lundi 1 décembre 2014

année 2014, archives "alleztheo" 1 : janvier à septembre






Nouveau texte : Loyaux-avec-la-foi.blogspot.com





pour encourager la théologie

                                                                      
Je me propose de publier ici, dix fois par an, un texte théologique ou spirituel, des compte-rendus critiques de lectures. Je suis de culture protestante, mais ma question con­cerne la façon dont le christianisme peut s’anticiper aujourd'hui. Pareille, perspective ne peut s’ac­com­moder d’une attitude purement confessionnelle ou dogmatique.
Je tire une inspiration indépassable de la source biblique et je m’adosse à la tradition chrétienne dont je suis solidaire. En même temps, je vis en tension l’incomplétude actuelle de la réalité et de la vérité (ce qui est différent du doute), avec les autres religions et cultures, la mo­dernité et la postmodernité.

  
Pour trouver ou retrouver un message, voir la Table alphabétique des matières ci-dessous, pour (re)trouver un sujet, consulter l’Index thématique placé après les archives de l’année 2006.

           

Janvier 2014


LA  COURONNE  D’ÉPINES

 

vérité, Églises, sciences, femmes, arts, religions, Auschwitz, théologiens


religions 2

L’univers des religions : ses risques, ses écueils

« Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, paix sur la terre et bienveillance parmi les hommes »
(Luc 2/14, traduction de la Bible Segond 21 : l’original avec les mots d’aujourd'hui) 

            Ce message relève typiquement de l’univers des religions. Univers céleste et angélique dans lequel Ciel et terre sont réunis pour la paix et la bienveillance. Bonne nouvelle universaliste. Paroles qui tranchent, on doit le dire, dans l’univers des religions qui, pas plus que les sociétés humaines, n’est un lieu de paix et de bienveillance. Au contraire, l’univers des religions comporte des risques, des écueils et des dangers. Ce mois-ci, je me propose d’envisager les risques et les écueils, le mois suivant, les dan­gers.

Les risques
            Il n’y a pas d’amour sans risque (voir la Croix ou nos croix.). D’une façon générale, le risque est l’absence de réciprocité.
          
            Je pense d’abord à l’angélisme pour qui « tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil ». Telle personne a menti, volé médit, au lieu de dire « C’est un menteur », « C’est un voleur », « C’est un médisant », dire : « Dans telle et telle occasion il (elle) a volé », « Dans telle et telle circonstance, il (elle) a menti », « Parlant de telle ou telle personne, il (elle) en a médit ». 

           Que peut signifier de regarder des personnages hitlériens ou staliniens (de quelque pays qu’ils soient) comme étant objets de la bienveil­lance de Dieu ? Cela signifie appréciation, mais pas jugement et pose la question humainement insondable de l’ori­gine du mal : « Pour­quoi n’a-t-il (elle) pas été conduit(e) intérieurement à la connaissance de ce qu’il (elle) était (en Jésus Christ) objet de la bienveillance de Dieu ? » et, pire : « L’ayant connu de l’intérieur, comment peut-il se faire qu’il (elle) ait pu refuser cette bienveillance ? ».
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            Nous courons ici le risque (et non pas danger !) de passer de l’autre côté du miroir (conversion). Pour­quoi pas ? Il n’y a pas de véritable amour sans risque. Le risque est réel dès lors que l’on pénètre de l’intérieur dans la religion de l’autre. A condition que ce ne soit pas le résultat d’un prosélytisme. Le vertige peut nous prendre lorsque nous nous disons :  « Si j’étais né au Sahara, j’aurais été musulman - Si j’étais né en Russie, j’aurais été orthodoxe, ma foi ne tient donc qu’à cela ! ».

            Ceux qui prennent l’avenir au sérieux devraient favoriser la libre circulation des croyants (rester là où l’on se fait du bien aussi longtemps qu’on s’y fait du bien pour revenir –ou non- à sa religion de naissance, le moment venu), le choix personnel de sa religion ou de sa non-religion par chacun. Si le croyant d’une autre religion est, lui aussi, objet de la bienveillance de Dieu, je suis appelé à m’in­té­resser sincèrement à lui, à ce qui le fait vivre au plus profond de lui-même, et, s’il s’intéresse à ma foi, ne pas interpréter cette approche comme l’expression d’un désir de se convertir, mais plutôt comme le signe qu’il met en pratique le message de la Nativité sur la bienveillance de Dieu pour tout être humain, même si ce message ne lui a pas été explicitement annoncé.
            
            Le travail syncrétiste, lui, comporte le risque de mêler deux ou plusieurs religions et peut être meil­leur moyen de les toutes. Ce risque est particulièrement lié à la politique d’incul­tu­ra­tion, il est proposé ici et là (pensons au cross over de Johnny Clegg, en Afrique du Sud). Passer par-dessus les différences, transgresser pour rapprocher, cela peut être valable pour une élite culturelle, mais au plan général ce serait une débâcle culturelle.
             
           Je comprends l’amour du prochain dans l’univers des religions au sens de voir dans l’autre l’être qui, comme moi, est objet de la bienveillance de Dieu (en Jésus Christ) Cela consiste à accueillir le tenant d’une autre religion en pensant que tout ce qui m’est étranger chez lui (et le reste) est, en ce qui le concerne, vécu du dedans.

           Mais ne nous leurrons pas, c’est difficile. Il est difficile de rester soi-même sans tomber dans le repli identitaire sur ses valeurs religieuses, culturelles, familiales.

           Aborder celui qui vit une autre religion comme objet de la bienveillance de Dieu, ce n’est pas laisser croire qu’on veut le rejoindre, mais lui montrer qu’il n’est pas sans valeur, que, tel qu’il est, il a une valeur, de la valeur, sa valeur. Savoir relever et reconnaître ce qui est bien et bon chez les autres.
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            Bien souvent nous manquons d’ouver­ture culturelle : le livre de M-A. Ouaknim, Les Symboles du Judaïsme (note 31) veut ouvrir les non-Juifs à la compréhension du symbolisme juif. Qui sait vraiment ce qu’est un pasteur ? Qui connaît la filiation qui va de la Réformation à la musique de J-S Bach, de Haendel, de Brahms ? Quel est l’événement religieux qui conduit à la  peinture hollandaise, laquelle est la mère de toute la peinture à partir du XVIIe siècle ? Quelle remise en cause a fécondé la pensée de Leibniz, Kant, Hegel , Kierkegaard et (à son corps défendant) de Nietzsche ?

           Nous négligeons la voie d’accès aux religions que constitue la culture. Une visiste au Musée d’art et de culture juive de Paris, une toile de Chagall, une pièce de théâtre yiddisch nous introduisent à la religion juive. L’architecture, les fresques et mosaïques byzantines nous font pénétrer la religion orthodoxe tout comme Giotto, Fra Angelico, Piero della Francesca, les églises romanes, la cathédrale de Chartres et Saint Pierre de Rome nous ont familiarisés avec le catholicisme. Les mosquées, l’urbanisme et la calligraphie musulmane, les mosaïques et les tapis marocains, la poésie arabe, les miniatures persanes nous apprennent quelque chose de l’islam Nous pouvons en dire autant, en ce qui concerne l’hin­douisme et le bouddhisme, de Bénarès, de Boroboudour, d’Angkor-Vat, d’un mantra, d’un jardin ou d’un kôan zen. Les cantates et Passions de Bach, le Requiem allemand de Brahms, Le Messie de Haendel, la peinture de Rembrandt ou de Van Gogh, Le Voyage du pèlerin de John Bunyan, l’Émile de Rousseau, la Déclaration des droits des États Unis, par exemple, nous font connaître quelque chose de la foi protestante.

            La violence que connaissent nos sociétés (ou la violence qu’un étranger peut retourner contre lui-même) naît d’un sentiment de déconsidération, de dévalorisation. Lorsque des africains, des musulmans, des extrême-orientaux sont transplantés dans l’a­no­­ny­mat de nos métropoles ils doivent ressentir comme un mépris de leurs cultures traditionnelles. Cela doit être encore plus durement ressenti par leurs enfants, plongés dans un univers scolaire axé sur la rationalité, l’objectivisme et qui ne reconnaît les autres civilisations et les religions qui y sont intimement liées qu’une fois objectivées (l’en­seignement des religions à l’école ne peut être qu’une approche extérieure de celles-ci).

(31) Editions Assouline, Paris, 1999.
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              Aimer le prochain d’une autre religion comme soi-même n’est pas de l’ordre de la fusion, c’est un acte qui comporte du discernement (une lucidité sur soi-même et une clairvoyance sur l’autre, une tradition critique, très présente dans le protestantisme, un humour sur soi-même que nous devons saluer chez nos amis Juifs), discerner que l’autre vit sa religion du dedans tout comme moi, mais, discerner aussi que l’autre en religion est, comme moi, guetté par la religion extérieure. Ce travers se rencontre dans la chrétienté, et chaque fois qu’une religion est vécue comme héritage familial ou culturel, parfois national, ethnique ou peut-être même tribal.

            Tout prosélytisme est à proscrire (pensons aux Témoins de Jéhovah), bien sûr, mais la question n’est pas si simple, car il existe aussi des religions nuisibles ou aberrantes (sorciers, Vaudou, Scientologie Moonisme, Temple solaire, Nouvel-Âge, etc…) et on voit des religions qui, à un moment donné de leur histoire, souvent par une fidélité à elles-mêmes plutôt qu’à ce qu’elles annoncent, deviennent nuisibles.
L’attitude préconisée ici ne consiste pas à dire que toute religion, tradition opinion religieuse est bonne du moment qu’elle est sincère (une religion sincère peut être informelle et permissive ou, au contraire, intolérante), elle consiste à penser que tout être humain est objet de la bienveillance de Dieu, qu’il le sache ou pas, et, sans doute de témoigner de cela auprès de lui à partir du moment où nous-mêmes nous vivons cette bienveillance de l’intérieur.

            Cela ne consiste pas non plus à dire : Restez dans la religion traditionnelle de la culture dans laquelle vous êtes nés (Jean-Jacques Rousseau dans sa ‘‘Profession de foi du vicaire savoyard’’, le Dalaï Lama dans ses interventions publiques en Europe), mais plutôt à dire : n’ayez plus peur des croyants des autres en religions et, si vous continuez à avoir peur, surmontez cette peur dans l’i­dée que l’autre croyant est objet de la bienveillance de Dieu comme vous-mêmes, mais que, peut-être, ou sans doute, ne le sait-il pas.
Entre risques et dangers : nous devons savoir que nous ne pourrons jamais éviter complètement de nous faire du mal.

            Sœur Anne Etienne, lors d’une précédente rencontre, nous avait raconté comment une amie juive qui avait vécu pendant cinq ans au sein de la communauté des diaconesses de Reuilly, à Versailles, avait été blessée par la manière dont celles-ci s’ap­pro­priaient le message des prophètes bibliques, sans parler de la liturgie de la semaine sainte. Juifs et chrétiens ne peuvent qu’être offensés lorsque les musulmans disent que les textes de la Tôrâh et de l’Évangile falsifient la vérité.
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            Juifs, chrétiens, musulmans ne peuvent que se sentir mis en question de manière radicale par l’affirmation extrême-orientale qu’il il n’y a pas de création, qu’il n’y a pas de transcendance et, inversement, les extrême-orientaux seront choqués par la confession de foi en un Dieu personnel, hors de tout ce qui existe et qui a créé tout ce qui existe.

            A cet égard, on ne peut que conseiller la maîtrise de soi : ne pas prendre toute expression des différences comme un acte d’hostilité. Ne pas croire qu’on ne se scandalisera jamais plus : pensons à l’Incarnation chrétienne (pour les Juifs ); à la guerre sainte comprise au sens militaire (pour les non-musulmans) ; aux dogmes marials catholiques, (pour les orthodoxes et les protestants).

Les écueils 
            
             Toute violence institutionnelle est source d’aliénation, mais aussi de bonne conscience, d’orgueil spirituel, de volonté de puissance.
            
            Le sectarisme ou le confessionnalisme, sont les coquilles dont s’entou­rent les religions et nous ne pouvons pas dire, en toute honnêteté, que nous ne nous y réfugions jamais. Il est plus aisé de vivre la bienveillance au sein de relations de personne à personne, peut être même entre des communautés, qu’au niveau des instances religieuses. Ce qui est en cause, c’est que les individus en viennent à penser, agir, parler, en fonction du groupe sachant ce que la cohésion de ces groupes doit à l’histoire et à la culture.

            Les autorités religieuses sont les gardiennes de la tradition, des vérités, des rites, de la moralité. Soyons attentif au langage qu’elles tiennent en ce qui concerne la vérité, les rites, les mœurs, n’entendons-nous pas un langage possessif concernant le pouvoir, l’avoir, le savoir ? Les religions au lieu d’être un milieu où se vit la vie humaine dans ce qu’elle a de plus profond prennent le visage d’un système total qu’il faudra entériner tout entier dès lors qu’on en aura accepté le plus petit morceau. Le sentiment de supériorité s’exprime dans le triomphalisme.

            D’autant plus que les autorités religieuses ne sont pas que cela,  elles sont aussi objets de vénération si bien que les vérités deviennent la Vérité, les rites deviennent la Voie par excellence, la moralité devient la Morale elle-même. A ce niveau, il y a une abso­lutisation de réalités humaines qui deviennent rivales.
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             Le problème des obédiences n’est pas le moindre et on ne peut le négliger. Lorsque j’en­tre en relation ouverte avec un croyant d’une autre religion je lui fais le crédit de vivre sa religion de l’intérieur, mais il arrive toujours un moment où je rencontre un rapport à l’absolu exclusif, ce que j’appelle les ‘‘ismes’’ : judaïsme, catholicisme, pro­testantisme, islamisme, hindouisme, bouddhisme, chamanisme, tout comme socialisme, marxisme, romantisme, impressionnisme et tant d’autres. C’est inévitable, et cela doit être pris au sérieux. A côté d’un visage ouvert, il existe bien aussi un visage fermé (démonique) de la même religion. La sociologie des religions peut nous être utile en l’espè­ce, nous aider à discerner si nous sommes en présence d’un modèle intégrationiste ou fractal.

            La difficulté provient de ce que le rapport à l’absolu fonde l’identité et de ce que la religion vécue du plus profond de soi-même est coextensive à toute la vie. Il s’ensuit que les religions tendent vers des conduites possessives (nous possédons la vérité, la vraie révélation, les vrais rites), des pratiques aliénantes (d’envoûtement, ou de propagande), l’accaparement de l’histoire (de la part des chrétiens, en particulier), l’argument du nombre (être les plus nombreux c’est la preuve que l’on est les vrais, les bons), des visées prosélytes (ramener le plus de monde possible à son bercail), un sentiment de propre justice ou de supériorité, d’or­gueil spirituel.

             Nous rencontrons ainsi des personnes qui ne parleront jamais de leur religion autrement que de façon avantageuse et apologétique. Et que faire si l’on est confronté à des anathèmes, à un prosélytisme, à une guerre sainte ?

            Un chrétien discerne l’image de Dieu en l’autre, quel qu’il soit, à travers Jésus Christ. C’est bien une orthodoxie (et même une orthopraxie), mais critique sur elle-même, non pas pourvoyeuse de bien-pensants et dispensatrice de bonne conscience.

            En direction des autres religions, la bienveillance nous appelle à faire le deuil intérieur de toute violence institutionnelle et,  concernant les agressions dont notre religion a été victime ou est victime, elle nous appelle à garder la mémoire, dire tout ce que nous pouvons avoir sur le cœur, en nous défendant cependant de tout ressentiment (note 32). La bienveillance de Dieu en laquelle nous saisissons notre prochain d’une autre religion, conduit au refus de poser les problèmes en rapports de forces.

(32) ‘‘Pardonne, mais n’oublie pas’’, article de Nelson Mandela, Le Monde, 7 août 1999.
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            Comment vivre le passif des agressions dont les autres religions se sont rendues ou se rendent coupables à notre égard ? N’oublions pas que des solutions finales ont été organisées plusieurs fois dans l’histoire : chrétiens du Maghreb, chrétiens d’Asie mineure (janissaires), protestants français d’après la révocation de  l’Édit de Nantes, orthodoxes de Grèce sous la domination ottomane, extermination des indiens des deux Amériques, Choah (note 33), martyre des Églises orthodoxes pendant les soixante-dix ans de lénininisme et de stalinisme, oppression et aliénation des femmes tout au long de l’his­toire et dans de large zones géographiques actuellement encore.

              Comment resituer tout cela dans la bienveillance de Dieu lorsqu’on a été du côté des victimes et, peut-être plus encore, quand on a été du côté des bourreaux ?

            En principe, dans le christianisme, notre rapport à l’absolu est toujours médié à travers Jésus Christ, c'est à dire à travers celui qui est la bienveillance de Dieu envers l’humanité, faite chair. Mais du principe aux applications il faut beaucoup d’intelligence et d’amour.

            Dans le même ordre d’idées, je peux rencontrer chez l’autre une religion vécue de l’extérieur. C’est, bien souvent, le cas des gens éloignés, détachés, pas pratiquants, ou traditionalistes, intégristes, mais c’est surtout la caractéristique des fondamenta­lismes qui nous tiennent un discours tel que : « Tu es libre, mais sache que si tu ne te mets pas en règle avec la vraie religion qui est la nôtre, tu n’auras aucun espoir de salut ici-bas, ni au-delà ». Cela fait partie de l’expérience religieuse courante il faut en être averti, en prendre acte, et espérer que notre comportement ouvert à leur égard (puisque nous les regarderons comme objets de la bienveillance de Dieu en dépit de leur éloignement d’une religion vécue du dedans) les fera réfléchir.

           D’une manière générale, lorsque l’on va vers autrui sachant qu’il est, lui aussi, objet de la bienveillance de Dieu (en Jésus Christ), cela nous permet d’appeler un chat, un chat (et une épine, une épine) sans esprit de jugement. Il faut être honnête avec nous-mêmes et ne pas nous cacher qu’il sera sans doute impossible de réduire entièrement l’écar­tèlement vécu en nous-mêmes entre religion intérieure et extérieure, entre rapport à l’absolu et relativisation de toutes choses y compris les religieuses.

Jacques Gruber

(33) La lettre ‘‘chin’’, vingtième de l’alphabet hébreu, correspond au ‘‘ch’’ français, la transcription par ‘‘sh’’ est anglo-saxonne.  Choah (Chin Aleph Hé) signifie : être dévasté, anéanti.

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Février 2014


LA  COURONNE  D’ÉPINES

 

vérité, Églises, sciences, femmes, arts, religions, Auschwitz, théologiens


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religions 3
L’univers des religions : dangers et perspectives

Dangers

Ces dangers sont fort nombreux, je n’en citerai que quatre:
            1) le paganisme : Dans la mesure où un monothéisme veut assumer l’homme religieux tout entier, on assiste chez lui à un retour du religieux primaire. L’animisme, le polythéisme, le surnaturel, mènent dans la piété une existence latente autorisée voire encouragée. Aujourd'hui le mot de « paganisme » sonne mal, il a un relent de racisme, pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit : un retour des mentalités et des coutumes de sociétés premières. Dans la modernité, le modernisme peut aller de pair avec des superstitions. Même l’athéisme d’État ne l’a pas éradiqué, après la chute des régimes athées, aussitôt la pression étatique disparue, le paganisme, ses superstitions et ses pratiques sont reparus.
            2) le traditionnalisme : Dès le départ, il faut bien voir la différence entre la tradition répétitive et la tradition fidélité, la fidélité à l’esprit de la religion vaut mieux que la répétition des pensées et des actes reçus dans notre éducation sous l’autorité de leur ancienneté. Ensuite, nous devons connaître la différence entre la Tradition et les traditions. La Tradition telle que le catholicisme la connaît, magistérielle et évolutive, diffère des traditions telles qu’elles sont vécues à travers des fêtes et des rites dans le judaïsme, dans les Églises orthodoxes, chez le Coptes, les Arméniens. De toute manière, dans la « tradition », le sujet est son propre objet. En d’autres termes, la « tradition » parle d’elle-même et finit par ne plus faire que cela. On l’observe déjà dans l’évolution du Premier Testament, plus encore dans le Talmoud. La tradition, parole humaine revêtue d’une autorité sacrale, peut tourner à une sorte d’hagiographie, on se loue soi-même, on tisse sa propre sainteté. Par rapport à la Bible, le vécu des traditions en rajoute dans le supranaturalisme (le surnaturel).

3) L’orthodoxie, l’intégrisme, le fondamentalisme : C’est l’honnêteté d’une religion que de se soumettre à l’exercice de la pensée. C’est ainsi que les chrétiens ont inventé la théologieLes monothéismes, en particulier, qui se réfèrent à un livre (Bible, Coran) se sont par là exposés à la tentation de la rectitude de la pensée : non seulement bien agir, mais encore penser comme il faut (la « vraie foi »). Parlant du christianisme, nous avons les exemples de l’orthodoxie, l’intégrisme et le fondamentalisme. Orthodoxie : la conformité de la foi des fidèles aux expressions qui en ont été données par les conciles œcuméniques. Intégrisme : la mise en œuvre  unanime des décisions magistérielles de l’Église. Fondamentalisme : non pas la lecture littéraliste de la Bible, mais cette lecture orientée par une liste de croyances dites fondamentales pour toute personne se disant chrétienne.
4) Le nihilisme : Pour le nihiliste occidental, « Toutes les religions se valent » « Elles sont la même chose », elles sont également respectables ou nuisibles. Cela vient de ce que le disponible religieux est limité, on le retrouvera en tout ou en partie dans chaque religion : sacré, mythes, croyances, tradition(s), piété, prière, exorcisme, adorati
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on, contemplation, méditation, rites, fêtes, culte de latrie ou de dulie, images,  moralisme, obédiences, hérésies, pitié et compassion, tolérance-intolérance, revendications d’universalisme. On peut aussi dire que tous les sports sont les mêmes puisque tous ont des règles, des installations, des équipements, un entraînement, des compétitions, des manifestations, des médailles, etc.. Pourtant chaque religion, comme chaque sport, a sa spécificité, ce sont les différences qui sont les plus intéressantes. En ces temps d’iré­nisme, ce n’est pas œcuménique, à moins que l’œcuménisme consiste à s’accepter les uns les autres dans nos différences  assumées.

Distinguer les différents rapports réciproques

            Le rapport du christianisme au judaïsme n’est pas le même que le rapport du judaïsme et du christianisme à l’islam, par exemple. Judaïsme et christianisme ont en commun un recueil (la Tôrâh), Juifs et musulmans ont en commun un rite (la circoncision –on naît juif, on naît musulman-, mais on devient chrétien, comme on devient agnostique ou athée, par une démarche personnelle). Pour les chrétiens, le judaïsme ne sera jamais un religion comme les autres (note 34).
            Nos rapports avec l’hindouisme, le bouddhisme, le chamanisme ne peuvent être les mêmes que les précédents. Impossible dans le cadre de ce texte d’entrer dans la description des différences considérables qu’il y a dans ces rapports. J’ajoute à ce propos que nous ne pouvons pas ignorer l’humanisme athée car il y a une spiritualité de l’athé­isme et Raymond Aron a, très justement, qualifié le nazisme et le communisme (stalinien en tout cas) de ‘‘religions séculières’’. Ignace Lepp a parlé des ‘‘spiritualités de l’athé­isme’’ (note 35). Paul Tillich de « quasi-religions ».
            L’Homme rationnel est aussi un absolu. Il existe des rapports, et même des rapports privilégiés, entre l’humanisme athée et le bouddhisme (André Comte-Sponville et le Swami Prajnânpad).
Pour les Juifs, les chrétiens, les musulmans l’existence d’un Dieu personnel ne fait pas de doute, même si la relation à ce Dieu personnel est vécue de manière très différente, mais l’existence de Dieu et, plus encore, d’un Dieu personnel, ne va pas de soi pour l’hindouisme, pour les bouddhismes, le shintoïsme et, bien entendu pour l’hu­manisme athée. Les rapports ne peuvent donc être les mêmes.

(34) Voir Michel. Leplay, La racine qui te porte, éditions du Moulin, Diffusion Desclée de Brouwer.
(35) Dictionnaire des idées contemporaines, Éditions universitaires, Paris, 1964, pp. 119-140.
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            Les spiritualités ne sont pas la foi au sens judéochrétien  du terme. Une spiritualité rassemble des personnes qui partagent des expériences spirituelles semblables, mais la foi est structurante de la personne, de notre vision du monde, de notre conception de la vie. L’établissement de rapports, d’ententes, ne peut cependant cacher que les ‘‘ismes’’ sont des clôtures et, comme telles, sujets de tristesse, voire de souffrance. L’a­mour du prochain qui adhère à une autre religion se doit d’être réaliste. S’il veut être dans la vérité, il comporte nécessairement une telle tristesse, une pareille souffrance.

Perspectives

            J’ai parlé des risques, des écueils, des dangers, peut-on esquisser des perspectives ?
           Nous pouvons succomber à la tentation de notre ‘‘isme’’ de deux façons : si je suis minoritaire, sous forme d’exclusivisme (nous sommes le petit nombre qui est dans le vrai, qui sera sauvé) ou sous forme de totalisation (en tant que mandataires de l’absolu, nous sommes chargés de rassembler et même de réunir le genre humain tout entier sous notre bannière), ce qui correspond, dans les deux cas, à une manifestation d’autosuffisance. 
           Comme remède contre les « ismes », le dialogue vaut mieux que les célébrations car les célébrations effacent les différences de manière factice.
            Les sciences humaines (histoire, psychologie, psychanalyse, anthropologie, ethnologie, et les sciences tout court : physique, biologie, génétique) nous permettent de prendre une distance utile par rapport aux absolutisations religieuses.
            Etre dans la vérité, c’est d’abord être au clair sur soi-même, sur sa relation à Dieu, à soi-même, aux autres. « Ce n’est que lorsqu’on accepte sa propre identité, en reconnaissant ses racines, que l’on peut entrer en dialogue. Et se mettre au clair sur ce que l’on recherche en Orient » (note 36).
Les autres religions nous obligent à réfléchir sur la raison d’être de notre propre religion : est-elle là pour elle-même, pour conquérir la planète ou pour témoigner de quelque chose ou de quelqu'un qui la dépasse et pour le service des autres sans

(36) Jean Vernette, Nouvelles spiritualités et nouvelles sagesses. Les voies de l’aventure spirituelle aujourd'hui, Bayard Editions-Centurion, Paris, 1999, p. 89.
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distinction de nation, de sexe, de classe ? Autrement dit : Pour témoigner de la bienveillance de Dieu pour tout être humain. Dans quelle mesure la vérité de ma religion m’aide-t-elle à voir clair en moi-même, et, par là à être clairvoyant sur les autres ? Double clairvoyance sans laquelle nous ne pouvons voir les autres dans la bienveillance de Dieu. Notre vérité aide-t-elle les autres ou non ?
            C’est pour cela que l’amour du prochain dans l’univers religieux fait la différence entre mondialisation et universalisme (il vaudrait même mieux parler d’univer­sa­li­té). Quelle est cette différence ? La mondialisation est l’extension, impérialiste en son essence, d’une puissance (serait-elle civilisatrice) et la totalisation (le ‘‘pan’’, pas le ‘‘holos’’), l’universalisme, lui, est le rayonnement de témoins qui ne cherchent et ne demandent rien pour eux-mêmes (témoins du Dieu qui fait lever le soleil sur les méchants et les bons, Mt 5/45).
            Un monde où la religion serait totalement unifiée ne vaudrait pas mieux qu’un monde déchiré par les conflits religieux. La persistance de la diversité des religions (et des options non religieuses) est un gage pour des religions vécues de l’intérieur. L’a­mour de notre prochain qui vit une autre religion ou qui vit sa religion autrement, peut nous conduire à un monde où les religions se parlent, se respectent et se visitent.
L’idéal serait la cohabitation de religions libérées de la crainte de leur disparition, délivrées de toute arrière-pensée de conquête, de reconquête, d’expansionnisme, libres de stratégies, de politique, de diplomatie, d’impérialisme ou d’isolationnisme culturel.
             Dans le contexte actuel de mondialisation du capitalisme (commandée par le profit, la forme la plus inégalitaire et inhumaine de mondialisation), alors qu’il n’existe pas d’État mondial en mesure de réguler le commerce, dans un futur prochain où la mondialisation va commander le monde, l’amour du prochain dans l’universalité pourrait être le facteur d’humanisation de l’avenir. Je sais que la science, elle aussi, vise à une totalisation, mais respecte-t-elle ses objets dans son approche objectivante et l’homme se respecte-t-il lui-même dans son activité scientifique ? La science fait beaucoup pour l’être humain, parfois aux dépens de la nature, mais elle est aussi, et même souvent, déshumanisante.
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           Pour Luther, la théologie de la croix était « Jésus Christ sous son contraire » (le Sauveur sous le maudit). Dans sa Dogmatique  de 1925, Paul Tillich considérait que la voie du salut inclut l’ébranlement de toutes les voies de salut y compris elle-même (note 37).
            Qu’est-ce qui vaut mieux pour les relations entre religions : le pluriconfes­sion­na­lisme ou la laïcité ? Je cite le Conseil œcuménique des Églises  « L’un des objectifs principaux du dialogue est la recherche commune d’un modèle viable de société de coopération, pour bâtir une communauté réellement humaine qui puisse garantir l’éga­li­té de tous, sauvegarder les libertés religieuses et les particularités » (note 38)

Conclusion

            La religion et les religions, y compris la chrétienne) sont de fortes épines de la couronne du Christ.
 Je serais assez d’accord pour dire que l’être humain est un être religieux, qu’il y a un a priori religieux (Ernst Troeltsch et consorts, repris par C-G. Jung), mais cela ne résout aucun problème, car les problèmes viennent de ce que ce religieux prend forme dans des religions historiques. 
En revanche, je ne fais pas mienne l’idée que toutes les religions tendent au même but par des chemins différents, car Dieu est tel qu’il est servi. Je dirais plutôt qu’il y a dans tout être humain une attente, une aspiration, que cette attente, cette aspiration, peut s’exprimer de plusieurs manières convergentes ou divergentes, que la réconciliation consiste à parler entre nous de ces convergences et de ces divergences.
          De qui et comment sommes-nous les témoins ? De la bienveillance de Dieu pour tous les êtres humains ou de quoi d’autre ? La théologie de la croix nous dit que pour désarmer les méfiances, il faut accepter de mourir à soi-même (c’est le risque de l’a­mour évoqué plus haut), d’entrer plus avant dans la suite de Jésus, mais aucun de nous ne fera ce que Jésus a fait.
Un amour généreux (puisqu’il fait droit à la religion de l’autre) et clairvoyant (car il n’oublie pas que le protagoniste de l’autre religion est aussi un être pécheur), un amour qui comporte l’effacement, le don de soi-même, conscient des risques, des écueils, du danger.

(37)  Robert Barron, dans Etudes sur la Dogmatique de 1925 de Paul Tillich, collectif sous la direction de Jean Richard, André Gounelle, Robert P. Scharlemann, Presses de l’Uni­ver­sité de Laval/Le Cerf, Québec/Paris, 1999, p. 183.
(38) Conférence de San Antonio (USA, 1989), citée par Jean Mouttapa,  Dieu et la révolution du dialogue, Albin Michel, p. 276. C’est moi qui souligne.

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            Qui peut entendre cela ? Il existe une voie, celle de l’amour du prochain lié à l’a­mour de Dieu, à l’amour pour Dieu, et à celui que nous nous portons à nous-mêmes, j’ai montré les risques, les écueils et le danger, je veux terminer en revenant à l’essentiel : la bienveillance de Dieu envers les êtres humains de quelque origine qu’ils soient, quelles que puissent être leurs faiblesses et même leurs fautes (qu’ils soient religieux ou antireligieux ), la Bonne nouvelle qui a empli le ciel de la Nativité « Paix sur la terre pour les êtres humains objet de la bienveillance (note 39) de Dieu ».
           Je n’ignore pas ce que ce mot passe-partout, ce terme générique, de « Dieu » peut avoir  d’équivoque, mais, pour le moment, c’est le mot disponible et le Nouveau Testament lui-même en use.


Jacques Gruber


(39) Voir Religions 1 : Qu’est et que n’est pas la bienveillance (d’une façon générale) ?

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Mars 2014


LA  COURONNE  D’ÉPINES

 

vérité, Églises, sciences, femmes, arts, religions, Auschwitz

                                                                                                                                           
                                                                                                                                          page 117

UNE PAROLE POUR AUSCHWITZ
la Choah
(en français, le son « ch » du « chin » hébraïque s’écrit ainsi)

      En visionnant le film de la Conférence de Wannsee (20 janvier 1942), j’ai entendu citer, parmi les participants, le nom d’un « Herr Martin Luther » et j’ai pensé : « Voilà où nous sommes tombés », nous fils de la Réformation, dans le pays de la Réformation, qui nous disons chrétiens. Je ne l’oublierai jamais, je ne cesserai de l’avoir présent à l’esprit et de me demander « comment », «  Comment cela a-t-il été possible ? ».
1
Essayons de voir comment la question se pose
La Choah, c’est l’anéantissement. Parler d’holocauste, de sacrifice intégral, dénote une lacune culturelle. Dès le premiers chapitres de la Bible juive, depuis l’épisode du mont Morija (Ge 22), les sacrifices humains sont exclus en Israël. Le sacrifice intégral d’un animal, à l’inverse des sacrifices qui ne concernent qu’une partie de la victime (le reste étant laissé à la consommation des prêtres ou de la famille qui offre le sacrifice) répond à des règles précises qui sont l’expression de la volonté explicite de Dieu. Le rite du sacrifice consiste à substituer un animal ou un produit de la terre aux êtres humains. Cette substitution établit une relation entre les êtres humains et Dieu, elle se comprend dans le cadre de l’Alliance, comme médiation ; l’idée d’un rejet est un contresens.

Une mémoire qu’il ne faudrait pas laisser s’effacer
La Choah est une plaie dans la mémoire européenne. Le fait que désormais les chrétiens ne pourront plus oublier le rôle (actif ou passif) qu’ils ont joué dans l’an­ti­sé­mitisme, qui a permis cette entreprise d’extermination, est comparable à l’échar­de dans la chair dont parle l’apôtre Paul.
« Parce que ces révélations étaient extraordinaires [ces extraordinaires applications des découvertes scientifiques, dirions-nous], pour m’éviter tout orgueil, il a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan chargé de me frapper, pour m’éviter tout orgueil. […] J’ai prié de Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : Ma grâce te suffit, ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. Ainsi, mettrai-je mon orgueil bien plutôt dans mes faiblesses afin que repose sur moi la puissance du Christ » (II Co 12/7-9).
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 Il y a là une parole sur l’Église que nous ne devons plus oublier, mais ce que je cherche, c’est encore autre chose : une parole évangélique sur Auschwitz.
Auschwitz (Auschwitz-Birkenau) est devenu synonyme de l’extermination programmée, légalisée. Ce nom renvoie à la volonté d’anéantissement du peuple Juif (la Choah proprement dite) mais englobe aussi les autres groupes humains voués à la disparition (Tsiganes, homosexuels, handicapés, communistes, résistants, chrétiens confessants, Témoins de Jéhovah). Il renvoie à la Mise en œuvre méthodique de l’anéantis­se­ment infligé arbitrairement à un peuple sans défense, qui ne demandait qu’à vivre en paix, confiant en son Dieu, à des gens persuadés que la loi avait pour but de soutenir et de protéger la vie des citoyens.
On pense à ‘‘l’abomination de la désolation’’ (Segond, 1910), ‘‘l’Odieux  Dévastateur’’ (TOB, 1988) dont parle Daniel (Da 9/27, 11/31, 12/11), que le Premier Livre des Maccabées assimile à la profanation du Temple par Antiochus Epiphane (I Ma, 1/546/7) et que les évangiles (Mc 13/14Mt 24/15) utilisent pour annoncer la grande tribulation de l’Église.
Et rien n’est moins vrai, d’ailleurs, que la Choah a eu, et garde, un effet dévastateur à la fois pour le peuple Juif et pour l’Église. On se prend à espérer que ce soit bien là la réalisation de la prophétie, de sorte que nous n’ayons plus à craindre rien de pareil. Mais nous sommes une espèce à la mémoire courte, tout reste à craindre aussi longtemps que la leçon n’aura pas été entendue et intériorisée par tout le monde.
 L’éradication d’un peuple au sein d’une nation a existé en France à plusieurs reprises : de fait au moment de la croisade contre les albigeois et, au moins dans l’in­ten­tion, lors de la Saint-Barthélémy (23-24 août 1572 à Paris, les jours et les mois suivants en province) et dans la révocation de l’Édit de Nantes (18 octobre 1685).
La Saint-Barthélémy a été plus qu’un simple pogrom. Elle a visé l’élimination des pro­testants du royaume, non par le fait du prince seulement, mais, bien plus, par l’effet d’une prédication populaire de la haine qui n’a pas laissé de traces écrites. Que ce massacre n’ait été qu’une maquette de la Choah, nous ne le devons qu’à l’épo­que et aux moyens réduits dont elle dis­po­sait. De même qu’il y a eu des Justes entre 1941 et 1944, rendons hommage, au passage, au chancelier Jeannin, d’Autun, qui, en 1572, a refusé d’appliquer les ordres royaux dans son ressort.
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Il est difficile d’imaginer que Louis XIV ait pu croire que l’Édit de Nantes était devenu sans objet du fait qu’il n’y avait plus de protestants en France, alors que l’a­miral Abraham Duquesne vivait encore à sa cour et qu’il recourait aux services de Samuel Bernard pour renflouer les caisses de son royaume. Il est plus psychologique de penser qu’il a voulu y croire dans l’idée que par un tel acte il pouvait obtenir l’absolution de ses péchés.
Le travail de mémoire est essentiel pour chaque peuple. Qu’il me soit permis de rapporter une parole entendue il y a quelque années, de la part d’une personne instruite exerçant une profession libérale : « Avant de connaître mon mari, j’é­tais persuadée qu’il n’y avait plus de protestants en France depuis la révocation de l’Édit de Nantes ». Sans sortir des frontières de notre hexagone, la République peut être fière de 1789, de l’ara­sement de la Bastille et de la nuit du 4 août, mais elle doit aussi faire mémoire de la Terreur et de ses victimes, quelles qu’elles aient été.

Les pistes bibliques
Aucune épreuve collective n’est jamais uniquement collective, elle est toujours aussi vécue personnellement par chacun. Il semble même que, dans la Tôrâh, ce soit d’abord au plan des détresses individuelles que le message se situe.

La Tôrâh : a/ première ligne : la conception d’un Dieu sur le modèle d’une ‘‘personne’’ (dont le nez s’en­flamme de colère, qui se repent…) –anthropomorphismes et anthropopathismes- apparaît dans les plus anciens textes. C’est le Dieu d’Ab­raham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu vivant, existentiel et, à vrai dire, hors concept, que Pascal opposera au Dieu des philosophes.
C’est le Dieu de la foi (qui donne une parole -une Bonne nouvelle- et qui tient sa parole en dépit de tout).  Le moment essentiel est celui de l’épreuve  d’Abraham. Epreu­ve non seulement parce qu’il lui est demandé de sacrifier son fils unique, mais parce que, avec cette exigence, le Dieu, qui avait fait de la naissance, quasi miraculeuse, de cet enfant la première réalisation de la promesse d’une bénédiction pour le genre humain tout entier, se déjuge. Abraham qui, en dépit de tout, n’a jamais cessé de croire que Dieu ne pouvait pas renier sa promesse, bien qu’il ne pût, jusqu’au dernier instant, imaginer comment cela tournerait, s’est rendu vainqueur de l’épreuve par la foi. Il est le père des croyants. C’est le sujet du texte qui ouvre le Avec crainte et tremblement de Kierkegaard (1843).
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b/ seconde ligne : à partir du moment où Israël est établi dans son pays, on rencontre la conception du Dieu national unique particulier à ce peuple (‘‘hénothéisme’’, distinct du monothéisme qui comporte l’idée que l’unicité de Dieu est universelle). C’est le Dieu qui loge dans le saint des saints du Temple, à Jérusalem, et dont les israélites pensent qu’il interviendra directement pour abattre les ennemis d’Israël qui sont ses ennemis particuliers.
Cette conception de Dieu se fonde sur  la sortie d’Égypte, c’est celle du Dieu sauveur (pour ceux qu’il a élus). Conception qui, selon Gerhard von Rad (note 40), précèderait celle d’un Dieu créateur universel. Elle est mise à l’épreuve par la prise de Jérusalem par les Babyloniens en 587 avant notre ère (Jérémie, présente le roi de Babylone comme l’instrument de la colère de Dieu, Jé 27/6, 43/10), la destruction de la ville et du Temple, la déportation de la population à Babylone). Les prophètes interprètent l’événement comme le juste châtiment des infidélités avérées du peuple et de ses responsables. Mais aucun châtiment n’est définitif, le pardon suit la faute, ce que confirmeront le retour et la reconstruction à l’époque perse (538 avant notre ère).

c/ troisième ligne : elle fait écho à l’expérience des misères qui atteignent le juste. C’est la figure de Job. Satan (contradicteur de Dieu et adversaire des hommes) apparaît ici. Comme pour Abraham, il s’agit d’une mise à l’épreuve : ‘‘Enlève à Job ses biens, sa santé, ses enfants et tu verras bien s’il ne te renie pas’’ (Jb 2/4-5). Contre ses amis qui interprètent les malheurs qui s’abattent sur lui comme une preuve des fautes cachées (il n’est pas juste, mais hypocrite, note 41), Job maintient que ce qui lui arrive est immérité et interpelle Dieu pour lui demander raison.  La réponse de Dieu est double : une créature peut-elle demander des comptes à Celui qui l’a créée ? Après que Job ait reconnu que cela lui ôtait toute répartie, nous assistons a une réhabilitation et une restauration du juste qui retrouve biens, santé, enfants dès cette vie. Thème repris par Kierkegaard avec l’idée de la répétition (ou ‘‘reprise’’) avec cette différence que, pour ce dernier, il peut bien s’agir d’une restauration posthume ou eschatologique.

(40) Théologie de l’Ancien Testament, (1957-1960) traduction française, 2 vol. (1963-1967) Genève, Labor et Fides.
(41) Cette interprétation devient scandaleuse quand on l’applique à la Choah. Le chef du parti Chass, en Israël, Ovadia Yossef a cependant  soutenu cette thèse (Le Monde, 8 et 9 août 2000).

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d/ quatrième ligne : si les Perses se sont montrés respectueux des lois, coutumes et religions des peuples conquis, la domination grecque (Séleucides) s’accompagne d’une hellénisation forcée. La révolte des frères surnommés ‘‘Maccabées’’, rend l’indé­pen­dance à un petit royaume Juif, mais la question se pose pour ceux qui ont donné leur vie pour la cause du Seigneur et de son peuple. C’est à cette question que répond la résurrection. Comme l’idée d’une récompense éternelle dans l’au-delà n’existe pas, et qu’il ne serait pas juste que les martyrs ne jouissent pas de la victoire à laquelle ils ont contribué, un moment viendra où ils reviendront à la vie sur cette terre.
L’échange entre Jésus et Marthe : « Ton frère ressuscitera » _ « Je sais, répondit-elle, qu’il ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour » (Jn 11/34-24) exprime la tradition des pharisiens et explique l’idée du Millénium dans l’Apocalypse (voir plus loin, p. 34).
Après la destruction du second Temple et l’érection de la Palestine en  colonie romaine (la Grande Diaspora), la destinée de la Tôrâh sera double : tradition juive, d’une part, Évangile et tradition chrétienne, d’autre part.
Je rappelle, pour mémoire la pensée exprimée dans le Livre d’Esther, situé à l’é­po­que perse : au Nom du Seigneur, Mardochée arrache à l’ennemi d’Israël le pouvoir de vie et mort qu’il prétend exercer sur ce  peuple, remettant, par là, à Israël, le sort des autres peuples (Est 3/7, note h de la TOB).

La tradition juive : il s’agit essentiellement du Talmoud, de la Qabbale, des traditions hassidiques. Le Talmoud organise la nouvelle condition d’Israël dispersé parmi les nations autour de la Tôrâh.
C’est le hassisdisme, né dans le monde askhénaze, périodiquement soumis à de cruelles persécutions, qui va chercher une nouvelle réponse à la question des tribulations des élus du Seigneur. Mais la Qabbale, qui se présente comme une métaphysique juive, va ouvrir la voie pour la recherche d’une interprétation spéculative des persécutions et, plus immédiatement, de ce qui en constitue pour ainsi dire le couronnement dans le registre de l’ignominie : Auschwitz.
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Hans Jonas et Emmanuel Levinas (note 42) estiment qu’après Auschwitz, les diverses réponses données dans la Tôrâh sont globalement caduques. Les humains ne peuvent plus rien attendre de Dieu et de sa Parole, c’est désormais à eux qu’incombe de sauver le monde en restituant l’image de Dieu. Il est vrai, d’une part, que l’ex­ter­mi­na­tion programmée et méthodique des Juifs pose un problème structurel alors que la Tôrâh se situe au plan individuel et que, d’autre part, la Choah atteint le peuple d’Israël au moins en deux points sensibles : le fait qu’ils ne sont pas un peuple comme les autres, mais le peuple de l’Alliance et que, dans leur mentalité, les bienfaits de Dieu sont d’abord, ou avant tout, des réalités historiques.
Hans Jonas n’ignore pas qu’il s’éloigne de la tradition juive lorsqu’il pose que Dieu souffre dès le premier moment où il crée quelque chose hors de lui, qu’il devient progressivement autre au fur et à mesure que le monde se développe, qu’il est en constant souci des risques courus par lui du fait de l’indépendance du monde remis à l’être humain (pp. 22-27), qu’il a renoncé à tout interventionnisme (il est bon et intelligible, mais pas tout puissant) (pp. 27-39).
Il cherche une explication dans la ligne spéculative du Cimçoum (Zimzoum ou Tsim­tsoum, selon les transcriptions) de la Qabbale d’Isaac Louria (askhénaze vivant en Égypte, 1534-1572),  mais aussi, secondairement, dans la tradition hassidique des trente-six justes.
La doctrine du Cimçoum a une grande portée spéculative La Divinité (non plus l’Éternel, mais l’InfiniEnSoph) se retire afin qu’une création puisse trouver place. A l’origine, le monde (HroLaM, le siècle, espace et temps) est une ensemble vide et plus la création avance (quand cet ensemble se meuble), plus Dieu se retire sur lui-même. Ce retrait lui fait courir un risque majeur avec la création de l’être humain (une créature qui a les traits d’un partenaire). Désormais, non seulement Dieu s’est privé de toute possibilité d’intervention dans le monde, mais ne peut attendre son image que du comportement de l’être humain. Il a besoin des hommes (désormais indépendants) pour être lui-même dans la création qu’il a produite. C’est désormais aux humains de rendre à Dieu quelque chose de digne de Lui.

(42) Hans Jonas, Le Concept de Dieu après AuschwitzUne voix juive, suivi d’un essai de Catherine Chalier, Rivages poche/Petite bibliothèque, 1994, traduction  française (Philippe Ivernel) de Der Gottesbegriff nach Auschwitz. Eine jüdische Stimme, Suhrkamp, Verlag, Francfort-sur-le Main, 1984, pp. 6-39. Emmanuel Levinas, conférence donnée à la Société académique vaudoise de théologie, saison 1986-1987, compte-rendu de Marie Hélène Brack, Gazette de Lausanne  du 2/2/87.

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Révolution copernicienne à l’envers : au lieu que ce soit l’être humain qui tourne autour de Dieu, c’est Dieu qui tourne autour de sa créature. Toute conceptualisation de Dieu s’avère être une tentative de possession de Dieu et engendre des faux problèmes en cascade. La liberté humaine (ne conviendrait-il pas de parler plutôt d’autonomie ?) présentée par Hans Jonas comme le risque majeur couru par Dieu ne serait-elle pas, en fait, le risque fondamental de l’humanité ? La transcendance biblique n’exige pas le sacrifice de notre intelligence, mais que celle-ci devienne capable de se saisir comme posée (une créature douée de créativité) et non plus comme posante (au sens biblique de créatrice).
Il faut préciser que Hans Jonas ne parle d’autolimitation de Dieu qu’en ce qui concerne le domaine des lois de la nature (p. 35). Malgré la Choah, il pense que le cri des martyrs du peuple juif n’a pas été sans réponse et en trouve le principe dans la légende hassidique du mystère des trente-six justes inconnus. A chaque époque, les trente-six justes inconnus du public et qui ne peuvent être éliminés, rendent à Dieu l’i­ma­ge qui lui revient et, du même coup, effectuent une sorte de rachat du reste de l’hu­manité ( p. 21).
D’autre part, il ne s’oriente pas vers la résurrection, mais vers une conception de l’immortalité. En créant l’être humain à son image, Dieu a tout donné à cette créature. Dès lors, l’image de Dieu est entre les mains des êtres humains, à eux  de la lui restituer, telle pourrait être la voie de l’immortalité (note 4).
L’étude de la Tôrâh, contestant l’arrogance de la rationalité enfermée dans un horizon étroitement humain, reste, en la situation, une ressource providentielle. Hans Jonas insiste pour qu’on ne comprenne pas sa pensée d’un Dieu qui s’est volontairement rendu impuissant comme un aveu d’athéisme. C’est, pour lui, non seulement un concept de Dieu à toute épreuve, mais encore un concept non dénué d’espérance. Nous retrouvons cette pensée chez les théologiens du « Dieu démuni» (traduction de « Ohnmacht Gottes »), dans la ligne de Dietrich Bonhöffer.

La tradition chrétienne : l’Église des trois premiers siècles, en rupture avec le judaïsme, fait au moins deux choix importants : a/ comme Hans Jonas le note lui-même, à la différence du Judaïsme, elle voit en Satan le prince de ce monde et conçoit le salut comme largement réservé pour l’au-delà  (p. 13); 
(4) Hans Jonas:  Le Concept de Dieu après Auschwitz , (référence ci-dessus) Catherine Chalier, pp. 65-66.

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b/  elle pouvait s’engager du côté des religions orientales ou du côté de la pensée grecque. La première option sera celle des  mouvements gnostiques alors que les Pères et les premiers conciles font l’autre choix. C’est cet engagement qui va conduire la théologie dans la voie qui assimile Dieu à l’Etre, dans une pensée substantialiste où Dieu fait figure d’un donné universel, sinon évident du moins prouvable.
Au cours de l’histoire, deux grandes lignes vont s’affirmer : la théologie de la gloire, puis la théologie de la croix.

a/ théologie de la gloire : A partir du moment où le christianisme est devenu religion d’État pour l’empire romain (Constantin, Théodose, IVe s.) l’Église s’engage dans une théologie de la gloire ou de la bonne conscience, qui passe un compromis avec le pouvoir politique et avec la religion populaire, sacralise la séparation entre clercs et laïcs, se dote d’un gouvernement centralisé hiérarchique, prône un idéal moral ascétique et, tendant vers l’identification de la toute puissance de Dieu avec sa propre puissance, présente ses succès comme des preuves de sa vérité. La théologie et le rite orientaux sont particulièrement marqués par ce qu’ils appellent la ‘‘spiritualité de la gloire’’. La notion de chrétienté, qui prend pour modèle la théocratie juive et culminera avec le Moyen âge féodal, en est l’épanouissement, mais on peut aussi ranger sous cette rubrique toute théologie apologétique (dont les théodicées).

b/ théologie de la croix : expression de Luther qui veut dégager la théologie de la philosophie, la piété de la bonne conscience, l’éthique de l’ascèse et l’Église de la collusion avec le pouvoir politique et qui réussira au moins sur les trois premiers points de ce programme (il faut distinguer la pensée prophétique de Luther –le luthérianisme- de celle, ecclésiale, de Melanchthon dont est issu le Luthertum, le luthéranisme). Sa théologie est existentielle et recourt au paradoxe pour s’exprimer : Dieu en soi (créateur tout puissant) en même temps que sous son contraire (traité en maudit sur la croix), le chrétien toujours en même temps juste et pécheur. Cette théologie veut exprimer la Bonne nouvelle de l’Évangile : Dieu, qui s’est situé lui-même dans l’écart absolu qui nous sépare de lui, a accepté l’abandon de toute puissance, le message biblique évangélique est celui du salut par pure grâce, par le moyen de la foi.
Contrairement à ce que pense Hans Jonas, la théologie de la croix ne conçoit pas la croix comme un événement historique ponctuel, mais comme une réalité récurrente du vécu du croyant chrétien.
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Ces deux théologies n’ont pas été contestées, grosso modo jusqu’à la fin du XIXe siècle (qui peut être repoussée jusqu’en 1913) et restent en vigueur, aujourd'hui encore, pour nombre d’esprits dans le christianisme et hors de lui. Au cours du XXe siècle, sous la pression de la pensée et de l’action des humanismes athées, face aux transformations apportées par les théories scientifiques et leurs applications, découvrant les horreurs industrialisées du siècle et la fascination que leurs protagonistes ont pu exercer non seulement sur les chrétiens, mais sur les élites intellectuelles, sociales et politiques, prenant acte enfin de l’évolution vers une économie planétaire, toute une mouvance chrétienne s’est remise en cause et a entrepris des révisions déchirantes.

c/ le concept traditionnel de Dieu en question :  mort de Dieu, Dieu démuni, Dieu pervers.
Spinoza et Kant sont les premiers à mettre en question le concept de Dieu de façon significative. Le premier, en posant l’audacieuse égalité : « Dieu ou la Nature » (na­tu­­re naturante, il est vrais’opposant à la  nature naturée). Le second en invalidant les voies d’accès à l’existence de Dieu que Thomas d'Aquin avait établies.
Hegel, sécularise l’économie théologique chrétienne (création, incarnation, royau­me de Dieu), et annonce un Vendredi saint spéculatif. L’Esprit sort de sa fermeture, s’aliène dans le monde dont il traverse toute l’é­ten­due et l’histoire, puis rentre chez soi, enrichi de tout ce qu’il a traversé, portant ainsi le monde et son histoire à leur achèvement (l’universel concret).
Nietzsche reprend l’idée au plan existentiel : la vérité est que Dieu est mort parce que nous l’avons tué. L’être humain ne peut assumer cette situation que comme surhomme, au mépris de la médiocrité sous tous ses aspects.
La théologie barthienne répond à la mort de Dieu en même temps qu’à l’athé­isme marxiste par une théologie qui se veut strictement fondée sur des notions de théologie biblique. Le Dieu qui est mort est celui d’une époque, pas celui de la foi. La foi biblique, en rupture avec les religions, les philosophies et les idéologies, connaît le Tout Autre que nous ne posons jamais, mais qui nous pose dans un acte rédempteur gratuit.
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Dietrich Bonhöffer critique le positivisme barthien de la révélation qui provoque un retour d’or­tho­doxie intransigeante, il dénonce ‘‘la grâce à bon marché qui écoeure  le monde’’ et développe une éthique chrétienne de la communauté non pas des derniers temps, mais dans la tension des temps avant-derniers. Sa dernière théologie, conçue dans les geôles nazies avant son exécution, se fait l’écho de l’im­puissance de Dieu. Ce qu’il appelle le ‘‘Dieu démuni’’ est une référence directe à la croix et au Dieu qui se fait faible parmi les faillibles, non pour s’imposer lui-même, mais afin de les sauver. Cette dernière théologie évoque un Dieu qui réalise son œuvre de rédemption à partir de tout ce qu’il y a de positif et non de négatif (lacunes ou échecs) dans l’être humain et dans l’hu­ma­nité, faisant appel à des croyants adultes et matures.
Paul Tillich, émigré aux USA pour fuir le régime hitlérien, attentif à la psychologie des profondeurs, développe une théologie de l’accueil inconditionnel de l’être humain par Dieu (le salut par pure grâce de Luther), qui est une protestation contre ce que l’on appelle le Dieu pervers du théisme classique (vous êtes libres de faire ce que vous voulez, mais si vous ne faites pas ce que je vous commande, vous mourrez).
Le théologien protestant allemand Jürgen Moltmann retrouve la pertinence de la théologie de la croix. Après les camps de la mort, nous ne pouvons plus concevoir Dieu comme par le passé, immuable et impassible. La ligne principale de son livre Le Dieu Crucifié (1972), fait de la Croix la révélation d’un Dieu qui souffre avec ceux qui souffrent.
La théologie américaine du Process conçoit un dynamisme créateur de Dieu qui traverse le déjà-là de ce monde, lui injectant constamment des possibilités nouvelles de développement heureux et corrigeant les déviations. Il serait intéressant d’examiner s’il existe une convergence entre ces injections de possibilités nouvelles et les énergies incréées de la théologie orthodoxe.

d/ les théologies de la libération : les théologies de la libération (du côté catholique) et les théologies féministes, noires, celle du minjung en extrême Orient, voire les théologies marxistes (du côté protestant), tout comme la réflexion sur Auschwitz, rompent avec une tradition théologique chrétienne essentiellement axée sur l’individu pour tenir compte de la perversité des systèmes et des structures (dont il ne faut jamais oublier qu’ils et elles sont des fruits de l’invention humaine). Elles remettent à l’honneur les thèmes libérateurs de l’Exode, de l’Exil, de la déconstruction. Dieu est à l’image des opprimés : féminin, noir, révolutionnaire (qui ne deviennent pas oppresseurs à leur tour, préoccupation plus typique des théologien-ne-s d’Asie).
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La théologie chrétienne cherche à se dégager de la conception miraculeuse du Deus ex machina et reconnaît qu’on ne peut parler d’espérance sans que, d’abord, chacun puisse avoir un avenir où qu’il soit né et quel(le) qu’il soit né. 
Il reste que deux conceptions différentes sont en compétition : la stratégie catholique de l’inculturation qui est la traduction de sa théologie de l’Incarnation prolongée et la théologie protestante de la solidarité prophétique. Pour celle-ci, la parole de Dieu que la prédication a pour charge de mettre en phase avec les diverses situations humaines, éveille les consciences tant des opprimés que des oppresseurs, pour qu’une justice sans vengeance avance dans ce monde (ligne que la République d’Afrique du Sud a cherché à suivre), tout en sachant qu’elle ne pourra jamais être définitivement acquise.
Dans les lignes qui précèdent, nous avons cherché à définir le cadre de pensée dans lequel la question d’une Parole au sujet de la Choah se pose pour des chrétiens, le mois prochain, nous essayerons d’envisager (regarder en face) si et comment nous pourrions écouter une parole évangélique sur Auschwitz.

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Avril 2014


LA  COURONNE  D’ÉPINES

 

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UNE PAROLE POUR AUSCHWITZ
la Choah (suite)
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Chercher une parole évangélique sur Auschwitz

Concernant Auschwitz et la Choah en général, la question qui se pose pour moi est : « Dans le silence qu’imposent les sinistres restes d’Auschwitz-Birkenau, y a-t-il quand même une parole que nous puissions recevoir, une parole qui ne donne pas  une victoire posthume à Hitler ? ». Pareille parole ne peut être une parole de déploration ou de regret, une parole de revanche ou de désespoir, mais une parole de foi. Je demande cette parole à l’Évangile, mais, avant cela, je me dois de finir mon enquête théologique.

Au niveau du concept théologique de Dieu : Les traditions envisagées jusqu’ici (voir le blog de mars 2014) posent le problème au niveau du concept théologique de Dieu. La réponse obtenue gravite autour de l’idée que Dieu est devenu dépendant de sa propre œuvre, en particulier de sa créature humaine, ou de l’idée qu’il s’agit d’un Dieu qui se révèle en Jésus Christ, soit comme un Dieu démuni, soit comme un Dieu qui souffre avec ceux qui souffrent.
La toute-puissance de Dieu est mise en question sans aucune réflexion préalable sur la différence entre puissance et pouvoir. Le terme d’omnipotent est discutable, le Dieu tout-puissant n’est-il pas aussi éloigné du Dieu impuissant (impotent ?) que du Dieu superpuissant (superpotent ?). Tout-puissant signifie-t-il le pouvoir arbitraire, despotique, d’un Dieu policier ou casseur ou indique-t-il un Dieu souverain, pleinement maître de soi, qui met sa puissance au service d’une limitation (partielle voire complète) de son pouvoir ? Dans la ligne de la théologie spéculative, Dieu n’est pas non-puissant quand il fait une place à sa création, à la liberté humaine, au contraire, il est tout-puissant, car il a la pleine possibilité d’être pleinement lui-même dans l’acte où il se limite, où il se domine, où il se retient, où il a une conduite objective, où il respecte ce qui est son œuvre.
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L’Évangile contient même des textes qui montrent comment Dieu se domine, dans et par un dialogue intérieur où l’Esprit établit le lien de la charité entre le Père et son Fils : « Maître, laisse encore ce figuier cette année, le temps que je bêche tout autour et que je mette du fumier, peut être, à l’avenir, donnera-t-il du fruit » (Lc 13/8-9). Parabole de l’intercession permanente du Christ ressuscité auprès du Père.
Il est vrai que l’on ne peut pas appliquer à des situations politiques le Dieu dégagé par la réflexion de Kierkegaard, dans Avec crainte et tremblement. Mais l’idée d’une mise à l’épreuve est toujours valable au plan individuel en ce sens que c’est toujours sur ce plan que le mal est véritablement vaincu. Jésus est bien mort sur la croix, ce n’est pas un simulacre, mais en prononçant le « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné » du Psaume 22, il prononce une parole de croyant. Il est la parole de Dieu, la parole de foi faite corps, âme et esprit dans la souffrance et la déréliction.
Dire que Dieu est non tout-puissant, dire qu’il souffre avec ceux qui souffrent peut être une manière d’éviter le scandale de la Croix. Car, plus encore que sa puissance, c’est la fidélité de Dieu qui est en jeu. La réponse de la foi est que cette fidélité se vérifiera dans et par la résurrection. Dieu juste et fidèle en dépit de tout. En dépit des systèmes et des structures qui, même si des protagonistes les appliquent en connaissance de cause, ne savent pas ce qu’ils font.
Les systèmes et les structures sont conçus et mis en œuvre par des êtres humains, leurs implications destructrices ne sont pas corrigées par le jeu automatique de structures ou de systèmes compensateurs, mais, de nouveau, par des êtres humains. Dans le moyen et le long terme, qui sont la mesure des réalités humaines sociales, la fidélité de Dieu, le fait que sa création est ‘‘bonne’’, se vérifie lorsque toute struc­ture et tout système dégageant des conséquences mauvaises sont, à un moment donné, renversés et remplacés. Ce que le philosophe marxiste Ersnt Bloch (1885-1977) avait appelé ‘‘le principe espérance’’.
Il est possible de tirer déjà de là une parole chrétienne sur Auschwitz. Pour cela, je pars de la résurrection, qui fait partie de la tradition juive tout autant que le Cim­­çoum. Les martyrs juifs askhénases n’ont pas été anéantis, la vie éternelle leur est acquise. La mémoire qu’en fait le peuple Juif peut se nourrir de l’espérance de la résurrection. Ils ne sont pas morts pour rien, du moment que les chrétiens ne se contentent pas de quelques actes officiels de repentance et, surtout, ne se réfugient pas dans l’assez misérable distinguo entre l’Église, dont la sainteté est, par principe, hors de cause, et les fautes commises par certains de ses fils ou de ses filles.
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Auschwitz ne doit pas avoir pour conséquence que les chrétiens ou les alle­mands, se sentent annihilés. Ce serait encore une fois le triomphe posthume de l’hitlérisme. L’après-Aus­chwitz com­porte aussi une chance de réformation. Si, durablement et à la base, nous trouvons la force de confesser notre antisémitisme et les autres péchés historiques individuels et col­lectifs qui nous concernent, si renonçant à toute forme de théologie de la substitution (l’Église a pris la place d’Israël) nous adoptons une théologie de la reconnaissance, nous ouvrirons alors un temps nouveau pour une présence au monde de l’Église plus proprement évangélique.
Pour des incroyants, il est facile de trouver dans Auschwitz la preuve de l’in­ex­is­tence de toute Divinité. Cela devrait logiquement conduire à reconnaître l’existence d’une face obscure et inquiétante de l’être humain dès lors qu’il est laissé entièrement à lui-même, avec sa raison et sa créativité, mais aussi avec ses passions et ses démons (note 44).
A l’origine des malheurs d’Israël, il y a la Grande Dispersion de 135, qui est le fait de la puissance romaine païenne et, dans la coupure entre la Synagogue et l’Église, qui s’accomplit au 1er siècle, l’exclusion des chrétiens d’origine juive (judéochrétiens) de la communauté synagogale a joué un rôle déterminant.
Les chrétiens ont leur part dans l’antisémitisme. L’histoire n’a cependant pas retenu que les traités antisémites de Luther vieillissant aient produit, à l’époque, des pogroms de Juifs dans les pays allemands (certaines villes, comme Strasbourg, les ont refusés). Ces libelles ne sont vraiment sortis des archives qu’à partir du moment où la propagande de Goebbels les a utilisés pour instrumenter les chrétiens évangéliques du Reich.
Depuis le XVIème siècle, les Juifs ont vécu en paix, aux Pays-Bas, en Grande Bretagne, en Suisse, dans les pays scandinaves et baltes, dans les deux Amériques, en Italie, en Espagne, en France et même dans l’Allemagne wilhelmienne. Ils ont souvent prospéré dans ces pays et les ont enrichis en de nombreux domaines.
S’il y a eu un enseignement du mépris, il a aussi existé un enseignement du respect et même de l’estime, s’il y a eu une théologie de la substitution (l’Église a pris la place d’Israël), la tradition exégétique a toujours fait la différence entre accomplissement et abolition, nourrissant une pensée (théologique et philosophique) totalement étrangère à toute ‘‘table rase’’.
(44) Ressenti et exprimé par Peter Sloterdijk, L’heure du crime et le temps de l’œuvre d’art, Calmann-Lévy, Paris, 2000, « Les temps modernes sont l’ère du monstrueux créé par l’homme », pp. 9-12. L’auteur joue sur le double sens de ungeheuer qui signifie ‘‘monstrueux’’, mais aussi ‘‘sublime’’. Cela fait penser à Thomas de Quincey : L’Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts (1827).
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L’influence du calvinisme est pour quelque chose dans le respect des Juifs. Pour Calvin, la Tôrâh conserve une fonction spirituelle positive pour le chrétien. Elle ne sert pas seulement à mettre en évidence notre incapacité à nous sauver nous-mêmes et elle ne procure pas le salut, mais elle est un don de Dieu, une source de bienfaits. Il existe ainsi un amour récurrent de la Tôrâh.
La Tôrâh et, avec elle, le peuple Juif, trouvaient ainsi une reconnaissance permanente dans une aire de la chrétienté (note 45). L’accusation de judaïser n’a pas man­qué à l’en­droit des réformés. Je sais par expérience que le port traditionnel de prénoms tirés de la Tôrâh suffisait encore, dans les années 1941-1944, pour cons­­tituer un soupçon de juiverie de la part de la paranoïa du Commissariat aux affaires juives.
Il ne me paraît pas non plus historiquement exact de pratiquer l’amalgame qui consiste à considérer les hitlériens comme des chrétiens. Nul n’est chrétien que par une adhésion personnelle. Si des européens ont fait (ou font aujourd'hui même) le choix d’un retour à leur racines tribales ou au paganisme universel, s’ils ont adopté telle ou telle religion historique, telle ou telle forme d’a­thé­isme, qui ne présente pas la garantie d’être humaniste, on ne peut les identifier à l’Église de Jésus Christ et ils le refusent d’ailleurs. Jérusalem, elle-même, a reconnu qu’il y avait eu des Justes parmi les chrétiens au moment de la Choah.
Il convient de garder un jugement serein malgré tout, de ne pas envelopper tous les chrétiens dans la même réprobation, de ne pas diaboliser deux mille ans de chrétienté (note 46). Même si l’on peut attribuer les cruautés du XXe siècle à un défoulement provoqué par les frustrations et amputations consécutifs d’un ascétisme et d’un puritanisme négateurs de l’hu­main qui culminent au XIXe siècle, jusque dans les milieux laïques (note 47).
(45) Le fait est souligné par Denis Müller, Encyclopédie du Protestantisme, Labor et Fides-Le Cerf, Genève-Paris, 1995, pp. 799 A, 802 A-803 A et par Irving Greenberg, dans La Nuée et le feu. Judaïsme, christianisme et modernité après l’Holocauste, Le Cerf, Paris, 2000.
(46) Dans son livre, Job : réponse à Jung, Paris, Le Cerf, Paris, 1991, Mme Eliane Amado Lévy-Valensi, psychanalyste, soutient la thèse que Jésus, par sa façon d’accepter sa mort (ou de faire l’abandon de sa vie) a succombé à ses propres instincts de mort, faisant ainsi  le jeu de Satan, d’où les deux mille ans qui ont suivi.
(47) Remarque de Michel Thérond, Les deux visages de Dieu. Une lecture agnostique du Credo, Albin Michel, Paris, 2001, p. 222.
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Il est équitable de concéder qu’en Europe, aux XIXe et XXe siècle, des idéologies antireligieuses et antichrétiennes dans leur essence se sont manifestées.
Si les Églises prêtent flanc à la critique juive globalisante, c’est du fait du taux élevé de non-pratiquants qui caractérise les Églises dites multitudinistes. En réalité, il s’agit d’in­dif­férents, qui, sans rompre leurs liens avec leur Église, peuvent avoir mis, parallèlement, leur confiance en des idéologies ou des religions dont ils n’auraient pas compris leur degré d’incompatibilité avec le christianisme.

Sur le plan de la théologie biblique : Il revient aux seuls Juifs de formuler les questions que leur pose Auschwitz et d’y apporter leurs réponses, mais les chrétiens sont tenus de se poser la question  : Avons-nous une parole évangélique sur Auschwitz ?  Plusieurs pistes s’ouvrent à nous. Je pense à Romains 8/31-39, à la parabole de l’i­vraie (Mat 13/24-30 et 36-43, au millénium (Apo 20) et au katékhôn (II The 2/6).
1- L’après-Auschwitz exige une nouvelle inspiration, un développement nouveau de la spiritualité. Nos amis Juifs cherchent dans les voies qui leur sont propres, L’Évangile  apporte la réponse de la croix.
A ce sujet, il faut dire deux choses au moins : a/ que c’est Jésus, seul, qui, dans sa personne, accomplit la prophétie d’Ésaïe 53, alors que, pendant des siècles, une théologie chrétienne non unique, mais dominante, a tendanciellement identifié l’Église au Christ de sorte que ce qui était l’ac­complissement en Christ est devenu la substitution par et dans l’Église ; b/ que la théologie de la croix n’est pas de l’ordre des spiritualités de la pieta, du crucifix, du sang de Christ, de Jésus en agonie jusqu’à la fin du monde (Pascal, Dorothée Sölle). Pour donner l’idée de l’apport de la théologie de la croix face à la Choah, je donne la parole à l’a­pôtre Paul :
« Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous, comment, avec son Fils, ne nous donnerait-il pas tout ? Qui accusera les élus de Dieu ? Dieu justifie ! Qui condamnera ? Jésus Christ est mort, bien plus, il est ressuscité, lui qui est à la droite de Dieu et qui intercède pour nous ! Qui nous séparera de l’amour du Christ [de l’amour de Dieu dont nous avons été aimés en Jésus Christ et par lui] ? La détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ? Selon qu’il est écrit : ‘‘A cause de toi nous sommes mis à mort tout le long du jour, nous avons été considérés comme des bêtes de boucherie’’ [Ps 44/23]. Mais en tout cela nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés ; Oui, j’en ai l’assurance : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les
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dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissance, ni les forces hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 8/31-39).
Depuis que Dieu, lui-même, s’est fait malédiction pour nous sur la croix (Ga 3/13 ), le supplice, l’extermination, ne sauraient nous séparer de lui, mais, au contraire, ne pourront que nous rapprocher davantage de lui.
Dans le IVème Évangile  (épisode de la guérison de l’aveugle de naissance, Jn 9/1-7), Jésus, prend position contre toute idée que les descendants supportent les fautes de leurs parents. C’est la ligne d’Ézéchiel 18/1-4.
2- Mais l'Évangile apporte une autre indication propre à renouveler la problé­ma­tique vue jusqu’ici, elle se trouve dans la parabole de l’ivraie (Mat 13/24-30 et 36-43).
L’ab­sence ou l’impuissance présumées de Dieu sont expliquées ici de la façon suivante : si Dieu intervenait directement, cela ferait plus de dégâts encore. Son intervention s’est concentrée dans la croix où il a pris la place des maudits, mais aussi  des victimes innocentes. Faire justice entre les humains est une œuvre du Dernier Jour. La vérité de la chose est encore plus frappante lorsqu’on transpose la parabole du plan du monde au plan de l’individu : nous sommes mêlés de bien et de mal, vouloir extirper le mal conduirait au pire : nous tuer.
La parabole permet d’aller plus loin encore. Auschwitz illustre la situation où des êtres humains sans Dieu ni maître qui, s’estimant maîtres de l’histoire, se comportent comme ils imaginent Dieu et sa seigneurie. Ceux qui s’idolâtrent eux-mêmes pensent sans doute que les croyants monothéistes se font des idées sur Dieu, alors que ceux-ci sont à son écoute.  Ils vont ainsi se faire une idée d’eux-mêmes, comme dieux, qui sera conforme aux pensées émanant de leur propre fond. Ils trouveront tout naturel de réaliser leur idéologie et leurs fantasmes (un Empire de Mille ans, des lendemains qui chantent) en procédant à l’extermination de leurs adversaires avoués ou putatifs.
Ce faisant, il se peut qu’ils arrachent effectivement quelques mauvaises herbes, mais, en même temps, et en bien plus grand nombre, ils déracinent et détruisent de belles plantes pleines d’avenir. Pire, ils mobilisent l’ivraie pour étouffer le bon grain.
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La parabole comporte un rappel de quelques éléments permanents de la révélation biblique : l’ennemi, la nuit. En dernière analyse, Auschwitz, où Dieu fait problème, défie toute intelligibilité spirituelle. Nous somme renvoyés au chaos. Dans la tradition biblique (que Hans Jonas écarte assez vite au profit de la métaphysique de la Qabbale), le texte de la tentation et de la chute (Ge 3) évoque un événement fondamental (originel) que même le mythe qui le décrit montre inexplicable (d’où vient le serpent ?). Com­me Job, nous pouvons demander à Dieu : Pourquoi des justes et des gens pas moins justes que tous les autres ont-ils péri dans les usines de déshumanisation qu’étaient Auschwitz et tous les autres camps nazis ou staliniens ? Le mal, c’est le non sens.
Dans un monde où l’ivraie se mêle au bon grain jusqu’au cœur de chacun de nous, dans l’attente de la moisson où le tri pourra se faire sans dommages collatéraux irrémédiables, Dieu ne reste pas inactif, mais il a choisi d’agir autrement que nous ne l’imaginons : en prenant lui-même la place des pécheurs, concentrant sur lui la foudre du destin, et, du coup, le faisant céder. Cela nous ramène à Romains 8.
Le message de la parabole de l’ivraie concerne aussi le concept de Dieu. La question est de savoir qui est premier : la parole ou le concept ? Dieu n’exige pas de nous le sacrifice de notre intelligence, mais il ne peut jamais non plus être objet. Tout va dépendre de l’attitude que nous adopterons vis-à-vis des écrits bibliques : sera-ce l’é­coute d’une parole ou la lecture d’un texte ?
3- Avec la résurrection nous passons du concept de Dieu à la théologie biblique. Bibliquement, la résurrection est liée à la mort du juste par persécution. Le thème de la résurrection des martyrs fait surface dans le contexte de la guerre des Maccabées (II Mac 7/9,23). Elle appartient donc au moins autant à la tradition juive (pharisienne) que le Cimçoum de la Qabbale.
C’est, me semble-t-il, l’explication du millénium d’Apocalypse 20. Une période de mille ans, pendant laquelle Satan sera enchaîné, doit permettre aux témoins fidèles qui, à cause de leur foi, ont été privés d’une pleine vie humaine, d’avoir, à la suite d’une résurrection à terme, leur pleine part d’une telle vie. Ceci nous montre combien la vie terrestre est loin d’être dépréciée, mais ne peut se concevoir que dans une spiritualité qui place ce que l'Évangile  appelle ‘‘la vie éternelle’’, suite à une résurrection dernière, au dessus de toutes les réalisations terrestres de vie humaine.
Châtiment des infidélités de l’individu ou du peuple (qui aime bien châtie bien), épreuve du juste ou de l’élu, les enfants qui expient les fautes de leurs parents, nul ne sera puni que pour ses fautes personnelles, le martyr récompensé par la résurrection : la Tôrâh offre une série de réponses. Je remarque que le contexte dans lequel émergent ces diverses réponses, même s’il correspond à des personnes et des situations concrètes différentes, est toujours assez semblable. Il s’agit soit de l’oppres­sion par une puissance étrangère, soit des maladies ou de la persécution des individus.
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Il y a une évolution et une progression dans la spiritualité, la contextualité restant sensiblement homogène, ce qui nous fait toucher au phénomène que la théologie classique appelle l’inspiration : l’œuvre du Saint Esprit. Or, en ce qui concerne la Choah, le contexte a profondément changé. Nous sommes en présence d’une idéologie traduite dans les lois d’un d’État, exécutée méthodiquement, avec les moyens techniques de l’ère industrielle.
4- L’Évangile ouvre une dernière piste qui se situe à ce niveau. Deux des derniers en date des écrits chrétiens de la Bible se font l’écho des questions que les premières communautés chrétiennes ont commencé à se poser lorsque la fin du monde qu’elles s’ima­gi­naient imminente, s’est éloignée. Le retardement de la Parousie (du retour en gloire de Jésus Christ) reçoit deux explications différentes.
Dans la Seconde Épître de Pierre (II Pie 3/1-13, spécialement les vv. 8-9), que l’on situe vers l’an 125, ce retard est expliqué par le fait que pour le Seigneur mille ans sont comme un jour et un jour comme mille ans, il n’y a pas de retard, mais une disposition de la patience de Dieu qui désire que tous puissent parvenir au salut.
Dans II Thessaliniciens 2/1-12 (en particulier les vv. 6-7), que l’on date soit entre 70 et 80, soit entre 80 et 100, nous trouvons un argument qui se situe dans la ligne du discours apocalyptique de Matthieu 24/15-25 (comparer Mt 24/24 et II The 2/9-10). La fin du monde et l’avènement du Fils de l’homme seront précédés d’une apostasie générale suite à la manifestation de l’Homme de l’impié­té, du Fils de la perdition ou de l’Impie, toutefois, jusqu'à présent un ‘‘empêchement’’ (un katéchôn2/6) ou un ‘‘empêcheur’’ (katéchôn, 2/7) retient cette échéance.
Concernant l’Impie, qui prend la place de Dieu, nous retrouvons ce qui vient d’être dit à propos de la parabole de l’ivraie : ce titre peut s’appliquer à ces hommes, servis par une idéologie et un système qui les rendent maîtres du monde et se comportent non selon l’intuition biblique du Seigneur ou du Christ, mais en fonction d’un fantasme humain de Dieu ou du Messie ainsi que de leur seigneurie.
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Il n’est pas interdit de penser que Nietzsche en a développé l’intuition à travers l’an­nonce de l’avène­ment du Surhomme, mais peut-on le tenir pour responsable de la Choah, même de façon indirecte, alors qu’il a parlé, par ailleurs, de façon positive du rôle que les Juifs pourraient jouer dans le dénouement de la crise traversée par l’Occident (note 48). Il  a conceptualisé de manière lyrique la face obscure de l’histoire occidentale. Peut-on l’accuser d’avoir paganisé l’Europe parce que, non moins que Freud, bien que dans un domaine différent, il a renoué avec la vérité universelle (cathartique) des mythes et légendes grecs ? L’apothéose des héros germaniques est wagnérienne.
La Choah apparaît comme le dernier fruit de la théologie de la substitution (l’Église a pris la place d’Israël). Elle est cependant directement imputable à la sécularisation (ou à la paganisation) de cette dernière. Paganisation auprès de laquelle les paganismes des sociétés premières paraissent bien inoffensifs, et dont le swastika, sous la forme masculine qu’il revêt dans le symbolisme hindou, devenu la croix gammée, est désormais l’emblème universel.
L’anéan­tis­se­ment programmé du peuple Juif est le sommet de la paganisation d’une théologie de la substitution (l’Église a pris la place d’Israël), après que celle-ci ait été, au surplus, caricaturée par un athéisme militant qui entretenait, à son tour, un enseignement du mépris à l’égard du christianisme.
Dans la logique de ce qui vient d’être dit de l’Impie, l’ ‘‘empêcheur’’ (le katéchôn) de II Thes­saloniciens, serait, selon l’interprétation la plus ancienne et la plus répandue qui y voyait l’empire romain, l’État de droit. Le terme grec traduit par ‘‘Impie’’ est ‘‘anomos’’, celui qui est sans loi. La Choah est le fruit à la fois d’une déification de l’Homme et d’une disparition de l’État de droit (société ouverte qui fait droit à toutes les catégories de citoyens, mais qui ne vit aussi que du civisme de tous).
Le texte nous dit alors ceci : « Lorsque les zones de non-droit s’étendent, l‘État de droit disparaît en proportion, les gens sont à la merci de dirigeants sans foi ni loi, on assiste à une large apostasie, mais ce n’est pas la fin, car, l’É­tat de droit peut être rétabli par l’interven­tion de l’État ou des États où le droit subsiste (le ‘‘principe espérance’’ d’Ernst Bloch entre en jeu). Si l’état de droit devait mondialement disparaître, le Caïd de la Fin ou le Hors-la-loi dernier ayant pris le pouvoir, il se produirait une apostasie planétaire et ce serait la solution finale mondialisée à la­quelle seule une création nouvelle (pour parler le langage de l’Évangile) peut remédier ».

(48) C’est l’analyse de Yirmiyahou Yovel, philosophe Juif israélien dans Les Juifs selon Hegel et Nietzche, Paris, Le Seuil, 2000
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Un autre texte, tiré de l’Évangile selon Luc (13,4) : la tour de Siloé … croyez-vous que les personnes victime des camps de la mort et de la Coah par balles aient été plus pécheresses …
Au regard de l’histoire et de la mémoire : L’hitlérisme nazi est un phénomène de bande issu du chaos où le Traité de Versailles avait jeté un pays de grande et ancienne culture. Parvenu au pouvoir, il a mis en avant des mesures sociales, appâts pour les masses précarisées et caution donnée à un nationalisme totalitaire athée au service d’une idéologie raciale pseudoscientifique qui a  réactivé un fond d’antisémitisme populaire rémanent.
Depuis les années trente, les européens, ont été pris entre deux totalitarismes, l’hi­­tlérien et le stalinien, deux expressions d’une sécularisation (ou paganisation) de l’histoire sainte. Sachons qu'en régime totalitaire l'État dirige non seulement l’ad­mi­nis­tra­tion, l’armée et la police, mais aussi la justice, l’éducation, la jeunesse et les sports, qu’un commerçant, une personne exerçant une profession libérale n’auront pas de clients s’ils n’adhèrent pas au parti unique. Il faut replacer la Choah dans ce contexte pour en comprendre tous les tenants.
L’hitlérisme nazi et le communisme stalinien ont exercé en Europe des terrorismes mentaux, moraux et intellectuels. Ensuite, ces en­tre­prises ont profité de l’état de guerre qui plongeait les esprits dans une angoisse diffuse (aussi longtemps que l’issue du conflit ne se dessinait pas clairement), justifiait les mesures d’exception, voire l’ar­bi­traire, rendant ainsi les droits de l’hom­­me aléatoires.
Par l’ampleur de sa conception, par son exécution méthodique à l’échelle industrielle, la Choah est unique et, si l’on peut dire, exemplaire, la Solution finale a, de ce fait et du moins au niveau du public, profité d’un effet de surprise et même d’incrédulité au départ (note 49), dans son exécution-même, elle pouvait même avoir quelque chose d’irré­el (note 50), mais pouvons-nous dire qu’elle est totalement étrangère à l’esprit d’autres tentatives du même genre ? Il ne faut pas nous servir des  massacres de l’histoire pour relativiser Auschwitz, mais il ne faut pas non plus gommer ou estomper

(49) Etty Hillesum, Juive hollandaise qui mourra à Auschwitz en novembre 1943, parle, dans son journal, en 1941-42 : « des destinations inconnues d’où seuls des échos très rares et très vagues sont parvenue jusqu’à présent à ceux qui sont demeurés ici » (Une Vie bouleverséeLettres de Westerbork, traduction française, Le Seuil, collection ‘‘Points’’ Paris, 1995, p. 259).
(50) Le 8juin 1943, du camp de Westerbork, le Drancy des Pays-Bas, elle écrit à ses amis restés chez eux « La locomotive jette un cri affreux, tout le camp retient son souffle, trois mille Juifs et plus nous quittent. Là-bas, dans les wagons de marchandises, il y a plusieurs bébés atteints de pneumonie. On a parfois l’im­pres­sion de rêver » (ibidem, Lettres de Westerbork, p. 277).
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la référence à un même esprit d’extermination méthodique (qui se retrouve d’ail­leurs dans la lutte contre les maladies, les parasites, les nuisibles).
Au cours de leur histoire, les chrétiens orientaux ont connu des entreprises d’a­né­­antissement, de la part des conquérants de l’islam, lors du génocide arménien, dans la politique communiste athée mise en œuvre par le stalinisme. Il ne faut pas oublier Dora, camp d’extermination par le travail destiné à des non-juifs et les autres camps de concentration. En arrière-fond se profilent l’archipel du Goulag soviétique, l’extermination des koulaks, l’élimination des élites sous prétexte de révolution(s) culturelle(s), et encore l’es­clavagisme, la prolétarisation, les épurations ethniques, les déplacements de population, les victimes des génocides (Arméniens, Indiens des Amériques, aborigènes d’Australie, Cambodgiens), celles des fléaux sociaux (maltraitance des enfants, prostitution, alcoolisme, drogue), les désastres écologiques dont les végétaux et les animaux sont les victimes autant que les êtres humains, Hiroshima et Nagasaki et même, il faut le mentionner, l’interdit (RhâRaM, RhèRèM) prononcé, jadis, par Israël sur des populations cananéennes.
Les théories raciales du IIIème Reich ont engendré une pathologie paranoïaque qui n’a pas disparu. La perversion, accompagnée d’une cruauté froide, dans l’État, a pu réveiller les tendances qui sommeillent en nous tous : des êtres humains déclarés déchus de tous droits mis à mort volontairement et même volontiers. Ces cons­ta­ta­tions (qui peuvent être renouvelées pour d’autres cas, comme le Rwanda) ne sont pas là pour excuser quoi que ce soit ni atténuer les responsabilités de quiconque, mais rappellent l’atmosphère de l’é­po­que et la complexité de la situation.
L’a­thé­is­me méthodologique s’accompagne d’in­dif­férence et peut conduire au ni­hi­lisme, mais l’athé­isme idéologique a rejoint le fanatisme religieux et a débouché sur les déplacements de populations, des exterminations de masse, et sur le projet d’anéan­tis­sement du peuple Juif. Depuis les années 60, judaïsme et christianisme sont même amalgamés dans la dénonciation globale d’un ‘‘judéochristianisme’’, accusé de provoquer un refoulement des pulsions vitales et, par là, de pervertir les corps et les esprits.
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L’horreur et l’ignominie de la Choah ne doivent pas nous faire oublier qu’en fin de compte, la solution finale a échoué. Le peuple Juif existe toujours, plus vivant que jamais, il a retrouvé son État sur la Terre qui lui a été promise, il est porteur de valeurs qui ont déjà ensemencé l’humanité tout entière. Le judaïsme est en passe d’obtenir ce à quoi personne n’était parvenu jusqu’à présent : que les Églises chrétiennes les plus assurées d’être seules dans la Vérité, abandonnant leur théologie de la substitution (l’Église a pris la place d’Israël), reconnaissent qu’elles dépendent de l’ÈMèT (ou de l’ ÈmoûNaH), la fidélité-vérité de Dieu  dont les Juifs ont vécu avant elles et dont ils vivent toujours encore.
Pour les non-juifs et les non-chrétiens, ce devrait pourtant être un signe qu’Is­raël est bien le peuple élu, puisque, dans leur programme d’éradication de toute religion issue de la Bible, les hitlériens se sont attaqués, en premier lieu et sélectivement, au peuple Juif et qu’en dépit de l’hé­ca­tombe, ils ont échoué si bien que les termes d’hitlérien ou de nazi sont, universellement et à jamais, voués à l’exé­cra­tion.
La légende magnifie et fabule : le poète Rainer-Maria Rilke meurt d’une égratignure de rose et Pol Pot, ordonnateur du génocide de son propre peuple, décède d’une piqûre de moucheron. L’Histoire, nous le constatons ici même, relativise et rationalise, mais la mémoire est sélective, elle recueille plus d’émotions que de faits bruts et, de plus, elle sublime et schématise. Pour les consciences juives, la Choah, est un événement unique, absolu, sans comparaison possible, si les historiens doivent faire leur travail en toute objectivité, encore faudrait-il que d’autres que les seuls Juifs gardent trace du traumatisme correspondant à la tentative d’élimination méthodique, à l’é­chelle industrielle, de leur peuple. Il me semble que des consciences chrétiennes sont particulièrement aptes à accéder de l’in­térieur, dans son tréfonds, au drame vécu par les Juifs.
L’Occident a rencontré dans son histoire une volonté méthodique d’anéantis­se­ment du peuple Juif, première étape d’une éradication programmée de la foi biblique. Il y a des leçons de l’histoire, mais la mémoire, elle, est de l’ordre d’une expérience vécue. Dans cette expérience, Hitler rejoint Amaleq (Ex 17/8-16, De 25/17-19, Nb 24/20).
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Au-delà de la compassion humanitaire, les chrétiens sont en mesure d’accé­der à cette expérience et de réaliser, dans sa dimension spirituelle, le traumatisme dont le peuple juif est, aujourd'hui encore, affecté. La Choah, en effet, possède des traits qui évoquent la Croix : haine sans cause, lâcheté et reniement de ceux qui auraient dû parler et agir, autorité de l’État qui se défausse, complicité des foules grégaires, gestes isolés de compassion, malédiction apparente. Lorsque la Choah est placée dans l’ombre de la Croix, Israël en reçoit un éclairage indirect, mais, l’as­si­miler à la Passion, serait tenir les temps pour achevés, car, alors que Christ est entré dans sa gloire, l’as­somp­­tion (prolempsis) d’Israël n’est pas chose faite à ce jour (note 50).
Nous avons vécu un Vendredi saint de la Parole où les témoins de cette dernière se sont esquivés et nous vivons aujourd'hui le samedi saint qui suit. La cène (eucharistie) comporte un côté mémorial et un côté communion, le vécu d’un samedi saint de la Parole voudrait qu’au moment où nous faisons mémoire de la Passion, nous ayons une pensée pour la Choah. En repentance de notre défection et sans idée d’appro­pria­tion.
En tant que chrétiens, nous sommes aptes à faire ce que ne peut faire aucune approche extérieure : entrer dans la mémoire d’Israël. Cela fait partie du témoignage que l’on attend de nous.  Mais la Choah doit aussi faire réfléchir tout être humain. Plutôt que de soutenir que tout être humain porte en lui une étincelle de divinité, si nous pouvions seulement entretenir l’étincelle d’humanité qui est en chacun de nous !
La reconnaissance et la valorisation indistinctes de toutes les cultures jointes au discrédit des cultures humanistes qui conservent l’intelligence des racines qu’elles enfoncent dans le sol des grands monothéismes, ne peuvent qu’encourager la paganisation des esprits. Dans de telles conditions, le retour du religieux, au lieu d’être un progrès dans la tolérance contribue à un étalage d’excentricités et au retour des fanatismes. L’après-Auschwitz nous place en face de cette question.
La petite clarté qui filtre de l’Évangile nous dit de garder la mémoire, mais aussi que l’esprit de vengeance, serait une victoire posthume des hitlériens et des staliniens. Reste que le pardon, lorsqu’il est demandé et accordé, doit s’accompagner de révisions mentales et structurelles et ne jamais atténuer la vigilance, car les virus enkystés ne sont pas éliminés.

(50) Je m’inspire ici de Michel de Goedt, carme déchaussé, dans une conférence donnée à Auschwitz le 9 novembre 1999 sur le sujet suivant : ‘‘Y a-t-il un point commun entre la Choah et la Passion du Christ ?’’.
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Une Parole malgré Auschwitz
Le fait que nous vivions un lendemain de Vendredi saint de la Parole, où ceux qui avaient vocation d’en être les témoins se sont tus, nous oblige-t-il à conclure qu’Au­schwitz a exténué la parole de Dieu, à dire que c’est désormais aux êtres humains de venir à Son aide, de lui restituer une image digne de Lui ?
Pour ceux qui n’ont pas une conception fondamentaliste, libérale ou charismatique de la parole de Dieu, celle-ci possède un point d’ancrage christologique dans l’his­toire en vue d’être réalisée dans un au-delà de l’his­toire, lequel agit rétroactivement dès ici et dès maintenant dans nos consciences, dans nos vies et dans l’histoire. L’espérance d’un surlendemain pascal est liée à la conception spirituelle de la parole de Dieu, au sens pentecostal du mot  ‘‘spirituel’’ qui implique l’action non spectaculaire du témoignage intérieur du Saint Esprit.
Si Dieu fait problème après Auschwitz, c’est sur le plan de l’impact des structures et des systèmes, sur le plan industriel, dirions nous, car il a toujours fait problème sur le plan de l’individu. Nous sommes impressionnés parce qu’avec la modernité la capacité de faire le mal comme de faire le bien a beaucoup augmenté et qu’en conséquence l’absence et le silence apparents de Dieu paraissent plus grands.
Notre peine à situer Auschwitz dans l’histoire du salut ne vient-elle pas de ce que nous continuons de regarder les événements du dehors ? Qui nous dit que les déportés n’ont reçu aucune consolation de Dieu ? Qu’au­cun n’a atteint un ultime degré de spiritualité, pensant que son martyr et celui de son peuple pouvaient apporter quelque chose de bon pour l’avenir de l’hu­ma­nité ou que cette passion préludait au Jugement des nations ? Qui nous dit que l’Esprit ne peut se manifester même dans l’état de déshumanisation voulue de la part des bourreaux ? Qui aurait l’assurance d’attester que Dieu n’a certainement pas parlé ni, par conséquent, agi à Auschwitz ?  (note 51)
(51) Etty Hillesum, qui se nourrissait quotidiennement de la Tôrâh  et de l’Évangile, en témoigne lorsque,  encore libre pour peu de temps, elle écrivait :   « Depuis hier soir, du fond de mon lit, j’assimile un peu de la souffrance infinie qui, disséminée dans le monde entier, attend des âmes pour l’assumer », « On voudrait être un baume versé sur tant de plaies », « Après la guerre, nous aurons à construire un monde entièrement nouveau et, à chaque nouvelle exaction, nous devrons opposer un petit supplément d’amour et de bonté à conquérir sur nous-mêmes. Nous avons le droit de souffrir, mais non de succomber à la souffrance. Et si nous survivons à cette époque indemnes de corps et d’âme, d’âme surtout, sans amertume, sans haine, nous aurons aussi notre mot à dire après la guerre » (Ibidem, pp. 244, 246, 288).
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Qui pourrait affirmer qu’au­cun Juif n’a connu dans son cœur qu’il était le premier peuple en tant que tel à traverser la mort, comme autrefois le désert et l’exil, annonçant par là l’échec des histoires saintes paganisées et la fin de toutes les formes de totalitarismes (religieux ou séculiers) ? Qui nous dit que l’actuelle résurrection ou ressuscitation du peuple Juif n’est pas le signe qu’en dépit de tout Dieu n’a jamais abandonné son peuple ? Lorsque nous parlons du silence ou de l’inaction de Dieu, n’en restons-nous pas aux apparences ? « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?» (Ps 22/2, Mt 27/46 et parallèles) est une parole de foi capable de surmonter jusqu’à la rupture paradoxale de l’Alliance. C’est la foi en dépit de tout exprimée par la confession de foi de Karl Barth (note 52).
Dans un monde physique et humain qui prend conscience de soi dans la séparation d’avec Dieu, Dieu parle toujours au cœur. Le salut réside, non dans le fait que Dieu serait tel ou tel, mais bien dans le fait, qu’au travers de sa Parole, il ‘‘parle’’ aujourd'hui encore à l’être humain quel qu’il soit, non dans le spectaculaire, mais dans le secret. Ce faisant, nous nous détachons de la croyance en Dieu et nous quittons les histoires saintes, qu’elles soient religieuses, monothéistes, ecclésiales ou séculières. En revanche, nous pouvons dire « Je crois en la parole de Dieu », Parole qui est au principe (Jn 1/1), portée jusqu’à nous par les témoins bibliques et actualisée en nous par le Saint Esprit, Parole, porteuse de la Promesse faite au monde et à tout être humain venant dans le monde, avant même qu’il y ait eu aucun monde. Je ne peux parler conceptuellement de Dieu, mais je peux en parler indirectement, à partir du témoignage de l’effet de sa Parole sur moi (donc sans m’en servir).
(52) « Nous croyons en Dieu. Malgré son silence et son secret, nous croyons qu’Il est vivant, malgré le mal et la souffrance, nous croyons qu’il a fait le monde pour le bonheur et pour la vie, malgré les limites de notre raison et les révoltes de notre cœur, nous croyons en Dieu.  Nous croyons en Jésus Christ. Malgré les siècles qui nous séparent de lui, nous croyons en sa parole, malgré sa faiblesse et sa pauvreté, nous croyons que sa mort est notre vie, malgré nos incompréhensions et nos refus, nous croyons en sa résurrection.  Nous croyons au Saint Esprit. Malgré les apparences, nous croyons qu’Il conduit l’Église, malgré la mort, nous croyons en la résurrection, malgré l’ignorance et l’incrédutlité [et l’indifférence, NDLA], nous croyons que le royaume de Dieu est pour tous les hommes » (texte en usage dans la liturgie de l’Église Protestante unie de France).
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Pour un chrétien, confesser : « Je crois en la parole de Dieu » ne veut pas dire que le Verbe s’incarne dans une Parole, mais que l’Incarnation a pour conséquence, depuis la Pentecôte, que la Parole s’investit dans nos vies, dans notre monde, dans l’his­toire. Nous sommes persuadés par elle, au jour le jour, dans l’aujour­d'hui de la foi du pèlerin et elle nous avertit que, dans un monde aussi bien ignorant de la Tôrâh que de l’Évan­gile, tout être humain peut être happés par des cercles infernaux.
Dire Dieu, c’est le plus souvent Le ramener à notre compréhension, parler de Lui (pis encore : Le faire parler) révèle avant tout qui et ce que nous sommes, mais ceux qui écoutent la parole de Dieu pour la mettre en pratique rendent justice à Dieu.
Croire en la parole de Dieu va à l’encontre de la conception qabbalistique qui établit une co-naturalité entre Dieu et l’être humain, à telle enseigne qu’il s’é­ta­blit entre eux une solidarité mécanique (note 53). Cela nous situe à égale distance des théodicées comme de l’idée que, depuis Auschwitz, c’est à nous d’aider Dieu à être lui-même (note 54). Dieu n’est rien en dehors de la Parole à travers laquelle il atteint notre cœur. ‘‘Écouter’’ la Parole, c’est recevoir la force et les moyens de la mettre en œuvre : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt 14/16) (note 55).
Nous ne sommes pas appelés à continuer ni à achever la création de Dieu à qui, seul, appartient le parachèvement qu’Apocalypse 21 évoque comme un ciel nouveau et une nouvelle terre, objets de notre attente active. En revanche, nous avons pour vocation de gérer, dans une dynamique de progrès spirituel, moral, culturel et matériel, l’u­ni­vers dont nous sommes un élément et de recevoir en nous, dès à présent, l’Esprit recréateur qui, à travers notre acquiescement, peut faire de notre vie, de la société, de l’histoire et de la nature même, les arrhes du royaume.
Ces explications théologiques ont leur valeur, mais elles tendent à rationaliser et, par là, à banaliser le mal, nous sera-t-il donné une parole de vie sur Auschwitz ?

(53) Gérard Israël, ‘‘Quelques remarques sur la réconciliation’’, revue Sens, 60, rue de Rome, 75008 Paris, mai 2001, p. 220.
(54) Idée exprimée par Etty Hillesum (Une vie bouleversée, cité note  19,  p. 175) que Hans Jonas salue  dans Le Concept de Dieu après Auschwitz (cité note 12) dans sa note 12, pp. 43-44.
 (55) « Dieu seul peut créer, mais il t’appartient mettre en valeur ce qu’il crée. Dieu seul peut donner la vie, mais il t’appartient de la transmettre et de la respecter ;  Dieu seul peut donner de croire, mais il t’ap­par­tient d’être un signe de Dieu pour ton frère. Dieu seul peut donner d’espérer, mais il t’appartient de redonner confiance à ton frère. Dieu seul peut donner d’aimer, mais il t’appartient d’apprendre à aimer ton frère. Dieu seul peut donner la paix, mais il t’appartient de réunir. Dieu seul peut donner la force, mais il t’appartient de soutenir ; Dieu seul peut donner la joie, mais il t’appartient de sourire. Dieu seul est la lumière, mais il t’appartient de la faire briller pour ton frère. Dieu seul peut faire un miracle, mais il t’appartient d’apporter les cinq pains et les deux poissons. Dieu seul se suffit à lui-même, mais il a voulu avoir besoin de chacun de nous » [ le Dieu biblique se nierait s’il se suffisait à lui-même et se renierait s’il ne respectait et secourait pas sa création en chacun de nous et hors de nous NDLA] (texte liturgique en usage dans  l’Église protestante unie de France).

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Une parole de vie sur Auschwitz

Le prix payé a été trop cher pour que la Choah ne soit pas surmontée. Certains, parmi les Juifs et les chrétiens, s’y sont attachés, mais c’est encore en petit nombre. Le travail des historiens, plus encore, le partage de la mémoire, y contribuent, chacun est convoqué à trouver un sens à ce non-sens en puisant dans la source de significations qui est à sa portée.
Auschwitz est une épine dans la couronne du Messie Jésus de Nazareth parce que ce camp de la mort, désormais symbole de tous les génocides, s’est produit sur une terre christianisée depuis des siècles. En ce qui me concerne, il me paraît que c’est par la foi en la parole de Dieu que la Choah sera véritablement surmontée, qu’elle peut contribuer à la réconciliation de l’humanité. Et, il faudra recommencer le travail de mémoire et l’annonce de la parole de Dieu à chaque nouvelle génération, car rien n’est définitivement acquis ici-bas.
Et encore : dans la Bible, ailleurs que dans les tentatives d’explications religieuses citées plus haut, peut-on trouver une parole sur laquelle l’unanimité se ferait ? Je ne le pense pas parce qu’il s’agit d’un sens et d’un engagement très personnels. Si cela se trouvait, cela signifierait que la Choah entre dans une catégorie de pensée ce qui serait l’expliquer et la relativiser.
Pour moi qui ne suis pas Juif et ne prétends pas parler au nom des Juifs, la parole que je retiendrais est « Ne crains pas, crois seulement” (Marc 5, 36).
Au lieu de nous tourner vers les explications par le passé, pareille parole d’espé­rance nous tourne vers l’avenir ou l’à-venir. Que la parole prononcée sur Auschwitz ne soit pas une lamentation, mais porteuse d’un avenir ou d’un à-venir.
Qu’un esprit de vie descende sur Auschwitz afin qu’Hitler soit tenu en échec. Nous nous trouvons devant un donné historique qui défie tout remède, qui ne peut être surmonté que par un triple acte de foi : dans la parole biblique, dans la raison humaine, dans la liberté. Mettons notre espérance dans la Parole vivante de l’Alliance, qui dit justice et miséricorde, miséricorde et justice, grâce à laquelle nous pouvons continuer de croire en la bonté de l’être humain, nous fier en notre humanité, en la droiture de notre raison, dans la liberté.
Demander que les morts reviennent aujourd'hui c’est ce qu’en langage biblique on appelle tenter Dieu, mais les retrouver en Christ ou penser que, le jour venu, nous participerons à leur gloire, c'est à dire que nous aurons le sens dernier de la Choah, c’est une espérance. L’espérance qui tient la Choah en échec est plus et mieux que tout humain savoir sur la Choah.

« De ces pierres, Dieu peut faire naître des descendants à Abraham » (Mt ; 3, 9).


Jacques Gruber
Mai 2014
LA  COURONNE  D’ ÉPINES

vérité, Églises, sciences, femmes, arts, religions, Auschwitz, théologiens



LES  THEOLOGIENS

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Les théologiens sont, sans nul doute, parmi les épines le plus nombreuses de la couronne de Jésus dans sa Passion.

La théologie
La théologie naît en terre grecque chrétienne. Le Commentaire (Midrache) ou l’Étude (Talmoud) juifs dénotent une intelligence de la foi, mais ne se veulent pas une réflexion générale organisée de la foi. La Qabbale est centrée sur deux problèmes : comment la création (Sepher Yetzirah) et le salut (Zohar) peuvent-ils se réaliser comme l’œuvre du Dieu saint. Dans des œuvres qui dépendent entièrement de Lui, le Créateur et Sauveur ne demeure pas moins totalement séparé de tout ce qui n’est pas Lui ? Œuvrer (BâRA) sans y toucher (HrâSâh). C’est une métaphysique juive où l’Infini (Ein-SoPh) est substitué à l’Absolu. Il ne s’agit pas de l’infini grec, synonyme d’in­a­che­vé, d’imperfection, mais l’infini juif, illimité et insondable, porteur d’une vision de couronnement .
La théologie est issue des problèmes propres à la foi chrétienne et d’un recours culturel à l’ontologie spécifique de l’hellénisme. Rencontre historique au départ à cette intellectualité de la foi (qui peut aller jusqu’à la pensée spéculative) que nous nommons « théologie ». Les problèmes propres sont ceux relatifs à la pensée et l’expression de l’Incar­na­tion (le Dieu -homme) et, par voie de conséquence, les questions qui relèvent du Dieu trine (trois en un). L’ontologie grecque découle de la croyance platonicienne en l’Être qui sera assimilé à Dieu et comprise de manière substantialiste. L’Incarnation, conçue comme une incarnation perpétuée (théanthropie orthodoxe, incarnation ininterrompue catholique), va constituer une recharge du sacré dans le monde, une coulée de divin (proprement institutionnalisée) qui peut conduire les personnes méritantes à la déification (ou divinisation) et qui, dans l’immédiat, va sacraliser, quasi par contiguïté, l’entourage de Jésus, sa mère, son frère, ses apôtres, puis sa couronne d’épine, sa croix, son suaire, les reliques des saints. Coopération entre nous et Dieu.
La rupture intellectuelle et existentielle produite, dans le monde christianisé, par la Réformation implique le rejet de cette ontologie substantialiste et de toute coopéra­tion entre l’être hu­main et Dieu (autrement dit : le salut par grâce, sans condition). Elle s’exprime dans et par le témoignage
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individuel et communautaire, en parole et en actes, qui constitue la foi. Foi provenant de l’écoute de la Parole fondée sur la Bible comme Écriture sainte (qui juge et pardonne, ici et maintenant). Jésus n’est plus Dieu fait chair, mais la Parole du Père faite être humain ; la conception théologique de la Trinité se fonde sur l’attestation de la Trinité dans l’écono­mie (les opérations de l’Esprit indissociables de la relation au Père par la médiation du Christ –Messie-  Jésus de Nazareth), non l’in­verse qui fait découler la Trinité économique de la Trinité théologique (immanente ou ontologique). De là l’être nouveau, recréé dans une dimension eschatologique de la Création conçue comme l’économie déjà et pas encore réalisée du Royaume. Un renversement s’est produit : au lieu d’être tournée vers le passé explicatif, la théologie se saisit dans un devenir kérygmatique et charismatique ouvert.
Les extrêmes qui se rencontrent ici dans les théologies sont : a) dans le cas de l’ontologie substantialiste : ceux qui font du christianisme un culte du Christ, un faire religieux électivement attaché à des preuves, éventuellement lié à un intégrisme de la Tradition, dont le clergé forme un intermédiaire sacralisé incontournable ;  b) dans le cas du témoignage de la Parole : les tenants du piétisme littéraliste tendanciellement fon­da­mentaliste qui peuvent aboutir à un quasi culte de la Bible ou, au contraire, les théolo­giens sapiens sapiens qui possèdent une science biblique avec un savoir du croire relatif à Jésus de Nazarethau risque que  la Bible et la foi finissent par être des objets de connaissance et de curiosité intellec­tu­elle.

À propos du culte : En Israël, à l’époque du Temple (le premier ou le second), quand existait un Culte Unique appuyé sur la médiation des prêtres (les sacrifices, les parfums), il y avait deux invoca­tions su­prêmes, EloHiM  (Dieu-x) qui a un caractère universel et YHWH-Adonaï (le Sei­gneur) qui est plus proprement l'unique Seigneur (Baal) de l’Alliance d’Israël, le Vivant. Une appellation popu­laire et litur­gique sera HaChaMaïM (les Cieux). En Israël et dans le judaïsme, c‘est l’Étude (Talmoud) qui prime, mais on trouve aussi un reste de culte autour des rouleaux de la Tôrâh, de la mezzouza et des te­phillim. Pour Jésus, il y a une com­munion avec les Cieux et le Père. Cette communionj, qui pousse à agir ici et maintenant et peut avoir une portée universaliste, n’est pas intrinsèquement orientée vers une liturgie, un culte, une adoration, une contemplation, une méditation différente de celle de la Parole biblique.

Je ne fais pas de personnalisation, j’appelle ici « théologiens » tous ceux qui dans quelque condition que ce soit ont pensé la foi chrétienne en un lieu et à un moment donné, que ce soit dans l’une ou l’autre des deux grandes directions indiquées précédemment (Pères, docteurs, mystiques, théologiens, prédicateurs) et je commence par le premier qui mérite ce nom : Paul, dont je me propose de réécouter la leçon.

La pensée paulinienne
Dans les années 50-60 de notre ère, avant tout autre texte de notre Nouveau Testament, Paul écrivait aux tout nouveaux chrétiens de Galatie : (Ga 3, v.24) « Ainsi, la loi a été le guide chargé de nous conduire à Christ afin que nous soyons déclarés justes sur la base de la foi. (v. 25) Depuis que la foi est venue nous ne sommes plus soumis à ce guide. (v. 26) Vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus Christ (v. 27) en effet, vous tous qui avez été baptisés en Christ vous vous êtes revêtus de Christ. (v. 28) Il n’y a plus ni Juif ni Grec. Il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni
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homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus Christ. (v. 29) Du moment que vous appartenez à Christ, vous êtes la descendance d’Abraham et vous  êtes héritiers confor­mé­ment à la promesse. ».
Peu de mois plus tard, à l’église des Corinthiens : (1 Co 1, v. 20) « Où est le sage ? Où est le discoureur de l’ère actuelle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ? (v. 21) Puisque, à travers cette sagesse, le monde n’a pas connu Dieu en voyant sa sagesse il a plu à Dieu de sauver les croyants à travers la folie de la prédication. (v. 22) Les Juifs demandent un signe miraculeux et les Grecs recherchent la sagesse. (v. 23) Or nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les Grecs, (v. 24) mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, qu’ils soient juifs ou non. (v. 25) En effet, la folie de Dieu est plus sage que les hommes et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes. » (Textes cités sur la base de la traduction de la Bible Segond 21, « l’original avec les mots d’aujourd'hui », Société biblique de Genève 2007).
Le texte des Galates ne se situe pas sur un plan gnoséologique (sagesse ou folie), mais sur le plan sotériologique (être juste par la loi ou par la foi). Le texte de Corinthiens, au contraire, oppose la quête du miraculeux aux démonstrations explicatives, puis, l’une et l’autre de ces voies au scandale que constitue un Messie crucifié doublé de la folie qu’est la prédication dont ce Messie est le sujet, face à des discours savants. Tout ceci est entièrement recevable aujourd'hui encore.
Galates 3, 28 ne signifie pas que les Juifs ont été remplacés devant le Seigneur par les non-Juifs (théologie de la substitution), mais que le Juif resté rituellement tel et le non-Juif (goy) sans avoir besoin de s’être fait préalablement circoncire, ont accès au Messie reconnu en Jésus de Nazareth. Le même verset n’est pas révolutionnaire au sens d’une fin des classes, mais au sens de nouvelles relations sociales où, adhérant par la foi à Jésus, ayant le même Messie, celui qui vit en condition d’esclave et celui qui est né homme libre revêtent une identique nouvelle humanité et entrent dans une relation d’égalité et de respect. « Il n’y a plus ni homme ni femme » n’est pas une annonce du queer, le troisième genre, de Judith Butler. Hommes et femmes restent la référence naturelle et sociale (avant d’être sexuelle) primaire universelle, avec laquelle nous pouvons parler même des animaux hermaphrodites (ambisexuels), et qui, d’ailleurs, se
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reconstitue jusque dans les couples humains homosexuels. L’idée est que l’adhésion donnée au Messie Jésus de Nazareth crée une nouvelle manière prospective et anticipative d’en­vi­sa­ger et de vivre notre con­di­tion humaine, grâce à laquelle femmes et hommes peuvent assumer leurs différences, sans rien renier, dans un même devenir, à travers leurs relations de tout ordre.
C’est bien l’annonce d’un monde nouveau « du moment que … », du moment que nous nous retrouvons dans une même relation à Jésus de Nazareth confessé comme le Messie de la prophétie d’Israël. Ce n’est ni un miracle ni une sagesse, ce « du moment que… » est un scandale et une folie, comme 1 Corinthiens 1, 20-25 va le dire. Comme chrétiens nous avons à assumer ce scandale et cette folie dans notre devenir, nos actions, notre pensée, nos paroles.

À la fois religieux et rationnel, le  dynamisme d’un à-venir
L’être humain religieux est souvent superstitieux, il veut de la magie, il aime le fantastique, il accepte tout espèce de traditions non illogiques, mais irrationnelles; notre être rationnel, lui, est soupçonneux, il demande des explications circonstanciées vérifiables. La situation a peu varié depuis les années 50 où Paul écrivait : « Les Juifs veulent du miraculeux, les Grecs recherchent la sagesse ». Comme chrétiens, nous sommes Juifs et Grecs : non des esprits religieux en général, pas nécessairement mystiques, mais des héritiers des spécificités de la religion biblique en même temps que des esprits rationnels, par forcément rationalistes.
Nous ne sommes pas crédules, mais tributaires de l’héritage biblique qui possède sa logique propre, celle des événements qui n’ont jamais lieu qu’une seule fois (voir le mot « apax » dans Rm 6, 10 ; Hé 7, 27 ; 9, 12 ; 10, 10 ; 1 Pie 3, 18). La marque du seul Seigneur.
Nous ne sommes pas rationalistes au sens d’adeptes d’une Raison universelle ; nous nous rallions à la pensée logique universelle. Nous nous situons du côté d’une Pensée logique universelle qui s’exerce dans le cadre de ce qui n’arrive jamais qu’une seule fois. Ce qui, par conséquent, est toujours donné dans l’acte d’une découverte personnelle de chacun (le secret messianique dans l’Évangile selon Marc où Jésus ne se présente pas comme le Messie, mais laisse chacun arriver à cette découverte pour lui-même).

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La résurrection appartient à l’imaginaire juif biblique, dont nous devons être capables de trier des apports égyptiens, babyloniens ou autres, comme le font les Écoles historico-critiques dites de l’Histoire des religions et de la Rédaction.

L’exégèse protestante allemande dite « historico-critique », née au xviii ème siècle, a atteint son apogée au xix ème siècle et dans la première moitié du xx ème siècle. Elle a donné naissance à une série d’Écoles successives :
l’École des sources qui reconstitue la composition du Pentateuque et à laquelle est attaché le nom de Julius Wellhausen 1844-1918 pour le Premier Testament et celui de Heinrich Holtzmann, 1832-1910, pour le Nouveau Testament  ;
l’École des formes historiques qui étudie les textes, frag­mentés par très petites unités, en fonc­tion des formes litté­raires qu’ils utilisent et du « milieu de vie » –Sitz im Leben- dans lequel ils sont nés, ainsi que l’activité de ceux qui ont assemblé les textes, illustrée par de nombreux travaux ;
l’École de l’histoire des religions qui réunit de nombreux exégètes pour confronter les récits bibliques des deux Testaments à ceux des religions de l’An­ti­quité orientale ainsi que le « milieu de vie » de chacune ;
L’École eschatologique (Johannes Weiss, 1863-1914, La Prédication du roy­aume de Dieu par Jésus, 1892) concernant le Nouveau Testament ;
l’École de la rédaction, qui étudie les textes par plus grandes unités en fonction de la théologie de leurs auteurs  (Hans Conzelmann, né en 1915, Le milieu du temps, 1954) ;
l’École de la transmission (attentive aux modifica­tions subies au cours de la transmission des textes, (Rolf Rendtorff,  né en 1925, Le problème de la transmission du Pentateuque, 1975) ;
l’École du mythe soucieuse de démythisation ou de démythologisation  (Herman Samuel Rei­ma­rus, 1694-1768, David Friedrich Strausz, 1809-1874, Rudolf Bultmann, 1884-1976) concernant surtout Jésus et les Évangiles.

La religion biblique exprime la logique de la Parole créatrice et salvatrice. Elle n’est pas de l’ordre du merveilleux irrationnel, elle est de l’ordre de l’Esprit recréateur qui, en renouvelant notre mentalité, transforme nos vies et crée un monde charismatique nouveau où nous comprenons la résurrection non dans l’ordre du surnaturel (une ressuscitation), mais dans celui de la Parole créatrice et-ou recréatrice qui dit et la chose arrive, qui prononce un nom et la personne ne « revient » pas à la vie, mais est « recréée » solidairement de tous les autres êtres, de toute chose, toute histoire.
La Parole créatrice biblique est-elle une absolutisation de la parole magique ?  Elle ne se situe ni dans le cadre de l’action physique sans intermédiaire (puisqu’elle ne  part de rien d’autre que d’elle-même) ni dans celui d’une métaphysique de l’absolu (serait-elle baptisée « théologie »). Elle est propre au monothéisme : l’unique Seigneur qui n’agit jamais que d’une façon unique. Si l’on tient compte du lien intrinsèque établi, dès l’origine, entre cette Parole et l’Esprit (la RouaCh), il serait plus exact de parler de Parole charismatique (médiée par l’Esprit) dont nous ne prenons conscience que rétrospectivement. 
Ainsi, la pensée chrétienne n’est-elle pas tournée obligatoirement vers le passé des explications (qu’elles aient pour dernier recours le mystère ou le paradoxe), mais (comme nous l’avons dit à propos du sens que la Choah prend de la résurrection) vers
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un à-venir qui trouve dans l’imaginaire biblique juif ses suggestions les plus inspirées. Qui dit à-venir, ne dit pas fuite en avant, et l’à-venir considéré ici est toujours donné, non à titre de conséquence, mais en dépit des événements historiques qui y donnent lieu. Dans cet ordre d’idées, même la Création peut devenir une notion relevant de l’eschato­lo­gie : distincte du finalisme ou de la téléologie, elle est d’abord une espérance.

Conclusion
Rien, personne, n’est au-delà de toute dispute, c’est pourquoi ces dernières réflexions, comme toutes celles qui précèdent, vont en rajouter aux épines de la cou­ronne de Jésus dans sa Passion. Il ne dépend d’aucun de nous de retirer ces épines et de ne pas en rajouter. Serait-ce en dépit de ce que nous en avons. Le grave n’est pas de tenter, de toute manière, d’exprimer notre intelligence personnelle de la foi. Au con­traire, il faut prendre conscience des questions qui nous sont posées. Ce qui serait grave c’est que nous y répondions sans être avertis du prix  que cela exige du Crucifié, en qui nous mettons notre espérance, en acte, en affection, en pensée et que nous annonçons de sorte que, loin de tout culte, de toute adoration, de toute preuve de Jésus ; de tout savoir, de tout croire, de tout fondamentalisme relatifs à Jésus ;  il devienne personnellement pour chacun ce qu’Il est de manière unique (ce que le langage biblique appelle la Gloire), à  savoir : le Ressuscité.

Ici se termine La Couronne d’épines

Jacques Gruber
Limeil-Brévannes, le 30 avril 2014

Juin 2014



"Mariages" dits homosexuels
CHACUN  SON  MOT
-un point ce vue protestant personnel-
Une Église confessante devant le nihilisme envahissant (tout se vaut)

Au moment où l'Église protestante unie de France procède à une consultation de ses membres sur la question du "mariage" homosexuel, je reviens sur cette question (voir  septembre 2012). J'attribue la demande de mariage de la part de couples homo­sexuels à un embourgeoisement. Il faut en tenir compte et il me semble que c'est, pour les Églises, une occasion de savoir se rendre inventives dans la foi plutôt que de se conformer à la société ou de tomber dans l'into­lé­rance
Dès lors que l'État reconnaît un "mariage pour tous", l'Église est amenée à prendre position face à des demandes de "mariage" émanant de partenaires homosexuels civilement "mariés".

C'est d'abord une question de termes:
a) sur le plan linguistique, le mariage signifie la réunion d'élé­ments différents et qui restent tels: quand on "marie" des saveurs cela veut dire qu'elles sont différentes et qu'au goût, chacune d'elles subsiste distinctement des autres. Ne vaudrait-il pas mieux parler d'une "union simil­sexuelle familiale";
b) car il serait souhaitable, en effet, de parler d'unionsdissexu­elles * (dissimilis) ou simil­sexuelles (similis) -éviter de dire "simil i sexuel", qui a un autre sens- plutôt que hé­té­ro­sexuelles ou homosexuelles (en français, on compose des mots latin-latin ou grec-grec).
             * Abréviation pour dissimilsexuel-le.
NB: Les unions dissexuelles et similsexuelles se distinguent des unions pluri­sex­u­elles: polyga­mie, pédophilie, zoophilie, unions sado-masochistes.
 Toutefois, pour ne pas alourdir mon texte, je continuerai d'utiliser les expressions devenues courantes: "mariages hétérosexuels", "mariages homosexuels".

Ensuite, une question spirituelle : Admettons-nous que des partenaires homosexuels souffrent sur le plan de l'intégration sociale et qu'au moins l'un d'eux puisse partager la même foi chrétienne que nous ? Pensons-nous que l'Église puisse apporter à leurs attentes une réponse correspondant à leur profil et qui leur soit un soulagement  ?
Le salut est inconditionnel, mais l'Église (au sens des responsables comme du peuple de l'Église) se doit d'être attentive aux interprétations et aux utilisations qui sont faites des actes liturgiques qu'elle est appelée à accomplir dans, par et avec la foi. Nous nous devons, en tout cas, d'éviter la céré­mo­­nie de com­plai­sance, prétexte à la fête. Que la fête se situe de préférence le jour du mariage civil.
Si la demande des couples de même sexe  est celle de la satisfaction du désir mimé­tique de faire un mariage comme les autres, l'Église se trouve en porte-à-faux : si elle défère à la demande, c'est au prix d'un reniement (celui de l'anthropologie de la foi biblique), si elle la refuse, c'est au prix d'un autre reniement (le salut inconditionnel).
En revanche, si la demande émane de chrétiens qui, sans cacher leur orientation sexuelle, veulent rester fidèles à la Parole de Dieu pour l'en­semble de leur vie et souhai­tent former un couple et fonder une famille sur le mode d'une vocation, sous cet aspect, l'Église peut prendre cette demande en considération et lui donner une réponse spé­ci­fique.
Quelle est la motivation spirituelle des demandeurs? Quel est l'engagement dans la foi de chacun? Quelle est leur conception de la vie commune? Quel est ou peut être la place de chacun ou de leur couple dans la vie courante de l'Église? Pourquoi présentent-ils ou -elles une demande à caractère religieux à côté de la sanction civile? Que repré­sente pour eux une alliance, un sacrement, un charisme, une vocation, une com­mu­nion, une commu­nauté, une famille? De quelle manière se situent-ils ou elles par rap­port à l'annonce du royaume des cieux (ou de  Dieu) par Jésus dont les Évangiles se sont fait les té­moins?

Selon le sens que les intéressés donneront à leur démarche, nos Églises pour­raient leur proposer un
"Acte de recon­naissance de l'existence d'une vocation commune à former un couple et à fonder une famille".
L'acte de reconnaissance n'est ni un sacre­ment ni une bénédiction (même s'il s'accom­pagne parfois d'une bénédiction).
Dans nos Églises, on bénit des mariages et on reconnaît les charismes, les voca­tion­, les minis­tères. C'est dans ce cadre, me semble-t-il, que la re­quête spirituelle, pré­sen­­­tée par des partenaires de même sexe, suite à leur "mariage" civil, peut trouver sa ré­ponse la mieux appro­priée dans l'Église.
Je laisse ainsi de côté la bénédiction qui brouille les cartes parce que, dans nos Églises, elle est cons­­ti­­tutive d’un mariage. Traiter des questions que les mariages de couples de même sexe posent aux Églises à partir de la bénédiction, c'est enfoncer une cheville carrée dans un trou rond, il faut changer de registre, passer à la reconnaissance d'un don. Une reconnaissance de vocation n'est pas un succédané de mariage, un mariage au rabais, c'est autre chose.

Fondement biblique : Ge 1, 26-31 : l’être humain voulu par la Parole créatrice est homme et femme, c’est le couple avec sa descendance. D'où, les notions bibliques d'al­liance, de vocation et d’espérance, de royaume des cieux -de Dieu et d’Église, de famille. L'anthropologie biblique du couple de sexe différent appartient à l'ordre de la création et constitue la règle du jeu dans toute la tradition issue de la Bible. Que l'ordre ou l'alliance de la création soit perturbé par l'être humain, c'est un fait à la fois de nature et de société que l'on ne peut que constater; qu'il existe d'autres règles pour d'autres jeux est possible, mais on ne demande pas de jouer dans une équipe de basket (l'Église) avec les règles du jeu du football (la postmodernité).
L'attitude que nous adoptons en ce qui concerne l'ordre ou l'alliance de la création est déterminante. S'il s'agit d'un ordre qui s'impose, il n'est plus "bon" (ToV) comme le veut le texte de Genèse 1. S'il s'agit d'une réalité physique, personnelle et sociale qui nous est donnée afin que nous puissions nous appuyer dessus ou nous adosser contre elle en toute confiance, cet ordre, cees règles, cette régulation, sont "bons". Dans le cas d'une reconnaissance de vocation à former un couple et fonder un foyer, l'ordre de la création devient même un projet (tout comme fondamentalement aussi, d'ailleurs, dans le cas des mariages hétérosexuels).

Base théologique sotériologique de la Réformation :
a) la conversion fait de nous des pé­cheurs pardonnés (non repentis, mais pardonnés) : toujours pécheurs et tou­jours par­don­nés, toujours pardonnés et néanmoins pécheurs;
b) le salut est donné (pas seulement offert) sans conditions, tels que nous som­mes, quels que nous soyons. Il n’y a aucune bonne conscience, pas plus que de tour­ments concernant le salut par grâce, pourtant Dietrich Bonhöffer nous a rendus attentifs au fait que le don gratuit coûte : suivre Jésus n'est pas un chemin semé de roses (Nach­folge, 1937).
Conséquences ecclésiologiques: l'Église n'a aucune raison de principe de refuser en son sein un-e homosexuel-le ou des partenaires homosexuels qui vivent leur foi, de les écarter de la cène, de leur refuser la bénédiction finale du culte, voire l'élection à un ministère. Pourtant, devant une demande de mariage, elle se doit d'exercer un discer­ne­ment. La demande d'une béné­dic­tion doit "convenir" au cas particulier pour lequel elle est demandée. On peut bénir séparément chacun des partenaires homosexuels, mais suivant l'inspiration de l'an­thro­pologie bi­blique la bénédiction de mariage ne convient pas pour un pareil cas.
L'Église a la possibilité de bénir le mariage d'un couple hétérosexuel ou de re­con­naître la vocation de partenaires de même sexe à former un couple et fonder une famille, sans que cela implique un jugement de valeur. La reconnaissance d'une vocation com­mune est différente d'un mariage, elle ne lui est pas spirituellement inférieure.
Question subsidiaire : Quelle réponse donner à un couple hétérosexuel qui demanderait une béné­dic­tion de mariage avec la volonté déclarée de ne pas avoir d'enfants?

Situation culturelle : Le christianisme doit-il s’adapter ou peut-il réentendre avec fidélité la Parole de Dieu dans la post-modernité occidentale ?
Pour cette dernière, la sexualité humaine n'est pas que la nature, c'est aussi la société. C'est la société tout en restant la nature. La nature qui peut avoir des hésitations, la société qui peut faire des erreurs. Mais la foi s'incarne toujours dans des possibilités d'existence personnelles appropriées, qui, dans l'histoire, se sont souvent révélées nou­velles ou renouvelées.
Il y a des couples de même sexe qui, dans leur vie courante, se réclament de l'Évangile ("les pécheurs et les prostituées vous devancent dans le royaume des cieux", Matthieu 21, 31-32), quand bien même le jugement de la Loi les stigmatise.
Dans ce cas, est-il licite d'interpréter la parole de Paul : "En Christ il n'y a plus ni homme ni femme" (Galates 3, 28: "ni mâle ni femelle", selon la traduction Darby-), au sens de la post-modernité qui distingue entre homme ou femme et masculin ou féminin?
a) "Pour ceux qui sont en Christ, il n'y a plus de masculin ou de féminin même s'il existe toujours des hommes et des femmes sur le plan physique";
b) Ou, au contraire: "En Christ, le masculin ou le féminin demeurent, mais, au-delà de toute apparence physique, il n'y a plus d'hommes ou de femmes" ?
Ces deux formules pourraient, chacune à sa manière, justifier l'homosexualité aussi (et considérant, par ailleurs, les fortes paroles de Paul contre les mœurs homosexuelles de Romains 3) vaut-il mieux penser que la portée de la parole de Paul est sociale:
c) "En Christ, homme et femme sont socialement égaux,  il n'y a plus de supério­ri­té de l'homme (du masculin) sur la femme ou de la femme (du féminin) sur l'homme"?
Comme le plus souvent, Paul emploie l'expression "en Christ". Cette expression a une dimen­sion de devenir, celle même de lavocation chrétienne, l'actualité eschatolo­gique du roy­aume des cieux -de Dieu) plutôt que l'une des expressions qui suggèrent un état: "ceux qui ont Christ en eux", "en qui Christ demeure", "qui possèdent Christ".
Le "nouvel Homme" paulinien est un être humain réconcilié par grâce, au moyen de la foi, avec le Seigneur, avec les autres, avec lui-même. En Christ, la masculinité et la féminité qui nous constituent sont appelées à vivre en­semble, réconciliées (ce que C-G. Jung a traduit par les compensations réciproques entre animus etanima: Dialectique du moi et de l'inconscient ", Idées / Gallimard, 1973 p 179 et 181). Dans l'Église les hétérosexuels et les homosexuels qui ont une même  espérance en Christ, ont vocation à vivre réconci­liés.
La proposition présentée ici consiste en un acte liturgique accompli, de part et d'autre, dans et par la foi, acte attestant que les aspirations vécues par les couples de même sexe sont une vocation commune à former un couple et fonder une famille. Réconciliation non seulement en marche, mais en œuvre.
Contrairement aux apparences, la différence établie par Judith Butler entre sexe (nature) et gender (société) (Troubles dans le genre, Le féminisme et la subversion de l'identité, La Découvete, 2006) peut nous aider en l'occurrence. Il est d’expérience que dans les couples de même sexe l’un tient le rôle de la femme, l’autre celui de l’homme, ainsi, nous pouvons croire que des partenaires de même sexe, en formant des couples, peuvent, si nous prenons la grâce au sérieux, re­trou­­ver l’an­thropologie biblique non plus sur le plan d'un homme et d'une femme réalisant l’être humain dans leur union, mais d’un semblable accomplisse­ment retrouvé sur un plan culturel à travers une vocation masculine ou une vocation féminine auxquelles ils ont souscrits quelle que soit leur confi­gu­­ra­tion phy­si­que.
Observons que, au sein des couples hétérosexuels qui ont reçu la bénédiction nuptiale dans nos Églises, la répartition des rôles (soins aux enfants, cuisine, gagne pain, brico­lage, ménage-repassage, sport, etc.) n’est souvent plus fonction d’un sexe ou de l’autre et que les repères extérieurs, vestimentaires ou autres, ne sont plus discriminatoires.

Conditions légales : en France, depuis que le « mariage pour tous » a été re­con­nu, on peut légalement procéder à un acte ecclésiastique de reconnaissance d'une voca­tion conjugale et familiale.
La suggestion pratique serait celle-ci : après que le "mariage" civil a eu lieu; suite à une préparation qui portera sur la connaissance et l’adhésion aux éléments bi­bliques, théologiques et ecclésiologiques rap­pe­­lés ci-dessus, la reconnaissance litur­­gique d’une vocation (ni aptitude ni capacité, mais vocation au royaume des cieux -de Dieu) à former un couple et à fonder une famille peut être envisagée.

L'acte liturgique, conçu dans un culte ou en-dehors d'un culte, comportera essentiellement:
1) un accueil comportant au moins une confession de foi (à laquelle les intéressés peuvent avoir travaillé) ;
2) une instruction rappelant le sens de la reconnaissance d'une vocation;  
3) la question :
« Voulez-vous répondre à la vocation commune qui vous est adressée par Dieu (par le parole de Dieu, par le Saint Esprit) pour former un couple et fonder une fa­mille dans la perspective du royaume des cieux -de Dieu ? » 
et la réponse commune : « Oui, nous le voulons. Que le Seigneur nous soit en aide » ;
4) suite à cela, l'officiant pro­nonce ces paroles  :
« L’Église protes­tante unie de France reconnaît votre vocation commune à former un couple et à fonder une famille dans la perspective du royaume des cieux -de Dieu où nous nous plaçons nous-mêmes, elle prie avec vous pour que s'affermisse cette vocation,  AMeN ».
Il n'y a ni bénédiction ni échange d'anneaux, mais, au moment où il prononce ces dernières paroles, l'officiant peut éventuellement prendre, entre ses mains une main de chacun des déclarants.
Après quoi, on peut envisager d’offrir une Bible ou tout autre ouvrage qui con­vien­dra pour la réalisation de cette vocation.
5) vient alors le moment de la prédication ou du message, d'une prière d’inter­cession pour les conjoints en pré­sence, pour leur famille, pour les couples et les familles proches ou lointains, prière suivie du Notre Père;
6) l'acte liturgique se termine par la bénédiction finale de l'assemblée, debout.
Chants à la convenance.

Ne pas tomber dans le nihilisme (tout se vaut, le n'importe quoi) sans rejeter personne, 
donner une réponse correspondant aux réalités en présence.

Jacques Gruber



- le prochain blog d'alleztheo prévu sera pour septembre 2014 -





Septembre 2014


La TENTATION de la FOI

Mat 4, 1-11, Lc 4, 1-13



 J'emploie le mot de "tentation" en titre, selon le contexte, l'expression le meilleure peut être soit  "tentation", soit "épreuve" ou "mise à l'épreuve".

            Le Premier Testament nous a instruits : depuis Abraham sur la Mont Morija, le Seigneur met à l'épreuve ceux qu'il appelle à être ses serviteurs. Nous pourrions également évoquer la période de la vie de David poursuivi par la jalousie de Saül (1 Samuel 16 à 31, dont le Psaume 62, qui inspirera le chant bien connu de Luther: "Ein Feste Burg ist Unser Gott",  est peut-être l'écho). Le récit des Évangiles de Matthieu et de Luc met en scène une de ces mises à l'épreuve: ce que l'on pourrait appeler une tentation de la foi par opposition aux tentations de la Loi. Ces dernières visent la religion et la morale universelles, alors que les tentations ou mises à l'épreuve de la foi concernant une vocation particulière, en général unique (un apax). 

Jésus au désert, lieu des commencements et des mises à l'épreuve, est présenté comme confronté aux trois tentations propres au Messie: opérer des miracles (Mt 4, 3; Lc 4, 3), tenter Dieu (Mt 4,6; Lc, 4, 9-11), posséder l'empire du monde (Mt 4, 9; Lc 4, 6-7). Nous retrouvons-là les trois écueils de l'Église au cours des siècles.
   
Jésus repousse ces attaques, non avec ses propres forces, mais par la Parole: non la sienne, mais celle du Seigneur.  C'est ce qui lui donne l'autorité de dire: "Que votre oui soit oui, que votre non soit non" (Matthieu  5, 37, que reprend Jacques 5,12).

La réponse de Jésus à la mission messianique qui l'attend est forte et claire, Paul le dit à sa manière dans 2 Co. 1, 19-20 : " Le Fils de Dieu, le Christ Jésus que nous avons proclamé chez vous, moi, Silvain et Timothée, n'a pas été « Oui » et « Non », mais il n'a jamais été que « Oui » ! 20 Et toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur OUI dans sa personne. Aussi est-ce par lui que nous disons AMEN à Dieu pour sa gloire."

Je n'ai aucune représentation de Celui (Satan: l'Adversaire des humains -l'Antichrist pour le Nouveau Testament- ; Diable: le Diviseur; Tentateur : le Piégeur ?) qui propose ces échappatoires à Jésus. La Bible n'en donne d'ailleurs aucune. Je dirais que, pour nous, c'est Monsieur Toutlemonde, Madame N'importelaquelle. Tous ceux qui nous présentent des perspectives de détournement, non désapprouvables sur le plan religieux et moral, mais contraires à l'appel reçu de la Parole.

Ainsi, Élie se moquait-il des israélites adeptes à la fois du Seigneur et du dieu Baal: ce sont des gens qui boitent des deux pieds (1 R.18, 21).
          Un épisode de l'Évangile selon Luc illustre ce que j'appelle ici la tentation de la foi :  Luc 9, 57 " Comme ils étaient en route, quelqu'un dit à Jésus en chemin : « Je te suivrai partout où tu  iras. » 58  Jésus lui dit : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l'homme, lui, n'a pas où poser la tête. » 59  Il dit à un autre : « Suis-moi. » Celui-ci répondit : « Permets-moi d'aller d'abord enterrer mon père. »  60  Mais Jésus lui dit : « Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu. » 61Un autre encore lui dit : « Je vais te suivre, Seigneur ; mais d'abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison. » 62  Jésus lui dit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n'est pas fait pour le Royaume de Dieu. »
Nous rencontrons là le "oui, mais". À côté des tentations morales ou religieuses, celles de la Loi, il y a, pour qui se dit chrétien, une mise à l'épreuve spécifique, non celle que propose un Tentateur, quel qu'il soit, mais celle de son propre recul devant l'appel. Appel bien reçu, mais qui, ensuite, provoque un recul, proprement la tentation de la foi.
 Nous pouvons bien lui donner le nom de "tentation de la foi" parce qu'elle découle de la réponse positive spontanée que nous donnons à la Parole, une réponse accompagnée d'un réflexe de recul: "oui Seigneur, mais…".
En revanche, il y a ceux qui  commencent par dire "non", puis se ravisent et y vont (Parabole des deux fils dans Matthieu 21, 28-32).
Cette "tentation de la foi" permet de mieux comprendre la demande du Notre Père: "Ne nous conduis-pas dans la tentation (ou l'épreuve"). Il ne s'agit  pas que des tentations de la Loi, mais surtout de la tentation du "oui-mais", tentation dans laquelle le Seigneur nous conduit puisqu'elle se trouve, liée à son appel et à la réponse (positive de prime-abord) que nous y donnons.
De fait, nous ne donnons aucune réponse de notre propre fond à l'appel de la Parole du Seigneur, c'est toujours "en Christ" que nous prononçons notre "oui". En Christ, dans le "Oui" qu'il a prononcé, nous sommes délivrés de la tentation du "oui, mais" dans laquelle l'appel de la parole de Dieu nous conduit. Nous ne méritons rien, nous ne déméritons en rien, cela nous est donné pour nous et pour tous les autres.
Le "Oui que le Seigneur me soit en aide", prononcé dans nos actes liturgiques, est-il perpétuel ? Il est, certes, premier et dernier en ce sens qu'il compte sur l'aide du Seigneur, mais il reste un engagement personnel qui bénéficie de l'aide de l'Église en l'espèce des frères et sœurs. Si nous suivons l'analogie de la foi, il n'est pas inscrit automa­ti­que­ment dans l'éternité en vertu d'un "pouvoir des " dont l'Institution ecclésiale serait dotée, il s'appuie et s'adosse à la Parole qui suscite toujours à nouveau la foi et l'espérance. 

                                                                   Jacques Gruber

           Du même auteur : « La Représentation de Dorothée Sölle, Revue d’histoire et de philosophie religieuse, Strasbourg, 66ème année, 1986, n° 2 et 3 ;
Entendre la Parole. Le témoignage intérieur du Saint Esprit, Paris, Édi­tions du Cerf, 2003,
« Vous serez mes témoins ». Pour un temps de confusion et de mutations, Paris, Éditions du Cerf, 2009.
Pour trouver ou retrouver un message, voir la Table alphabétique des matières ci-dessous, pour (re)trouver un sujet, consulter l’Index thématique placé après les archives de l’année 2006.


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Les textes de ce blog peuvent être reproduits ou cités pour un usage personnel avec l’indica­tion : © Jacques Gruber « alleztheo »,  suivie de la mention du mois et de l’année de la parution.
Je répondrai aux commentaires à la mesure de mes moyens dans l’édition du mois suivant.


TABLE DES MESSAGES PUBLIES DANS  alleztheo

À quoi pensait Jésus entrant à Jérusalem (Rameaux) : avril 2007 ;
AMOUR, décembre 2011
Apocalypse, le décor : janvier 2011 ; le langage : février 2011 ; le message : mars 2011 ; survol : avril 2011 ; Petite Apocalypse de poche : mai 2011 ;
Arts et artistes : novembre 2013
Asia Bibi : juillet 2011
Auschwitz (une Parole sur) : mars 2014 ; avril 2014
Barrage contre le Pacifique, juin-juillet-août 2013
Berlin : septembre 2010 ;
Bouddha ou Jésus : mai 2010 ; bouddhisme : juin 2010 ;
Carême : avril 2012
Choah (la) : mars 2014 ; avril 2014 ;
Clément et Miséricordieux : février 2009 (Islam 1) ; Islam 2 : mars 2009 ;
Conduits par l’Esprit : mai 2009  ;
Confession de foi : novembre 2006 ;
Contemporains éloignés : octobre 2010 ;
Couronne d’épines (La) : p. 1-3 : mars 2013 ; p. 5-12 : avril 2013 ; p. 13-25 : mai 2013 ; p. 27-53 : juin-juillet-août 2013 ; p. 55-79 : septembre 2013 ; 81-88 : novembre 2013 ; 89-96 : décembre 2013 ; janvier 2013 ; 97-106 : 107-115 février 2014 ; 117-127 : mars 2014
Démoniaque de Gerasa : octobre 2012
Église (L’) et les Églises, mai 2013
Élection ou Plébiscite (élections présidentielles) : juillet 2007 ;  
En Christ, décembre 2012
Esprit, qui es-tu, que fais-tu ? : février 2007 ;
Évangéliser : février 2008 ;
Femmes : septembre 2013
Inconfort de la vérité, avril 2013 ;
Islam, 1 : octobre 2010 ; Islam 2 : novembre 2010 ;
J’ai parcouru le monde, novembre 2013
Jacques et Jean, novembre 2012
Jean 20, 1-8 : mai 2012
Jean xv : avril 2009 ;
Jésus Fils : décembre 2008 ; Jésus homme : juin 2007 ;
Jugement dernier très actuel, janvier 2012
Juifs et chrétiens, la divergence du monothéisme (première et deuxième parties) : octobre-novembre 2007 ;
L’Église et les Églises, mai 2013
L’inconfort de la vérité : avril 2013
La feuille de route de Jésus (les Béatitudes)  : janvier 2009 ,
La Grâce : juin 2008 (voir Le Don, janvier 2007) ;
La porte étroite : juillet 2010 ; 
La tentation de la foi : septembre 2014
La voix du berger (Jn 10)  juin 2011 ;
Le changement, mars 2012
Le Chantier : mai 2008 ;
Le Don et l’Attente : janvier 2007 (voir La Grâce, juin 2008) ;
Le Saint de Dieu, février 2012
Le Serpent : janvier 2008 ;
Les contemporains éloignés (Benoît xvi et moi) : février 2010 ;
Les fourberies de Calvin, novembre 2009 ;
Les paroles qui font exister 1: octobre 2014;
Les paroles qui font exister 2 : novembre 2014;
Les paroles qui font exister 3: décembre 2014;
Les protestants, c’est le souk : mars 2007 ;
Les théologiens, mai 2014 ;
Logos, janvier 2013
Lumière du monde, février 2013
Malheurs : ?? 2010 ;
Mariage homosexuel : septembre 2012; juin 2014
Messages pour les temps forts de l’année : octobre 2007 ;
Où en sommes-nous avec la vérité ? : mai 2007 ;
Pâques : avril 2007, avril 2008 ; avril 2010 ;
Pardonner : mars 2008 ;
Parole de Dieu : septembre 2013
Paroles d’Église(s) : septembre 2007 ;
Pour une fraternité lisible, mai 3013
Pour une rentrée : septembre 2009 ;
Prologues évangéliques : octobre 2008 ;
Religions 1 : décembre 2013
Religions 2 : janvier 2014
Religions 3, février 2014
Résurrection : mai 2012
Retraites : décembre 2010 ;
Richesses : septembre 2008 ;
Rome et Cantorbery : juillet 2009 ; 
Sciences, juin-juillet-août 2013
Se souvenir et apprendre : mars 2010 ;
Sécularisation : novembre 2011
Suis-je création­niste ?: juillet 2008 ;
Témoignage : décembre 2006 ; juin 2012 ;
Tentation de la foi: septembre 2014
Terrorisme : octobre 2011 ;
Théologiens (les), mai 2014 ;
Textes qui peuvent faire vivre Premier Testament : octobre 2014
Textes qui peuvent faire vivre: Évangiles : novembre 2014
Textes qui peuvent faire vivre: Épîtres,: décembre 2014
Un jugement dernier qui est tout actuel ; janvier 2012
Une vision pour le monde : novembre 2008 ;
Vérité (l’inconfort de la vérité) : avril 2013
Vœux : janvier 2010 ;

Voici l’homme : mars 2013