Nouveau texte : Loyaux-avec-la-foi.blogspot.com
JANVIER 2016
LE TEMPS
DES PÉRES ET
DES CONCILES
les
cinq premiers siècles
L'Église
Orthodoxe et l'Église Catholique telles que nous les connaissons, sont issues
d'une culture qu'elles ont-elles-mêmes contribué à créer. Les cinq premiers
siècles sont ceux des Pères et des conciles.
Les
Pères
On
donne le nom de Pères à une centaine de penseurs ou de collectifs qui s'étalent
sur cette période et qui sont reçus dans les Églises comme une référence pour
l'orientation de la pensée chrétienne. On parle de Pères grecs ou de Pères
latin selon la langue qu'ils emploient. Parmi les principaux, je citerais,
entre les Pères grecs : Irénée (130-202), Origène (185-252/254), Athanase
(295-373) et entre les Pères latins : Tertullien (155-222), Cyprien (début du 3ème siècle-258), Jérôme (347-419/420),
Ambroise (340-397) et Augustin
(354-430). Plusieurs de ces Pères ont été canonisés, mais pas tous.
Dans
leurs écrits, les Pères combattent surtout les religions rivales (le judaïsme
entre dans cette catégorie), les déviations ou les hérésies. Ils sont ainsi
pour nous des sources pour la connaissance de ces dernières : les gnostiques
avec Irénée, l'arianisme avec Athanase,
le manichéisme ou le donatisme avec
Augustin.
*gnostiques
: le salut par la connaissance des mystères; arianisme : Jésus n'est pas Fils
de Dieu, mais le plus grand des prophètes ; manichéisme : l'existence du mal
s'explique du fait qu'il y a un Dieu souverain qui est Bon et un sous-dieu qui
est mauvais ; donatisme : rigoristes qui refusent de réintégrer dans l'Église
les évêques qui ont apostasié durant les persécutions.
Origène
et Jérôme sont les premiers biblistes. Origène préconise d'interpréter les
textes bibliques qui heurtent la raison comme des allégories (il est aussi le
père de l'apocatastase, conception classée comme hérétique, selon laquelle à la
fin du monde l'humanité entière sera rachetée). Jérôme traduit la Bible entière
en latin (la Vulgate), traduction qui fera autorité dans tout le Moyen-Âge
chrétien occidental. C'est Athanase (295-373) qui écrit la fameuse phrase :
" Dieu s'est fait homme afin que nous devenions dieu" (De
l'Incarnation du Verbe, écrit vers 318) et qui donne la liste des livres du
Nouveau Testament qui sera canonique.
Tertullien
qui se présente d'abord comme l'éloquent avocat des chrétiens, finira par
adhérer au Montanisme (des Pentecôtistes de l'époque). Cyprien, Ambroise et
Augustin sont d'âpres défenseurs de l'autorité de l'Église (Cyprien :
"Hors de l'Église, pas de salut"; Ambroise : l'Église censure
l'empereur, Augustin; "Je ne croirais pas à l'Écriture si l'Église ne m'y
poussait"). Augustin, après une jeunesse dissipée qui lui a valu d'être le
père d'un garçon -Adéodat-, a fixé pour 1500 ans, en Occident, une éthique
rigoriste de la vie sexuelle et du mariage. C'est lui aussi qui, par ses
écrits sur la grâce (non reçus par l''Eglise), en controverse avec le moine
Pélage, ouvre une réflexion et des débats qui vont traverser tout le
christianisme occidental et restent toujours encore ouverts.
Les
Pères lisent le Premier Testament dans la version des Septante. Dans leur
ensemble, ils sont antisémites : la dispersion d'Israël est une conséquence de
la non-reconnaissance de Jésus comme le Messie.
Les
conciles
Il
y a sept conciles œcuméniques *, parmi lesquels je retiens particulièrement le
concile de Nicée (325), le concile de Constantinople (380 et 381) et le concile
de Chalcédoine (451). Ces assises solennelles destinées à définir la foi
chrétienne se sont principalement occupées de la Trinité (Tri-u-nité)** et du
Christ. Trois Personnes (ou Hypostases) en un seul Dieu, deux natures (pleinement
divine et pleinement humaine -excepté le péché-) en une unique Personne
(l'Union Hypostatique), le "Christ", ce qui entraîne la proclamation de Marie "Mère de
Dieu" (theotokos), l'expression
"peuple déicide" appliqué à Israël et provoque un retour du sacré.
Ces définitions recourent à des catégories étrangères à la Bible (Divinité,
divin, natures, substance ou essence, consubstantialité, hypostases, Dieu est
l'Être ***) et font preuve d'une puissance spéculative qui mérite, aujourd'hui
encore, l'intérêt des philosophes.
* Nicée 1 (325), Constantinople 1
(380-381), Éphèse (431), Chalcédoine (451), Constantinople 2 (553),
Constantinople 3 (680-681), Nicée 2 (747). Après la séparation entre l'Église
orthodoxe et l'Église catholique (au 11ème siècle), l'Église romaine continue
de qualifier d "œcuméniques" ses conciles généraux particuliers.
** La " Sainte Trinité"
deviendra une expression équivalente pour "Dieu", en quelque sorte
son Nom, ce qui nous éloigne définitivement du "Je suis qui Je suis"
d'Exode 3, 14.
*** Pour le néopythagorisme et le
néoplatonisme Hypostase signifie Sujet
transcendant. Le concile de Nicée emploie hypostase pour substance, essence, le
même mot, au concile de Chalcédoine, signifie personne. En ce sens, l'Église
elle-même deviendra une hypostase.
Nombre
de chrétiens aujourd'hui pensent que l'on devrait se débarrasser de ces dogmes
qu'ils ne comprennent plus. Nous devons sans doute leur refuser l'autorité
extérieure impérative de "décrets", mais il ne faut pas jeter le bébé
avec le bain. Un texte tel que : " Personne ne
peut dire : Jésus est le Seigneur, si ce n'est par le Saint Esprit"
(1 Co. 12, 3 ou encore 2 Co 13, 13) contient bien la substance de la Trinité
(on parlera de la "trinité économique", c'est à dire : dans le vécu
de la foi) et d'une christologie, mais nous sommes ici dans un cadre biblique
et dans l'analogie de la foi (comme le définira Karl Barth, dans sa Dogmatique de l'Église, 1945-1968*). Pareil texte, écrit vingt-cinq ans après
la Pentecôte initiale possède une bien plus forte empreinte apostolique que les
décisions de conciles qui se sont tenus trois ou quatre cents ans plus tard.
*
K.Barth oppose l'analogie (le discours) de la foi à l'analogie (le discours) de
l'être.
Les
définitions dogmatiques, la lutte contre les hérésies et l'expansion de la vie
érémitique cachent la vie courante des chrétiens de cette époque. Un écrivain
comme Celse (philosophe grec du 2ème siècle), pourtant opposé aux chrétiens,
reconnaissait, dit on, leur activité caritative et leur puissance
compassionnelle.
LA
CATHOLICITÉ ROMAINE
On traduit ordinairement
"catholique" par universel. Universel étant entendu comme ouvert à
tout peuple, toute nation, toute langue. Mais le mot renvoie à une seconde
interprétation : l'Église est kat' holon,
"selon le tout", elle concerne l'être humain tout entier, rien de ce
qui est humain ne lui est étranger, elle englobe l'universalité, elle est
totalisante.
Cette
conception totalisante se renforce par une dévolution de pouvoir absolu appuyée
sur les versets de Matthieu 16, 18-19* : le pouvoir des clés qui lie l'action
de l'autorité de l'Église à l'éternité.
*
Il est difficile d'entrer ici dans l'exégèse de ces versets à visée politique.
Je me contente de renvoyer aux paroles de Pierre lui-même, dans 1 Pierre 2,
4-6, où la pierre angulaire qui fait tenir ensemble toute l'Église est le
Christ Jésus, chacun de nous étant l'une
des pierres vivantes de l'édifice. Pour Paul, le seul fondement de l''Eglise
est Jésus (1 Co, 3, 11et encore dans Éphésiens 2, 20).
Elle
s'accompagne d'une idée de sacrement agissant par lui-même découlant de la
notion de succession apostolique. (les papes sont les successeurs historiques
et sacramentels de Pierre, les évêques sont les successeurs légitimes des
Apôtres).
Ainsi
naît une Institution sacerdotale hiérarchique qui est l'intermédiaire obligé du
salut en vertu de pouvoirs étendus sur la foi (l'orthodoxie) et les mœurs
(l'orthopraxie), sur la politique intérieure à l'Église (Saint Siège) et
extérieure de l'Église (Vatican), sur les Écritures. L'Église se considère
comme ayant autorité sur les Écritures parce que c'est elle qui a fixé le
canon. Forte de cet argument, elle peut décider si les chrétiens peuvent lire ou
non la Bible et du sens à donner aux textes, elle peut même modifier au besoin
jusqu'aux paroles de Jésus. Le canon occidental de l'Eucharistie dit :
"Cette coupe est le sang de l'alliance nouvelle et éternelle" : cet petit ajout n'est pas anodin, il a une grande portée, il signifie
qu'il ne pourra désormais plus y avoir d'autre alliance nouvelle (ou d'autre
renouvellement de l'Alliance).
Les
aléas de l'histoire, que l'on ne peut narrer ici, ont eu des effets
providentiels. Le siège de l'Église décrite plus haut s'est établi à Rome. Au
moment où Constantin à quitté cette ville pour installer la capitale de
l'empire à Byzance (il conservera une antenne avec l'exarchat de Ravenne) le
rapprochement entre le pouvoir du pape et le pouvoir politique s'est produit.
La double autorité du pape chef d'État (le Vatican) et chef d'Église (le Saint
Siège) subsiste aujourd'hui où elle peut faire figure d'anomalie. En tout cas,
le pape Paul 6 (1963-1978) abandonnera la tiare, double couronne royale et
impériale que portaient les Pontifes romains, pour une mitre d'apparat.
Lorsque
Théodose le Grand (général d'origine espagnole) accédera à l'empire (à Constantinople),
il abandonnera l'un des titres portés traditionnellement par l'empereur,
celui de Souverain Pontife, au motif que c'était un titre païen (l'empereur
était le Chef du collège des pontifes : prêtres aux rites desquels était
confiée la solidité des ponts construits dans l'empire), le pape se l'appropriera.
Un faux datant de la seconde moitié du 8ème siècle, dit Donation de Constantin, déclarera même que l'empereur, quittant
Rome pour Byzance, avait remis le
pouvoir spirituel et temporel sur l'Occident au pape romain. Cette fraude sera
démontrée sans conteste au 16ème siècle par l'érudit Laurent Valla (1407-1457).
La
romanisation de l'Occident aura des effets culturels notables sur l'Église et
sur la société : le Droit écrit (opposé au Droit coutumier), l'importance
donnée à la personne découlant de ce Droit, le goût des constructions
monumentales, entre autre.
Ces
diverses lignes aboutiront à la définition devenue classique en Occident de
"La Sainte Église, catholique, apostolique et romaine". Plus on a
besoin de mots pour parler de quelque chose plus on circonscrit et diminue
celle-ci.
C'est
de cette époque que datent les notions d'orthodoxie, d'hérésie, de schisme, de
secte.
Jacques
Gruber
FÉVRIER
2016
Pour bien comprendre
qui nous sommes, pour quoi nous sommes, il faut connaître les grandes lignes de
l'histoire de l'Église. Après l'Église de la Pentecôte, la Première Église,
l'Église constantinienne, nous abordons l'Église du Moyen-Âge.
LE
MOYEN-AGE : LA chrétienté
Le
premier Moyen-Âge : 476-867
476 : la fin de l'Antiquité est marquée par la prise de
Rome par Odoacre (roi des Hérules) qui dépose le dernier empereur,
Romulus-Augustule. Débute alors le Moyen-Âge que l'on divise en trois périodes:
Premier Moyen-Âge (476-867); Apogée du Moyen-Âge ou Haut Moyen-Âge (867-début
du 14ème siècle), Déclin du Moyen-Âge (fin du 14ème siècle)
Ce sont des temps où il n'y pas de médecine (mais des
maladies, la peste en particulier), pas d'électricité, des problèmes d'eau et
d'assainissement, pas de moyens de transport dignes de ce nom, pas de livres
ni de journaux, très peu de "lisants", mais des bâtisseurs et des
artistes.
Les esprits sont crédules, la mentalité superstitieuse
(univers de miracles, de légendes) et l'Église va en rajouter (bénédictions,
guérisons, assomptions, stigmates).
* Rajouts : dogme
trinitaire, dogme christologique, dogmes marials (immaculée conception de
Marie, sa virginité perpétuelle, son assomption -dormition chez les
orthodoxes- ) ; l'au-delà : Ciel ou Paradis, Séjour des Bienheureux (ex Champs
Elyséens romains, lieux des béatifiés) purgatoire, limbes ; l'anthropologie
religieuse : l'âme immortelle qui entre dans un corps (à quel stade ? : embryon
? fœtus ?), qui se détache du corps à la mort et attend la résurrection des
corps pour le rejoindre; le péché originel héréditaire, l'infaillibilité
pontificale, etc..
En Occident, l'Église latine, va prendre la forme d'une
théocratie fondée sur une hiérarchie de prêtres**
** Les cardinaux : sont les aides du pape, sur le modèle des
dignitaires de la cour de Théodose le Grand. Il existe des cardinaux prêtres,
diacres même laïcs (Mazarin), mais la règle est de les créer à partir d'évêques.
Leur nombre fixé à 70 par le pape Nicolas 2 en 1059, est aujourd'hui de 90;
depuis le pape Sixte Quint en 1586, il sont supérieurs au reste du clergé, ce
sont le "princes de l'Église".
Les Patriarcats
: En ce début de Moyen-Âge, il existe cinq patriarcats : Constantinople,
Rome, Jérusalem, Antioche, Alexandrie et, en Orient, des Églises nationales
assez libres (ou avec des
traditions hérétiques) dirigées par
leurs métropolites. Ultérieurement (autour du 10ème siècle), un sixième
patriarcat va se fonder en Russie, celui de Moscou. Constantinople est le
Premier Patriarcat, mais Rome jouit d'une "primauté d'honneur" parce
que la tombe de Pierre se trouve à Rome. Les patriarches et évêques se
réunissent en conciles œcuméniques pour les décisions qui engagent toutes les
Églises.
Il ne reste que peu de chose aujourd'hui des Patriarcats
de Constantinople, Jérusalem, Alexandrie et Antioche : ils ont été réduits à
presque rien par la conquête arabe (voir ci-dessous : la querelle des images).
La Papauté :
En revanche, on observe la montée en puissance de la papauté en Occident sur le
vide laissé par départ de l'empereur pour Byzance (et, plus tard, celui de
Charlemagne pour Aix-la-Chapelle), elle a intérêt à se rapprocher du roi des
Francs et à catholiciser l'Europe. La limite qu'elle va rencontrer, à l'Est de
l'Europe, à partir du 10ème siècle, c'est le Patriarcat orthodoxe de Moscou qui
a toujours craint la mainmise de Rome (aucun pape n'a été reçu en visite à
Moscou, jamais, jusqu'à présent, le patriarche de Moscou n'est allé à Rome).
À partir du moment où les Églises d'Orient et d'Occident
seront séparées (au terme d'un long processus qui va de 867 à 1054), il n'y aura plus de conciles
œcuméniques, ce qui n'empêche pas Rome de qualifier d' "
ses conciles particuliers.
La Papauté romaine va se constituer sur le modèle d'un
pouvoir absolu international centralisé qui unit un pouvoir spirituel (voir,
ci-dessous : le système pénitenitel) et un pouvoir terrestre (avec des terres
et une armée, en Italie) ce qui va conduire à des frictions avec les souverains
nationaux dont il y aura lieu de reparler. Le latin est la langue de ce nouveau
Pouvoir.
La catholicisation
de l'Europe : Traditionnellement, on parle d'évangélisation de l'Europe,
mais cette façon de parler est-elle convenable quand on sait qu'il s'agit de
populations entières qui ne savent pas lire, qu'il n'existe pas d'édition de
livres et que la langue biblique est le latin, non celle des peuples
autochtones ? Ce n'est pas le Nouveau Testament qui est distribué et lu, ce
sont les doctrines principales de l'Église qui sont inculquées (avec parfois un
accompagnement de miracles) ainsi que les rites qui doivent sacraliser les
moments de l'existence, rythmer les saisons. Certaines divinités locales et
leur culte sont christianisés.
La doctrine de l'unicité de Dieu posait un problème quant
à l'origine du mal -ne rermonte-t-elle pas à Dieu ?-, c'est de là que découle
l'appellation du "Bon" Dieu, d'où : les "bons Pères", les
"bonnes" sœurs.
Le système
pénitentiel : dans la même période, se met en place le système pénitentiel
fondé sur le pouvoir des clés selon Matthieu 16,19*.
Ce système comporte a) la confession auriculaire, suivie
de l'accomplissement d'une peine dont dépend l'absolution finale**; b) la
distinction entre péché originel et actuels, véniels et mortels; c) les
sacrements (des rites agissant par eux-mêmes) ; d) le début de la théologie des
mérites personnels.
Par là, se met en place un contrôle social étroit si l'on
songe qu'il s'adresse à des populations toujours largement analphabètes*** et
que l'ensemble des droits civils et religieux dépend de l'absolution.
* Je n'entre pas dans
l'exégèse de ce texte qui fait manifestement partie des ajouts politiques de la
première Église. Il suffit de renvoyer à ce que Pierre écrit lui-même dans son
Épître : la pierre angulaire de l'Église est Jésus Seigneur et Sauveur, nous
sommes les pierres de l'édifice (1 Pierre 2, 4-10).
** En Israël :
conversion (techouvah) suivie du tikkoun (réparation du tort que l'on a
créé).
*** Les rares
manuscrits sont dans les couvents (ci-dessous : La Règle bénédictine); les
sculptures des églises servent à un catéchisme rudimentaire qui insiste sur le Jugement dernier -avant les
vitraux des cathédrales-), et mêlent les récits bibliques à des légendes, des
superstitions, que l'Église "christianise" (traditions locales
actuelles).
496 à Noël, à Reims,
l'archevêque Remy, baptise Clovis, roi des Francs (481-511)*
* Lors de son premier voyage
en France, le pape Jean-Paul 2 a eu cette parole inaugurale : "France,
qu'as-tu fait de ton baptême ?". Dans le monde de l'absolutisme royal, on
a la religion du souverain (jusqu'au 18ème s., il est difficile d'accepter un
statut pluraliste du genre de celui qu'a voulu établir l'Édit de Nantes).
vers 520, Denys Le
Petit calcule le début de l'ère chrétienne (avec une erreur de six ans : Jésus naît en moins 6).
529 La Règle bénédictine (Benoît de Nursie
au Mont Cassin) exige la stabilité locale (les moines sont tenus de se
rattacher à une communauté, fin de leur divagation); elle impose des vœux
perpétuels de chasteté et d'obéissance; elle partage le temps conventuel
entre travail et prière. Ainsi vont-ils défricher la forêt d'Europe pour
dégager des terre cultivables, base de la prochaine richesse de l'Europe, et
recopier les manuscrits bibliques* et autres, entraînant l'apparition de
l'esprit d'entreprise -produits agricoles, herboristerie médicinale,
liqueurs-, de rentabilité et d'étude, qui va caractériser l'homme
occidental). Les couvents s'enrichissent en terres et en fortunes puisque
chaque moine faisait don de son héritage au couvent. Au 16ème siècle, la
moitié de l'Allemagne appartient à l'Église
* Ainsi ont été préservés les textes bibliques
du Nouveau Testament (sous la forme de Codex, de livres parfois enluminés)
alors qu'à la même époque les rabbins Massorètes fixent le texte du Premier
Testament (sous la forme de rouleaux) en introduisent les points-voyelles
(excepté sur YHWH). Au 16ème siècle,
Théodore de Bèze trouvera dans un couvent de Clermont-en-Beauvoisis, un
manuscrit daté du 6ème siècle (le Claromontanus
actuellement conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris) comportant : les Épîtres de Paul, en grec et en latin.
590-604
Grégoire 1er (préfet de Rome, moine,
chargé d'affaire du pape à Constantinople, élu pape en 590); par ses Règles, il
met de l'ordre dans le clergé séculier, à l'image de ce que Benoît de Nursie
avait fait pour le clergé régulier. C 'est lui qui trouve la formule du
cléricalisme absolu : ‟Le pape est le Serviteur des serviteurs de Dieu”. Il
crée le "chant grégorien" qui limite l'invention mélodique
(psalmodie). La politique de l'Église se confond alors avec la politique
italienne, Grégoire 1er comprend que les peuples germaniques (Francs, Lombards,
Wisigoths d'Espagne) sont l'avenir du christianisme en Occident. Vis- à-vis de
Constantinople, il réitère les exigences romaine de primauté sur tous les
patriarcats, ce quicrée des tensions. Après Grégoire 1er, on observe une
rechute de la papauté
622, Mahomet, Hégire
(exode) à Médine.
723, début de la
querelle des images, et de la conquête arabe*.
*La conquête arabe sera
arrêtée à Poitiers à l'époque de Charles Martel (732), lors de la reconquista d'Isabelle la catholique, en
Espagne (milieu du 8ème siècle, progresse fin du 11ème, s'intensifie au 13ème
-victoire de Las Navas de Tolisa en 1212- et s'achève en 1492 par la prise de
Grenade -PLI-), arrêtée à Vienne en 1529, puis 1683.
750 : seconde moitié du
8ème siècle : La Donation de Constantin : c'est un texte
fabriqué de toutes pièces par lequel Constantin, à son départ pour Byzance,
aurait confié le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir politique au pape pour
tout l'Occident. Ce document aura une grande influence pendant tout le
Moyen-Âge jusqu'à ce qu'un humaniste et érudit de la Renaissance, Laurent Valla
(1407-1457), démontre de manière irréfutable, qu'il s'agit d'un faux.
Dans la foulée de la Donation de Constantin , 750 : Création de l'État Pontifical.
800 Le sacre
et le couronnement de Charlemagne (768-814) à Aix-la-Chapelle
après avoir été sacré par le pape à Rome. Il se pose en protecteur de l'Église
en Occident et crée un nouvel empire romain qui sera "germanique". Il
y a échange de bons procédés : le pape bénit l'empereur, l'empereur protège le
pape et son Église. Le système féodal n'existe pas encore, l'empereur et
l'administration ne sont pas à Rome, mais à Aix-la-Chapelle, le pape est maître
à Rome, l'empereur envoie dans les provinces de l;'empire des missi dominici qui veillent à
l'application des décisions centrales. En créant l'école, Charlemagne prend une
décision capitale pour l'Europe, car, dès lors, le nombre des
"lisants" va augmenter.
843 fin de La querelle des images* en Orient :
elle commence à Constantinople en 723 avec l'interdiction par l'empereur de
toutes les images religieuses et elle durera 120 ans. Tantôt interdites, tantôt
autorisées, les images vont jeter la chrétienté d'Orient dans des guerres
internes alors que les musulmans prenaient possession de tout le
Proche-Orient*.
* À l'instar de
Constantin et de Théodose, les empereurs se sont mêlés de la question, ce qui
a envenimé les choses. En 726, l'empereur Léon 3 décide la suppression des
images, il s'ensuit des révoltes populaires réprimées dans le sang. Un concile
convoqué à Héria par son successeur, Constantin 6, en 754, confirme cette
interdiction quand l'impératrice Irène, son épouse, décide, de son propre chef
, de rétablir un "culte des images" souhaité par les populations (on
croit retrouver l'épisode biblique du Veau d'or). Un concile, convoqué à Nicée
en 787, l'approuve. L'empereur Théophile revient sur cette autorisation, d'où
de nouvelles persécutions. Il meurt ainsi que son épouse Théodora en 842, ce
qui ramène le calme. L'empereur Michel 3 arrive à un compromis et, en mars 853,
le patriarche de Constantinople Méthode instaure une fête en l'honneur des images (icônes).
Finalement et tardivement, on trouvera un compromis :
seront autorisées les images placées assez haut pour que l'on ne puisse pas
s'agenouiller devant elles -les mosaïques des coupoles des églises- et les
"icônes" (parfois miraculeuses) qui sont des symboles mystiques de la
foi*.
* Le culte des images taillées (statues) est interdit par
le deuxième des dix commandements (De 5, 8).
Juifs, Orthodoxes et Protestants observent ce commandement, mais les
catholiques fusionnent les deux premiers commandements et dédoublent le
dixième, d'où : les images taillées du Dieu unique sont interdites, mais ne le
sont pas les autres statues religieuses (Vierge, Saintes ou Saints), ainsi que
le culte qui leur est associé (un culte dit "de dulie" -dévotion- distingué -du moins en théorie- du culte "de
latrie" -adoration- réservé au seul Seigneur). Aujourd'hui, les
illustrations servant à l'édification des enfants et des non-lisants sont
pratiquées par tous pour l'éveil, l'instruction et l'affermissement de la foi.
En Orient les images autorisées sont toujours sur un fond
or (en Occident aussi, dans le premier Moyen-Âge, voir les enluminures de certaines
miniatures), cet or évoque la Gloire (il y a une spiritualité orthodoxe
de la Gloire) alors que dans l'Occident du Haut Moyen-Âge régnera le bleu
d'une spiritualité mariale (la Vierge est représentée avec un manteau bleu).
867 début de la rupture
entre Rome et Constantinople, elle s'achèvera en 1054 sur des excommunications réciproques et la querelle
du filioque*
* Nous reviendrons
prochainement sur cette querelle. Quant aux excommunications, elles ont été
levées de part et d'autre à l'époque du pape Jean 23 (1958-1963), mais il n'y a
pas de réconciliation effective entre les deux branches (les deux
"poumons", comme l'on dira) de la chrétienté traditionnelle.
L'Église d'Occident et la papauté romaine du neuvième
siècle n'ont pas laissé une trace édifiante. Le changement viendra au 10ème
siècle de la Renaissance carolingienne (règne de Hugues Capet, 987-996).
En Orient, au contraire, ce siècle est celui de L'évangélisation des peuples slaves.
Les deux frères Cyrille et Méthode (respectivement 827-869 et 825-885), natifs
de Thessalonique, après avoir inventé l'alphabet convenable (le cyrillique),
répandent la Bible, qu'ils ont traduite dans leurs propres langues, parmi les
peuples slaves. C'est l'origine du Patriarcat orthodoxe de Moscou.
suite : Le Haut
Moyen-Âge
Jacques Gruber
MARS 2016
de 867 au 15ème siècle : Le Haut Moyen-Âge
Les 9ème et 10ème siècles sont dominés par la crainte superstitieuse d'une fin du monde apocalyptique en l'An Mille.
C'est
une époque peu heureuse où, en 867, s'engage le processus de séparation entre Église d'Orient et Église
d'Occident qui aboutira, en 1054, à une division qui subsiste toujours
encore aujourd'hui. De 904 à 963 règne à Rome ce que les historiens qualifient
de Pornocratie
papale. Comme tout haut lieu de prestige, de fortune et de pouvoir, la
papauté est devenue objet d'ambitions et lieu de désordres, ils sont tels que
les empereurs germaniques (Otton 2, 973-983; Otton 3, 996-1002) sont obligés à
plusieurs reprises de passer les Alpes pour intervenir. Otton 3 y mettra fin
en faisant élire pape Gerbert d'Aurillac (pape de 999 à 1003) sous le nom de
Sylvestre 2.
Avec
l'avènement des capétiens (Hugues Capet 987) la chrétienté occidentale entre
dans l'époque de la féodalité. Celle-ci est fondée sur le lien d'allégeance que
le seigneur subalterne doit à sont suzerain. Depuis Clovis (baptisé vers l'an
498) et Charlemagne (sacré er couronné en l'an 800), la royauté est conçue sur
le modèle de la royauté davidique de droit divin. Le roi est oint du Seigneur
et le pape est le "Samuel" qui procède à cette onction. Dans la
chrétienté, il n'y a pas de séparation entre vie religieuse, vie sociale, vie
culturelle, la papauté devient un État parmi les États, mais, féodalement
parlant, supérieure aux États. C'est l'origine de la querelle des investitures.
AN MILLE
Passé
la date fatidique du 31 décembre 999, le christianisme occidental connaît un
nouvel essor dans tous les domaines et un renouveau religieux, c'est la période
dite du Haut Moyen-Âge qui va jusqu'au début du 14ème siècle.
Pour
la commodité de l'exposé, je divise cette époque en deux parties parallèles :
le côté noir et le côté bleu. À savoir :
Papauté
et clergé
Religion
de la peur
Séparation
entre Église d'Orient et Église d'Occident
Croisades
Papauté
d'Avignon
Schisme
d'Occident
Reconquista espagnole
Grands Ordres religieux
Universités
Mystiqques
Cathédrales
Pour
aujourd'hui, nous nous contenterons du côté noir, gardant le côté bleu pour
le mois prochain.
La querelle des investitures
(1075-1122) : Les rois
reçoivent deux investitures : l'une est un sacre, l'autre un couronnement.
Pour les empereurs romains germaniques, le sacre est donné par le pape et peut
donc être soumis à conditions par ce dernier. On connaît le cas du futur
empereur Henri 4 (régnant de 1084 à 1106) qui sera obligé de venir à Canossa en
janvier 1077 pour recevoir l'absolution par le pape Grégoire 7 (régnant de 1073
à 1085). Cette querelle aboutira à un concordat entre pape et empereur, signé à
Worms, en 1122 où les rôles du pape et du roi seront définitivement fixés. Cela
n'empêchera pas que les dissensions
reviennent avec le roi de France
Philippe le Bel (1268-1314). Celui-ci fera élire pape Clément 5, en 1305, et
le transférera en Avignon où lui et ses successeurs immédiats auront, de 1309 à
1376, une suite de papes français à leur
convenance (la papauté d'Avignon).
La Papauté
: Deux papes sont à signaler particulièrement : Grégoire 7, Hildebrand de son
nom de naissance (régnant de 1073 à 1085) :
il s'affirme comme chef suprême de l'Église, Seigneur des Seigneurs du
monde, il obtient l'amende honorable de l'empereur Henri 4 à Canossa (1077).
C'est lui qui trouve la formule du cléricalisme absolu : ‟Le pape est le
Serviteur des serviteurs de Dieu”. Moyennant quoi, il exige le célibat des prêtres ; combat contre la
simonie (l'obtention d'un acte ou d'un ministère ecclésial contre de l'argent).
C'est lui qui fait adopter le calendrier dit grégorien en Occident.
Innocent 3, 1198-1216, avec lui, la
papauté atteint son sommet ; le pape est le Chef incontestable de l'Église, Roi
des Rois, c'est lui qui met en œuvre l' Inquisition
n 1199 - elle sera confiée, par la suite, aux dominicains -. C'est sous son
règne qu'a lieu la 4ème Croisade qui n'ira pas plus loin que Constantinople et
s'en retournera près avoir mis la ville à sac (1204).
De 1309 à 1417 (presque un siècle), la papauté
traverse la pire crise de son histoire.
La papauté d'Avignon,
1309-1376 : en 1309, Philippe le Bel installe le pape Clément 7 à Avignon où
sept papes français se succéderont jusqu'en
1376.
De
1378 à 1417, ce sera le grand schisme
d'Occident, il y aura deux papes : Avignon et Rome, puis trois avec les papes de Pise (Alexandre
5, Jean 23*) en 1409-1410 et même quatre si l'on tient compte de Pedro de Luna
cardinal autoproclamé pape à Majorque.
* Ce
pape a été rayé de la liste des papes en raison de son inconduite. Le cardinal
Guiseppe Roncalli, proclamé pape en 1958, relèvera ce nom en le reprenant à son
compte : il est le pape Jean 23 que nous connaissons.
La religion de la peur :
Le système pénitentiel se développe avec la
doctrine des péchés qui se déclinent en péché originel ou péchés actuels,
péchés mortels ou véniels; avec l'importance donnée aux croyances au Diable, en l'Enfer et dans le Paradis
(auxquels vont s'ajouter le Séjour des Bienheureux pour les
personnes béatifiées et les Limbes
pour les enfants morts en bas âge avant d'avoir pu être baptisés). Qu'il
s'agisse de l'art roman ou du gothique, c'est le thème du Jugement dernier présidé par un Christ en gloire (plutôt que celui
du Bon Pasteur) qui accueille le plus souvent le chrétien qui se rend à
l'église. La conception du Purgatoire, lieu
intermédiaire avant le Paradis où l'on est épuré, prend naissance au sein des
milieux intellectuels, à Paris, dans les années 1170-1180*. L'incertitude sur la durée du temps de Purgatoire
réservée à chacun est anxiogène et va développer l'usage des Indulgences à la discrétion du seul
pape. Cet usage qui remonte au 3ème
siècle, est instauré au 13ème siècle : une Indulgence peut supprimer un certain
temps de Purgatoire, l'Indulgence plénière supprime tout le temps de
Purgatoire. Les Indulgences (le salut) proposées contre de l'argent pour
l'achèvement de Saint Pierre de Rome, seront l'étincelle qui fera éclater la Réformation
au 16ème siècle. Dernier élément de
cette religion de la peur : l'Inquisition
(créée par Innocent 3 en 1199, elle sera remise aux Dominicains -domini canes, les chiens du Seigneur -
au 13éme siècle) : tribunal de la foi qui usera couramment de la torture et
prononcera à plusieurs reprises des condamnations au bûcher.
Le
recours des chrétiens sera l'intercession de Marie (éternellement vierge) qui
va donner son départ au culte marial
et aux cultes des saints**. Ces cultes sont dits de vénération, non
d'adoration, mais, dans la pratique, la différence n'est pas perçue.
*Jacques
LeGoff, L'Invention du Purgatoire.
**
Il faut distinguer le culte de latrie et le culte de dulie, l'adoration et la
vénération.
Le Schisme Orient-Occident consommé
en 1054 : il prend prétexte de la
querelle du filioque : pour
les orientaux, "le Saint Esprit descend du Père" ; pour les
occidentaux, il descend "du Père et du Fils -filioque- ". De cette différence qui nous semble minime, de
nombreuses conséquences théologiques étaient tirées.
Les croisades : Motif
: le motif invoqué est d'aller délivrer le tombeau du Christ qui est aux mains
des musulmans (pourquoi délivrer un tombeau vide alors que l'essentiel est
Jésus ressuscité ?). On pense qu'il y avait d'autres motifs, de politique
intérieure de l' Église, tels que détourner l'ardeur guerrière des chevaliers
qui s'entretuaient, obtenir l'indulgence plénière du pape. On connaît une
Lettre de Bernard de Clairvaux, prédicateur de la deuxième croisade (1147-1149), qui assure les croisés de
l'Indulgence plénière même s'ils volent, tuent ou violent. Les croisades
passées, il y aura les tournois, puis les duels qui décimaient la noblesse et
que Richelieu interdira.
Comme
dit plus haut, le quatrième croisade n'ira pas plus loin que Constantinople qui
sera mise à sac en 1204. Les septième et huitième croisades partiront
d'Aigues-Mortes qui, à l'époque, était encore un port méditerranéen. Louis 9
(futur Saint Louis) participera à la
huitième croisade et mourra de maladie durant le siège de Tunis (1270). Tunis
ne sera pas prise, le croisade s'arrêtera là et ce sera la dernière.
Le
bilan des croisades est le profit fait par la République de Venise qui louait les
bateaux pour la traversée et la
rupture durable de l'équilibre séculaire entre chrétiens et musulmans au Proche
Orient. Pour la chrétienté, le résultat est nul. Les
possessions franques en Syrie-Palestine péricliteront rapidement non sans
que les chrétiens installés là ne découvrent et n'apprécient la culture
islamique.
La croisade contre les
"albigeois"
(1208-1244) : Il s'agit d'une descente des seigneurs du Nord (Simon de
Montfort, 1150-1218) pour combattre les
cathares et la culture occitane. La religion cathare teintée de christianisme
et la culture occitane toute de finesse,
pour lesquelles les seigneurs locaux ont pris parti, se trouvent être
historiquement liées, mais ne doivent pas être confondues pour autant*.
*Le
catharisme est une résurgence, encore aujourd'hui difficilement explicable, du
manichéisme dans le Midi de la France. Le manichéisme, religion d'origine
perse, était encore vivant dans l'Antiquité chrétienne jusqu'en Occident, au
4ème siècle. Augustin d'Hippone avait été tenté par elle dans sa jeunesse, mais
elle semblait disparue à l'époque qui nous occupe. Les cathares qui posent le
principe de deux dieux, ne peuvent pas être considérés comme des précurseurs de
la Réformation.
Le
message était plus simple que celui de l'Église : le mal remonte au dieu
mauvais, le bien découle du Dieu bon, mais ce dernier étant supérieur au
premier, c'est le Bien qui finira par l'emporter, déjà même les humains peuvent
être purifiés (catharos, en grec,
veut dire "pur"), devenir des "Parfaits". Par ailleurs, la
conduite des responsables cathares (les "bonshommes") était plus
irréprochable et plus proche des gens que celle des prêtres chrétiens.
Le
succès de cette croisade, bras armé de l'Inquisition* , sera total : le
catharisme sera éradiqué et la culture occitane détruite. Une cathédrale
(Sainte Cécile) sera élevée à Albi pour célébrer ces victoires.
L'antisémitisme : L'Europe et la Russie chrétiennes sont
antisémites, elles accusent le peuple d'Israël d'avoir crucifié Jésus (dans l'optique de l'union hypostatiques :
d'être déicide).
*Sur
ce point, lire Emmanuel Leroy-Ladurie : Montaillou,
village occitan de 1294 à 1324.
Le
mois prochain, nous prendrons la suite : le côté bleu de l'Église au Haut
Moyen-âge : Grands Ordres, Universités, Cathédrales, Mystiques.
Jacques
Gruber
AVRIL 2016
lE CÔTÉ BLEU
DE L' ÉGLISE AU MOYEN-AGE
Le Haut
Moyen-Âge
(suite) ,
après avoir parlé des
côtés plutôt obscurs du Moyen-Âge, nous aborderont ici ses côtés lumineux, on
parle, à juste, titre de la "Renaissance du 12ème siècle"
Reconquista espagnole, entreprise
dès le 8ème siècle, elle se fera par étapes de 1000 à 1240 pour s'achever
sous le règne d'Isabelle la Catholique (1451-1504) par la reconquête du
royaume arabe de Grenade qui
tombera aux mains des espagnols en 1492.
Vie monastique
Réforme clunisienne : des
réformes ont lieu, mais dans des couvents.
Cluny près de Mâcon, Bourgogne, abbaye fondée par Guillaume-le-Conquérant
en 910 s'émancipe de la rapine des seigneurs et de l'autorité des évêques, elle
accentue les Règles bénédictines revues par Benoît d'Aniane (750-820, midi de
la France) ; c'est une religiosité romane où s'épanouissent la croyance aux
miracles et les cérémonials. L'art roman en est contemporain.
Nouveaux ordres : la
vie religieuse la plus forte se réfugie dans les cloîtres qui se regroupent en
"ordres" pour vivre tel ou tel aspect de la spiritualité
chrétienne-catholique d'une manière centralisée et hiérarchisée, parmi les
nombreux nouveaux ordre monastiques : les Cisterciens dont fera partie Bernard
de Clairvaux qui y entre en 1113. Cet ordre (ordre de Cîteaux) réformé par
Bernard de Clairvaux (retour strict à la Règle de Benoît de Nursie) aura une
grande extension et influence dans toute l'Europe à cette époque.
Dominicains
et franciscains sont des ordres mendiants où chaque moine abandonne tout ce
qu'il possède pour vivre dans une abbaye, immensément riche de tous ces
apports.
L'Ordre
des Dominicains, fondé en 1215 par
celui qui deviendra saint Dominique (1170-1221) est un ordre mendiant qui se voue à la lutte par la seule
prédication contre les hérésies. Engagés contre les cathares-albigeois (puis
dans plusieurs autres luttes contre des contestataires de l'ordre catholique établi), les dominicains soutiendront
cependant la répression armée et useront de procédures inquisitoriales auprès
des populations*. Au 13ème siècle et jusqu'au début du 18ème siècle, il se
verra conféré la charge de l'Inquisition. Outre cela, l'Ordre des Dominicains
donnera (et donne toujours) de nombreux théologiens. Thomas d'Aquin (1225-1274)
est le plus célèbre d'entre eux.
*Emmanuel
Leroy-Ladurie, dans Montaillou, village
occitan de 1294 à 1324 publie des procès-verbaux d'interrogatoires menés par
les moines de l'Inquisition auprès des villageois de Montaillou.
Franciscains
; François d'Assise fonde aussi, en 1210, un Ordre mendiant. Celui-ci ne sera
admis par le Saint Siège qu'après que des modifications auront été apportées à
sa règle jugée trop rigoriste. De fait, dès le 13ème siècle l'Ordre se divisera
entre spirituels -modérés- et observants -radicaux-. Comme les dominicains, les
franciscains compteront dans leurs rangs d'importants théologiens
(Bonaventure, 1221-1274), mais ce n'est pas aujourd'hui leur première vocation.
Ordres
chevaliers tels les Templiers fondés
en 1119 à Jérusalem, détruits suite à un procès intenté par Philippe-le-Bel
(1307-1314) qui durera de 1307 à 1314, après que le pape Clément 5, aux ordres
du roi de France, l'ait interdit en 1312;
Ordres hospitaliers tel l'Ordre de Saint
Jean de Jérusalem (qui possédera -et
possède toujours- une branche protestante : les Chevaliers de Malte).
Au
fil du temps, les abbayes deviennent de plus en plus nombreuses et riches. On
estime qu'à la fin du 15ème siècle, en Allemagne, près de la moitié du territoire
était devenu terre d'Église. Par ailleurs, les abbayes et couvents cherchent à
dépendre directement de Rome, elles échappent ainsi à l'autorité épiscopale
locale et au contrôle des pouvoirs publics.
L'Art roman
Aux 11ème - 12ème siècles. Il se caractérise
par un voûte en tunnel se terminant par une abside, les murs sont épais, des
contreforts les soutiennent contre la poussée des voûtes, il n'y a que peu
d'ouvertures. Les voûtes ne se croisent pas, elles se rencontrent sur un plan
carré (octogonal, rond etc.) sur la base duquel s'élève une tour de modeste
hauteur. De rares statues principalement pour orner le portail, mais des
sculptures 'sur les chapiteaux. Les murs, à l'intérieur offrent de grandes
plages qui peuvent portent des fresques (Tavant, Saint-Savin-sur-Gartempe).
Les Universités
et la théologie
Charlemagne
avait créé l'école, la renaissance carolingienne (987, Hugues Capet, 10e
siècle) va créer des établissements d'enseignement supérieur où l'on enseignait les sept arts libéraux, le
trivium (grammaire*, rhétorique, dialectique) et le quadrivium (arithmétique,
musique, géométrie, astronomie**).
*Et
langues anciennes.
*
*Celle de Ptolémée qui mettait la terre au centre du système solaire.
L'Université
de Paris, créée en 1215, exercera une grande attraction, on y viendra
d'Allemagne et d'Italie, pour y étudier et y enseigner, la Sorbonne (collège
destiné aux étudiants pauvres) est créée en 1257 par Robert de Sorbon
(1201-1274).
C'est
au sein de groupes intellectuels parisiens que s'invente le Purgatoire (1170-1180). Dans ces mêmes
milieux (acquis à l'aristotélisme introduit par Albert le Grand,
1200-1280, et consacré ensuite dans la
théologie par Thomas d'Aquin, 1225-1274) naît l'idée de la transsubstantiation.
Suivant Aristote (384-382 avant notre
ère) les êtres et les choses possèdent
des qualités premières (la substance propre à chaque être, chaque chose) et des
qualités secondes (propres à chaque être et chaque chose, mais situées dans
notre expérience commune ordinaire) d'où l'idée que dans le rituel de
l'eucharistie se produit un miracle où les qualités premières, la substance du
pain et du vin sont transformées en divin, en véritable corps et sang du
Christ, alors que les qualités secondes, tombant sous nos sens, restent telles
qu'elles sont. L' Adoration du Saint Sacrement qui découle de la
transsubstantiation est une adoration de l'hostie.
La
transsubstantiation deviendra un dogme par la volonté du pape Innocent 3
(1160-1216) lors du 4ème concile de Latran, en 1215. Ce concile confirme la
conception catholique du mariage et de la confession ou de la pénitence. La
liste des sept sacrements (baptême, confirmation, mariage,
confession/pénitence, eucharistie, ordre) sera fixée au 2ème concile de Lyon,
en 1274.
Les
Universités étaient des lieux de débats appelés "disputes" (exemple
le querelle des universaux).
Querelle des universaux, débats
épistémologiques relatifs aux principes ou ressorts universels de la
connaissance. Deux camps s'opposaient: :
les réalistes pour qui les mots sont les choses (pensée magique) et les
nominalistes pour qui les mots ne sont que des mots (le logicisme de Bertrand
Russell, 1872-1970 peut être considéré comme une reprise du nominalisme).
Jusqu'à ce qu'une troisième voie (le
conceptualisme d'Abélard) essaie de se faire entendre.
Abélard (1079-1142),
élève de Guillaume de Champeaux (milieu du 11ème siècle - 1121, l'un des
maîtres du réalisme) discute des
positions en présence qui ne le satisfont ni l'une ni l'autre. Pour lui, les mots font naître dans nos
esprits une conceptualisation de ce à quoi ils se réfèrent. C'est le
conceptualisme qui va trouver (mais huit cents ans
plus tard) une confirmation avec Ferdinand de Saussure (1857-1913) qui, dans
son Cours de linguistique générale
posthume, 1916) ouvrage fondateur de la linguistique moderne, parlera des
"signifiants" (mots ou tout autre signe perçu) qui produisent dans
nos esprits des "signifiés" en rapport avec des "référents"
situés dans notre expérience courante. Catégories reprises par la psychanalyse
de Jacques Lacan (1901-1981) pour qui l'inconscient est structuré comme un
langage. On voit la proche parenté entre la "conceptualisation"
d'Abélard et le "signifié" moderne.
Suite
à un amour interdit avec Héloïse dont il aura un enfant, Abélard sera
cruellement puni (à l'instigation de Bernard de Clairvaux, 1090-1153) et ira
finir ses jours dans un couvent-prison (prieuré de Saint Marcel,
Saône-et-Loire).
La
théologie est florissante et déterminante pendant tout le Moyen-Âge, mais elle
se muera en scolastique dès lors que Thomas d'Aquin (et, par suite, Aristote)
sera devenu la référence obligée.
Thomas d'Aquin (dominicain) (1225-1274),
italien qui enseigne à Paris, est disciple d'Albert le Grand (1200-1280) dont
il adopte l'aristotélisme. Sa Somme
théologique, rédigée environ de 1266
à 1273, est constituée de questions et de réponses sur la plupart des problèmes théologiques (à l'exception,
surprenante, de l'Église). D'abord contesté, il est canonisé en 1323. Fait
Docteur de l'Église par Pie 5, en 1567. Proclamé "Docteur commun" par
Léon 13 à Vatican 1. Pie 11, en 1923, par l'Encyclique Studiorum ducem, en fait le "Guide des études théologiques
et philosophiques dans les séminaires". Léon 13 dans une Lettre du 15
octobre 1879 précise que Thomas d'Aquin doit être lu dans l'interprétation du
cardinal Cajetan (1469-1534).
Parmi
les théologiens les plus connus, on peut citer, outre Pierre Lombard, Albert le
Grand et Thomas d'Aquin : Anselme de Canterbury (1033-1109) un italien enseignant
à Canterbury; inventeur de la "preuve ontologique" de l'existence
de Dieu, Bonaventure (franciscain italien, 1221-1274 qui sera canonisé) ;
Guillaume d'Occam, (1285-1349) nominaliste anglais excommunié après sa mort ;
Duns Scot (John) écossais (1266-1308) franciscain nominaliste pour qui on part
du monde pour atteindre Dieu (il ouvre la voie à Francis Bacon 1561-1626, qui
enseigne un empirisme et sera béatifié).
La
création de ces Établissements d'enseignement supérieur de Lettres et de
Sciences, par la chrétienté des 12ème et 13ème siècles, sera de grande
conséquence pour le développement ultérieur de l'Occident. En ces temps, les
universités ont une langue commune : le latin (un latin dit "d'Église'),
ce qui contribue à l'expansion des
savoirs et des recherches. Nicolas Copernic écrit encore en latin son De revolutionibus orbium coelestium Libri VI,
daté de 1543. Grâce aux universités et
aux écoles qui y préparent, le nombre des "lisants" (et des
"réfléchissants") va augmenter en Europe.
Ces
universités ne partent pas de rien. Elles ont à leur disposition un patrimoine
philosophique et littéraire grec et latin et peuvent bénéficier des découvertes
de l'Antiquité : Archimède et Ératosthène en Grèce (Hippocrate pour la
médecine), en Égypte : Imotep bâtisseur des pyramides. Cependant, les
mathématiques ne commencent qu'avec Descartes (1596-1650), Newton (1642-1727)
et Leibniz (1646-1716) et la démarche proprement scientifique avec Galilée
(1564-1642), Copernic, (1473-1543), Newton, Képler (1571-1630), Pascal
(1623-1662)… Pourtant sans le quadrivium, son arithmétique et sa géométrie,
nous n'aurions pas eu les cathédrales. Elles exigent un calcul très exact des
forces et des poussées (arcs-boutants).
Les Mystiques
Dans le cadre qui nous occupe, on peut dire
que les mystiques sont des individualistes qui développent leur piété et leurs
conceptions propres sur un fond de déception de la religion officielle. Lorsque
qu'on ne peut pas atteindre Jésus ou Dieu directement, qu'il faut
obligatoirement passer par des intermédiaires, celui de l'Église, puis ceux de
Marie ou des Saints, on va y aller directement, à telle enseigne que les
mystiques seront souvent mal vu par l'Établissement ecclésiastique, soupçonnés
d'hérésie. La mystique française sera plutôt une mystique de Jésus dans sa
Passion, un Jésus qui n'est plus le Juge dernier, mais un souffrant parmi les
souffrants (d'où la vogue du Crucifix). La mystique rhénane sera une mystique
de la recherche de Dieu : Maître Eckart*
(1260-1328) dominicain, professeur à Paris et en Allemagne, expose dans
ses sermons et ses traités, comment on peut accueillir Dieu en soi.
*
Autres mystiques rhénans : Tauler (strasbourgeois, 1300-13612), Suso (allemand,
1295-1366), Ruysbroeck (belge,
1293-1381).
En
1108, Guillaume de Champeaux et deux compagnons, Hugues (né au 11ème siècle,
mort en 1141) et Richard, fondent l'Abbaye de Saint Victor, au bas de la
montagne Sainte Geneviève, à Paris. On y rencontrera Pierre Lombard ou Abélard.
contestataires de l'aristotélisme régnant dans les milieux théologiques
parisiens.
Bernard
de Clairvaux (1090-1153) occupe une place particulière parmi les mystique s,
c'est un mystique de combat qui développe son ordre (cisterciens, branche
réformée des bénédictins), prêche la seconde croisade, prend parti contre Abélard.
Thomas
a Kempis, (1379-1380 à 1471) à qui l'on attribue l'Imitation de Jésus Christ est un néerlandais du 15ème siècle.
Les Cathédrales
gothiques
Sans
le quadrivium, son arithmétique et sa géométrie, nous n'aurions pas eu les
cathédrales. Elles exigent un calcul très exact des forces et des poussées
(arcs-boutants).
Les
abbayes, églises, cathédrales romanes et leur décoration sculptée ou peinte à la
fresque sont dignes du notre admiration, mais je m'arrête ici sur les
cathédrales gothiques. Attestation d'un grand élan de foi à la Gloire de Dieu,
témoins historiques de la chrétienté française dans son plus bel âge (je compte
au moins 44 cathédrales gothiques en France). Elles sont appelées
"gothiques" (c'est à dire :
"barbares") par dérision, mais leur appellation officielle dans toute
l'Europe d'alors est francigenum opus
(ouvrage à la française). Héritage des techniques romaines servant pour les ponts
et les aqueducs. On use d'un mortier venu des romains, sans changement jusqu'à
l'invention des ciments à la fin du 18ème siècle. La construction
s'accompagne, à toutes les étapes, d'une information religieuse, souvent
biblique. Dans ces constructions y avait-il des esclaves ? Il y avait des
manœuvres salariés, pas d'esclaves.
La
transmission des secrets des bâtisseurs du Temple de Jérusalem, liée aux
croisés, est une légende : le Temple de Jérusalem n'avait pas de voûte. En
revanche, les "secrets' artisanaux transmis par les "francs"
-c'est à dire "libres"- maçons (nom repris par les actuels
francs-maçons) sont une réalité historique. Les architectes-ingénieurs des
églises tant romanes que gothiques utilisent et perfectionnent des règles qui
remontent aux romains.
L'art gothique
naît en France (Picardie, Île-de-France) avec l'arc plein cintre brisé (12ème siècle) et la croisée d'ogives
(13ème siècle) qui reporte la poussée de la voûte vers les angles permettant de
grandes ouvertures (les épais murs romans ne le permettaient pas) que les
vitraux viendront garnir. Les arcs boutants sont plus élégants que les épais
contreforts romans et permettent, en théorie, d'élever les nefs sans limite.
Ensuite, une émulation fait naître des cathédrales en nombre (surtout en France
: Soisson, Noyon, Sens, Chartres, Paris, Bourges, Beauvais).
Le décor sculpté des cathédrales gothiques mêle
des personnages et des événements bibliques aux personnages et événements
locaux ainsi qu'à des illustrations de la doctrine et des croyances de l'Église
(voir la théologie de la substitution au portail latéral de Strasbourg). Les
techniques les plus avancées (horlogerie) réclamant des découvertes
astronomiques sont du 16ème, voire du 17ème siècles.
L'art
du vitrail permet de créer une atmosphère lumineuse colorée. Les personnages en
verres colorés se présentent non comme des revenants, mais comme des êtres
humains transparents, parvenus à leur pleine vérité. Au départ, on se refuse à
mêler le jaune et le vert pour obtenir le bleu (superstition dérivée du
commandement biblique de ne pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère, Ex
23, 19, 34, 26 : ne pas mêler deux éléments de même nature). Jusqu'à ce que les
verriers français trouvent un bleu-de-bleu, le bleu de cobalt qui consiste à
introduire des sels de cobalt (un minerai) dans la pâte du verre. Cela donne un
verre bleu, ni foncé ni pâle (comme le manteau de la Vierge), un bleu du ciel
produisant une atmosphère chaude, lumineuse et joyeuse (l'atmosphère du bleu de
cobalt n'est pas celle du rouge ou du jaune). Sainte Chapelle de Paris,
Chartres.
À
l'origine, les cathédrales étaient entièrement peintes, extérieur comme
intérieur, des vestiges subsistent, en particulier à Saint Hilaire de Poitiers.
Extérieur
comme intérieur, les cathédrales sont un univers, illustrant le caractère
totalisateur du catholicisme
Quelques
dates : Sens, 1130 - fin du 12eme siècle, Soisson, 12ème-13ème siècles, Noyon,
12ème-13ème siècles, Chartres, 1194-1260 (vitraux des 12ème et 13ème siècles) ;
Paris (12ème s.), Bourges, 1195-1255 (église à cinq nefs) ; Sainte Chapelle de
Paris, 1241-1248 (Louis 9, Saint Louis); Beauvais, 13ème-16ème siècles, voûte
le plus élevé, dépourvue de façade, cette dernière s'étant écroulée (à deux
reprises) du fait de déboires de construction
; Strasbourg, 12ème-15ème siècles, flèche, restée unique, haute de 142
mètres ; Cologne, 13ème-19ème siècles.
Les
tours destinées à abriter et soutenir les cloches deviennent des flèches qui
matérialisent l'élan de la foi vers le Ciel. On en compte habituellement deux,
mais, parfois, une seule a pu être élevée (Strasbourg). Il y a un concours à
qui bâtira la plus haute.
Le
mois prochain, nous aborderons la fin du Moyen-Âge.
Jacques
Gruber
MAI
2016
LA (triste) fin du Moyen-Âge : 14ème et 15ème
siècles
L'Église
des 14ème et 15ème siècles européens est marquée par des événements indépendants
d'elle : guerre, famines, peste et par d'autres qui lui sont internes (papauté
d'Avignon, grand schisme d'Occident, catholicisation en direction de la
Scandinavie).
14ème siècle
La
Guerre de cent ans (1337-1453)
concerne la France et l'Angleterre, deux des principaux États chrétiens
d'Occident. L'Angleterre possède la Normandie, l'Aquitaine et des terres en
Bretagne, si l'on tient compte des lois de la féodalité, le roi d'Angleterre a
quelques raisons de revendiquer la couronne de France (Henri 2 avait épousé
Éléonore d'Aquitaine). Cette guerre qui se déroule en territoire français, est
une suite de péripéties, qui ravagent les terres, soulèvent des populations
les unes contre les autres et divisent les esprits. On se souvient de la
victoire des anglais à Azincourt (1415) et du retournement de situation opéré
par l'intervention de Jeanne d'Arc (1429-1431).
En
1343-1351, puis, à nouveau, en 1420, des années de sécheresse produisent des famines qui s'étendent à toute l'Europe. À cette époque on ne
connaît pas encore la pomme de terre, la nourriture est à base de céréales (blé, orge,
avoine), de fèves, de pois, de lentilles, de légumes frais quand l'arrosage le
permet.
Au
surplus, une épidémie de peste (la peste noire de 1348-1349), contre
laquelle on ne possède aucun recours médical, va tuer des millions de personnes
jusqu'en Angleterre, avant de s'éteindre de son propre épuisement.
En
1309, Philippe le Bel (règne de 1285 à 1314) profite de l'insécurité qui règne
à Rome -où les partis adverses de la noblesse se déchirent au cours d'émeutes
journalières- pour faire élire un pape à sa convenance (Clément 5) et l'établir
à Avignon. À cette époque le palais que
nous connaissons n'existait pas, Célestin 5 s'installe dans un couvent
dominicain de la ville. C'est le début de la
papauté d'Avignon où, de 1309 à 1376, puis de 1378 à 1417 (lors du Grand
schisme d'Occident) des papes français vont se succéder.
Benoît
12 et Clément 6 vont construire le Palais des papes. Une vie royale monarchique
fastueuse s'installe avec népotisme, corruption, fiscalité, mais aussi mécénat.
Jean 22 (Jacques Duèze de Cahors), Benoît 12; Clément 6, Innocent 6, Urbain 5
(Guillaume de Grimoard dont il reste les ruines du château natal dans le
hameau de Grizac, en Cévennes, qui se fait installer à Avignon le petit jardin
du palais que nous connaissons), Grégoire 11, tous ces papes sont français.
Grégoire 11 retourne à Rome en mars 1378 et y décède subitement. Les émeutiers
romains nomment un nouveau pape (Urbain 6, soutenu par l'Italie du Nord et du
centre ; l'empereur germanique, les Flandres et l'Angleterre) et le lobby
français en soutiennent un autre (Clément 7, soutenu par le roi de Naples,
l'Espagne et la France) lequel se réinstalle à Avignon.
Mais
cette situation, que Pétrarque appelle ‟ La captivité babylonienne de
l'Église”, est mal ressentie dans l'ensemble de la chrétienté et un autre pape
est élu à Rome en 1378. Il va s'ensuivre de 1378 à 1417 une période où il y
aura deux papes, c'est le grand schisme
d'Occident. Un troisième pape
ayant élu à Pise (Alexandre 5, puis Balthazar Cossa, Jean 23, dont la conduite
faisait scandale)* un concile qui se tint dans cette ville en 1409, révoqua ce
dernier sans pour autant mettre fin à la papauté d'Avignon. L'histoire locale
de Majorque retient aussi la mémoire de Pedro de Luna pape auto-proclamé dans
les mêmes années.
* En 1958, Angelo Roncalli, élu pape, releva ce nom de Jean 23 qui avait été
effacé de la liste des papes.
Sur
le plan intellectuel, la théologie, dominée par la pensée thomiste parisienne,
devient une scolastique et les
facultés de théologie des Universités jouent un rôle de magistère. C'est, à
nouveau, du côté de la mystique
qu'un renouveau s'annonce avec la devotio moderna. La recherche
d'une spiritualité axée sur la Passion (comme à l'abbaye de Saint Victor à Paris,
au 13ème siècle) que tout le monde puisse partager. Aux Pays-Bas, la devotio moderna est illustrée par Thomas
à Kempis (1379-80 à 1471) à qui est attribuée l'Imitation de Jésus Christ. L' Agneau mystique de Gand qui date du début du 15ème siècle est un
autre témoin de cette dévotion.
C'est
à partir de cette époque que le mot d' "église" va être couramment
employé pour l'édifice du culte.
15ème siècle
1414-1418 : Concile de Constance : Les errements de
la papauté et l'inconduite de certains prêtres et moines entretiennent dans la
chrétienté latine un besoin de réforme de l'Église ‟ Dans sa tête [la papauté] et dans ses
membres [le
clergé]”.
Pour répondre à cette aspiration, un concile est convoqué à Constance.
Un
premier débat va porter sur l'Ordre du Jour : faut-il d'abord mettre fin au
schisme et procéder, ensuite, à la réforme de l'Église ou, à l'inverse,
soumettre l'élection d'un nouveau pape à la réforme de l'Église ? On vote par
"nation" : deux d'entre elles, Espagne et Italie sont pour le premier
ordre du jour, deux autres, Allemagne et Angleterre pour le second, la France
balance entre les deux puis rejoint l'Espagne et l'Italie. Un pape romain est
élu : Martin 5 et la réforme de l'Église est oubliée, elle fait place à
l'excommunication posthume de John Wiclif et au procès, puis au bûcher, de Jan
Hus. La déception est grande, bien qu'il ait été mis fin à la crise de la
papauté, qui avait duré plus de cent ans
Jan Hus (1370-1415) était le recteur de
l'Université de Prague et professait les idées de Pierre Valdès (ou Valdo, 1140-1217) et du théologien anglais John Wyclif (1330-1384) : une Église
pauvre, l'autorité des Écritures, la cène sous les deux espèces, le sacerdoce
universel. Hus répandait ces idées dans ses cours et dans les prêches qu'il
donnait le dimanche, devant de grands auditoires, à la chapelle de Bethléem,
celle même de l'université. Nous avons donc ici des pré-réformateurs dont nous
reparlerons lorsque nous aborderons la Réformation.
En 1439, le concile de Florence va
consacrer la notion de sacrement comme rite agissant
"par lui-même" (ex opera
operato) et fixer les sacrements au nombre de sept : baptême, confirmation,
eucharistie, mariage, pénitence (sacrement de réconciliation), extrême onction
(sacrement des malades), ordre. L'importance de ce dernier sacrement échappe
parfois. Il est à l'origine du cléricalisme.
Les clercs ne sont plus définis d'abord par leur fonction, mais par une
sacralisation (ils disposent du divin). Celui qui a reçu le sacrement de
l'ordre est "d'Église", il lui appartient jusqu'à sa mort, elle est
désormais sa famille.
Un coup d'œil
sur l'Église d'Orient
Après
que l'Église d'Occident (Église latine) et celle d'Orient se sont séparées (en
1054), l'Église orientale (qui s'appelle "orthodoxe" par opposition à
l'Église catholique) sera jusqu'à aujourd'hui formée des quatre patriarcats
d'origine : Constantinople, Alexandrie, Antioche,. Á la tête du clergé de
chaque Église nationale se trouve un métropolite placé sous l'autorité directe du patriarche
de Constantinople (on parle d'Églises autocéphales). Les prêtres sont mariés,
les évêques sont choisis parmi les moines. Les rites et cérémonies occupent une
grande place dans le culte, mais les Écritures jouent aussi un rôle important
en particulier dans la piété personnelle. Un grand concile orthodoxe, appelé à
illustrer et à fortifier l'Orthodoxie nous est annoncé
En
1261, l'empire byzantin est restauré, mais il est bientôt menacé par la
conquête arabe. Après plusieurs sièges mis par les Turcs, Constantinople tombe
en leur mains en 1453. Á ce sujet, je remarque que l'Église latine qui avait
réussi, à huit reprises, au 13ème siècle, à transporter des armées entières au
Proche-Orient, n'est jamais venue en aide à sa sœur en péril. Le patriarcat de Constantinople, bien que
réduit à peu de chose ,n'en subsiste pas moins jusqu'à aujourd'hui et garde
toute son autorité canonique pour les autres patriarcats orientaux.
Au
9ème siècle, les deux frères, Cyrille (827-869) et Méthode (825-885) inventent
l'alphabet glagolitique = russe) et traduisent la Bible. S'ensuit une
évangélisation des régions russophones. Vladimir 1er, prince de Kiev
(980-1015), impose un "baptême de la Russie" (comparable au baptême
de la France avec Clovis). Après la fin de la domination mongole (13ème siècle), en 1326, le métropolite de
Kiev s'installe à Moscou et, au 14ème siècle, la principauté de Moscou s'impose
comme cœur de la Russie. En 1439, le patriarche de Constantinople cherche à
récupérer la Russie dans son patriarcat, le pape romain, de son côté fait de
semblables démarches auprès de Moscou. Le métropolite refuse toutes ces
manœuvres et, avec l'aval du prince de Moscou qui, au 16ème siècle, va prendre
le titre de "tsar" (César) (Ivan
le Terrible, 1547), estimant que, depuis 1453,
Moscou est l'héritière de Constantinople, il érige la Russie en
Patriarcat (ce qui ramène les patriarcats orientaux au nombre de cinq). L'union
entre l'Église et le pouvoir, en Russie, est ce que l'on appelle césaropapisme.
L'antisémitisme
médiéval
L'Europe
et la Russie chrétiennes sont antisémites, accusant le peuple d'Israël de la
crucifixion de Jésus (ce qui, dans l'optique de l'union hypostatique, aboutit à
accuser les Juifs de déicide). Les Juifs sont des sujets de seconde zone,
objets de discriminations (les pogroms russes sont ultérieurs : 1881, 1921).
Ils sont exclus de la plupart des professions et ont servi en plusieurs
occasions de boucs émissaires (lors d'incendies, de sécheresses etc.).
Certaines "rues de la Juiverie", dans nos villes, rappellent qu'au
Moyen-Âge ils s'y trouvaient regroupés (le Ghetto de Venise date du 16ème
siècle). On appelle "marranes" les Juifs d'Espagne ou du Portugal
qui, étaient restés sur place au moment où les Juifs étaient chassés de ces
pays, et qui, après une conversion imposée au christianisme catholique,
continuaient de vivre leur religion en cachette.
C'est
néanmoins dans cette Europe que deux des plus grands esprits du judaïsme : Rachi et Maïmonide ont pu s'épanouir.
Rachi vivait à Troyes, de 1040 à 1105, à l'époque et sur le domaine des trois
premiers rois capétiens. Il est renommé comme talmudiste, ses commentaires
bibliques, qui occupent plusieurs tomes, restent actuels. Maïmonide (1138-1204)
vivait en Espagne (Cordoue) à l'époque
de la Reconquista espagnole. Médecin de profession, sur le plan intellectuel
et religieux il est préoccupé des difficultés que rencontre la révélation
biblique dans la culture européenne de l'époque.
À
cette époque, en Europe, le canon juif du Premier Testament va
achever sa constitution et la Qabbale se
développer : le Zohar date des 12ème
- 13ème siècles.
La Renaissance
Elle
commence dès le 14ème siècle en Italie, autour de Florence qui jouit de
l'influence des lettrés byzantins réfugiés en Italie suite à la conquête turque
de l'empire de Constantinople
Jacques
Gruber
JUIN 2016
RÉFORMATION
préférer ce mot
à celui de "réforme"
(les allemands
disent "Reformation" et les anglais de même)
Les protestants ont été ainsi appelés
suite à la protestation solennelle des princes acquis aux idées de Luther lors de la Diète de Spire (1529)
où Charles Quint (1500-1558) avait voulu
faire passer des mesures restrictives en matière religieuse. Les protestants
français ont été appelés successivement : luthériens, vaudois, huguenots, puis
protestants.
Les confessions de foi sont des cartes
de visite que chaque Église rédige à une époque donnée de son histoire. Les
deux principales sont la Confession d'Augsbourg (luthérienne, 1530) et la
Confession de La Rochelle (calviniste, 1559).
LES PRÉRÉFORMATEURS
Pierre Valdo (1140-1217) John Wiclyf (1320-30 - 1344), Jan Hus
(1370-1415),
Ils se caractérisent tous par la mise en
valeur de l'Évangile, puis de la Bible entière, pour la vie du chrétien et de
l'Église.
Pierre Valdo, marchand lyonnais
prospère, vend ses biens, traduit quelque passages de l'Évangile selon Matthieu
et commence une vie de prédicant itinérant. Il réunit une petite Église : les pauvres de Lyon*.
* François d'Assise incarne, lui aussi,
vers la même époque, la soif d'une Église pauvre (1215).
On peut dater de 1399 la naissance d'une
"église" se réclamant de l'action de Pierre Valdo. L'Église vaudoise
est la tout première Église de la Réformation en France. Présents en Italie du
Nord dès 1399, ils sont excommuniés au concile de Vérone (1184). Persécutés en
Italie centrale (en 1488, puis 1655 : les Pâques vaudoises), ils s'installent
dans les vallées alpines du Nord et jusqu'en France. (en 1655, dans le
Queyras). Entre 1460 et 1560 mille quatre-cent familles émigrent dans le
Lubéron. C'est une Église provinciale exilée qui se développe dans cette région
du Sud-est de la France. Considérée comme hérétique et subversive, l'Église
catholique obtient de François 1er qu'il intervienne. Suit une expédition
punitive de l'armée qui fait 24 Oradour-sur-Glane : (massacre de Mérindol,
1545, trois cents morts en cinq jours, 670 hommes envoyés aux galères);
l'Église vaudoise est éradiquée du sol français. C'est le premier signe d'une
intention génocidaire à l'encontre des français protestants dont nous verrons
le développement par la suite (massacre de Wassy en 1562; la Saint-Barthélémy,
1592; ,l 'Affaire Calas 1762-1765 ; la Révocation de l'Édit de Nantes, 1685).
Il en reste quelque chose aujourd'hui encore dans notre société même si l'on se
dit œcuménique ou agnostiques ou athées. Les Vaudois trouveront refuge dans les
vallées italiennes du haut Adige : les Vallées vaudoises d'aujourd'hui où l'on
parle français. L'Église vaudoise qui usait déjà d'une direction synodale
votera au synode de Chanforan (1532) son adhésion à Jean Calvin et à sa
doctrine.
Wyclif est théologien (professeur à
Oxford, il embrasse un horizon plus large. À à l'autorité des Écritures, il
ajoute le sacerdoce universel et la cène sous les deux espèces, il prône une
Église détachée des richesses. Dans l'immédiat, Wyclif jouit d'une audience
professorale qui semble n'avoir pas dépassé les murs d'Oxford. Il n'est pas inquiété, mais sera condamné et
excommunié par le concile de Constance (1415-1418).
Jan Hus fait sienne la pensée de Wyclif
et s'en fait le propagandiste. À ses cours, il ajoute un ministère de
prédicateur de l'Évangile dans la chapelle de l'Université de Prague (la
chapelle de Bethléem). Après sa condamnation et son exécution, il aura une
descendance spirituelle avec les frères moraves qui mettent en pratique la
méditation et l'annonce de la Parole biblique, la cène sous les deux espèces (utraque) d'où leur nom d'
"utraquistes" , la prédication
laïque. Persécutés, au 18ème siècle, ils trouveront refuge sur les terres de
Nicolas de Zinzendorf qui était acquis à leur foi.
LA RÉFORMATION
Comme le mot l'indique, il ne s'agit pas
d'une nouvelle religion, mais de la réformation de la religion chrétienne et
qui reste chrétienne.
Luther* va reprendre et développer les lignes des
préréformateurs, mais, en plus, il va expliciter
la foi suite à la découverte de
Romains 1, 16-17 (voir ci-après la justification - ou le salut - par la foi)
vers 1516. En 1517, il placarde 95 thèses contre les Indulgences sur la porte
de la chapelle universitaire de Wittemberg, suite à la propagande du moine
Johann Tetzel (1465-1519) qui vendait des indulgences (valant diminution des
peines du Purgatoire) afin de réunir les fonds nécessaires à l'édification de
la Basilique Saint Pierre de Rome).
*Luther, né à Eisleben, ville d'Allemagne de
l'Est en 1483, n'est ni de famille
noble, ni de famille d'agriculteurs, ni de commerçants, ni de militaires ou de
fonctionnaires locaux, mais de main d'œuvre (père mineur ?), issu de milieu
populaire. Il présente des dispositions intellectuelles qui lui permettent de
suivre les écoles. Il est tourmenté par des questions existentielles et
religieuses et on lui a présenté la vie de moine comme quelque chose de
céleste. Il entre au couvent des Augustins d'Erfurt (Allemagne de l'Est) où il obtient vite la confiance de ses
supérieurs, il est nommé professeur d'Écriture sainte (1513), car les augustins,
fidèles à leur patron -Saint Augustin- cultivent la lecture de la Bible. Luther
apprend le grec et l'hébreu pour pouvoir lire les textes dans les langues
originales (la Renaissance vient de mettre à l'ordre du jour le retour aux
sources grecques). Il a écrit un Commentaire des Psaumes, un Commentaire des
Galates et il commence un Commentaire de Romains..
L'intermédiaire de l'Église (à savoir :
sacerdoce hiérarchique, rituels, système pénitentiel, œuvres méritoires,
croyances diverses, adhésion aux vérités dogmatiques de l'Église, recherche de
preuves) disparaît. Il est remplacé non
par un autre intermédiaire, mais par la médiation de la foi : par le seule
grâce, la seule foi, la seule Écriture (seule la ,grâce donne la foi et
l'Écriture; seule la foi reçoit la grâce et l'Écriture; seule l'Écriture
explicite la grâce et la foi.
La Justification (ou le salut) par la foi :
Point de départ
: Romains 1, 16-17: ‟Je n'ai pas honte de l'Évangile de Christ : c'est la
puissance de Dieu pour la salut de tout homme qui croit, du Juif d'abord, mais
aussi du non-Juif. En effet, c'est l'Évangile qui révèle la justice de Dieu par
la foi et pour la foi comme cela est écrit : Le juste vivra par la foi ” (citation d'Habakuk 2,4)
Ce que cela signifie pour Habakuk, homme du
Premier Testament, prophète : avant la Loi, il y a la foi d'Abraham,
l'Alliance. S'attacher par la foi à
l'Alliance, c'est être réputé juste aux yeux du Seigneur.
Dans le langage
de la Bible, "être rendu juste", "réputé juste", aux yeux
du Seigneur, "déclaré juste" par lui, se voir personnellement imputer
la Justice, est l'équivalant d' "être sauvé".
Ce que cela signifie pour Paul : bien que le
commandement soit ‟Saint, juste et bon”, (Rm 7,12) l'observance scrupuleuse de
la Loi est une démarche humaine qui est toujours inaccomplie, de ce fait, nous
ne nous rendons jamais justes devant le Seigneur. Or, ce que la Loi se montre
incapable de donner (puisque c'est une justice que nous devons acquérir par
nous-mêmes) nous est conféré d'un seul coup, sans condition, par la foi en
l'Évangile, autrement dit : la foi en Jésus, Christ-Messie-Sauveur (termes
équivalents).
Ce que cela signifie pour Luther : ce ne sont
pas les rites, les rituels, les œuvres méritoires, les reliques qui nous
sauvent (nous font acquérir la Justice, nous
justifient devant le Seigneur), ce n'est pas la foi en l'Église, c'est
la foi comme pleine confiance en Jésus seul* qui se rend présent au milieu de
nous par son Évangile implanté dans le Premier Testament. Jésus à qui nous
pouvons accéder directement par son message qui se trouve à notre portée en
permanence (Luther parle des : ‟Paroles
qui apportent Jésus” et Calvin du témoignage intérieur -secret- du Saint Esprit).
Ce que cela signifie pour nous : Actualisation proposée : La justification par
la foi en Jésus notre Sauveur et
notre Seigneur concerne le don
gratuit (sans condition, sans raison) d'un
sens à notre existence (qui, par elle-même, est et reste contingente et
finie) ainsi que d'une raison d'être à
notre vie (être témoin auprès des autres).
Celui (Jésus,
Évangile) qui nous confère ces réalités premières et dernières doit être
lui-même avant tout ce qui est premier et après tout ce qui est dernier.
Ainsi commence,
pour nous, avec nous et avec les autres, une nouvelle existence : l'existence-au-centre (non
"centrée
sur"), actualité réalisée par la rencontre du passé et de l'à-venir. Dans
la confiance en Jésus, en Christ, se trouve l'actualité où se rejoignent
l'Alpha et l'Ôméga, où se rencontrent notre pardon (notre commencement, notre
libération) et notre liberté (notre fin laquelle est accomplissement de
l'amour). Libres parce que pardonnés, non l'inverse comme peuvent le penser les
libertaires ou les libertins (2 Co 3,17), libres pour l'amour -au-delà de la
compassion-. Cela se produit une fois
pour toute pour chacun de nous et pourtant ce n'est jamais un acquis, cela se
maintient toujours dans l'actualité par la foi, par le moyen d'une action de la
Parole scripturaire biblique, chaque fois que nous recevons avec le Saint
Esprit la Bonne Nouvelle de l'Évangile, annoncée et écoutée, inscrite en nous,
en notre être, en notre mémoire
cérébrale, physique, existentielle. La rencontre de notre pardon et de notre
liberté, découlant de la Parole écoutée et entendue, actualité du Christ Jésus
et, par là, du Seigneur, peut se produire quotidiennement.
Cette justification
se démarque de l'autojustification (‟J'ai ma conscience pour moi”, ‟Je suis
l'élu”) et de la culpabilisation (‟Je ne suis rien, bon à rien”, ‟Nous sommes
des déchets, dans un monde inondé de déchets”; ‟On est dans la merde”, ‟Tout se
vaut et rien ne vaut rien”).
Dans le langage biblique, la justice s'oppose
à une autre catégorie biblique essentielle : le péché. Ainsi, lorsque je dis ou
pense : ‟Je peux me justifier moi-même, justifier mon existence”** je suis
non seulement dans l'erreur, mais dans le péché, car je sais que je mens, que je me mens, que je suis dans le mensonge,
que je finis par croire que c'est vrai.
De là la sévérité
contre le mensonge, l'à peu près, les
faux-semblants, dans les civilisations post-protestantes. Civilisations qui se
sont fondées sur le probité, la sincérité, le crédit, la solvabilité, la parole
donnée (toutes choses que nous retrouvons chez Kant et dans le kantisme), avec
aussi, dans certains cas, un sentiment de supériorité (Apartheid), toutes indications jointes à une énergie pour la
protestation de l'Évangile et pour la justice.
Le défi des Églises dont la prédication se fonde sur la Paroles des
Écritures bibliques, reflet d'une époque pré-scientifique, est le parler
néanmoins vrai dans la société scientifique actuelle.
Au contraire,
lorsque je dis ou pense : ‟Je ne peux pas me justifier ni justifier mon
existence, elle reste et restera suspendue dans le vide” (contingente), je
suis dans le vrai. Non pas dans la vérité stoïcienne***, mais, par la grâce
inexplicable de la Parole ("Le juste vivra par la foi"), par la
confiance mise en Jésus.
Cependant, dans
la confiance mise en Jésus, dans la foi évangélique, le péché n'est plus premier,
héréditaire, il n'est jamais reporté sur une extériorisation de nous (la faute
de la société selon Jean-Jacques Rousseau, 1712-1778), il n'est désormais perçu
par nous qu'à partir du pardon, comme éffacé, porté pour nous sur la Croix par
Jésus et non dans sa terrible tingence.
a) la foi est ici conçue comme la relation vivante
de confiance en Jésus
seul* confessé comme le Messie du Seigneur, le Sauveur, le libérateur; toujours
présent par sa bonne nouvelle (son Évangile) -donc rien d'abstrait- à partir
de ses paroles implantées dans le Premier Testament dont Jésus se présente
comme l'accomplissement.
Cette foi (1 Co
12,3) nous conduit à la conception spécifique du Seigneur de Ex 3, 6 et 14 et
de De 6, 4, Dieu vivant d'Abraham, Isaac
et Jacob, Dieu saint qui n'est pas sacré, pas divin, Dieu "Père" de
Jésus. La foi, ainsi dite, est opérée par l'Écriture ou la Parole non par le
texte biblique devenu, à son tour, un intermédiaire. Luther parlait, des "paroles qui apportent Christ", Calvin
parlera du témoignage intérieur (secret) du Saint Esprit (qui explicite
l'action -secrète- du Saint Esprit et accentue la "présence" concrète
du Christ Jésus de Nazareth) chez
Calvin, le Saint Esprit prend l'être
humain tout entier : inconscient et conscient, il n'est saisissable qu' a posteriori
, dans ses effets.
b) en même temps, la foi est
§ une vision, une intuition, des choses
; un devenir eschatologique et non
une nature substantielle venue du passé.
De là, une autre manière d'existence dans le monde, aussi longtemps que durent
notre non-sens et notre corruptibilité, celle de ceux qui sont en même temps
pécheur et juste : pécheur lorsque je dis que je suis juste et juste quand je
dis que je suis pécheur). Les théologiens calvinistes préfèreront l'expression
de "pécheur pardonné" : toujours pécheur et toujours pardonné. Que
la bonne conscience ne s'installe pas, que nul ne s'enorgueillisse (1 Co 1,
29), ne s'imagine être arrivé. De ces deux pôles tenu ensemble naît l'intensité
de notre existence (pensé, paroles, actes). La vie du pécheur-juste ou pécheur pardonné, faite de joies et de
peines, de problèmes ou de drames, d'erreurs et de fautes, de maladies et
d'avanies., est soutenue par son existence
nouvelle qui a une origine et une fin, partant et repartant du pardon pour
aller toujours de nouveau vers la liberté.
Le péché originel héréditaire d'Augustin
est remis en question chez le protestants aujourd'hui. Les idées biblique d'un
"péché du monde "(Jean 1, 29) ou du "mystère d'iniquité"
-ou d'impiété- (2 Thes 17) chez Paul, ont la préférence, Nous constatons que la
Bible ne nous parle pas de l'origine du mal, que celui-ci est toujours là avant
nous, que le vouloir être comme des dieux, ne rien devoir qu'à nous-mêmes,
subsistent malgré les changements de civilisation.
§ une façon
d'agir dans, sur et pour la société (le témoignage voulu ou non voulu :
"Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux", Mt 26,39), non comme
des acteurs , nécessaires, mais comme des "serviteurs inutiles" (Mc
7,10) ce qui opère, dans le monde, non
des miracles, mais des transformations spécifiques, à nulles autres pareilles,
car nous savons que pour cela il a fallu que quelqu'un paye, meure, donne sa
vie et que ce quelqu'un soit dans la relation la plus intime avec Celui qu'il
appelle le Père.
Existence dans
le monde et transformation de la société sont vécues par les individus et par
la communauté de l'Église.
Dans la
conception traditionnelle du christianisme, le salut est une continuation de
l'histoire sainte ; succession apostolique, incarnation ininterrompue de
l'eucharistie, vœux perpétuels etc.. Avec les réformateurs, cette vue st
entièrement renouvelée, On a désormais le schéma du salut que l'on peut tirer
de Luther : justification [le sens de
l'existence]
-sanctification [l'éthique
biblique-évangélique différente d'un moralisme, d'un puritanisme] -vocation (Berufung) - profession (Beruf),
ou de Calvin : élection [sentiment d'être personnellement
mis à part pour un but]
-charisme [don humain reçu gracieusement] - vocation -entreprise - succès [qui est le signe de l'élection]****,
d'où la
conception, plus marquée chez Calvin que chez Luther, de "l'éthique dans
le monde" (ce
qui veut dire que l'existence chrétienne ne se réalise pas hors du monde, dans
des retraites et des couvents, mais dans la vie courante des humains en société
***** , ce qui pourra dévier vers le puritanisme).
* Autres approches de la foi : fanatisme : la foi en une idéologie
(religieuse ou non) imposée par un pouvoir agissant avec la terreur ; crédulité : attente du miraculeux,
adhésion à des croyances ; conviction(s)
: être convaincu par un discours, l'orthodoxie est une croyance en des dogmes, des articles
de foi, des rituels et des croyances, en une Institution faite de rites, de
règlements, de coutumes, en une Sagesse La foi, comme mise de son entière confiance
en Jésus présent ici et aujourd'hui par son Évangile enraciné dans le Premier
Testament s'oppose aux œuvres : les rites et rituels, les œuvres méritoires,
mais non aux "œuvres de la foi", celles qui découlent de la foi (ce
qui a provoqué au temps de la Réformation, une polémique luthéro-catholique
autour de l'Épître de Jacques).
** Cette thématique a été
retrouvée par les philosophes existentialistes (chrétiens ou athées) à la
suite du pasteur-théologien-philosophe Sören Kierkegaard (1813-1855). Ces penseurs
soulignent la contingence et la finitude de l'existence humaine et la
désespérance qui s'en suit. Martin
Heidegger pense (sans parvenir à le prouver d'une façon évidente) que
l'on peut racheter le temps et restaurer notre authenticité (intégrité).
Jean-Paul Sartre exprime cette situation humaine universelle avec cette parole
paradoxale bien connue : "Nous sommes condamnés à la liberté" et
encore : "Il n'y a que des lâches ou des salauds". Dans notre vie
courante , voir la passion d'avoir raison, la soif de justification qui pousse
les gens à raconter leur histoire, à chercher des excuses, la passion
procédurière, la recherche des distinctions, des honneurs, tout le travail
-vain- des philosophes existentialistes athées (la déréliction chez Martin
Heidegger, 1889-1976),
*** Les philosophes stoïciens (de "stoa": portique) appelés ainsi
parce qu'à Athènes, à l'origine, ils enseignaient sous un portique, se sont
développés du 3ème siècle avant Jésus Christ au 2ème siècle après. Ils
préconisaient les attitudes à prendre devant la destinée, elle-même inévitable.
**** Chez les calvinistes : élection -
entreprise - succès. C'est l'élan d'où est sorti le monde moderne. La base des
études de Max Weber sur protestantisme et capitalisme.
*****
Au
19ème siècle, Thérèse de Lisieux (1873-1897) retrouvera cette conception qui
relativise la vocation religieuse. Cela lui vaudra d'être déclarée
"Docteur de l'Église". Or nous savons qu'il s'agit d'une conception
calvinienne remontant au début du 16ème siècle.
L'Autorité des Écritures*
Au lieu du magistère de l'Église, cette
conception implique à court terme la
redécouverte du Dieu de la Bible, celui d'Israël, celui des Juifs.
- ni le "Dieu" fourre-tout du
christianisme hellénisé (déjà chez Luc, chez Paul, chez Jean), ni le Dieu des
philosophes (comme le qualifie Blaise Pascal), mais le Seigneur UN dont on ne
prononce pas le nom (De 6,4) (même si on pense pouvoir le faire) ;
- non l'Être, mais celui qui dit à Moïse
"Je suis qui je serai" (Ex 3,14); le Dieu de l'Alliance : "Dieu
vivant, Dieu d'Abraham, Isaac et Jacob" (comme le rappelait Blaise Pascal)
;
- le Dieu qui n'est pas sacré, mais
justice et miséricorde, jamais justice sans miséricorde, jamais miséricorde
sans justice ;
- non, d'abord, le "Tout puissant
"El Chaddaï, expression apocalyptique typique d'une situation de
persécution, reprise comme "theos
pantocrator" de la pensée théologique orientale ;
- mais aussi El Sabaoth, "Dieu des
armées" (sous-entendu : armées des cieux, c'est à dire "Dieu de
l'univers", "du cosmos")
- et surtout, le Père , Père qui es aux
cieux, de Jésus ;
- ou encore le "Tout-Autre" de
Karl Barth.
Actualisation : le Seigneur
vivant qui n'est ni divin ni sacré ni l'Absolu.
* La fermeture du canon (tant du côté
juif que chrétien) est un fait au seizième siècle. Les protestants reprennent
le canon juif pour le Premier Testament alors que les catholiques y ajoutent
les deutérocanoniques (qui prennent la même valeur que les livres canoniques
dans la pratique). Le canon du Nouveau Testament est le même chez les
catholiques et chez les protestants. Cette fermeture signifie qu'il n'y a plus
de nouvelle inspiration de nouvelle révélation (contrairement aux Mormons qui
donnent valeur d'inspiration au Livre de Mormon). On parlera alors d'
"assistance du Saint Esprit" donnée à l'Église (non aux chrétiens
individuels) ou d'éclairage, d'illumination (le "témoignage [ou le secours] intérieur du
Saint Esprit "-Calvin-) qui est donné à toute personne qui se met à
l'écoute du texte inspiré de la Parole. .
**
L'Autorité
des Écritures est interprétée
de plusieurs manières : 1) la
Bible
prise à la lettre ou 2) la Bible objet d'exégèse ou encore, 3) la Bible comme
Parole, comme parole inspirée qui nous inspire. Luther voulait que l'on
interprète la Bible à la mesure de la justification par la foi (ce que l'on
appelle un "canon dans le canon"). Il préconisait une théologie de la Croix (ne pas confondre avec
une adoration du crucifix) contre la théologie de la Gloire (Thèses de
Heidelberg, 1518). En situation : l'Écriture interprétée par l' "homme des
religions"; par "l'homme moderne", par l'homme de la société
post-moderne, interprétée dans une société multicultrelle. Une Autorité qui
s'adresse autant au cœur qu'à l'intelligence.
Noter que la Réformation correspond à
l'époque de l'invention de l'imprimerie et du retour aux sources gréco-latines
-Calvin publie un commentaire du De
Clementia de Sénèque- , philosophe stoïcien)
Le
concile de Trente (1545-1547)
Il se veut la réponse catholique à la Réformation, il est l'origine
d'une culture de la "contre-réforme" qui consiste à prendre le contrepied
de la culture protestante naissante (en particulier dans les surcharges de
décorations extérieures et intérieures des églises), il est aussi le point de
départ d'un certains nombre de réformes catholiques mineures.
Dans l'ensemble, le concile n'a pas
compris la pensée de Luther, 'il a combattu une Réformation déformée. L'un
des points d'achoppement principaux est l'affirmation que la Justice qui nous
est conférée par et dans la foi nous reste extérieure ("forensique"),
affirmation par laquelle Luther (et plus encore son ami Melanchthon) exprime
l'idée que même lorsque nous participons -par la foi- à la Justice, celle-ci ne
nous appartient jamais, ne s'infuse pas en nous (en langage scolastique : ne
devient pas un habitus).
Certains théologiens catholiques,
aujourd'hui, reconnaissent la vérité théologique et religieuse de cette
affirmation (Karl Rahner et Herbert Vorgrimmler, Petit Dictionnaire de théologie catholique, article Justification
forensique, édition Livre de Vie n° 99, p. 249).
Le posttridentinisme
: le pape Grégoire13 (1502-1585, qui prendra les Décrets d'application du
Concile de Trente, est au départ d'une doctrine et d'un esprit, non seulement
contre-réformateurs, mais anti-protestants : le posttridentinisme qui règnera
jusqu'au concile de Vatican 2 (1962-1965) et a laissé des traces jusqu'à
aujourd'hui.
Les
Églises issues de la Réformation
En 1577 (Formule de Concorde qui exprime l'accord des divers mouvements
issus de l'action de Luther) naît l'Église
luthérienne. Elle va s'étendre à l'ensemble de l'Allemagne (excepté
certaines régions, tel le Palatinat, qui adopteront le calvinisme), les Pays
scandinaves et divers autres pays proches de l'Allemagne (c'est comme cela que
le Pays de Montbéliard, possession du roi de Prusse, sera protestant).
Églises
calvinistes
: Au 16ème siècle, on estime que la France était pour près de la moitié de sa
population acquise à la Réformation. On parle d'églises réformées parce le protestantisme
calviniste a préféré prendre ce nom moins personnalisé. Ces églises, qui
avaient vocation à se développer en France (le premier synode national
réformé français a eu lieu à Paris en 1559) ont connu un arrêt et une
déperdition du fait des interdits, puis de la persécution.
Il n'y a qu'en France que l'on parle de
temples et de cultes. Partout ailleurs, on parle d'églises (Kirche, Church), les allemands disent
"service divin" (Gottesdienst),
les anglicans ont conservé le mot de messe (mass).
Le calvinisme ne fera pas souche sur sa
terre natale, c'est L'Angleterre qui va devenir la terre d'élection du
calvinisme. Déjà sous le règne d'Henri 8 (1500-1547) il existe en Angleterre et
en Écosse une classe moyenne instruite qui voit dans les idées réformatrices
une occasion d'émancipation politique de sorte que le protestantisme ne sera
pas tant imposé d'en haut que souhaité par une part importante, du moins de la
population des villes.
L'Église d'Angleterre, séparée du
Saint-Siège de Rome n'avait pas de théologie propre, le roi Edouard 6, fils
d'Henri 8 et de Jeanne Seymour, qui règnera à l'âge de 10 ans et mourra à 16
ans (1547-1553) adoptera la doctrine de Calvin. Suite à l'action de John Knox
(1514-1572), il en sera de même pour l'Écosse. Notons que le réformateur de
Strasbourg, Martin Bucer (1491-1551), porteur d'une pensée réformatrice
originale qui, sous certains côtés, vient de Luther, sous d'autres influencera
Calvin, enseigne à Cambridge dans les mêmes années.
L'Église d'Angleterre est calviniste
malgré les impressions que peuvent donner les fastes traditionnels des
cérémonies royales londoniennes. L'archevêque de Cantorbery (marié et père de
famille) n'est pas nommé par la Reine ou le Premier ministre, il est élu par un
vote du synode général de l'Église d'Angleterre. Les Églises épiscopaliennes
(communion anglicane hors d'Angleterre) se réclament de la même théologie avec
des évêques élus par les représentants des églises.
Le calvinisme apporte avec lui
l'organisation presbytérienne-synodale, instaurant une démocratie de l'Église
au sein d'une monarchie traditionnelle. Les protestants dissidents anglais de
la May-Flower (1620) transporteront ce système en Amérique où les Pères pèlerins
établiront le premier régime de démocratie politique moderne que nous
connaissions.
PS : le mois prochain, nous étudierons
plus spécialement la façon dont l'Église a été conçue et est vécue par les
Églises issues de la Réformation.
Jacques Gruber
JUILLET-AOÛT 2016
compte-rendu de
la réunion du 5 juin 2016 (?)
LES ÉCHECS
SUR LE CHEMIN
DES RÉFORMATEURS
La Réformation est étroitement liée aux
Réformateurs, même si elle les dépasse largement. Luther et Calvin ont
rencontré dans leur action des problèmes inattendus qu'ils n'ont, pour le
moins, pas su traiter convenablement à nos yeux. J'en donne ici la liste non
exhaustive. Ajoutons que, pour nous, les Réformateurs ne prétendent pas être
des saints et qu'ils en avaient bien conscience. L'essentiel pour eux, comme
pour nous, était et demeure la redécouverte de l'autorité des Écritures, en
d'autres termes : de la Parole. C'est à partir de cette époque que l'on peut
parler d'une évangélisation de l'Europe : le nombre des "lisants" a
augmenté considérablement, Luther ouvre les premières écoles de filles, le
texte biblique en traduction se répand dans les couches profondes des
populations.
Luther entre en débat avec Érasme
(1469-1536) dans les années 1524-1525.
Érasme, en bon humaniste, défend le
libre arbitre (Diatribe sur le libre
arbitre, 1524), Luther avait soutenu le contraire dans son Traité de la liberté du chrétien (1521),
Les deux hommes ne se réconcilieront pas*. Au 20ème siècle, Sigmund Freud
(1856-1939) analyste de l'inconscient démontre que nous ne pouvons nous
prévaloir d'aucun libre arbitre. [pas de libre arbitre, mais, sans doute, une
certaine marge d'autonomie].
* En conséquence de l'autorité des
Écritures pour le chrétien et pour l'Église, Luther refuse toute inféodation de
la théologie à aucune philosophie, à l'aristotélisme du thomisme, au platonisme
des humanistes (surtout italiens ou, pour les pays allemands ; Érasme). Nous
aurons à revenir sur cette doctrine des deux Règnes (voir Réformation 3).
De 1521-1564, Calvin écrit son Institution de la religion chrétienne.
Il y défend, entre autre, la double prédestination (les élus et les réprouvés
le sont dès avant leur naissance, ‟Si les loups le savaient, ils ne mettraient
plus de petits au monde” réagit Sébastien Castellion, collaborateur de
Calvin) ; le témoignage intérieur secret du Saint Esprit ; une éthique
chrétienne qui se réalise dans le monde (dans la famille, la profession,
l'action économique et politique) ; le régime presbytérien-synodal. La
double prédestination s'appuie sur les écrits antipélagiens (contre le moine
Pélage qui soutenait que nous faisons notre salut) d'Augustin mis à l'indes par l'Église catholique (aux temps où
l'Index existait).
Sébastien Castellion s'élèvera aussi
contre la condamnation de Michel Servet (1511 -1553) .Michel Servet, médecin
espagnol qui soutenait la thèse non-trinitaire (on disait, à l'époque :
"antitrinitaire") avait été condamné au bûcher par l'Inquisition dans
son pays. Il s'était réfugié en Suisse, à Schaffouse qui s'en était débarrassé
sur Bâle, qui l'avait envoyé à Genève. Calvin qui était justement accusé de
non-trinitarisme par ses adversaires à ce moment-là s'était trouvé piégé :
il lui était difficile de donner asile à une personne condamnée comme antitrinitaire.
Les conseils élus de la République de Genève confirmeront la condamnation
au bûcher de Michel Servet, sans que Calvin, usé par les luttes partisanes du
peuple genevois, y fasse opposition. Servet sera brûlé au lieu dit du Champel,
hors de la ville de Genève en 1553. Les
Genevois y élèveront plus tard un monument expiatoire.
On peut voir dans Ignace de Loyola
(1491-1556) et son ordre des Jésuites une réaction catholique au rayonnement de
Calvin. Deux devises s'affrontent : Calvin : ”|A Dieu seul la Gloire” et Loyola
! ‟Pour la plus grande Gloire de Dieu !”.
Loyola défend une forme non seulement absolue, mais encore
infaillible, d'autorité de l'Église : ‟
Marcher comme un cadavre”, ‟ Si l'Église dit que la neige est noire, tu diras
qu'elle est noire ” (Exercices sporituels),
son ordre sera, d'autre part, à l'origine de la casuistique en morale.
La réformation soulève un vent de
liberté. Les paysans, soumis au servage, se révoltent. Les seigneurs
(protestants) leur opposent une répression sans pitié que Luther (qui soutient
l'ordre social féodal établi) ne désavoue pas (années 1524-1526).
Autre conflit : les anabaptistes
(rebaptiseurs ou rébaptiseurs) qui considèrent le baptême des enfants (coutume
justifiée par Luther et par Calvin) comme nul. Sous la bannière de l'anabaptisme
un mouvement libertaire se réclamant d'une direction directe par le Saint Esprit,
instaure dans la ville de Munster une démocratie populaire anarchiste qui
conduit à des désordres sociaux. Le mouvement sera écrasé en 1535 avant de
renaître, sous une forme apaisée, avec les baptistes.
En 1534, quelques protestants parisiens
activisres placardent, jusque dans les appartements royaux de François 1er,
des affiches contre la messe. Le roi, à qui Calvin avait dédié sa première
édition de L'Institution chrétienne et qui portait attention aux
idées reformatrices auxquelles sa mère,
Louise de Savoie, était acquise, se détournera définitivement du mouvement
protestant jugé subversif. Son retournement aura pour effet que Calvin quittera
Paris (où il ne reviendra plus) pour Genève.
La conjuration d'Amboise : un groupe de
seigneurs protestants avait projeté de ramener le roi François 2 (qui ne
règnera que de 1559 à 1560) d'Amboise où il résidait à Paris, pour le
soiustraire à la pression des Guise. Ils seront mis à mort et leurs corps
suspendus aux balcons du château d'Amboise, aux yeux du public. Cela
n'empêchera pas que les protestants obtiendront en 1563 de Charles 9,
successeur de son frère François, un édit qui leur accordait le droit de culte
dans le royaume.
Dans ses dernières années, Luther, qui
avait fait des Écritures la seule règle du chrétien et de l'Église pensait que
les Juifs se rallieraient à la Réformation. Il n'en fut rien et Luther en
conçut un dépit qui le poussa à écrire une série de libelles antisémites
violents où l'antisémitisme chrétien du Moyen-Âge refaisait surface. Ces
libelles ont-ils été vraiment suivis d'effets, dans l'immédiat et par la suite
? Une ville comme Strasbourg les a désapprouvés. C'est Joseph-Paul Goebbels
(1897-1945) qui leur a rendu vie pour instrumenter les protestants allemands
dans les années du nazisme.
En
Angleterre
: Il y aura une persécution des protestants anglais sous le règne de Marie
Tudor, fille de Henri 8 et Catherine d'Aragon (1485-1536) dite ‟Marie la
sanglante”, laquelle quittera le trône anglais lors de son mariage avec
Philippe 2 d'Espagne (1527-1598). Les catholiques, libérés par le pape de leur
serment d'allégeance au trône seront à leur tour épisodiquement persécutés ou
discriminés sous le règne d'Elisabeth 1ère fille d'Henri 8 et Anne Boleyn (en
particulier lorsque l'Angleterre sera menacée par la Grande Armada de Philippe
2),
Jacques Gruber
Le
prochain blog sur la Réformation sera publié en octobre prochain
OCTOBRE 2016
9 octobre 2016
compte-rendu de
la réunion du 9 octobre 2016
P R O T E S T A
N T S
L' É G L I S E
Jésus
seul,
Les religions sont riches de nombre
d'éléments, mais un protestant ne veut retenir
que la seule chose nécessaire : l'accès direct à Jésus et, par lui, au
Seigneur du Premier Testament, autrement dit la foi, c'est à dire la confiance,
mise en Jésus (que nous saluons
comme le Christ, c'est à dire le Sauveur et le Seigneur). Cela se fait par un
seul moyen : l'Évangile (le message
du Nouveau Testament,) car Jésus est l'Évangile, l'Évangile est Jésus : une
seule et même réalité dans des catégories d'existence différentes.
seul
l'Évangile,
Quand nous disons couramment :
"L'Évangile", nous faisons appel à une intuition du Nouveau Testament
dans son ensemble, qui peut s'exprimer entre autre comme la Bonne Nouvelle, la
Nouvelle Alliance, Jésus Seigneur et Sauveur, la Voie par excellence de
l'Amour, la justification -ou salut- par la foi. Cette intuition est le fil
conducteur pour notre interprétation du Premier Testament, mais aussi pour
l'interprétation (je ne dis pas "la grille", mais l' "herméneutique")
de tout événement personnel, national, international.
fondent
une Église :
L'Église est seconde par rapport à la Parole
(elle découle de la communion évangélique avec le Christ), elle ne doit pas
être l'intermédiaire-écran.
Les protestants ne sont pas une nouvelle
religion, ni même une nouvelle Église, mais cependant : un christianisme
renouvelé et une Église chrétienne renouvelée, toujours de nouveau renouvelées
par la parole de Dieu.
Pour exister dans la durée, toute foi,
toute idée, tout art, toute découverte, ont besoin d'une Institution (voir :
Institut Pasteur, Institut Curie, Académie française, Académie des sciences …).
Ainsi, les protestants ont-ils établi les
principes de l'Église chrétienne
évangélique: le salut chrétien se produit par la grâce seule (il est
inconditionnel) ; grâce qui agit comme elle veut, par toute sorte de moyens,
mais de façon spécifique, par la seule
foi (excluant les rites, les œuvres méritoires ou nos autojustifications
modernes) ; foi qui est apportée et entretenue par l'écoute de l'Écriture
biblique qui, elle seule peut produire le moment du Saint Esprit ;
l'Écriture avec le Saint Esprit (avec son " témoignage intérieur secret
", comme dit Calvin) devient parole
de Dieu. Les trois ensemble, grâce, foi et Écriture, pas l'un sans les
autres.
La grâce : tout est et reste de l'ordre
du don, sans avoir le sentiment d'être redevable. La grâce seule, la foi seule,
les Écritures seules : seule la grâce donne la foi et les Écritures, seule la
foi reçoit la grâce et les Écritures, seules les Écritures forment la foi et
nourrissent de la grâce.
Le débat sur la grâce commence avec la
controverse entre le moine Pélage et l'évêque Augustin (aux 4ème -5ème
siècles). Pour Pélage l'être humain collabore à son salut, pour Augustin non
(dans des textes auxquels l'Église catholique ne souscrit cependant pas).
Calvin, puis Jansénius (qualifié de "Calvinisme rebouilli" par
Bossuet) prendront la suite d'Augustin. L'Église catholique pour qui l'homme
est ‟Capable de Dieu”, pour qui la grâce perfectionne la nature, est considérée
par les protestants comme semi-pélagienne. Les orthodoxes soutiennent une
synergie qui se présente comme une mise en œuvre de l'Incarnation..
L'idée biblique de la grâce est qu'elle
est un don (elle n'est ni proposée, ni conférée, ni offerte) et demeure un don.
Nous l'avons (1 Corinthiens 13, Paul écrit à deux reprises : ‟Agapèn échô”), sans jamais la posséder,
elle est notre devenir sans se transformer d'aucune manière en acquis. Nous
sommes autonomes dans la vie courante, dénués de libre arbitre pour la grâce,
mais nous pouvons propager l'amour qui découle de la grâce comme une bougie qui
a reçu la flamme et la communique à une autre bougie. Jésus possédait la grâce,
c'est lui qui est toujours encore le foyer qui nous communique cette flamme
(nous ne venons pas la chercher) : parodiant Blaise Pascal : ‟Tu ne me
chercherais pas si Je ne t'avais
déjà trouvé”.
Mise
en perspective
En gros on peut dire que les Églises de
la Tradition sont en charge du divin (le sacré, le pur et l'impur, interprétés
dans la catégorie de la substance) en charge de l'homo religiosus (l'être religieux universel lié à notre
humaine condition)
tout entier, dans le monde, que les Églises de la Réformation se veulent
Témoins de la Parole (de l'Esprit et de la sainteté) devant tous les humains.
Il y a rupture avec l'homo religiosus
: "Dieu est Esprit et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit
et en vérité" (Jean 4, 24) [Je note que Jean utilise bien le terme
d'adoration et qu'il exprime une exigence absolue par un "il faut"].
(Pourtant il existe bien un moment mystique chez les protestants, voir plus
loin).
Les
Églises de la Tradition sont des institutions de salut qui se pensent dans
le schéma circulaire d'un retour à Dieu (tout vient de Dieu et toute va à Dieu)
et dans la croyance en un univers à
trois étages : cieux, terres, enfers. À
partir du concile de Trente (1548) et des décrets d'application formulés par le
pape Grégoire 13 (régnant de 1572 à 1585) l'Église devient un sujet, une
personne, elle est hypostasiée. Pour les Églises de la Tradition, tout est
tradition; pour les Églises de la Réformation, tout est interprétation (voir
ci-dessus et ci-dessous).
Les
Églises de la Réformation, sont des Églises de la foi (non des mérites), des
Églises des œuvres de la foi (qui en découlent), des charismes qui sont
attribués -non offerts, non proposés- par le Saint Esprit, non des œuvres méritoires des rites de salut
: "La grâce seule, la foi seule, l'Écriture - ou la Parole - seule"
(‟C'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne
vient pas de vous, c'est le don de Dieu”, Éph 2,8).
La
définition protestante de l'Église
Comment l'Église s'interprète-t-elle de
manière évangélique ? Chaque Église s'exprime dans une confession de foi qui
est comme sa carte de visite (Confession d'Augsbourg, 1530, Confession de La
Rochelle, 1559, Déclaration de foi de l'Église réformée de France, 1938).
On n'est pas sauvé par l'Église (par son
clergé, intermédiaire de Dieu), mais pas non plus sans l'Église (les frères et
sœurs dans la foi). L'Église est corps de Christ, chaque dénomination peut
en être considéré comme l'un des organes : foie, estomac, poumons, intestins,
reins, cœur etc.
L'Église c'est l'église locale avec une hiérarchie de conseils élus (conseils
presbytéraux, synodes régionaux et nationaux ; ce qu'on appelle : régime
presbytérien-synodal).
L'Église terrestre, historique, l'Église visible, est nécessairement,
ensemble, pécheresse et pardonnée, nous la référons (nous la réformons
toujours de nouveau selon l'Évangile) à l'Église
invisible (ou implicite), qui n'est pas ici conçue comme une Église céleste
formée par les chrétiens qui ont accédé à la vie éternelle, mais soit comme la
réalité des chrétiens témoins de la Parole qui existe en dépit des infidélités
manifestes des Églises, soit comme son modèle annoncé par les Écritures sur le
mode eschatologique (à venir aux derniers temps).
L'Église
est là où la Parole est fidèlement annoncée et les sacrements (baptême et
cène) correctement administrés, ces
adverbes doivent nous garder du
sectarisme comme du "n'importe quoi", les deux dangers qui menacent
nos Églises. Calvin ajoutait : l'Église est là "où la Discipline de
l'Église est observée", c'est à dire les règles admises par tous pour le
fonctionnement de l'Église.
Actualisation : dans un monde
post-chrétien, dans une société multiculturelle, l' Église pluraliste (qui
admet plusieurs courants ou plusieurs unions d'Églises différentes), au sens
protestant pour qui l'Église est "locale", n'est pas
multiculturaliste (ce qui serait du "n'importe quoi").
Le régime presbytérien-synodal, reposant
sur sa base, renverse la conception pyramidale traditionnelle que l'on peut
comparer au bras de "Dieu" qui ramasse l'humanité et la ramène à
"Lui". La pyramide de la conception ecclésiologique traditionnelle a
été renversée (en quoi il s'agit bien de réformation de l'Église, non de
réformes qui sont des mises à jour, des aggiornamenti).
Une Église presbytéro-synodale se pense dans le schéma horizontaliste du temps
linéaire du Jardin (d'Éden) à la Cité (de la Jérusalem Nouvelle descendue des
cieux), de la Création à la Nouvelle naissance et à la Rédemption. C'est l' Ecclesia reformata semper reformanda
(Église réformée qui doit se réformer sans cesse … selon l'Évangile).
Les Églises qui se reconnaissent dans
l'autorité des Écritures (Bible-Écritures-Parole) retrouvent le Seigneur du
Premier Testament, qui est justice et miséricorde, dont on ne prononce pas le
Nom, le ‟Je suis qui je suis ” d'Ex 3, 14. Le retour aux Écritures permet aussi de retrouver le QaHaL d'Israël (une démocratie
populaire) et la constitution charismatique de l'Église chez Paul.
Elle se considèrent moins comme
"peuple de Dieu", que comme "peuple des témoins de Jésus,
Sauveur et Seigneur" (= Messie, Christ). Pour Wyclif (1330-1384) et pour
Calvin, (1509-1564), théoriquement, l'Église rassemble les élus prédestinés,
les réprouvés en sont exclus, mais Calvin (dans le premier chapitre de son Institution de la religion chrétienne)
recommande, de considérer, dans la pratique, tout le monde comme sauvé. Karl
Barth (1886-1968) a repensé cette théologie (qui peut se prévaloir de textes
bibliques répondant à des circonstances particulières concernant le choix des
chefs du peuple d'Israël), pour lui, Jésus est l'Élu-réprouvé, il a pris sur
lui la colère de Dieu, désormais celle-ci ne peut plus nous anéantir, de la
Croix, découle la grâce pour tous.
Il peut arriver qu'une Église
totalisante se prévale aussi
(puisqu'elle totalise tout) d'être une Église de témoins, elle n'en demeure pas
moins, foncièrement, une Église en charge du divin dans le monde. Une Église de
témoins devrait être rayonnante et contagieuse.
Pour les Églises de la Tradition qui ont
en charge le divin, les Églises de la Réformation qui sont témoins de la
Parole ne sont pas des Églises (Joseph Ratzinger, pape Benoît 16). Les
protestants se considèrent comme pleinement apostoliques, en dehors de la
succession rituelle, du fait qu'ils sont en contact direct avec les écrits
apostoliques, que ceux-ci orientent et réorientent leur existence. Selon la
définition de la religion comme ce-qui-relie, les Églises de la Parole, de la
relation établie par la Parole, sont de l'ordre du religieux, mais d'un religieux
dégagé du divin. Le témoignage intérieur du Saint Esprit par lequel une parole
biblique devient pour nous La Parole est le moment mystique (donc religieux)
protestant et, tant la Parole peut être nombreuse, au contact des textes
bibliques, que nous n'ayons pas à en souhaiter d'autre. Le moment mystique de
la Parole, où une parole biblique est confirmée par le Saint Esprit, dans notre
psychologie des profondeurs, sans émotion particulière, peut se prolonger en
prière. Nous pouvons ainsi parler d'un "homme religieux de la Parole",
base non seulement d'une relation, mais d'un échange personnel avec celui
auquel la Bible donne l'appellation de "Seigneur", par opposition à
l'homme religieux du divin. Étant donné le cas de figure de la parole de Dieu,
on pourra peut-être bien parler du
Silence de Dieu (Dieu = la Divinité), le Seigneur biblique, Lui, parle. Plusieurs, parmi les déportés de la
dernière guerre européenne, qui se sont trouvés dans cette situation,
retrouvant dans leur mémoire les Paroles bibliques (ou celles de certains de
nos chants) retenues dans leur vie précédente, ont reçu dans leur for intérieur
la parole de la foi espérée dans les circonstances tragiques qu'ils
traversaient. Dans le monde protestant, il n'y a aucune prière
devant un objet (statue ou autre). Les bougies peuvent être symbole de la
Parole, en aucun cas de prières par procuration. Les Églises de la révélation ne visent pas à
être dans le vérité ou la posséder, mais à vivre une relation personnelle vraie
avec Jésus le Seigneur.
La
prochaine fois, nous verrons les différences protestantes dans la conception
des sacrements, le culte protestant, le régime presbytérien-synodal, le
sacerdoce universel, l'éthique dans le monde, calvinisme et capitalisme, la
pauvreté de l'Église, les Deux Règnes, universalisme et évangélisation,
l'expansion du protestantisme.
Jacques Gruber
NOVEMBRE
2016
compte-rendu de
la réunion du 6 novembre 2016
PROTESTANTISME
(S)
Les
Sacrements
Le protestantisme en compte deux, ceux
qui ont été institués dans les Nouveau Testament. Pour le baptême, on peut, de
préférence, s'appuyer sur Romains 6, 3-5. Le texte de la finale de Matthieu
(Mt 8, 16-20), est caractéristique des versets politiques - de politique
ecclésiale - de cet Évangile, relevant plus de la discipline de l'Église que de
la Bonne Nouvelle.
Le
baptême
existait antérieurement aux Évangiles comme rite de pardon des péchés ou en
place de la circoncision pour les prosélytes juifs du premier siècle. Pour les
protestants, il n'enlève pas le péché originel et n'inscrit pas, pour le temps
et l'éternité, dans l'Église, il est mort et résurrection avec Jésus, entrée
dans la Nouvelle Alliance (Rm 6). Le baptisme qui exige le baptême d'adultes,
par immersion, répond à une exigence fondamentaliste qui peut devenir
sectaire.
Le protestantisme pratique le baptême
des petits enfants. Depuis le milieu du 20ème siècle il propose aussi aux
parents une "présentation". Le petit enfant est présenté au Seigneur
et à l'assemblée de l'Église, ses parents prennent l'engagement de tout faire
pour qu'il puisse connaître l'Évangile et demander de lui-même le baptême à l'âge adulte.
La
cène
: Nous possédons trois textes d'institution : Marc, Matthieu, Luc et Paul (1 Co
11, 23-26) très semblables.
Au 13ème siècle, l'Église a imposé une
conception unique : la transsubstantiation (voir ci-dessous). Les Réformateurs
ont eu des conceptions différentes.
Luther a eu recours à un compromis avec
la transsubstantiation. Il a proposé une "consubstantiation". De même
que Jésus est pleinement Dieu et pleinement homme, les espèces de la cène sont
à la fois substance divine et substance humaine .
La notion de substance est un héritage
de la philosophie gréco-romaine développé, en particulier, par les
intellectuels de l'Université de Paris au 12ème siècle. La nature des choses
s'explique par un substrat consistant et identitaire, une
"sub-stance". Mieux encore : une "forme substantielle",
autrement dit : une dynamique naturelle spécifique, fondement non expérimental,
des êtres et les choses Ainsi, par exemple,
on expliquait le feu par une " vertu flogistique". La notion de
substance est complétée par celle de "nature" qui englobe l'ensemble
de chaque être.
Selon le dogme, le Fils est
consubstantiel au Père, il possède deux natures : l'une divine, l'autre humaine.
Dans cette optique, l'eucharistie va se
comprendre comme une "transsubstantiation", 'le rite accompli par le
prêtre a pour effet de transformer en une substance divine christique la
substance du pain et du vin dont il ne subsiste que l'apparence (la forme vide
en quelque sorte). La consubstantiation luthérienne fait appel à l'idée de
deux substances (terrestre et divine) unies dans les espèces du pain et du vin
(comme dans l'Incarnation).
Zwingli (1484-1531), comprend le
"est" de la parole "Ceci est mon corps", au sens de
"signifie (au sens fort de ce terme). Le pain et le vin sont des emblèmes,
des enseignes. Il n'emploie pas le mot d'allégorie (allègoria) mais de substitut (allèosis).
Nous dirions aujourd'hui qu'il est libéral.
Calvin (1509-1564) rapproche la cène de
la Parole, c'est une Parole visible. Les paroles de la cène fonctionnent avec
le témoignage intérieur du Saint Esprit. Il s'agit d'une Présence réelle
spirituelle. Le terme de "spirituel" s'entend au sens fort de "
charismatique". Nous pourrions parler actuellement d'une présence du Ressuscité opérée pour
chacun par le Saint Esprit. Aujourd'hui, en effet, Jésus est ressuscité, les
conceptions littéralistes de la cène qui nous fixent sur un Jésus terrestre
sont à côté de la plaque. Au surplus, Jésus parlait araméen, or, dans les
langues sémitiques, on ne prononce pas les verbes auxiliaires, de ce fait,
Jésus n'a pas prononcé le "est" des paroles de la cène. Toute
interprétation ontologique est inappropriée.
Le baptême et la
cène administrés avec leurs paroles d'institution ont le statut de Parole du
Seigneur, avec le témoignage intérieur (secret) du Saint Esprit.
Luther et
Zwingli ont débattu de la cène dans les années 1524-1528 sans pouvoir se mettre
d'accord et se sont séparés sans prononcer d'anathèmes réciproques. Entre eux
et Calvin il n'y a pas non plus eu d'anathèmes. La Réformation n'est pas
l'œuvre de Luther seul, Philipp Mélanchthon, Ulrich Zwingli, Jean Calvin,
Théodore de Bèze, Martin Bucer, John Knox, ont eu des opinions différentes sur
diverses questions théologiques ou ecclésiastiques. C'est l'origine du
pluralisme protestant, mais le pluralisme n'est pas la multiplicité, admettre
la multiplicité, c'est le n'importe quoi.
Sur ce sujet
apparaissent les personnes qu'ont été les réformateurs : Luther (1483-1546) est
à l'origine un moine, un esprit religieux héritier de l'antisémitisme médiéval
qui repousse le cléricalisme, la théologie mêlée de philosophie
(aristotélicienne) et reconnaît une autorité suprême dans la seule Écriture biblique,
pour lui nous n'avons pas de libre arbitre. Calvin (1509-1564) est un
humaniste, un juriste et un laïc (autodidacte en théologie, à l'école
d'Augustin, le maître de la grâce) qui reconnaît a posteriori l'action du Saint Esprit seule décisive dans son
existence, ce qui le conduit à affirmer fortement la grâce dans la double
prédestination au salut ou à la perdition contre les humanistes semi-pélagiens
romains. Mélanchthon (1497-1560) est un universitaire qui, dans un premier temps,
renie l'humanisme et, dans un second temps, cherche à rendre sa place à la
culture à côté de l'Écriture. Zwingli (1484-1531) est une religieux et un
humaniste (il place les grands esprits gréco-latins parmi les prédestinés),
c'est aussi un patriote (il trouvera la mort dans un combat entre cantons suisses catholiques et cantons protestants où
il se trouvait comme aumônier des troupes protestantes). Bucer (1491-1561,
Strasbourg-Cambridge) veut tenir compte de la culture sans l'embrasser en même
temps qu'il tient compte de l'Écriture : que l'humanisme ait sa place, mais y
reste.
Du moment que le
baptême et la cène ont le statut de la Parole (qu'ils sont contresignés
par le témoignage intérieur, secret,
c'est à dire sans affect, du Saint Esprit), ils font partie du moment mystique
protestant.
Les
actes ministériels
Je nommerai ainsi divers actes non
sacramentels que les ministres protestants accomplissent.
Les Églises réformées n'ont pas
d'ordination, mais un acte de reconnaissance des ministères (pasteur,
prédicateur, conseillers presbytéraux, etc.). Les Églises luthériennes ont
maintenu l'ordination des ministres qui ne doit cependant pas en faire des
clercs.
Les mariages, confirmations,
enterrements sont des actes d'Église marqués d'abord par la Parole adaptée à
chaque cas (autant d'occasions pour entendre une Parole personnalisée et
circonstanciée) et accompagnée par l'imposition des mains ou une bénédiction.
Le
Sacerdoce universel
Le
Sacerdoce universel
: Si Jésus seul est prêtre (médiateur entre le Seigneur et nous) tous peuvent
être considérés comme prêtres ou tous considérés comme laïcs. Ceci dit, nonobstant
les tendances haute Église de l'Église d'Angleterre, des Églises de Cour en
Europe du Nord, du mouvement clérical luthérien dont il sera question plus bas.
Le sacerdoce universel implique que nous sommes tous chargés de la Parole, et
responsables de celle-ci dans l'Église et dans la société.
Le sacerdoce universel prend la place du
sacerdoce clérical ordonné, intermédiaire entre le fidèle et le monde du divin,
lui-même porteur de divin. Il repose sur les charismes, les dons du Saint
Esprit pour la prédication et les divers autres aspects du ministère
chrétien sous la responsabilité et
l'autorité des conseils (presbytéraux, régionaux, nationaux) dont nous parlerons
plus bas. Les épîtres du Nouveau Testament montrent qu'il existait un ou des
épiscopes dans les premières communautés chrétiennes. Par la suite, la dignité
hiérarchique de l'évêque va évoluer de plus en plus vers le pouvoir en fonction
du développement monarchique de l'Église.
Le titre de pasteur, comme celui de
prêtre ou d'ingénieur, n'est pas protégé
. Nous n'avons aucun pouvoir (sinon celui de la Parole exhortative, parénétique)
contre les pasteurs auto-proclamés qui se créent leur propre Église.
Les paroissiens qui prêchent, qui
célèbrent des baptêmes ou la cène, sont reconnus (reconnaissance liturgique de
ministère) et invités à suivre des formations.
Le sacerdoce
universel (qui remet à tout chrétien
le pouvoir ecclésiastique et religieux sous la responsabilité d'une hiérarchie
d'assemblées élues) aura pour effet
historique (déjà, en Angleterre,
dès Henri 8 -voir son conseiller Thomas Cromwell-) que le protestantisme va
être ressenti comme facteur de promotion sociale (ascenseur
social, à côté de l'Université, le négoce, la guerre). D'où la révolte des paysans en Allemagne
(1524-1526), le fort soutien social de la république de Genève au temps de
Calvin, de la royauté anglaise et, en général, des pays où la Réformation a pu
s'implanter (Jean-Jacques Rousseau,
puis Immanuel Kant, sont impensables en pays catholique ; on peut sans doute
même en dire autant de Baruch Spinoza), voir la démocratie américaine découverte
par Alexis de Tocqueville (années 1830).
Le sacerdoce
universel est renforcé dans le calvinisme qui met en avant l'élection. De l'élection découle la sanctification
puis la justification et la vocation qui aboutit à la profession (alors que,
chez Luther, c'est la justification qui est première, entraînant la
sanctification, la vocation et la profession). La compréhension de l'élection
que Calvin développe aboutit chez lui à la double
prédestination (au salut ou à la perdition), mais Calvin lui-même donne
cette recommandation dès les premiers paragraphes de son Institution chrétienne : Dans la vie courante, considérez chacun
comme prédestiné au salut. Les Églises réformées (Angleterre, Pays-Bas) mettant
en avant une conception radicale de l'élection, ont pu dégénérer en racisme au
contact des civilisations premières (Indiens d'Amérique, Bantous et Zoulous
d'Afrique du Sud).
Le
régime presbytérien-synodal
Le
régime presbytérien-synodal repose sur le rôle des "anciens" dans
l'ancien Israël qui se trouve avoir été réactualisé dans les Églises
pauliniennes, ainsi que sur la notion de l'Assemblée d'Israël (QaHaL) au Désert. La conférence tenue à
Jérusalem entre Pierre, Jacques et Paul, rapportée en Actes 15, préfigure la
conciliarité ou le recours aux synodes.
L'Église locale est conduite par un
conseil élu que suit une hiérarchie de conseils élus à l'échelon de la région,
puis de la nation. Les fidèles des paroisses sont consultés, à la base, sur les
questions de foi, d'éthique, de discipline en débat (je pourrais rappeler ici
l'ouverture du ministère pastoral aux femmes). Leurs avis remontent ensuite au
synode régional qui vote une première fois sur un projet qui est transmis au(x)
rapporteur(s) du synode national (pratiquement, des professeurs de théologie, c'est
à dire des experts) qui tire(nt) des conclusions votées dans les synodes
régionaux une synthèse dont le texte est débattu puis voté au synode national.
Après cela, les paroisses et paroissiens sont tenus de s'aligner. Étant entendu
qu'il s'agit ici moins d'un "être" supposé de l'Église, que du
bien-être de celle-ci.
Les synodes n'admettent pas de consignes
de vote ni de mandats impératifs, chacun-e vote en son âme et conscience.
Dans nos synodes, il y a autant de
pasteurs que de laïcs. Cette parité amène à ce que l'on peut ressentir comme
une surreprésentation des pasteurs. Transposons : s'il s'agit de la maintenance
et de la gestion d'un réseau de machines comme des ordinateurs, le fait qu'il y
ait un technicien pour un usager n'est pas surprenant. Nous n'avons pas
d'autres expressions que "pasteurs" et laïcs". Ce dernier terme
est inapproprié puisque, en vertu du sacerdoce universel, il n'y a plus de
clergé. Mais nous n'en avons pas trouvé d'autre jusqu'ici.
Ces dispositions constituent une gouvernance
de l'Église qui ne doit pas exclure la liberté ni éteindre l'Esprit. Elles se
refusent à toute coercition, ce qui peut conduire à des pasteurs et des Églises
auto-proclamés.
Le régime presbytérien-synodal va passer
des calvinistes aux anglicans et aux luthériens (dont les évêques sont élus
par les synodes nationaux). Les royautés constitutionnelles européennes
s'accordent avec des Églises qui ont le régime presbytérien-synodal.
L'Église est une affaire terrestre, nous
ne connaissons pas les notions d'Église militante sur terre puis
triomphante au ciel. Aux cieux, c'est le
royaume des cieux dont l'attrait s'exerce sur nous tous.
D'autre part, il ne faudrait pas que le
régime presbytérien-synodal fasse tomber l'Église sur le plan d'une confédération
de syndicats. Le régime presbytérien-synodal est toujours animé par un
"sens de l'Église". Par une référence à l'Église invisible, modèle achevé de l'Église libre de toute
compromission, mais en phase avec les réussites de l'histoire, que nous possédons en arrière-plan. Le sens de l'Église, sens d'une responsabilité vis-à-vis
de l'Église, pousse à la concorde, au rassemblement, de la fédération, de
l'union, il anime l'œcuménisme.
Depuis la fin de la dernière guerre
mondiale, et sous l'influence des Églises de cour anglaise, néerlandaise et
nordiques, un courant traditionaliste
(avec évêques, ordinations, ritualisme) s'est développé dans les Églises
luthériennes et même dans les Églises réformées (Communauté de Taizé, diverses
communautés féminines). Il n'a pas conduit pour autant à l'abandon du régime
presbytérien-synodal ni du ministère pastoral masculin et féminin.
Pour moi, on peut comprendre la genèse
de la démocratie occidentale à
travers les Églises de la Réformation, en particulier calvinistes, qui ont créé
une véritable civilisation autour du régime presbytérien-synodal. Je rappelle
que Jean-Jacques Rousseau qui se disait "Citoyen de la République de
Genève", a connu le régime démocratique qui s'était développé au temps de
Calvin. Rappelons-nous que le Pères
pèlerins de la May Flower
abordant en Amérique (1620), n'avaient pas d'autre modèle civil que leur
organisation presbytérienne-synodale. Notre laïcité refuse, contre toute
évidence historique, cette généalogie.
Le régime presbytérien synodal est une
démocratie parlementaire constitutionaliste
(les Écritures jouant le rôle d'une Constitution). Le pouvoir exécutif
revient pratiquement aux professeurs des facultés de théologie. Si ce pouvoir
devenait prédominant nous deviendrions une "démocratie exécutive"
(Nicolas Roussellier, La Force de
gouverner, Paris, Gallimard, 2016,
p. 616).N
L'éthique
dans le monde
L'éthique
dans le monde
calviniste : on ne va pas à Dieu en fuyant le monde, hors du monde, on va au
Seigneur dans le monde et avec le monde (famille, profession, action civique,
responsabilités politiques). Henri Dunan rapporte que c'est la méditation de la
parabole du Samaritain de Luc 10 qui a été l'élément déterminant dans la mise
sur pied de ce qui est devenu la Croix Rouge internationale. Dans une entrevue donnée à Laurent Delahousse, Michel
Rocard dit que son choix du socialisme est venu de la parole des
Évangiles ‟Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille
qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu” (Marc 10, 25 et parallèles). Il
nous a laissé la CSG qui a sauvé plusieurs fois notre Sécurité sociale et le
RMI devenu RSA. Le monde, en dépit de son opposition à l'Évangile, reste la
Création "bonne". de Genèse 1 (‟Et Dieu vit que cela était
bon”). La vocation chrétienne
s'accomplit dans le monde, avec le monde. L'éthique dans le monde remplace non
seulement la vie dans une retraite, loin du monde, mais aussi les conceptions
d'histoire sainte continuée et d'incarnation ininterrompue, elle vise un salut
en solidarité avec la nature, la société et l'histoire (voir les Deux Règnes).
Thérèse
de Lisieux
(1873-1897), qui sera canonisée en 1925 et déclarée Docteur de l'Église sous le
pontificat de Jean-Paul 2, en 1997, a retrouvé l'éthique dans le monde
calviniste sans le savoir (voir son Histoire
d'une âme, de 1897).
Calvin,
les protestants et le capitalisme : Le monde médiéval christianisé
refusait le prêt à intérêt alors que les Juifs le pratiquaient (ainsi que
quelques gros banquiers, comme les Fugger, en Autriche). Calvin est passé outre
à cet interdit. Pour lui, ‟Or et argent sont de bonnes créatures”, ils font
partie des éléments de ce monde créé "bon" par Dieu, c'est de la
volonté du Créateur que nous fassions fructifier l'or et l'argent comme nous
faisons fructifier la nature. Mais Calvin pensait à une juste redistribution
des richesses ainsi produites et n'avait pas compté avec la cupidité humaine
qui nous fait toucher au dynamisme du péché.
L'existence d'une banque protestante, de
banquiers protestants, a souvent été rattachée, de façon souvent superficielle,
à Calvin. Si, en France, au temps des persécutions, de nombreux protestants se
sont adonnés à la banque, c'est qu'elle était l'une des rares professions qui
leur restaient ouvertes. On observe la même évolution dans le judaïsme
européen.
La
doctrine des Deux Règnes
Les
deux Règnes
(voir l'éthique dans le monde) : le royaume de Dieu, annoncé par la figure
apocalyptique du Fils de l'Homme dans les Évangiles, est notre constante
actualité, mais l'Église n'est pas le royaume de Dieu, celui-ci est toujours
‟déjà-là et pas encore”, comme disait Oscar Cullmann (1902-1999, Le
Salut dans l'histoire, 1966).
La doctrine des deux Règnes distingue la
façon dont le Seigneur agit dans l'Église et la façon dont il agit dans le
monde.
Dieu agit dans l'Église par la Parole
(et par ricochet dans le monde : voir Henri Dunant, Michel Rocard), il agit
dans le monde en inspirant aux dirigeants des lois justes (différence entre
pneumatologique et charismatique) en vue du bien être des populations, de la
concorde et de la paix, de la justice, de l'épanouissement de l'intelligence et
des arts. C'est la conception que Paul développe dans Romains 13, 1-7, texte
qui reflète la "paix romaine" qui régnait à l'époque. Les
Réformateurs, pensant à des chefs de peuples s'inspirant de l'Évangile, ont
adopté cette perspective, mais l'histoire nous a fait déchanter. Des dirigeants
entièrement détachés, voir ennemis, de l'Évangile, abusant du pouvoir, ont
imposé leur loi en foulant aux pieds les indications de l'Épître aux Romains,
avec des discours démagogiques qui ont séduit les gens, au point que la
fidélité à l'Évangile a imposé de désobéir aux lois (désobéissance civile). Un
texte très débattu en France, suite à Mai 68, Église et pouvoir (Georges Casalis) aborde ces questions.
Le protestantisme réformé a créé une
civilisation. Un économiste contemporain, Nicolas Bouzou, écrit ce qui suit (les indications entre
crochets sont de moi) :
‟ Depuis Max Weber [sociologue allemand, 1864-1920 auteur de
L'Éthique protestante et l'esprit du
capitalisme, 1901, Sociologie de la religion,
1920, Économie et Société, 1922 ] il est communément admis que le fait
religieux tiendrait une place toujours importante dans la différence de valeur
entre l'Europe et les États-Unis. La transition religion-économie s'effectue
pour Max Weber de deux façons. D'une part, la réussite économique en signe
d'élection divine. Pour les protestants, l'homme est prédestiné : c'est Dieu
qui décide du salut, sans tenir compte des actions des individus sur terre,
bonnes ou mauvaises. Réussir dans son entreprise à force de travail,
d'ascétisme [Calvin] et de concentration
est de bon augure. Au fond, ce que les individus peuvent faire de mieux sur
terre, c'est exercer leur vocation (berufung)
et leur métier (beruf) [Luther], conférés par
Dieu. D'autre part, en critiquant les traditions non essentielles à la pratique
religieuse comme les rites ou la conception d'objets d'art destinés à Dieu [christianisme
traditionnel],
le protestantisme libère du temps et amène à se concentrer [Luther, Calvin] en préférant
les moyens rationnels aux rites [Luther et Calvin]. Ainsi, selon
Weber, la Réforme est propice à l'organisation méthodique du travail et à la
rigueur de la gestion. Avec le recul, les thèses de Weber sont in croyablement
stimulantes et expliquent bien, en effet, la réussite des industriels
protestants du XIX éme siècle. Néanmoins, les différences religieuses
expliquent mal les différences de valeurs culturelles dominantes aux État-Unis
et en Europe, à l'exception, peut-être ,de la valorisation de l'argent. En outre,
la croissance économique n'est pas née dans les pays à majorité protestante,
mais dans les cités-État très catholiques d'Italie du Nord. Max Weber souligne
ce point et insiste sur la modestie de son analyse qui se limite à constater
que les familles les plus industrieuses au XIX ème siècle en Allemagne sont
d'obédience protestante ou juive. Ceux qui n'ont pas lu - ou mal lu - Max Weber
veulent lui faire dire beaucoup plus que ce que lui-même a défendu. Par
ailleurs, les valeurs culturelles américaines sont [aujourd'hui, pas au départ]
partagées bien au-delà des protestants. L'Amérique est une mosaïque
confessionnelle et, fort heureusement, pour l'équilibre de la société, les
croyances fondamentales qui participent des liens sociaux sont intégrés par une
majorité de musulmans, de juifs, de catholiques … Il ne s'agit pas de prétendre
que le protestantisme n'a joué aucun rôle dans la dynamique économique
américaine. […] Le protestantisme à lui seul n'explique pas la culture
américaine. Mais, conjugué aux autres valeurs culturelles des Américains et
projeté dans le contexte américain (celui de la construction par des pionniers
d'un pays où rien n'existe), sans doute a-t-il accentué les valeurs de
l'individualisme libéral et de l'entrepreneuriat pragmatique. ” Nicolas Bouzou, Pourquoi la lucidité habite-t-elle à l'étranger ?, Paris, J-C. Lattès, 2015,
p. 233-236.
Autres
aspects de l'Église
L'Église
une dans la pluralité, apostolique, universelle : Nous avons déjà
évoqué la pluralité (à propos de la cène). En ce qui concerne l'apostolicité :
le contact suivi avec l'unique autorité des Écritures bibliques, comprises par
l'unique Évangile de Jésus qui dirigent notre vie, constituent un contact apostolique plus certain que celui
qui consiste en un rite perpétué par l'Église (qui se situe ainsi au-dessus des
Écritures). Pour l'universalité, nous
la vivons dans et par l'évangélisation adressée à tout être humain, par le
rayonnement (non par la totalisation) à
travers de nombreuses grandes œuvres internationales issues du protestantisme
et/ou animées par lui.
Le
culte : que
devient-il s'il n'y a plus de rites (les "œuvres" pour Luther) ? Le
rendez-vous des chrétiens au jour de la
Résurrection (le dimanche) est un élément très fort de la foi commune. Le déroulement général des cultes conserve
l'ordre des liturgies chrétiennes anciennes
: louange, confession du péché, confession de foi, baptêmes, lectures
bibliques, prédication, cène, intercession, bénédiction. La participation de
l'assemblée se réalise dans la prière, l'annonce et l'écoute -de la Parole -,
les sacrements, le chant. Dans les Églises de la Réformation, le chant a eu et conserve une importance par la
qualité de la musique confiée souvent à des musiciens de renom et par les
paroles qui reflètent les sentiments et les convictions vécues du peuple
chrétien protestant au cours de son histoire et dans son actualité. De ce fait,
il n'est jamais clos.
Le culte trouve
toute sa force lorsqu'il fait suite à la culture biblique et la prière personnelles, à la mise en pratique de la Parole dans la
vie courante. Il ne se ressource pas dans des rituels d'adoration, de
vénération ni de dévotions, mais dans la
Parole agissante, le chant, la prière.
La pauvreté de l'Eglise :C'était le première revendication des
préréformateurs. Les nouvelles églises ont renoncé au faste, aux statues,
aux tableaux, aux cérémonies triomphalistes. Les pasteurs ne revêtent que la
robe noire universitaire, sans distinction de grade ou d'ordre, ils se marient,
se contentent d'une modeste rétribution, contrairement à la Contre-Réforme qui
accentue la décoration, le ritualisme, le culte de Marie et des saints.
Suite
: Les Guerres de religion ; les Lumières ; la Modernité ; la Postmodernité et
l'Hypermodernité actuelle.
Jacques
Gruber
DÉCEMBRE 2016
GUERRES
de RELIGION et PERSECUTIONS
FRANCE
François
1er (1515-1547) est d'abord favorable aux idées de la Réformation auxquelles sa
Mère, Louise de Savoie (1476-1531) adhère. En 1530, Les Vaudois du Lubéron,
ayant été accusés d'avoir incendié l'Abbaye de Sénanque, le pape demande à
François ler de les châtier, vingt-quatre villages vont être rasés et leurs
habitants massacrés. (vingt-quatre Oradour-sur-Glane). En 1532, lors de leur
synode de Chanforan, les Vaudois adoptent le calvinisme. En 1533, Calvin
(1509-1564) dédicace au roi la première édition de son Institution de la religion chrétienne, mais en 1634, des activistes
protestants apposent des affiches contre la messe jusque dans les appartements
du roi, c'est l'Affaire des Placards. À la suite de quoi, François 1er change d'attitude à l'égard de ceux que l'on
qualifie alors de "luthériens" ou de "vaudois", Calvin
est obligé de quitter Paris (1545, massacre de Mérindol).
En
1559, année de la mort tragique de Henri 2, un premier synode national réformé
se tient à Paris et adopte la Confession de foi de La Rochelle.
Afin
de soustraire François 2 (1559-1560), résidant à Amboise, à l'ascendant des
Guise, un groupe de gentilshommes protestants projette de l'enlever et de le
ramener au Louvre, à Paris, c'est la Conjuration d'Amboise (1560). Trahis, les
conjurés sont mis à mort et leurs cadavres pendus aux fenêtres du château
d'Amboise afin de produire un effet dissuasif.
En
1562, sous Charles 9 (1560-1574), les soldats du duc Henri de Guise dit
"le Balafré", massacrent jusqu'aux dernières une soixantaine de
personnes réunies pour un culte dans une grange à Wassy (Haute-Marne).
L'Édit
d'Amboise promulgué en1563 permet aux protestants l'exercice de leur culte. Ils
ne demandaient rien d'autre. La paix de Saint-Germain (1570) doit apaiser les
conflits.
Cela
n'empêchera pas la Saint-Barthélémy. À l'été 1572, la fine fleur des
protestants se réunit à Paris pour le mariage d'Henri de Navarre (1553-1610)
avec la sœur du roi Charles 9 (la Reine Margot) qui a lieu le 18 août. Dans la
nuit de la Saint-Barthélémy, 23-24 août, à l'instigation de la reine-mère
Catherine de Médicis (1519-1589) et d'Henri de Guise (1549-1588), un massacre
de masse des protestants est perpétré. Henri de Navarre (duc de Bourbon) s'en
tire par une abjuration, mais l'amiral de Coligny, chef des protestants, dont
l'ascendant sur Charles 9 et la politique déplaisent à Catherine de Médicis
(il a pris parti pour les Pays-Bas révoltés contre l'Espagne), est mis à mort.
On parle de 3000 victimes à Paris, mais de nombreuses autres encore en Province
(une stèle dans la cathédrale d'Autun rappelle le souvenir du Chancelier qui
avait refusé d'appliquer les ordres de la Saint-Barthélémy). En revanche,
Maximilien de Béthune, futur Sully, passe entre les mailles Il sera le plus
important ministre d'Henri 4 et l'un des plus grands hommes d'État que la
France ait connus.
En
France : 1562-1589, suite de huit guerres indécises. Les protestants ont un
chef en la personne d'Henri de Navarre, duc de Bourbon, descendant d'un des
fils de Louis 9, saint Louis, beau-frère de Charles 9 et du futur Henri 3. Le duc Henri de Guise , chef de la Ligue
catholique, maître de Paris après la journée des Barricades du 12 mai 1588,
dirigée contre Henri 3 est assassiné sur ordre du roi au château de Blois la
même année ainsi que son frère le Cardinal de Lorraine.
1589
: au cours du siège de Paris, le roi Henri 3 est mortellement atteint par un
moine du nom de Jacques Clément. Sur son lit de mort, il désigne nommément,
devant les grands du royaume, Henri de Navarre pour son successeur. La Navarre
française (nos actuelles Pyrénées atlantiques) Pays-Basque et Béarn, capitale
Pau, est définitivement réunie au
Royaume de France. En 1594, Henri de Navarre se convertit une nouvelle fois en
1593 (il l'avait fait une première fois pour son mariage et échapper à la
Saint-Barthélémy), afin d'obtenir d'entrer à Paris ("Paris vaut bien une
messe"). Abjurations du bout des
lèvres, comme aurait dit Sully, qui aurait ajouté : "Quand vous aurez
abjuré du fond du cœur, il sera transpercé". Pour la direction de
conscience, il est décidé que le roi de France aura désormais toujours un
jésuite, en l'occurrence, le Père
Coton.
En
1598, Henri 4 signe à Nantes un Édit (irrévocable). Les protestants possèdent
100 Places des sûreté pour 8 ans, (temples, culte, Académies, Maisons de santé,
synodes) ; le culte est autorisé partout
où il a déjà lieu et dans deux villes ou villages par baillage ; des
chambres de justice mi-partites garantissent une justice équitable. L'Édit sera
petit à petit vidé de sa substance.
Sous
Louis 13, Richelieu (1585-1642) constate
que, suite à l'application de l'Édit de Nantes, les protestants sont devenus
"Un État dans l'État", pire : une République dans une monarchie
absolue. Par crainte d'un débarquement anglais ou indisposé par le rayonnement
de la ville, il met le siège sous La Rochelle (1627-1628) dont le maire Jean
Guiton anime la résistance. La Grâce d'Alais, signée en 1629 avec le chef des
calvinistes qui est alors le duc Henri
de Rohan (1579-1638), laisse la liberté de culte aux protestants (on revient à
l'Édit d'Amboise de 1563), retire leurs places fortes et Louis 13 édifie
l'église Notre-Dame des Victoires à Paris en décembre 1629 (il attribue la
victoire sur les protestants de La Rochelle à la Vierge Marie).
Dans
les temps suivants, une politique de conversions des protestants s'installe.
François de Sales (1567-1622), futur saint, s'y illustre. Il ramène le Chablais
au catholicisme par des méthodes qu'il veut douces, mais qui le sont très peu
(1597-1598). Un jour il se félicite de deux-mille trois cents conversions
réalisées en onze jours. Cette politique de conversions va aller crescendo
jusqu'aux dragonnades et à la révocation de l'Édit de Nantes (1685).
Richelieu
prend le parti des puissances protestantes lors de la Guerre de Trente ans.
Louis
14 : à partir de 1681, afin d'accélérer les conversions et en prélude de la
Révocation de l'Édit de Nantes, le ministre Louvois lance les Dragonnades :
des soldats d'une unité de Dragons s'installent dans les maisons des
protestants et y jouissent de tous les
droits sur les personnes et les biens jusqu'à ce que les membres de la famille
abjurent. La Révocation est paraphée en 1685. Louis 14 a-t-il été poussé par son
confesseur, le Père Lachaise, appuyé par son épouse, la Marquise de Maintenon,
cela reste une supposition. Il est interdit de posséder une Bible, les
protestants sont privés d'état civil (ils ne peuvent se marier, enterrer leurs
morts dans les cimetières, hériter, occuper aucun emploi officiel), les
aristocrates sont décapités, les pasteurs soumis au supplice de la Roue, les
hommes envoyés ramer sur les galères du roi où se constituera une véritable
"Église des Galères", les femmes sont emprisonnées à vie dans des
forteresses (la Tour de Constance d'Aigues-Mortes), les enfants retirés de
leurs familles dès l'âge de sept ans, pour être élevés dans des pensionnats
tenus par des religieux, tous les temples sont détruits. (à l'exception de
Vialas et du Collet-de-Dèze, en Cévennes). Une "Église du Désert" (au
sens des quarante ans d'Israël au Désert) se constitue, privées de pasteurs,
les communautés sont dirigées par des "prophètes" (le prophétisme
cévenol est-il lointainement à l'origine du Pentecôtisme ?)
En
1702, un soulèvement se produit, la "Guerre des Camisards" 1702-1704.
Louis 14 fait appel au Maréchal de Villars (1653-1734) pour la réduire. Jean
Cavalier (1680-1740), chef des Camisards, se rend en 1704 en échange de
promesses (non tenues).
Le
Pays de Montbéliard, fait exception en France. C'est alors une possession du
protestant luthérien Frédéric 1er duc de Wurtemberg, comte de Montbéliard.
Il n'y aura pas de persécutions (ni de protestants ni de catholiques). C'est ce
qui explique que les protestants du Pays de Montbéliard soient luthériens et
pas réformés. Un temple, construit entre 1601 et 1607, en tout début du 17ème
siècle n'aura, de ce fait, pas subi de destruction, il est toujours encore,
utilisé par la paroisse protestante de Montbéliard.
Le
Refuge : on estime au moins à trois cent mille les personnes qui vont trouver
refuge en Allemagne, en Suisse, en Angleterre, aux Pays-Bas, aux États-Unis.