situation actuelle du monde, c’est une vision pour l’Église : attention à ceux que la marche du monde écrase ; prenons conscience que nos actes ont une répercussion universelle ; le long terme, le terme ultime est le produit d’objectifs à court terme.
Cette vision est-elle praticable : elle est pensée et exprimée par Jésus dans un contexte rural de petites agglomérations (les grandes villes de l’époque ne devaient pas compter plus de quelques milliers d’habitants). Une famille dans le besoin dans un village de cent familles se repère facilement et il se trouvera suffisamment de monde pour lui venir en aide, mais dans une mégapole de dix millions d’habitants et à l’échelle planétaire ? Toute société crée de la misère, la civilisation urbaine fabrique des laissés-pour-compte, des marginaux. Nous sommes appelés à agir (avec clairvoyance, car donner un euro dans le RER ne sert à rien) à plusieurs ni­veaux : personnellement de façon ponctuelle, dans le voisinage ; sur un plan plus vaste avec l’en­traide de la paroisse ou toute autre structure d’aide locale ; sur le plan national en donnant de notre temps et de nos forces à des organismes comme l’Armée du Salut, le Secours po­pu­laire, le Secours catholique, Emmaüs, le CPCV, Droit au logement ; sur le plan de la planète par un soutien financier à la Croix Rouge et aux O.N.G. (action contre cancer, sida …pour liberté de la presse….médecins du monde… ).
Qu’est-ce que cela nous rapportera ? Rien et Tout. Nous ne le faisons pas pour nous enrichir, pour faire des obligés, pour récolter des éloges, pour obtenir des mérites. Cependant, nous noterons une fructification : notre esprit et notre cœur se sont ouverts, agrandis, notre spi­ri­tu­a­lité s’est approfondie. Comme chrétiens, comme gens qui ont été éclairés par Mt 25, l’ensemble de la Bible et principalement l’Évangile, nous avons été rapprochés de Jésus Seigneur et Sauveur (Dieu au milieu de nous). De même que Jésus est là dans la cène, où deux ou trois sont réunis en son Nom, il est en la personne de ceux qui ont besoin de secours. Une action désintéressée et clairvoyante. Ce texte nous fait prendre la mesure de notre pauvreté spirituelle : Luther : « Nous sommes tous des mendiants », d’autant mieux que nous mesurons notre pauvreté à l’aune de tout ce que nous avons déjà reçu.
Une Vision pour le monde :
L’humanité se mondialise sans vision d’avenir. Notre seule vision pour le monde, ce sont les Droits de l’Homme. Loin de mépriser ces derniers, on peut en discuter : l’Abbé Grégoire (en 1789) demandait qu’ils se doublent d’une déclaration des Devoirs, aujourd'hui, les pays musulmans réclament aussi une Déclaration des Droits de Dieu, certains écologistes militent pour une Charte des animaux.
La vision de Jésus vise les droits et devoirs de l’Homme, mais indirectement. Droits et devoirs découlent d’une vocation de l’être humain, non à terme, mais à long terme, à très long terme, dans une perspective dernière de Vie, de Paix et de Justice, non de totalisation, de pouvoir, de domination.
Au lieu de regarder toujours au-dessus de nous, à côté de nous, avec envie, ressen­ti­ment, jalousie, regardons au dessous de nous ceux qui sont moins bien lotis, moins chanceux, moins heureux, en moins bonne santé, tel est l’enjeu d’une fin de l’histoire humaine.
Prenant au sérieux la réflexion maintes fois entendue que, parmi les non chrétiens, nombreux sont les gens généreux, attentifs aux autres, dévoués etc. Des gens qui ne con­nais­sent pas la Loi, les Prophètes, les Écrits ni l’Évangile mettent en pratique le salut apporté par ce que nous appelons l’auto-révélation de Dieu. Dans des sociétés comme nos sociétés eu­ropé­ennes marquées par des siècles d’éducation chrétienne, il s’agit peut-être d’une ré­ma­nence. Quoi qu’il en soit de ce point de vue, la vision de Mt 25 véhicule une bonne opinion de l’humanité ; mais cette dernière ne peut spontanément accepter la personnalisation du « C’est à moi (Dieu au milieu de vous) que vous l’avez fait ».
Pareille vision est-elle universalisable ?: Notre mentalité de société déchristianisée butte sur le message évangélique. En trois endroits : a) le scandale de l’unicité (seul Jésus est Seigneur –Dieu- et Sauveur) qui relève de la confession de foi chrétienne heurte le dénominateur commun ac­cep­table par tous : l’Hom­me pour l’Homme et par l’Homme ; b) la plupart de nos contemporains refusent l’idée du Jugement dernier, mais la prédication de sectes s’appuie toujours encore sur une annonce catastrophique imminente et parfois même datée de la fin dans temps, depuis Hegel, nous admet­tons qu’il existe un jugement immanent de l’Histoire, Marx présentait l’ère du so­cia­lisme comme une conclusion de l’histoire, dans les tout dernières années du xx ème siècle, Francis Fukuyama parlait d’une histoire humaine qui en voie de clôture ; c) la séparation de l’humanité en bénis et maudits, qui se justifie s’il s’agit de rendre justice aux chrétiens authentiques mêlés à des soi-disant chrétiens n’est pas trans­po­sable dans nos sociétés ouvertes. Nous gardons le douloureux souvenir des « poubelles de l’Histoire » où les totalitarismes du xx ème siècle rejetaient leurs opposants.
La règle d’or de l’Évangile : Pourtant, ailleurs, dans le même évangile, Jésus, lui-même, a universalisé son mes­sage à ce propos : « Faites aux autres ce que vous voudriez que l’on fasse pour vous » (Mt 12,6). C’est la première fois qu’est donnée une version positive de la règle « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas que l’on vous fasse ». Jésus appelle à prendre les devants.
Cela rappelle l’histoire que l’on racontait après la dernière guerre mondiale (c’est un Allemand qui s’exprime) : « Au début, ils ont pourchassé les homosexuels, mais comme je ne l’étais pas je ne m’en suis pas mêlé, ensuite, ils ont enfermé les communistes en camps de concentration, mais comme je n’étais pas communiste, je ne suis pas intervenu, enfin, ils ont envoyé les Juifs aux chambres à gaz, mais comme je n’étais pas Juif cela ne me concernait pas ; le jour où la Gestapo est venue me chercher moi-même, il n’y avait plus personne pour me venir en aide ».
« Faites aux autres ce que vous voudriez que l’on fasse pour vous, c’est la Loi et les prophètes » : nous pouvons l’universaliser de la façon suivante : la Loi et les Prophètes de la Bible hébraïque, la Loi de la République et les prophètes de la Démocratie, la Loi du peuple et les Prophètes du socialisme, à condition toutefois que cette Loi et ces Prophètes ne se coupent pas de leur première inspiration (biblique). L’oubli volontaire de cette source transforme l’universalisation du message biblique et sécularisation. Nous ne pouvons pas faire passer une idéologie politique, qu’elle soutienne une dictature ou qu’elle institue l’anarchie, pour une loi et ses prophètes. Ces idéologies ont leurs (faux) prophètes habilement déguisés, elles édictent des lois iniques et créent un monde totalitaire injuste.
Le philosophe Kant avait cherché à universaliser le message évangélique en le transposant dans sa morale : « Ne jamais considérer l’autre comme un moyen, mais comme une fin », « Agir toujours de telle sorte que la maxime de notre volonté puisse valoir comme principe de législation uni­ver­selle ». Il pensait que ces idées, qui lui venaient de son éducation piétiste, étaient naturel­le­ment inscrites dans le cœur humain. Nous voyons sur cet exemple combien mince est la cloison qui sépare l’universalisation du message biblique.de sa sécu­la­ri­sa­tion.
Ne nous séparant jamais de la source où nous puisons, ne pourrions-nous pas dire et partager avec tout le monde : « Tout ce que nous ferons ou ne ferons pas pour la démocratie, l’alphabétisation, l’en­seigne­ment, la santé, l’ali­men­tation, le logement, la promotion sociale, la planète, c’est aux êtres qui nous sont les plus chers, à ceux (ou ce) que nous considérons comme les plus sacrés, les plus éminents, pour qui nous avons le plus d’admiration, c’est à nos rêves, nos paradis terrestres, nos lendemains et ceux de nos enfants, que nous l’avons fait ou ne l’avons pas fait ».
Cela produit des effets sur le plan de notre propre existence et développe des consé­quences pour l’humanité en général, vu que certains continuent d’opter en pratique (et même en théorie) pour un déroulement violent et une fin catastrophiste de l’Histoire.
S’il n’y a plus de Jugement dernier, il n’en demeure pas moins que, sans aller jusqu’à penser comme les Navajos que le moindre battement d’aile d’un papillon va, de proche en proche, reconfigurer l’univers entier, il n’en demeure pas moins que nos pensées, nos paroles, nos comportements et nos actions ont une portée universelle, que nous ayons ou non intériorisé la présente Vision. Chacun de nous sera jugé à cette mesure, rétro­activement et, déjà, nous nous jugeons nous-mêmes en fonction de cette échelle de valeurs.
Matthieu 25 ne nous apporte pas une Charte mondiale axée sur le Droit ou sur le Droit et les Devoirs, mais une Vision fondée sur la Valeur pour le monde et pour l’Histoire.
Jacques Gruber

Décembre 2008
Jésus Fils de Dieu
Dire que Dieu s’est fait homme est-ce la même chose que de dire que Jésus est un homme-dieu ?
Le texte johannique dit que le Logos « a été fait chair » : « a été fait créature, être humain »
Jésus est pleinement Dieu, est-ce la même chose que « totalement » Dieu ?
Dieu est-il de nature divine, sacré, ou Le Saint ?
Jésus pleinement divin ou pleinement Le Saint ?
La Parole, le Verbe, a été fait(e) chair : en tout cas cette parole « Faisons l’Homme à notre image, selon notre ressemblance » : Jésus image de Dieu restituée. Cette Parole et toutes les autres, non la Parole au sens spéculatif.
La Parole de Dieu, c’est une « Parole divine », alors que la « parole de Dieu », c’est une parole humaine qui devient telle par le témoignage intérieur du Saint Esprit (une parole significativement inspirée, moins parce qu’elle est canonisée, que du fait qu’elle se révèle inspirante pour nous). Appliqué à Jésus : Jésus homme est le Fils non parce que l’Église l’affirme dogmatiquement mais parce, par la témoignage intérieur du Saint Esprit, nous fai­sons, dans et par la médiation de la foi, l’expérience de la filialité du Père.
Abdennour Bidar, musulman, C’est dans l’air du 24 décembre 2007 : Coran : Jésus plus qu’un prophète. J’admettrais que Jésus soit dit « visage de Dieu parmi les hommes ». Cf : le sultan ombre de Dieu sur la terre.
En Jésus il y a deux natures ( ?!) pas deux personnes.
Jésus de l’histoire et Christ de la foi : non deux personnes. Mais non plus deux natures.
Marie Mère de Dieu ? Mère du Messie ? Des textes de Luc, il ressort qu’elle est « emplie du Saint Esprit », « pleine de grâce », de Matthieu que Jésus est né du Saint Esprit. On pourrait dire qu’elle reçoit le charisme par excellence. Ce qui la situe dans notre humanité.
Témoignage de la surabondance de la grâce du Dieu biblique, mais pour qu’il y ait grâce, il faut un être humain, la grâce transforme-t-elle au point que l’on cesse d’être une créature humaine ?
Jésus pleinement homme sauf le péché, certes, mais quelle conception avons-nous du péché ? De quoi s’agit-l ? originel ? actuel ?
Quelle est la bonne doctrine : Chalcédoine ou « Jésus est le Seigneur, le Sauveur » ?
Jésus-Dieu : il s’agit d’El, d’Elohim, pas de YHWH.
Jésus est Dieu parce qu’il est Saint, pas parce qu’il est divin.
Exemple d’hellénisation les Béatitudes (à vrai dire, ACherE signifie : Sauvé, Chouraqui traduit : « En avant », on pourrait dire « Nouveaux départs »).
Quelle est la portée de l’expression « fils de Dieu » : « Ils seront appelés fils de Dieu » ?
Points où se vérifie l’hellénisation : Dieu conçu comme « divin », substance divine ; la recherche du bonheur supplante celle du salut (Béatitudes) ; l’âme immortelle unie à un corps mortel, s’en échappe, sera rejointe par son corps lors de la résurrection.
Que signifie l’Incarnation ? Le divin entre dans le monde humain, il y a resacralisation du monde ? Ou bien : pour que nous devenions plus pleinement humains, humains selon la volonté de Dieu ? Jésus image de Dieu restituée plutôt qu’infusion de divin. Dans la Bible, le divin ou le sacré existent bien (El Elohim), mais ils ne sont pas l’autorévélation spécifique du
Dieu Sauveur, du Dieu vivant, d’Abraham, Isaac et Jacob, HaCheM, Le Nom, Adonaï, Le Seigneur : le tétragramme YWHW.
Divinité de Jésus : sa proximité au Père, le fait qu’il pardonne les péchés (Mc 2, 1-12 par exemple), le fait qu’il ouvre l’Alliance aux non-juifs (Samaritaine, Basilicos, Cananéenne, le larron qualifié de « bon »).
Non plus uns christologie de la personne du Christ, mais de son œuvre, à partir de son œuvre , rejoignant (comment ?) sa personne.
Si Dieu est le Saint, il n’est pas divin, Jésus est Fils du Saint, remplacer « divin » par « de Sainteté » (comme on parle du Code de sainteté dans l’Exode, comme on qualifie l’hébreu non de langue sainte, mais de « langue de sainteté ».
Jacques Gruber

         Du même auteur : « La Représentation de Dorothée Sölle, Revue d’histoire et de philosophie religieuse, Strasbourg, 66ème année, 1986, n° 2 et 3 ;
Entendre la Parole. Le témoignage intérieur du Saint Esprit, Paris, Édi­tions du Cerf, 2003,
« Vous serez mes témoins ». Pour un temps de confusion et de mutations, Paris, Éditions du Cerf, 2009.

autres blogs :

cevenneproche.blogspot.com (dessins);
alpestivale. blogspot.com (dessins) ;
sartresansechec.blogspot.com (philosophie) ;
vous-serez-temoins.blogspot.com (théologie) ;
theologie-deconstruction.blogspot.com (théologie),
biblentoutemps.blogspot.com (mé­ditations) ;
tradition-ou-parole.blogspot.com (religions) ;
poesie-parole (poésie) ;
existence-et-sens (essai) ;
public-gruber (publications de l’auteur).

Aucun commentaire: