samedi 28 mai 2011

année 2007, archives "alleztheo"




Nouveau texte : Loyaux-avec-la-foi.blogspot.com


pour encourager la théologie
Je me propose de publier ici, dix fois par an, un texte théologique ou spirituel, des compte-rendus critiques de lectures. Je suis de culture protestante, mais ma question con­cerne la façon dont le christianisme peut s’anticiper aujourd'hui. Pareille, perspective ne peut s’ac­com­moder d’une attitude purement confessionnelle ou dogmatique.
Je tire une inspiration indépassable de la source biblique et je m’adosse à la tradition chrétienne dont je suis solidaire. En même temps, je vis en tension l’incomplétude actuelle de la réalité et de la vérité (ce qui est différent du doute), avec les autres religions et cultures, la mo­dernité et la postmodernité.
Jacques Gruber
Janvier 2007
Le Don et l’Attente

La dernière période de l’Avent et de Noël a été l’occasion de réentendre cette Nouvelle au sein d’une actualité internationale, sociale, judiciaire, culturelle qui contraste radicalement avec cette annonce, au milieu de sollicitations commerciales insistantes et dans une débauche d’éclairages qui avait peu à voir avec la Lumière.

De la Promesse à aujourd'hui

Depuis la Promesse faite à Abraham (celle de la naissance d’Isaac et celle de la bénédiction), la Bible est annonce : annonce d’une naissance, annonce d’une histoire, annonce de temps nouveaux, annonce du Jour du Seigneur, annonce du Messie, annonciation de la naissance de Jésus, annonce du Royaume.

Ce message s’adresse en premier lieu et toujours encore à Israël. Il se situe sur le plan de la réalisation d’Israël comme pôle d’attraction pour la rédemption de tous les autres peuples et comme achèvement de la Création.

La Bible nous parle d’un Don de Dieu. Attente liée à la révélation du Dieu unique, Libérateur et Créateur, qu’on ne peut nommer ni représenter, sur qui nul ne peut mettre la main, dont nul ne peut disposer. Il ouvre une histoire et lui fixe pour but le repos et la paix, pour Israël et pour les nations : « Il arrivera dans l’avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines. Toutes les nations y afflueront […] Martelant leurs épées, ils en feront des socs et de leurs lances ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre » (És 2, Mic 4, 1-5).

Dans le Nouveau Testament cette attente devient celle d’une personne, le Fils de l’homme : « Tenez-vous prêts, car c’est à l’heure que vous ignorez que le Fils de l’homme va venir » (Mt 24,44). Elle est liée à la recherche du royaume de Dieu : « Cherchez d’a bord le royaume et la justice de Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33). Pour les chrétiens, le message a été personnalisé en la personne de ce Juif qu’était Jésus salué comme le Messie (le Christ), qui con­centre l’attente universaliste de l’É­glise .

En dépit de la critique historique et archéologique, un grand Récit qui n’est pas sans vérité historique (contrairement au Mahâbhârata ou au Livre de Mormon) est entré dans l’Histoire. Il a fomenté ce que l’on peut appeler l’Attente du don de Dieu.
Les utopies, les Lumières, la modernité, les idéologies progressistes du xx ème siècle, ne l’ont ni déniée ni réalisée. Dans un mouvement de sécularisation, elles l’ont reprise sur le plan purement humain à titre de progressisme, de réalisation plénière de l’être humain et de l’humanité et cela en recourant aux seuls moyens humains.
La grande Attente du salut après s’être exprimée en termes d’élection, de libération, de rédemption, d’ascétisme, de justification et de sanctification, de saints ou d’élus, de vocations, a pu se décliner en termes d’hégémonie chrétienne (le catholicisme avant Vatican ii, l’Ère protestante jusqu’en 1968), d’har­monie du monde (Képler), de paix perpétuelle (Kant), de fin de l’histoire (Hegel), de royaume de Dieu sur terre (aile gauche de la Réformation, protestantisme ultralibéral), de religion de l’Hu­ma­nité (A. Comte), de scientisme, d’una­ni­misme (Jules Romains), de Reich de mille ans, d’homme communiste, d’é­qua­tion unique clé de l’univers (Einstein et ses successeurs), de Dessein intelligent (créationnistes).
La version judéo-chrétienne de l’Attente n’a pas survécu à la fin de la chrétienté hâtée par les deux guerres mondiales. Les tentatives pour réaliser cette Attente, au nom d’une Raison théologique, ecclésiastique, raciale ou historique, ont été désastreuses. Aujourd'hui, en Occident du moins, il n’y a plus ni Attente du don de Dieu, ni aucune grande Attente sécularisée. La mondialisation n’en prend pas le chemin, car elle ne concerne que l’ex­té­riorité et renforce, par contrecoup, les particularismes de tous ordres.
Avec la postmodernité, les grands récits, la grande Attente, l’espérance du repos et de la paix, ont disparu. Ils ont laissé la place à des expectatives, des projets, des activismes, des agitations et, sur le plan philosophique à la déconstruction. Les attentes personnelles, catégorielles, nationales, mondiales, même planétaires ou spatiales n’ont pas remplacé ce qui a disparu. La mentalité de l’hom­me occidental est partagée entre la science athée ou agnostique, déterministe, naturaliste, ou « matiériste » et la croyance en d’heureuses coïncidences, aux anges gardiens, aux horoscopes, à la « magie ». Toutes les spiritualités se valent du moment qu’on y croit, l’esprit superstitieux fait bon ménage avec l’athéisme populaire. En religion, en politique, dans la « culture », le pipole et la pseudo-magie mènent le monde. Ainsi s’est creusé un vide que diverses formes d’intégrismes ou de fondamentalismes issu des grandes religions ou idéologies de salut voudraient bien remplir.
L’Attente et le Don étaient une espérance, nos attentes actuelles concernent des espoirs et les diverses solutions de salut dont on voudrait nous persuader (la restitution d’Israël, la restauration de la chrétienté, un retour du règne de la Raison, du Reich ou des soviets, la reconstitution du Califat) sont les répétitions d’un passé révolu idéalisé.
La postmodernité occidentale entérine la fin de la chrétienté, la faillite des idéologies et des utopies. Elle refuse les grands récits, mais ne propose pas non plus de projets capables d’entraîner un mouvement d’adhésion générale.
Contrairement à la modernité qui faisait de l’éthique un terme-clé de sa conception de l’être humain (sens du devoir, véracité, esprit sportif, respect de soi et d’autrui, intégrité physique, intellectuelle et morale, probité) la postmodernité tend à abolir moins les repères que les frontières entre l’animal et l’hom­me, la quête du vital et les manipulations du vivant, le réel et le virtuel, le sujet et l’objet, le mensonge, l’à-peu-près et la vérité, les genres féminin et masculin, entre les ethnies dans les métissages, entre les pensées dans les syncrétismes.
Cela n’a contribué en rien à la disparition des misères sociales, sexuelles, relationnelles. L’analphabé­tisme endémique, l’illétrisme plus répandu qu’on ne pense, la baisse des niveaux scolaires, l’incapa­ci­té d’une pensée synthétique, la difficulté à avoir des dialogues, sont les signes d’une médiocrité intellectuelle. L’art dit « contemporain », en crise d’inspiration, de talent et de métier, ne s’en tire que sur le plan du design. Pour le bien commun, nous ne survivons, dans nombre des circonstances, que grâce aux rémanences éthiques inscrites dans la Charte des droits de l’homme, mais celle-ci ne nous dit rien à propos des questions de conscience que nous posent la biologie, la génétique, la macro et la micro physiques.
Ces conditions jointes à la parcellisation de nos attentes humaines font le lit des réactions spontanées égocentriques. Dans l’échec ou le malheur, on en arrive à souhaiter l’échec et le malheur du monde entier. Lorsque nous jouissons de bonheurs ou des réussites, nous pensons que c’est normal, naturel, que c’est notre droit, que cela revient à nos mérites.
Hors d’Occident, il y a beaucoup de frustrations et l’on rencontre plus de légalisme et de moralisme assortis d’un contrôle social étroit, que d’éthique.
De nos petites attentes individuelles à la grande Attente du monde humain
Pourtant, il est possible de retrouver autrement une grande Attente du monde humain.
Nous sommes des êtres de désir, d’aspirations, de projets, de demandes, témoins d’un manque, d’une inadéquation, à la recherche d’une identité.
La théologie scolastique chrétienne avait identifié ce dynamisme au désir naturel de Dieu, celle, plus récente, du Process parle d’un dynamisme créateur de Dieu qui associe l’achèvement de la Création dans l’être humain dans la société, dans la nature, dans l‘univers, à un Dieu qui évolue lui-même de façon concomitante, comparable à la Main invisible qu’Adam Smith voyait à l’œuvre dans l’économie.
Les humanismes athées ont annoncé l’avènement d’un homme socialiste libéré de la religion et de l’État, l’existence authentique de l’être face au néant, l’ek-stase transcendantale, la libération et la sublimation de nos pulsions, le nouage réussi entre imaginaire, symbolique et réel.
Plus simplement, sur le plan de notre vécu quotidien : nous savons que nous avons des attentes individuelles limitées, de grandes aspirations souvent vagues. Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous admettrons que nous n’avons pas rencontré que des circonstances malheureuses et nous reconnaîtrons peut-être même que nous avons eu notre part de responsabilité dans nos ratages.
Toute demande sans réponse, toute aspiration contrecarrée, toute prière non exaucée, tout désir insatisfait doivent nous amener à réfléchir sur ce qui prime : notre volonté, le bien d’autrui, la volonté de Dieu ?
Aujourd'hui, contrairement à la religion qui se sert, comme d’un levier, des fautes et des échecs, je ne veux considérer que les réussites et les satisfactions.
Face à ces dernières, nous pouvons nous comporter de deux façons opposées. Celle que nous avons évoquée qui consiste à nous en contenter, estimant que c’est normal, naturel ou même que c’est notre droit. Mais pour des raisons d’humanité et, en tout cas, pour qui éprouve la gratitude à l’égard du Don de Dieu en Jésus Christ et par lui, il n’est pas possible d’être satisfait aussi longtemps que tout le monde n’est pas dans le même cas heureux que nous.
Cela ne s’entend pas dans le sens du prosélytisme, mais d’une nouvelle façon d’être avec Dieu, avec nous-mêmes et avec les autres, suite à une ouverture de nos attentes personnelles.
Par exemple, une personne qui n’a pas la paix parce qu’elle se trouve dans un environnement hostile ou parce qu’elle vit dans le remords ; une personne à qui l’on a causé une grave injustice ; une personne inconsolable à la suite d’une perte irréparable. Je suppose que par une suite d’événements heureux insoupçonnables, mais qui se sont réellement produits, la première trouve la paix, que l’on fasse justice à la seconde et que la troisième se trouve consolée. Chacune d’elle peut s’en satisfaire et y trouver un juste retour des choses bien mérité, mais on peut aussi rencontrer une autre attitude où la satisfaction personnelle est vécue comme insuffisante tant que tous n’ont pas la paix, qu’on n’a pas rendu justice à tous, que tous ne sont pas consolés.
À ce moment-là nos petites attentes personnelles sont vécues comme un bienfait que nous n’avons vraiment ni mérité ni obtenu et nous introduisent au vécu de la généreuse Attente du monde humain.
L’Attente est le don de Dieu
La réaction qui consiste à vouloir entraîner le genre humain et le monde entier dans notre perte personnelle est la négation même de toute Attente humaine.
Est-il requis d’être chrétien pour participer à cette grande Attente du monde humain ? Certes pas, puisque il a existé des époques où, en Occident, pareille Attente a été vécue dans des perspectives d’humanisme a-religieux (mais pouvons-nous penser qu’en elles jamais rien n’a subsisté des héritages juif, grec et latin, assimilés par le christianisme ?).
La générosité humaine existe (pour Descartes, elle est le propre de l’éthi­que). Les humanistes agnostiques, André Comte-Sponville, Luc Ferry, pensent réunir les êtres humains sur la base de la philia, l’amitié (non plus sur celles de l’érôs ni de l’agapè). Comment distinguer une grande Attente purement humaine de l’Attente du Don de Dieu qui est don de part en part ? Toute Attente humaine, vécue en dehors de la foi évangélique, se colore différemment selon la nature de notre désir, sa qualité varie en fonction des moyens et des fins que nous mettons en œuvre, elle peut péricliter pour peu que l’on adopte une conception de l’univers éternel, d’un temps cyclique et non plus linéaire et si l’on opte pour le non-agir.
Certains, dans un contexte de chrétienté ou pratiquant la théologie dite rationnelle, verront dans cette grande Attente humaine la trace du désir de Dieu inscrit en tout être humain, une capacité humaine de Dieu. Nous savons que ce « Dieu des philosophes » (Pascal) n’est pas le Dieu saint, le Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob, le Dieu vivant, le Dieu de la révélation, le Dieu de Jésus Christ.
Lorsque cette grande Attente humaine (dont nous venons de voir qu’elle peut très logiquement sortir de nos petites attentes individuelles, sans aller de soi pour autant ni être jamais acquise) est replacée dans la perspective biblique, les termes sont inversés : l’Attente de Dieu ne peut être qu’un don de Dieu, elle est déjà ce Don. Rappelons encore Pascal : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé ». Le don de Dieu peut entraîner une grande Attente humaine, pas l’inverse.
Dans l’Évangile, en particulier, cela se précise. Non seulement c’est l’at­tente d’un don, pas d’un dû, mais, pour prendre une image : c’est une porte qui ne s’ouvre que de l’extérieur par la venue de quelqu'un du dehors. Celui qui veut la pousser lui-même, de son côté, de ce côté-ci de notre monde, pour passer de l’autre côté, ne peut que s’exténuer dessus.
Ceux qui ne peuvent se satisfaire d’avoir trouvé la paix, d’être consolés, de s’être vu rendu justice pour eux-mêmes seulement, se trouveront portés d’un même mouvement à être des artisans de paix, de consolation, de justice. C’est une attente active, prenant en charge, ici et maintenant, une gestion de l’indi­vi­du, de la société et de la planète dans l’ordre de la personne, du citoyen et de la Création, comme l’illustrent les paraboles évangéliques qui nous décrivent des serviteurs vivant dans l’intérim de l’ab­sence de leur maître : « Quel est donc le serviteur fidèle et avisé que le maître a établi sur les gens de sa maison pour leur donner la nourriture en temps voulu ? Heureux ce serviteur que son maître en arrivant trouvera en train de faire ce travail. » (Mt 24, 45-46).
L’Attente du don de Dieu, qui est déjà le don de Dieu, diffère beaucoup et même totalement, dans sa manière, de la grande Attente du monde, mais elle ne la méprise pas. Elle ne récupère rien de ce qui fait notre dignité d’êtres humains, sa surabondance répercute notre humaine générosité.
Nous pouvons ainsi rallier ensemble le projet d’une re-situation du monde et même de la création, de l’univers, répondant à la surabondance dont tout être humain peut être témoin si on l’éduque en ce sens, mais dont, comme chrétiens, nous savons qu’elle est don de part en part et à laquelle nous pouvons conférer son Nom.
Dès lors que le don de Dieu nous est fait en la personne du Christ Jésus, les paroles et les actes qui découlent de la seconde attitude qui a été décrite plus haut, non seulement nous situent dans la grande Attente du monde, mais, ils sont repris, avec cette dernière, d’une manière propre (charismatique) par l’Attente qui est don de Dieu. Ils se trouvent débordés et récapitulés de façon non possessive, non passéiste, mais contemporaine et porteuse d’une promesse d’avenir universelle, par Jésus Christ, par le don que Dieu nous fait d’une Attente à la fois déjà comblée et encore à venir à laquelle l’apôtre Paul joint celle de la Création tout entière (Rm 8).
L’Attente du don de Dieu, l’Attente comme don de Dieu, n’est pas caduque, elle a changé de style. Ce n’est plus le résultat d’un Ordre nouveau, d’une doctrine, d’une ascèse héroïsante, d’un volontarisme, d’une sublimation. Elle s’enracine dans l’en bas, dans le terreau de nos aspirations qui ne sont plus taxées de bassesses ni justifiées pour elles-mêmes. Elle concerne la mini-mare de notre univers personnel dès lors que celle-ci est submergée par un flux venu d’ailleurs : l’inter­pel­la­tion de la parole de Dieu. C’est une spiritualité prenant son origine non seulement dans une nouvelle manière de vivre nos bonheurs ou nos malheurs personnels, mais dans la manière d’être toutes nos petites attentes individuelles.
Jacques Gruber


Février 2007
SAINT ESPRIT, QUI ES-TU, QUE FAIS-TU ?

La question n’est pas : « Qu’est-ce que le Saint Esprit ? », mais « Qui est-il ? ».

Les choses, les animaux n’ont pas d’esprit, si nous parlons de l’ « esprit », cela ne peut être que d’une « per­sonne » au sein de relations personnalisées.

La Bible hébraïque parle de « l’esprit de Dieu » (un « esprit » venu de Dieu). Il saisit subitement des membres du peuple d’Israël, les secoue, les inspire, les établit, les rend capables de réaliser des miracles, leur accorde des signes pour certifier ses appels. Il est atta­ché à la fonction de Juge, de Roi, il anime les Prophètes et les Sages. Le Saint Esprit apparaît dans le Nouveau Testament, principa­le­­ment dans les textes pauliniens, johanniques et dans le Livre des Actes.

1) Dans l’expression « Saint Esprit », « saint » n’est pas un attribut, comme on dirait le « bon Esprit », le « mauvais Esprit ». Il s’agit de : « l’Esprit qui est le Saint », qui est Dieu. Le Dieu Saint a pour attributs d’être justice et amour. Le Saint Esprit n’est pas un « esprit de sainteté », mais le Seigneur lui-même. Dire « Saint Esprit » c’est dire « le Seigneur l’Esprit ». Rappelons-nous Ésaïe 6, 3 : « Saint, Saint, Saint le Seigneur ». C’est pourquoi il a paru (théo)logique dès les premiers instants de l’Église, de baptiser « au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit », ce qui confirme qu’il s’agit d’une Personne, car « au Nom de » est l’é­qui­valent de « en la Personne de ».

Le Dieu de la Bible hébraïque et chrétienne est « Le Saint ». Pour cette source, Dieu n’est pas Dieu parce qu’il est de nature divine, mais parce qu’il est « Le Saint ». Le « sacré », le « divin » sont des interprétations qui dérivent de la culture gréco-latine au détriment de l’intelligibilité biblique. Le Saint est le « Tout Autre », il est transcendant, mais nommer Dieu : « La Transcen­dance », c’est recourir à une abstraction de théologie rationnelle (métaphysique chrétienne).

2) « L’esprit souffle où il veut » (Jn 3, 1-8). Le Saint Esprit est « Dieu-événement » (ni possible, ni potentiel, il est toujours l’actualité même). Il nous déborde de toutes manières. Il n’est pas toujours déjà-là, comme le mal, mais se manifeste quand et comme il veut. Il est imprévisible et insaisissable, mais objet de foi (acte de confiance, d’espérance et de gratitude bien avant d’être adhésion à une doctrine). Il ne s’institutionnalise pas, il bouscule même les institutions. Il vivifie, mais il n’improvise pas, il déroute, mais n’est pas informel. Il peut nous surprendre, mais ne se contredit pas. Heureux ceux qui sont dérangés par lui, ils seront fortifiés et consolidés dans leur foi.

S’il est non répétitif, re-créateur, et, en permanence, réformateur, il porte la marque de la fidélité de Dieu à lui-même vis à vis de nous autres êtres humains et de toute sa Création. Cette fidélité connaît des « répétitions » (comme disait Kierkegaard), des « révi­sions » (comme on dit avec Freud), mais quand celles-ci se produisent, c’est sur un nouveau registre (comme dirait un organiste). Le Saint Esprit est une mémoire vive qui se réalimente à sa seule propre source tout autant qu’une faculté d’anticipation pour le proche comme pour le lointain et même ce qui est dernier.
Le plus souvent, c’est rétroactivement que nous reconnaissons qu’il a agi. Quand il agit en temps réel, comme en témoignent les « born again », les « baptêmes du Saint Esprit », les conversions brutales, nous retrouvons la situa­tion de la Bible hébraïque où l’ « Esprit de Dieu » prend possession d’un individu.
Ces deux remarques nous indiquent que le Saint Esprit concerne notre être en son entier. Esprit re-créateur, il agit au plus profond de notre psychisme, déjà dans notre inconscient, mais, en même temps, il vient à nous de la façon la plus explicite par le moyen de la Parole qu’il a inspirée. Nos émotions, notre religiosité, sont rendues intelligibles, cette intelligence s’épanouit dans une spiri­tu­a­lité et celle-ci se concrétise à travers la manière dont nous la mettons en pratique dans et par nos gestes, nos comportements, nos actions, nos œuvres.
Si je savais ce qu’est le Saint Esprit, j’aurais barre sur lui, je pourrais mettre ma main dessus. Nous retrouvons ici l’inspiration juive essentielle : le refus de prononcer le Nom de Dieu, car le Nom c’est la personne et dire le propre nom de Dieu serait le prendre en otage.
Pourtant, s’il est insaisissable en soi, le Dieu-événement ou Saint Esprit est repérable à ses effets (ses bienfaits). La foi Orthodoxe parle, à sa façon, des « énergies divines » (Grégoire Palamas, xiiièmexivème siècles). Nous sommes dans une situation compa­ra­ble à la gravitation : nous en constatons les effets (tout corps laissé à lui-même tombe vers le centre de la Terre), mais nous ne la saisissons pas en elle-même.
Parmi ces effets, au premier rang, il y a l’esprit d’adoption qui s’épanouit en prière et concerne la Création entière dans son devenir (Rm 8, 14-27).
3) L’effet révélateur du Saint Esprit est la parole de Dieu lorsqu’elle nous touche, nous réoriente, nous inspire, nous éclaire, nous réchauffe, lorsqu’elle scelle en nous le témoignage mis à part dans le canon biblique (hébraïque, puis chrétien).
Avant même le commencement, l’Esprit planait sur les eaux (Ge 1,1). Il est l’inter­prète de la nature ou de l’univers au titre de Création. La Bible nous permet d’entrer dans l’intelligibilité propre au Saint Esprit. Ce n’est ni le désir ni la raison, ni le devoir, mais, avec la Thôrâh, c’est la libération dans et par la sainteté (justice et amour réunis); et, avec l’Évangile, c’est la grâce. Relisons l’histoire d’Abraham, le Décalogue, les ordonnances du Deutéronome, les prophètes, les Béatitudes, le Notre Père, les paraboles pour retrouver cette intelligibilité.
Le Saint Esprit approprie la Parole biblique aux situations et aux circonstances vécues par ceux qui sont à son écoute. Il ne s’adapte pas, mais interpelle avec promptitude, justesse, exactitude et surabondance nos histoires et l’Histoire. Il en découle une spiritualité de la Parole qui ne s’assimile à aucune religiosité.
Le Saint Esprit n’a aucun fonctionnement idéologique, dans ses opérations, il nous apporte des convictions, non des certitudes (qui deviennent vite des préjugés). Des convictions qui nous permettent de comprendre comment et pourquoi il peut en exister d’autres.
Cela provient de ce que le Saint Esprit agit en in­té­riorité par la Parole ce qui a pour conséquence qu’il s’actualise sous la forme de témoignages (en paroles et en actes). Les fruits qu’il produit viennent de ce que le cœur a été visité. C’est le caractère de la nouvelle alliance de Jé 31, 31-34. Même les charismes les plus spectaculaires (eux surtout) proviennent d’une motion intérieure. Toutes les actions par lesquelles le Saint Esprit s’actua­lise portent sa marque, non par leur « nature spirituelle » ou leur caractère vertueux, mais au travers de la manière ou du style inimitable qu’il imprime à nos témoignages personnels.
4) C’est le témoignage du Nouveau Testament qui nous permet d’identifier le Saint Esprit (Jn 14,15-19 et 25-27). Identifier le Saint Esprit, le re-connaître, est essentiel, cela change tout pour nous. Si les animaux qui sont protégés par la loi pouvaient le savoir, cela transformerait leur existence. Mais identifier le Dieu-événement comme étant le Saint Esprit, n’est pas posséder un savoir sur lui, ce n’est pas nous l’approprier.
Le Saint Esprit nous rappelle que Dieu n’appartient à personne, à aucun peuple, aucune Église, aucune secte, aucun inspiré, il n’est le privilège ni l’apanage d’aucune per­sonne ni institution humaine : même si l’Élection est l’assise inébranlable du peuple d’Is­raël et si la Pentecôte fonde toujours de nouveau l’Église. Il ne se laisse canaliser ni coloniser d’aucune façon. Lorsque le Saint Esprit est confisqué, il va ailleurs et produit des manifesta­tions sauvages (croyances, superstitions, utopies, théories) exposées à toutes les déviances.
Comme chrétiens nous nous trouvons dans une situation privilégiée pour identifier le Saint Esprit parce que nous vivons un intérim entre la venue du Christ en Jésus de Nazareth et sa manifes­ta­tion dernière ; dans les temps avant-derniers de l’irruption de son Règne universel. L’Esprit Saint répond à la tension ainsi créée. Il est comme un chemin mou­vant, un flux qui se ramifie en une infinité de veines et de veinules.
Tous les êtres humains peuvent mettre en œuvre des dons qui viennent du Saint Esprit puisqu’il souffle où il veut, mais, parce qu’ils n’ont pas la possibilité de l’identifier pour qui il est, ils peuvent penser que cela vient du monde ou d’eux-mêmes, ils peuvent mettre leur foi dans un idéalisme humanitaire. Cela peut les faire tomber dans l’orgueil ou dans la vanité, les amener à adhérer à la philanthropie ou à d’autres idéologies nettement nocives, les conduire à des désillusions ou au décou­ra­ge­ment. Ceux qui ont la possibilité d’identifier l’œuvre du Saint Esprit à partir de ses effets, même s’ils connaissent des tentations en tout genre, béné­fi­cient d’une assise solide (extérieure sans être étrangère). En revanche, ils ont la responsabilité de ne pas garder cela pour eux.
5) Pour quoi, dans quel but, ce privilège ? Nous ne possédons jamais l’Esprit, il nous déborde toujours.
La transcendance du Saint Esprit se constate au fait que le message qu’il a inspiré, les témoignages qu’il a produits, les attestations qu’il donne de son action peuvent à tout moment déborder ceux qui en ont été les porteurs. Nous pouvons être des vecteurs, pas des agents.
Du fait des changements apportés dans le monde par notre propre témoignage et de l’évolution de toute chose, si nous n’y prenons garde, nous devenons infidèles par tra­di­tion répétitive et nous cou­rons le risque de combattre comme des innovations dan­ge­reuses les initiatives que le Saint Esprit prend avec d’autres, en deçà de nos certitudes acquises, de nos constructions ou de nos préjugés.
Ce risque permanent nous montre que le Saint Esprit ne nous ravit pas notre liberté. Nous restons tout à fait capables de vivre notre histoire. En revanche, la question d’une perte de notre autonomie peut se poser s’il s’agit de l’esprit de Dieu prenant possession de nous (Éz 2,2 par exemple). Les fruits spectaculaires du Saint Esprit (ses dons, ses charismes): parler en langues, avoir le don de guérison, opérer des miracles, répandre des pré­dictions (1 Co, 1-11) ou les phénomènes d’extase, de transe, peuvent être des résurgences de la situation pneumatologique de la Bible hébraïque, comme une démocra­ti­sa­tion des dons royaux en Israël via le Messie Jésus (voir És 11,2-s.). Dans leurs manifestations les plus excessives, il n’est sans doute pas faux de diagnostiquer des dérives pathologiques de possession démoni­que paganisantes. Diagnostiquer n’est pas condamner, c’est une démarche raisonnée en vue du remède.
La pneumatologie de la Bible hébraïque se développe sur deux lignes : a) la conception que les textes de la Bible hébraïque ont de l’être humain : l’an­thro­pologie qui envisage un être humain –une « chair »- qui est synthéti­que­ment corps (qui retourne à la poussière) ; âme vivante ou souffle de vie (mortels) ; esprit (souffle analogue à celui de Dieu, que Dieu donne et qui retourne à Lui) ; cœur (siège des affections et du désir, mais aussi de l’intelligence, de la moralité) le ruban qui noue le bouquet corps-âme-esprit ; et b) la théolo­gie biblique vétérotestamentaire de l’Esprit du Seigneur, ses messagers (l’Ange du Seigneur puis les anges) et le monde des « esprits » célestes (Job 1, 6 ; 2,1, par exemple) qui réinterprète des apports babyloniens en fonction du monothéisme.
Les dons du Saint Esprit ne sont ni possessifs ni offerts ni obtenus, ils sont donnés. Ils sont gratifiants. Ils nous confèrent le don de recevoir et celui de donner gratuitement. Pareil don n’aliène pas. Il multiplie les possibilités qui sont en nous, il épanouit nos capacités, il nous libère de nos ambiguïtés, il nous pousse à rendre grâce, comme il peut aussi faire obstacle à nos initiatives alors que nous imaginons qu’elles s’imposent (Ac 16, 6-10 ; 1 Co, 14, 1-19).
« Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Co, 3, 17). Parce qu’il nous permet de nous tenir à une certaine distance de nous-mêmes, mais aussi des autres, des événements, des situations. Le Saint Esprit provoque l’éveil, produit un étonnement créatif, fortifie l’attention, l’objectivité, le sang-froid, augmente notre force de recueille­ment.
Sauf conditions de vie exceptionnelles (sur une île déserte, dans un cachot, entouré d’hostilité, d’indifférence ou de mépris) ces dons ne se vivent pas dans l’iso­­le­­ment, mais en lien avec une communauté ecclésiale qui partage la dispensation du même Esprit.
Ainsi, le Saint Esprit élit, justifie, sanctifie (ce qui n’est pas équivalent de « divi­nise »), réconcilie, donne le discernement des esprits, combat les mauvais esprits, appelle, recrée, sauve. Le don du Saint Esprit est parfois appelé « onction » (1 Co 2, 21-22 ; 1 Jn 2,20), ce qui rappelle le nom de chrétiens qui signifie : « ceux qui ont été oints » (Ac 11,26, par transfert de « Christ » : l’Oint). Mais que penser de l’onctuosité obséquieuse des Tartuffes qui cache un venin ?
Le Saint Esprit accorde à l’Église les ministères dont elle a besoin pour sa vie, mais non pour son profit égoïste. Ils lui sont accordés afin d’être témoin (Ac 1, 6-8). C’est une puissance et un dynamisme, plutôt qu’un pouvoir ou une juridiction.
6) Dieu le Saint Esprit est indissociable de Dieu le Père et de Dieu le Fils. L’exposé de la Trinité dite « immanente », qui est une conceptualisation théologique chrétienne de la plus haute valeur et importance, exige des esprits rompus à la pensée concep­tu­elle.
Nous pouvons l’aborder de manière plus accessible avec la Trinité dite « économi­que » (voir 1 Co 12, 3-5 ; 2 Co 13,13). Celle-ci peut se concevoir et se dire de deux façons : a) soit : Dieu dans sa transcendance, hors de tout, Créateur et Père ; Dieu au milieu de nous (le Fils, le Christ Jésus); Dieu au-dedans de nous (le Saint Esprit : 1 Co 2,16-17, Ép 1,13) ; b) soit : Dieu Le Saint (Dieu en Soi, le Père) ; Dieu dans l’Histoire (le Fils) ; Dieu- événement (le Saint Esprit).
Cette relation est une relation mutuelle et réciproque sur le modèle de celles que des Personnes peuvent avoir entre elles, au sein d’un être unique.
Nous ne pensons et disons « Dieu Créateur » sans être, aussitôt, amenés à penser et à dire « Dieu au milieu de nous » et, de là, « Dieu au-dedans de nous » pour revenir du même coup à « Dieu Créateur ».
Nous ne visons jamais « Dieu au milieu de nous » sans être, immédiatement, orientés vers « Dieu au-dedans de nous » et tournés vers « Dieu Créateur », pour retrouver, sur le champ, « Dieu au milieu de nous ».
Nous ne partons pas de « Dieu au-dedans de nous » sans arriver, dans le même mouv­e­ment à « Dieu au milieu de nous » et, par là même, à « Dieu le Créateur » pour faire instanta­né­ment retour à « Dieu au-dedans de nous ».
La même chose se produit et se vérifie pour Dieu Saint, Dieu dans l’Histoire, Dieu-événe­ment.
Lorsque nous disons « Dieu », sans le penser trinitairement, cela paraît plus simple, mais cette simplicité dissimule toutes les fausses idées et les ambiguïtés que le mot de « Dieu » véhicule en tous lieux depuis des millénaires.
Il n’est pas possible de parler du Saint Esprit sans soulever plusieurs autres sujets. Il est au cœur de la foi, ce qui en fait un lieu central de la théologie.
Jacques Gruber



Mars 2007
« LES PROTESTANTS, C’EST LE SOUK »

Si vous êtes dépourvus d’humour, ne lisez pas ce qui suit.

*

1) Rumeurs et déclarations :

« Les protestants, c’est le souk » : ce propos lapidaire a été tenu par un prêtre, responsable de la presse, en France, lors d’une émission télévisée (« C’est dans l’air »), je l’avais déjà entendu dans la bouche d’un autre homme de presse catholique. Peut-être est-ce l’une des « rumeurs » qui se propagent à notre endroit dans l’ « Église ». Nous avons mauvaise presse. Une autre version dit : « Les protestants font n’importe quoi ». En revanche, nous le savons, l’Église catholique, c’est la plénitude, tout ce qui se fait par son intermédiaire ou avec son aval conduit, par définition, au salut universel.

Le souk est un lieu coloré, ouvert, un endroit de passage où l’on circule en toute liberté. Dans le souk protestant toutes les productions proposées par des vendeurs, qui rivalisent pour accrocher le visiteur, sont en provenance du seul pays de l’Évangile. Qu’il y ait des filous, des faussaires même, parmi eux, c’est probable, car c’est avant tout un milieu tout à fait humain. À chacun de savoir évaluer lui-même la marchandise qu’on lui présente et sur laquelle il peut discuter. Mais on peut préférer un Magasin central Géant mondialisé, sécurisé, où chacun peut trouver tout ce dont il a besoin dans une distribution rationalisée, homologuée, avec des vendeurs qualifiés et concédant une garantie pour l’éternité.

Le même été, nous est venu de Rome un discours totalisateur comme nous n’en avions plus entendu depuis les années de plomb (Déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi –cardinal Levada- en date du 10 juillet 2007). À se demander à quoi Vatican ii et ces cinquante années d’oecuménisme ont pu servir.

Lors de la rencontre oecuménique de Sibiu (en Roumanie, ce même été 2007) le cardinal Kasper a défendu ce discours, disant que l’oecu­mé­nisme n’a pas vocation à être « douillet ». D’ici à pratiquer un oecuménisme à coups de marteau ! Les chrétiens non-catholiques présents lors de cette rencontre ont préféré faire le gros dos. Ils ont ainsi choisi sinon le « douillet », du moins l’irénisme. Était-ce la bonne attitude ? Pourquoi n’avoir pas profité de l’occasion pour un dialogue ou un débat ? La ferveur oecuménique de ces rassemblements est-elle du meilleur aloi ?
Aux temps apostoliques, on donnait le nom d’Églises aux communautés chrétiennes auxquelles le pape Benoît xvi refuse ce titre : l’Église de Jérusalem, l’Église de Corinthe, l’Église de Rome, les Églises qui sont en Achaïe, les sept Églises de l’Apocalypse etc. Le concept d’Église auquel le document pontifical de l’été dernier se réfère est une construction de théologie mystique et spéculative autant que de stratégie ecclésiastique, postérieure de plusieurs siècles au vécu et au conçu de l’é­po­que apostolique. Elle exploite quelques versets de Matthieu et du Quatrième évangile dans le sens d’un « pouvoir sacramentel » qui nous emmène loin de l’esprit même de l’Évangile.
Les Églises sont en crise, chacune vit cela plus ou moins bien cette, en tout cas d’une façon où chacune révèle sa personnalité. Le visage se défait ou se crispe.
L’anarchie ou l’informel ecclésiaux, qui ne caractérisent pas, de loin, tous les protestants, sont un usage pernicieux de la liberté. Prenons-le comme une écharde que le Seigneur a mise dans notre chair, ce qui nous garde au moins de nous enorgueillir (2 Co 12,7). Le bon usage de la liberté implique cependant une pluralité (ce qui ne signifie pas le pluralisme).
2) Petit rappel théorique :
Les Docteurs de l’Église et théologiens posent que l’Église de la terre est entièrement identique à l’Église du Ciel. Cela permet le distinguo entre la sainteté de l’Église qui est hors de doute et la réalité socio-religieuse de l’Église à laquelle sont rapportés les fautes, erreurs ou manquements éventuels des clercs ou des laïcs qui se réclament de la foi chrétienne.
Pour les Réformateurs, l’Église du Ciel n’a aucune référence scripturaire. L’Église (terrestre) se distingue du royaume de Dieu (déjà là et à venir). L’Église est à la fois visible et invisible : l’Église que nous connaissons est mêlée de chrétiens dignes de ce nom et d’hy­po­crites, l’Église invisible est celle que Dieu seul, qui lit dans les cœurs, connaît ; nul n’est en mesure aujourd'hui de faire le tri (voir la parabole de l’ivraie, Matthieu 13).
Plus près de nous, Paul Tillich (théologien protestant anti-hitlérien allemand qui s’est exilé aux État-Unis en 1933) parlait d’une Église latente (qui peut exister sans le savoir dans divers temps et lieux, hors chrétienté) et d’une Église manifeste (qui jouit d’une idée claire et évidente de sa condition et de sa vocation). Indispensable depuis la décolonisation, la prise en considération des cultures et religions non occi­den­tales par les chrétiens explique ce déplacement de la question.
Les sociologues (à partir de Max Weber, 1864-1920 et de Ernst Troeltsch, 1865-1923) parlent d’un type « secte » et d’un type « église ». Le premier correspond à une association volontaire d’individus généralement passés par une conversion ; le second à une institution de salut liée à la culture ambiante (voire même à l’État) qui, à côté de strictes exigences et de rigoureuses observances, s’ac­com­mo­dent aussi d’une adhésion formelle et d’une éthique appro­xi­mative. La sociologie offre la possibilité de parler de ce qui nous divise en d’autres termes qu’orthodoxie et hérésie, de façon objective : église et secte ne véhiculent ici aucun jugement de valeur.
3) Balayons devant notre porte :
La réception des protestants comme une mouvance qui défie la compréhension est partagée par d’autres encore. Lors d’une rencontre de l’Amitié judéo-chrétienne, à la synagogue de La Varenne-Saint Hilaire, à l’automne 2006, la personnalité Juive qui présidait a fait état de la difficulté de s’y retrouver dans le monde protestant. Qu’il me soit permis de dire que c’est réciproque. Nous aussi, nous avons de la peine à nous repérer entre Juifs ultra-ortho­doxes, orthodoxes, libéraux, massortis, loubavitchs, hassidim, qabbalistes, sionistes, synagogues con­sis­toriales, indépendantes …
Les évangéliques et pentecôtistes (et même, sous certains aspects, les protestants historiques) correspondent à la définition sociologique de la « secte ». Celle-ci n’implique pas d’em­­blée l’esprit sectaire que l’on peut trouver tout autant dans les grandes Églises. Pourtant pa­reil esprit les anime souvent. Lors de la 9ème Assemblée du Conseil oecuménique des Églises, à Porto Alegre, en 2006, les « assemblées » brésiliennes ont décliné l’offre d’une rencontre.
On critique les méthodes des « évangéliques », de leurs « télévangélistes », de leurs missionnaires, mais quels ont été les arguments et les méthodes des évangélisateurs de l’Eu­rope, de l’A­mé­rique latine, en Afrique, en Asie , en Extrême Orient, ceux des convertisseurs de protestants, en France, aux xvi ème et xvii ème siècles (parmi lesquels : François de Sales) ? Il faudrait faire la distinction entre christianisation et évangélisation.
Les « églises de maison » ont-elle encore quelque chose à voir avec la notion d’église dans le Nouveau Testament ? On peut en douter. Pour autant, il ne faut pas passer à côté du fait qu’il existe une unité concrétisée dans et par des relations fraternelles latérales. On peut concevoir qu’elle soit préférée à une unité hiérarchique, centraliste, pyamidale.
Les « églises » non conformistes protestantes ne sont pas au dessus de tout soupçon. Leurs positions fondamentalistes, con­ser­vatrices, créationnistes méritent la critique, mais elles sont centrées sur Jésus, leur confiance et leur espérance sont communicatives, des phé­no­mè­nes charismatiques que beaucoup d’Églises pourraient leur envier les accompagnent, elles ouvrent des brèches dans les forteresses qui, dans plusieurs régions du globe, emprisonnent encore beaucoup de femmes et d’hommes. Les guérisons auxquelles rendent témoignage nombre de ceux qui sont passés par la nouvelle naissance (born again) peuvent bien valoir celles de Lourdes.
Les otages coréens des Talibans (2007), membres d’une église presbytérienne (réformée), ont été, au minimum, victimes de leur absence complète d’analyse politico-religieuse. Les deux d’entre eux qui ont été exécutés n’en sont pas moins des martyrs de la foi chrétienne.
Le « souk » protestant répond à l’attente religieuse des plus humbles de ce monde (qu’ils soient démunis, émergents ou nantis, par ailleurs). Il s’adapte à tous lieux, tous temps, toutes culturalités. Dans ce souk, Jésus est connu et aimé, il est présent, comme Sauveur et Seigneur. Confesser Jésus comme Seigneur (Adonaï) et Sauveur ne diffère pas en substance du credo des deux natures de Chalcédoine. Accepter de mourir pour cela n’est pas si courant aujourd'hui.
Qui sait si, demain ou après demain, l’Église catholique (et d’autres encore) ne viendra pas moissonner dans le champ que les « évangéliques » labourent et ensemencent aujourd'hui, mus par leur foi dans le seul « Nom » (HaCheM) par lequel nous puissions être sauvés avec la création tout entière : celui de Jésus (Ac 2, 21, 38 ; 3, 6, 16 ; 4, 12) ? Ces Églises sauront-elles alors reconnaître leur dette (ce qui n’est pas courant) ou bien s’en attribueront-elles toute la gloire (comme de coutume) ?
Les « évangéliques » et pentecôtistes (qui, pour certains, veulent se démarquer des « protestants » historiques) préparent peut-être l’avenir du christianisme. L’historien Arnold Toynbee disait que les religions universalistes naissent dans des temps de crise au sein des populations défavorisées. Soyons spirituellement attentifs à tout ce qui se passe.
Jacques Gruber


Avril 2007

A quoi pensait Jésus en entrant à Jérusalem

fiction possible

« Je ne viens pas pour appeler au soulèvement (l’intifada) contre les occupants romains, pour renverser Hérode de son trône, pour abolir le culte du Temple. Je m’apprête à chasser tout au plus les vendeurs du Parvis.

Je viens pour mettre en œuvre le message prophétique des Écritures sur le serviteur souffrant, ce qui ne peut s’envisager hors de Jérusalem. Je vais au devant d’un affrontement avec les autorités religieuses de mon peuple, je risque l’aveuglement et la mauvaise foi. Il me faudra déjouer les pièges posés par des ennemis aussi ben que par des gens bien intentionnés. Qui sait si la foule qui m’acclame aujourd'hui ne me rejettera pas demain ? Comment réagi­ront mes disciples ?

Je ne veux pas décevoir ces gens qui m’accueillent, Galiléens et Jérusalémites, mais je ne veux pas non plus entrer dans leur jeu. Je suis bien leur Seigneur, mais pas comme ils l’imaginent. Je vais donc les laisser faire, mais je chevaucherai un âne à la place d’un cheval, ou de monter sur un char. Bien que je les sente sensibles aux thèses nationalistes, j’espère qu’ils comprendront ce signe. Mais peut-être faut-il qu’ils commencent par ne pas com­prendre ?

Moi-même je désire ardemment qu’Israël re­trouve son indépendance, mais je ne vou­drais pas que ce soit au terme d’une nouvelle guerre maccabéenne. Je préférerais qu’elle soit acquise parce que l’Empire aura reconnu la portée spirituelle de mon peuple pour toute l’huma­ni­té (une valeur que Rome tient pour hautement civilisatrice), qu’il comprendra l’im­portance qu’Israël recouvre sa liberté politique pour accomplir sa vocation.

Je vais donc demander à mes disciples que je vois s’affairer au milieu du cortège sous l’impulsion de Pierre Jacques et Jean, d’aller me chercher un âne, une ânesse ou un ânon. Peut-être comprendront-ils mon intention et la communiqueront-ils autour d’eux. ».

*
Lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem, l’essentiel, c’est l’âne. Il est le « signe » voulu par Jésus. Les palmes sont le côté folklorique nationaliste que Jésus refuse. Insister sur les palmes, c’est détourner l’attention du sens central choisi par Jésus. L’évangéliste Matthieu le souligne bien.
La suite va nous montrer que les disciples n’ont pas compris Jésus, Luc le souligne (Lc 24, 21 ; Ac 1, 6). Encore après la résurrection, ils resteront dans cet état d’esprit religieux spontané des fidèles qui reste prisonnier de ses propres fantasmes, qui ne sait pas conférer aux gestes et aux paroles de Jésus le sens que, lui, leur confère.
Jésus privilégie la figure du Fils de l’Homme en tant que Serviteur souffrant, mais il donne aussi droit à l’Esprit sur la Lettre, à la signification vécue sur l’application textuelle : « La chabbat a été fait pour l’homme, non l’homme pour le chabbat » (Mc 2,7). Il donne la prime à la définition de la vie comme le fait d’être en communion avec Dieu et de la mort comme le fait d’être coupé de Dieu. C’est l’enjeu de textes tels que Ge 3, 1-5 et De 30, 15-20, nous la retrouvons dans l’in­ter­pré­ta­tion du Décalogue dans le Sermon sur la Montagne où Jésus souligne l’im­por­tance décisive de l’intention ; elle est exprimée avec clarté dans la parabole de l’enfant perdu et retrouvé : « Mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie » (Lc 15, 32) ; c’est un thème récurrent du iv ème Évangile (Jn 2, 18-21 ; 3, 1-10 ; 4, 1-15 ; 6, 61-63 ; 9, 39-41).
Si le sens de l’entrée de Jésus à Jérusalem est tel que nous pouvons ainsi le rendre, c’est un grand pas en avant accompli dans la mentalité humaine, un tournant de l’histoire. Si la pensée de Jésus en cette circonstance peut être comprise comme la vi­sion d’une indépen­dance d’Israël garantie non par les armes ou les lois internationales, mais à travers la libre recon­nais­san­ce, par tout peuple et toute nation, de son élection et de sa vocation, cela fait de ce moment le point de départ et le fondement de la religion de la foi, de la foi qui s’inscrit dans l’histoire.
Le Fils de l’Homme comme Serviteur souffrant prend sur lui le catastrophisme apoca­lyp­tique qui animait une part du Judaïsme de son temps (voir les Écrits intertestamentaires). Cet apocalyptisme reviendra chaque fois que le christianisme traversera l’une des crises majeures de l’Histoire, mais il sera retenu par la Croix (c’est du moins l’hypothèse que je fais à propos de 2 The 2, 6-7) de sorte que l’huma­n­i­té reprendra son cours mêlé de bien et de mal, de bonheur et de malheur. Dans les périodes intermédiaires ou intérimaires, il appartient aux chrétiens de connaître ce suspens sur le mode eschatologique certes, mais en l’espèce d’une attente active et vigilante.
Pour Jésus, le Paradis est révolu. Lorsque Jésus dit à son compagnon de supplice : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis », c’est une parole consolante, écho des croyances populaires du moment : « Pour certains Juifs de l’époque, le paradis était le lieu où les justes attendent la résurrection après leur mort » (note de la TOB).
Au terme de l’histoire il y a autre chose, une réalisation déjà à l’œuvre parmi nous, mais que Dieu seul parachèvera : le Règne ou Royaume de Dieu (dans les synoptique), la Vie, la Vie éternelle, son « royaume qui n’est pas de ce monde » (dans le iv ème Évan­gile, Jn 18,36), ce que Paul appellera notre « salut en espérance » (Rm 8,24), la nouvelle création (Ga 6,15) et que le Livre de l’Apocalypse évoque avec la Nouvelle terre, la Nouvelle Jérusalem qui vient du ciel (Ap 21).
Jésus a donné corps à la réalité d’un salut qui est déjà là et pas encore là. Un salut qui n’est ni le juste milieu ni le Devoir ou la vertu ni le Destin, mais de l’ordre de la sainteté (de la justice et de l’amour). Un salut qui se vit dans une histoire, ouverte avec des moyens qui ne s’inspirent d’aucune raison propre à l’histoire. Il a délié le salut de toute enveloppe terrestre fermée tout en maintenant son insertion dans l’histoire et dans nos histoires. Il l’a libéré des projets spontanés de réalisation triomphaliste que nous nous en faisons. Il l’a dégagé de tout projet impérialiste ou seulement holiste, d’un quelconque pouvoir, de tout amour possessif.
Le jour de Pentecôte, l’effusion de l’Esprit va opérer chez les disciples la conversion de mentalité annoncée dans le comportement de Jésus lors de son entrée à Jérusalem. Il va leur permettre d’inscrire leur action dans ce tournant charismatique historique, celui de l’agir spirituel s’inscrivant dans nos réalités humaines : une pensée et une action qui tirent leur inspiration de l’Esprit de Jésus.
Qu’avons-nous fait au cours des siècles de cet épisode-clé, nous qui nous disons ses témoins ?
Quel sens donner à la fête du Christ Roi (instituée en 1925, fixée au dernier dimanche de l’année liturgique catholique depuis 1970) ; aux statues colossales de à Rio de Janeiro (due à Paul, Landowski 1931) et de Lisbonne (1959) ?
Les Juifs veulent un roi selon leur cœur, les gens, de façon générale, veulent des « pères ».
Jacques Gruber


Mai 2007
Où en sommes-nous de la vérité ?

1) « L’Esprit Saint vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit ; il vous fera accéder à la vérité tout entière » (Jn 14,26, 16,13)
Lorsque je me rase le matin, je ne pense pas à devenir président de la République. En me regardant dans le miroir je me ressouviens de la parole de Jésus sur la paille et la poutre (Mt 7, 1-5). Bien entendu, je ne vois rien, mais cela oriente ma journée, me donne un nouveau regard sur les autres.
Parfois, dans la foule, dans la rue, dans un grand magasin, je me prends à regarder les gens qui m’entourent et je me dis : « Qui sont-ils ? Pourquoi, vers quoi, se hâtent-ils ? Qu’est-ce qui leur manque pour qu’ils achètent tant de choses ? ». Me revient alors dans l’esprit la parole de Jésus lors de la multiplication des pains : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt 14, 16) : « Cherche ce que tu pourrais faire pour eux ».
Il y a peu, je suis allé accomplir mon devoir civique en votant pour un Président ou une Présidente de la République et, quelques semaines après j’en ai fait autant pour élire un ou une député(e). Dans ces moments, j’ai pensé à la parole de Jésus : « Ma royauté n’est pas de ce monde ». Non qu’il ne règne pas déjà, mais pas à la manière du monde. Je me dis que je vais donner ma voix, mais non ma foi à un homme ou une femme, que je vais les charger d’une responsabilité, mais je n’en ferai jamais mon chef, mon héros, mon maître, mon idole.
Lorsque je vois les chaises vides et les bancs clairsemés des églises le dimanche matin, il me revient la parole : « Lorsque le Fils de l’homme re­vien­dra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18, 8). Et je me demande : « Est-ce que le monde est si mauvais ou bien est-ce nous qui, dans notre témoignage, sommes aussi nuls ? ». Je retrouve ainsi l’espoir.
La cène qui a été disposée sur la table de communion, à laquelle nous sommes appelés, nous fait ressouvenir des paroles de Jésus sur sa mort et sur la nouvelle alliance. Lorsque nous partagerons le pain et le vin, le Saint Esprit nous conduira à nouveau dans toute la vérité : « Le Seigneur est présent au milieu de vous ».
Ainsi, l’Esprit me fait ressouvenir de ce que Jésus a dit, ce qui m’éclaire sur moi-même, me dispose à la justice vis à vis d’autrui et me met en mouvement dans la réalité con­crète qui m’entoure. Ce que j’appellerai une vérité de sainteté.
2) En quel sens puis-je dire que je suis conduit dans toute la vérité ? :
J’ai l’intention de parcourir la Massif du Mont Blanc. Je me rends à Chamonix où l’on me donne un guide (en réalité, je le paie, mais je parle de don parce qu’il s’agit du Saint Esprit). Ce guide me conduira dans tout le massif. Où que je veuille aller, où que l’on m’appelle, il me montera les cheminements. Au terme de mon séjour, je n’aurais pas visité le massif du Mont Blanc dans sa totalité, à toutes les heures du jour, en toute saison, il n’en demeurera pas moins que mon guide m’aura conduit avec sûreté en tous lieux et circonstances, il m’aura conduit avec dans ou à travers tout le massif. Mais encore : dans quelle mesure ce massif récapitule-t-il, tous les massifs ?
Ce dernier ne m’appartient pas pour autant, il n’appartient ni à la France, ni même aux terriens, il appartient à la nature, à l’univers. Ainsi, de la vérité vécue sur le plan de la foi, je m’ouvre à la vérité au sens général : la vérité est universelle en proportion inverse de notre propriété. Elle est, comme la réalité, en plein développement, suspendue à une fin ultime. C’est un train que nous avons pris en marche, ans même l’avoir voulu. Les uns en prennent conscience, d’au­tres non. Notre comportement durant le trajet dépendra beaucoup de cette prise de conscience et de la façon dont nous concevrons la destination. Mais, même dans cette configuration, nous ne pourrons jamais prétendre être dans la vérité parce que nous nous trouvons dans une dépendance les uns à l’égard des autres.
Dans le RER A que j’emprunte en revenant de Paris, passée la station de Sucy-Bon­neuil, je peux être sûr que tous les voyageurs ont pour destination Boissy-Saint-Léger, la prochaine station, qui est le terminus. Il suffit pourtant que l’un d’entre eux, monté à l’avant-dernière station, ait cru prendre la direction de Paris, pour que je sois dans l’erreur. Personne ne peut être dans la vérité si tous ne le sont pas au même moment de même que je ne puis être consolé si tous ne sont pas consolés.
Peut-être, pareil unanimisme a-t-ils existé, peut-il se reproduire pour un temps et pour une portion de l’humanité, ce ne sera jamais un accomplissement plénier. La vérité réclame l’unicité, cela peut conduire à des discours totalitaires, mais si nous acceptons que la vérité ne soit jamais donnée, nous tombons dans le relativisme. La vérité peut consister dans une même possibilité de mesure, de vérification de ce que l’on pense et dit, dans un « esprit ». La raison, comme fonction universelle de l‘esprit (pure, pratique, faculté de jugement) répond à cette attente. Elle est dénaturée lorsqu’elle est mise au service d’une idéologie.
Il n’y a pas pour autant deux vérités ou une double vérité (rationnelle, scientifique et spirituelle, théologique). Entre deux contradictoires, il peut s’établir une tension créative qui nous met en marche et nous garde de nous arrêter. La vérité qui guide nos pas est le dynamisme du Saint Esprit.
3) Notre quête occidentale de vérité :
Dans ce que nous appelons l’Antiquité, la vérité se meut entre trois pôles : l’être, la cité et l’esprit. Expliquer le cosmos, organiser la société, les penser (présocratiques) ; se connaître soi-même, agir en citoyen, trouver le juste langage (Socrate-Platon) ; faire face aux aléas de l’existence, accomplir la justice, parler vrai (cyniques, Épicure) ; accepter le Destin, se rebeller contre les pouvoirs, exprimer la domination de l’esprit sur la nature par un discours de sage et de physicien (stoïciens) ; observer la nature (les êtres vivants, l’être humain individuel et social), pénétrer l’au-delà de la nature, fixer des règles de logique universelles (Aristote).
Le Moyen âge suit Platon (le ciel des valeurs déchiré entre le bien, la vérité, la beauté se trouve rassemblé en Dieu), le néoplatonisme (l’Un, hors et au dessus de tout est une Substance existant en soi et par soi), Aristote (la vérité comme adéquation de l’intellect et de la chose). Averroès concluant qu’il n’y a pas deux vérités (celle de la foi et celle de la raison), mais deux points de vue sur la vérité anticipait sur l’herméneutique.
Pour les temps modernes, la vérité est soit l’opération d’un esprit juste et exercé (cartésiens) que nuance le sens leibnizien de la mobilité et l’infinitésimal, soit l’application de notre esprit à l’expérience dont il fait lui-même partie (anglo-saxons). Pour Kant, la vérité est dans la critique de la façon dont se constitue notre expérience, de la manière dont fonctionne notre esprit, des intentions qui animent nos comportements et des postulats qui, en dernière analyse, fondent nos jugements.
Hegel, procédant à une sécularisation de l’Esprit détaché de la parole de Dieu lui a dévolu la place que ce dernier occupe dans le modèle du théisme chrétien, faisant de lui une expression du Devenir universel. En réaction, Kierkegaard réaffirme le primat de la personne : « la vérité, c’est la subjectivité » et celle de l’instant à valeur d’éternité. Le Zarathoustra de Nietzsche, qui se présente comme victorieux du nihilisme (la vérité, est un genre d’erreur), magnifie le « moment » dans le retour cyclique du « même ». Heidegger requalifie l’Es­prit comme Être, distinct de tous les « étants » qu’il « existentialise » par la médiation du Temps.
L’Occident a mis plusieurs siècles pour se déprendre de l’idée monothéiste, venue du désert : de La Vérité. Pour W. James (représentant d’une pensée anglo-saxonne qui non spéculative) : est vrai ce qui réussit. G. Frege (logique formelle) s’est attaché à la relation entre sens et vérité ; la philosophie analytique à vérifier la validité des protocoles scientifiques ; l’em­pi­risme logique à définir une vérité-correspondance ou une vérité-cohérence ; K. Popper à poser com­me critère de la vérité la « falsifiabilité » des énoncés ; alors que E. Husserl montrait le rôle joué par le préconçu (ou antéprédicatif) dans ce que nous prenons pour des évidences.
Il nous reste les vérités que Descartes qualifiait d’ « éternelles » : il n’y a pas de montagne sans vallée et les vérités expérimentales, vérifiées par l’expérience. Elles ne nous donnent pas la Réalité, mais des « réalités ». Ce que les théories de l’u­­ni­vers semblent confirmer. Je les considère donc comme des « vérités d’immanen­ce ». L’im­­ma­­nen­ce, du fait qu’elle com­porte le caractère d’un système, se prête au nombre (les nombres étant eux-mêmes divers), au chiffrage, à la mesure, à la numérisation. Encore faut-il concevoir que ce système est en expansion, tant dans le domaine de la macro que de la microphysique. L’immanence, système en expansion, nous place au bénéfice de sa structure systémique : elle relève de théorèmes exacts tout en sachant que, sur le plan de l’univers, elle ne peut produire que des théories régionales révisables.
K. Gödel a mis en évidence l’existence de propositions indécidables. Lorsque, dans un système donné, les règles de déduction dudit système (sa syntaxe) ne permettent pas de déduire les énoncés de ce système qui expriment un domaine particulier du réel (sa sémantique). Pareille proposition peut néanmoins être réputée vraie lorsqu’on se place dans un système extérieur possédant les même critères de vérité. C’est à nouveau la voie de l’hermé­neu­ti­que.
Dans le domaine des sciences dites humaines, au cours des xixème et xxème siècles, l’étude exégétique de la Bible (ensemble du Premier et du Nouveau Testament), a joué un rôle capital dans le changement de statut de la vérité que représente l’her­méneutique (de Schlei­er­macher à Gadamer). Ces sciences ont établi de multiples points de vue, sources d’inter­pré­ta­tions, mieux fondées que de simples opinions, qui mettent en cause les fondements de l’éthique du fait qu’elles entrent en conflit. Conflit que P. Ricœur s’est attaché à résoudre avant de dégager la pertinence de la métaphore qui conduit à la vérité à travers le discernement du semblable dans le dissemblable.
Après la disparition des grandes idéologies, il s’en est suivi, en Occident du moins, un temps de confusion dont la déconstruction de J. Derrida prend acte et fait une méthode.
La pensée humaine lie la vérité à l’esprit, à la critique, à l’Esprit, à l’Être, au discours (forme), au langage (sens), à l’inter­pré­ta­tion.
En psychanalyse, comme pour toute clinique, la vérité se situe dans le diagnostic, le déroulement correct de la cure et la guérison. E en substituant le signifiant à la pulsion du freudisme princeps, le freudisme lacanien, a déplacé tout le paysage. Au lieu d’un processus allant du principe de plaisir au principe de réalité mettant en œuvre la gestion de la topique en forme de système du « ça – moi – surmoi » on se trouve devant une opération (réussie ou non) de nouage entre, le réel (ce qui se retrouve toujours à la même place), le symbolique (ce qui est écrit, codifié, institué) et l’imaginaire (l’image de soi renvoyée par le miroir, par auto-reflet, par les autres). De plus, l’inconscient étant structuré comme un langage, la clinique ira de pair avec un penser de la clinique, une « mathésis » qui fait appel à une symbolique de type algébrique. D’où, une vérité psychanalytique sur le modèle des sciences exactes.
4) Qu’en est-il des esprits et de l’Esprit ? :
Souvenons-nous que les premières religions vont de pair avec des croyances relatives aux « esprits » : esprits de la terre, de l’air, de l’eau, du feu, de la montagne, du fleuve, de l’animal que l’on craint, des ancêtres ; éventuellement un Grand Esprit. Cet animisme est toujours actuel ; pas mal de superstitions, le goût pour l’ésotérisme et la « magie » de nos contemporains, qui s’affichent pourtant sans Dieu ni maître, y ont bien des affinités.
L’Esprit impersonnel, universel, humaniste ou religieux, est l’apanage des sagesses. Mythologies, sentences, aphorismes, proverbes : « sagesse des nations », coutumes, traditions, arts de vivre, morales et moralités, « philosophies » voire même « spiritualités », elles peuvent être tout cela et, sans doute, bien autre chose encore. Leur géographie est planétaire, mais elles correspondent mieux à la mentalité orientale, extrême-orientale, amérindienne ou africaine qu’à l’es­prit grec. Certaines restent liées à un esprit cosmique, tellurique, céleste, d’au­tres ont opté pour la voie de « l’Homme pour l’Homme et par l’Homme ». Les Sages dirigent les religions, gouvernent des peuples. Chez ceux des chrétiens qui se disent sim­ple­s « croyants », elle correspond à une rémanence affective et intellectuelle du Dieu biblique.
Dans la Bible hébraïque, la Sagesse est une troisième voie, après la Loi et les Prophètes. Dans le Judaïsme, au premier siècle, le messianisme et l’apocalyptique occupent le devant de la scène. Même si ces derniers continuent indépendamment sur leur lancée, l’Évangile représente leur meilleure issue. La Gnose, puis l’exégèse allégorique et la théologie chrétiennes, plus loin encore les morales et la philosophie chrétiennes, peuvent être considérées com­me une évolution de la Sagesse.
Pendant et après l’Exil babylonien, les « esprits » font retour dans la religion d’Israël (Satan, par exemple). Le propre de la Bible hébraïque serait cependant plutôt de parler du Dieu unique en termes anthropomorphiques. Surtout, la Bible hébraïque a interverti les rôles : c’est Dieu qui nous parle et nous parle de nous avant que nous lui parlions, que nous parlions de lui.
Il en découle une conception théologique de l’Esprit telle que nous ne parlons de Dieu qu’en fonction de ce qu’il nous a, le premier, parlé. D’où l’idée de la révélation comme d’un témoignage qui, par l’attestation intérieure de l’Esprit, devient Parole. Nous entrons dans une relation personnalisée avec un Esprit voulant. Cela n’exige nullement que nous ayons une croyan­ce préalable en Dieu. Dans ce cas de figure, l’accès à la « chose » se fait dans et par la rencontre avec la volonté qu’elle exprime, d’où une relation d’ordre personnaliste.
Confiée au mythe, ensuite véhiculée par de promesses, des lois et des histoires et, finalement par l’histoire, la vérité, au sens juif et chrétien est celle d’une Parole déjà réalisée dans la tension eschatologique vers sa réalisation.
5) Et qu’en est-il de l’Esprit Saint ? :
Il est « saint », il est le Saint (= Dieu). Le Saint est une façon qualitative de dire l’Unique. Dieu seul est Saint, il est l’unique Saint. Il n’y a pas de sainteté sans amour comme il n’y a pas de justice sans charité.
La pensée biblique de la création a désacralisé la nature, le pouvoir et, par là, le religieux et Dieu lui-même. Pour la pensée et juive, il n’y a pas de langue sainte, d’Écriture sainte, de Terre sainte, au sens d’une divinisation de réalités humaines du fait d’une contiguïté avec le Divin ou d’un écoulement substantiel de ce dernier dans des réalités humaines terrestres. En revanche, il peut y avoir une langue de sainteté, une Écriture (une Loi) de sainteté, une Terre de sainteté. La sainteté définit l’Esprit Saint comme un réel contre lequel nous nous heurtons. Toute sainteté, toute inspiration, est alors de l’ordre du rebond humain contre ce réel.
L’inspiration biblique est le témoignage d’un heurt contre la Sainteté (égal au heurt contre l’Amour : « Est-ce possible que je sois objet de l’Amour ? »). Un rebond qui entraîne avec lui l’attestation des circonstances personnelles, culturelles et géo-politiques du moment où il a eu lieu. Notre témoignage de chrétiens est un rebond second, produit par ce rebond prin­ceps. Un rebond contre le Saint Esprit médiatisé (mieux : médié) par l’avè­ne­ment à la parole du heurt originaire de l’inspiration. La vérité de la parole de Dieu, c’est qu’elle produit des effets dans ma vie, dans les vies.
S’agissant de l’Esprit qui est le Saint, nous pouvons parler de Vérité. Concernant les rebonds qui se produisent du côté humain, à son contact que médiatise la parole de Dieu biblique, bien que ceux-ci soient multiples, nous pouvons parler de vérités, de réalités, de libertés, d’unités, vraies.
La sainteté se rencontre lorsque la révélation biblique nous fait obstacle. Les églises sont désertées, les prisons sont pleines. Les prisons sont dans le vrai et, malgré cela, les Églises sont dans la vérité, parce que c’est là que l’Es­­prit Saint souffre et tra­vaille.
La vérité selon l’Esprit, au sens biblique, n’est ni pénétration ni possession, elle réside dans un rebond qui nous transforme. Elle n’est pas relative, elle n’aboutit pas à une remise en question perpétuelle, son rebond se manifeste dans des remises en question successives : personnelles, éthiques, cor­­poratistes, ecclésiales, sociétales, nationales, religieuses, culturalistes et culturelles, scientifiques, sportives. Des révisions (ou des réformations) qui peuvent être déchirantes, mais qui font avancer, même si l’on achoppe, si l’on a des rechutes, si l’on se blesse.
Dans la mesure même où elle est vraie, la vérité est incommode. En même temps qu’elle nous aguerrit et nous affermit sur le plan de notre expérience de la vie, elle nous fragilise en présence de ceux qui ont bonne conscience, qui prétendent à la suffisance, à la plénitude, à l’indéfectibilité, qui répandent un discours totalitaire.
Toute vérité est incommode, car dépassée par l’esprit de vérité, comme toute unité l’est par l’esprit d’unité ; toute liberté, par l’esprit de liberté. De même : le plaisir est dépassé par le principe de plaisir ; la réalité, par le principe de réalité. Seule l’esthétique finitiste peut inspirer une satisfaction de la perfection.
Tout esprit est dépassé par l’Es­prit, tout principe par le Principe. Mais, sur ce sujet, la référence à l’antérieur originaire voire originel reste en tension avec un à-venir, comporte une téléologie, voire une eschatologie. Tout ce qui est perçu et vécu comme inachevé atteste de l’exigence d’achèvement qu’il comporte. L’Esprit Saint peut se prévaloir de ces caractéristiques de l’Esprit, en général. Il établit cependant sa différence en ce qu’il est de l’or­dre d’une volonté et d’une volonté explicite.
6) Témoins de la vérité :
La vérité est un diamant à plusieurs facettes dont certaines ne sont pas encore dégagées de leur gangue. Ces facettes sont de formes et de tailles différentes, mais le fait qu’elles soient transparentes les unes aux autres, qu’elles soient toutes de la même eau de véracité, d’intégrité, de probité, montre qu’elles appartiennent à une seule et même pierre. Ce qui les fait vivre n’est pas un feu allumé au cœur, c’est la lumière du jour ou les éclairages que nous lui apportons.
L’essentiel est que nous n’omettions aucune de ces facettes, que nous n’en méprisions, n’en refusions aucune. Peut-être, nous arrivera-t-il de saisir le point focal de plusieurs.
S’agissant de l’Esprit Saint, nous ne pouvons qu’être des témoins. C’est lui qui nous donne de reconnaître en Jésus « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6). La vérité est un chemin de vie, le Christ est le chemin de la Vie. Une affirmation entièrement hors cadre puisqu’elle fait de la vérité une personne, une personne vivante et actuellement agissante. Pareille affirmation engage celui qui la professe. C’est une vérité vécue, une vérité à vivre, qui exige de joindre les actes à la parole. Dans la mesure où nous vivons cette confession du Christ vivant, où elle passe dans nos conduites, nos comportements, nous en actualisons toujours de nouveau la vérité et en montrons la portée salvatrice.
En particulier, l’honnêteté, l’ap­ti­tu­de à reconnaître ses dettes et ses erreurs, le refus des raisons de religion, des raisons d’État, de nationalité, de classe, de tribu, de genre, font-elles aussi partie des « manières » du Saint Esprit. La justification et la sanctification sont le contenant et le contenu de ce témoignage. La dernière permet la repentance vis à vis de Dieu et des hommes. Les vérités, réalités, libertés, unités vraies (suite à notre heurt contre la parole de Dieu et au rebond qu’il provoque), sont «vraies » pour autant qu’elles restent de l’ordre du témoignage.
L’effet de la parole de Dieu, se mesure à des manières nouvelles de penser et d’ap­pré­cier, d’être et de se comporter, d’agir, à une innovation dans l’esprit (notre mentalité). Loin de nous engager dans un processus de divinisation qui nous séparerait des autres, la vérité de sainteté, la vérité com­me dynamique du Saint Esprit, nous rend plus matures et plus humains. Elle nous humanise et a peut-être même des conséquences anthropiques.
Tout ce dont nous parlent les textes bibliques devenus parole de Dieu est un don (un charisme), un fait de la grâce. « La grâce et la vérité (ou fidélité) », thème du Premier Testament (Psaume 100), fait appel à une vérité de vie. Pour les chrétiens, cette vérité de vie est actualisée chaque fois que Jésus est présent (Jn 1,14, 17). Présence qui est le fait de l’Esprit, lequel crée ainsi et recrée, toujours de nouveau (et parfois même à nouveau) des chrétiens et l’Église. L’écoute (la réception et la mise en pratique) de l’Évangile, est la « bonne part » qui ne peut être ôtée (Lc 10, 39-42) : on peut nous enlever nos biens, nos affections, la vie même, nul ne pourra nous enlever cette relation personnelle avec Jésus qui est la Vie.
L’intrigue du « don » mérite un moment d’attention. Dans le don gracieux, la grâce, il n’y a pas de demande, il n’y a qu’offre. La demande religieuse existe, elle est même très forte puisque dans des cultures athées elle crée des quasi-religions. Le don de Dieu ne dépend pas de cette demande, ni d’aucune quête, encore moins de toute injonction humaine : il est don de part en part, imprimant, chaque fois, le sentiment d’un agir inaugural. Cela n’exclut pas que le don ainsi répandu ne comporte aucune exigence, que Dieu n’entende pas les prières ou qu’il puisse être changeant dans sa volonté. Cela signifie que Dieu « donne ce qu’il ordonne » (Augustin) ; qu’il accorde ce qu’il sait être bon pour chacun de nous avant même que nous formulions une demande qui a toute chance de tomber à côté de l’essentiel, sauf que l’essentiel est que nous demandions en toute confiance ; que la foi qu’il suscite en nous n’est autre que le propre fait de sa fidélité.
Les Églises se sont engagées dans un processus de conceptualisation de la foi (la doctrine) et cela mérite d’être mis à leur crédit, mais gèrent-elles bien le rapport entre la foi vécue et ses expressions dogmatiques ? Ne donnent-elles pas la prépondérance à l’adhésion aux formules doctrinales, produisant des spiritualités de plus en plus dérivées (cultes, vénérations, piétés), plutôt qu’à la foi comme vécu de la parole de Dieu biblique ? Quel sera le sort de la vérité, comme opération de l’Esprit au moyen de la Parole, comme « folie » (1 Co 1,18-25) confondant les sagesses humaines, quand nous l’aurons transformée en Substance (ou Subsistance), en Pouvoir et en Raison ?
Bien qu’incommode et contrariante, la vérité attire l’adhé­sion, non la crainte ou la sou­mission, elle nous donne foi dans la réalité. Elle ne me fascine pas (ne m’attire ni me repousse), elle m’intéresse au plus haut point.
Comme parole de Dieu au sein de la communauté chrétienne, elle est un constant réajustement de ma relation avec moi-même dont dépendent toutes mes autres relations, une possibilité toujours présente de rétablir des relations rompues. Avec la parole humaine, au surplus, elle m’ai­de à trou­ver ma juste place et le meilleur comportement dans la société et dans le cours des événe­ments, m’é­vi­tant ainsi de devenir un refoulé. Elle me permet d’apprécier le plus exactement pos­sible, avec lucidité et sans ressentiment, la situation et la conduite de mes semblables en société, dans la marche du monde et dans l’histoire, tout autant que la nature, la position et la signification des choses dans l’uni­vers et dans le déroulement des temps.
Jacques Gruber

Juin 2007
L’HOMME JÉSUS
(notes)


Ce qu’ils faut que les détracteurs entendent et que les chrétiens entendent

Jésus peut intéresser les agnostiques, mais uniquement sous l’angle de son humanité. Cette demande a tout son intérêt. Je voudrais essayer d’y répondre. La question de l’homme Jésus est différente de la quête sur le Jésus historique, qui, depuis Albert Schweitzer, dans les années 20 du dernier siècle, s’est plusieurs fois renouvelée sans parvenir à un terme satisfaisant. Je ne prétends pas la reprendre ici. Ce que j’ai en vue, c’est la personnalité de Jésus telle qu’elle se dessine à travers les témoignages évangéliques.


réponse à un commentaire

À propos du « Christ » : Que dit Jésus de lui-même ? D’après le Nouveau Testament, Jésus n’a jamais parlé de lui que comme Fils de l’homme (figure eschatologique venue de Daniel 7). Ce que l’on peut rendre par cette périphrase : « celui qui est le signe de la proximité de l’accomplissement du salut – ou de la fin des temps). Le terme de « Messie » a un sens proche, mais, pour les Juifs, il ne concerne que le rétablissement de leur propre peuple.
D’autre part, les évangiles témoignent de l’existence d’une relation unique au monde et même unique dans la Bible, entre Jésus et celui qu’il appelle le Père (pas Dieu « comme un père » , mais « le Père »). Pour le Premier Testament et pour le Judaïsme, le Père, c’est la Loi (voir interprétation freudienne, ETR, 2007/2, p. 235-247, le Père qu’il faut faire mourir, c’est Moïse -pas Abraham-) qui empêche de revenir au sein maternel, à la terre-mère. Pour Jésus c’est une relation spontanée, intime, immédiate qui ne se dément pas, même sur la croix. Relation filiale exceptionnelle, une filialité, c'est à dire une manière d’être, une qualité d’être qui se manifeste dans les sentiments qu’il exprime, dans ses pensées, ses actes, ses com­­por­tements, ses paroles. En particulier, dans une fraternité humaine sans exclusive et une communion avec la création.
Jésus homme est inclassable dans nos catégories tant séculières que religieuses, il pousse au-delà, vers où, jusqu’où ?
Tel est le Jésus homme, le Jésus de l’histoire.
Que dit-on de lui de l’extérieur ? Dans le Nouveau Testament, Jésus reçoit beaucoup d’appellations. De son vivant, il est qualifié de maître, de prophète, d’Élie de retour, de Fils de David (titre messianique qui lui vaut la contestation des scribes). Les autres sont des témoignages qui lui sont rendus après sa résurrection (témoignages postpascals). Je me cantonne à Messie et Fils de Dieu.
Lors de son baptême et de la transfiguration, une voix venant du ciel dit de lui « Tu es mon Fils, celui que j’adopte –ou engendre - aujourd'hui ». Cette formule se retrouve dans les cérémonies d’intronisation royale des autres peuples du Proche Orient ancien, elle était appliquée aux rois de Juda. Elle faisait du roi un médiateur entre le Dieu national et son peuple (dans ces civilisations, chaque peuple avait son « dieu »). Au premier siècle, la dynastie qui régnait sur Israël, celle des Hérodes, était déconsi­dé­rée par les israélites : usurpatrice, non vraiment juive, fantoche à la solde des romains. Pour ceux qui peuvent avoir entendu cette voix céleste, Jésus est désigné comme vrai roi, authen­ti­que médiateur, entre Israël et son Dieu national.
Lorsque Pierre dira : Tu es le Messie (en grec, langue du Nouveau Testament : le Christ), il pense aussi au Messie nationaliste, comme la suite immédiate du texte le montre.
Marc l’appelle Fils de Dieu (témoignage de l’officier qui commande la crucifixion, 15, 40 -de même Mt 27,54- et annonce liminale de son Évan­gile, 1,1), mais ce n’est pas une évidence, c’est à chacun de le découvrir par soi-même (c’est ce qu’on appelle « le secret messianique », caractéristique de l’évangile selon Marc).
Jean parle du Fils du Père. C’est un témoignage postpascal théologiquement élaboré qui opère le passage de la filialité à la filiation non par une divinisation (voir ci-dessous), mais en lien avec le don du Saint Esprit (c’est l’Esprit qui nous inspire lorsque nous parlons ainsi).
Paul : le Christ : celui que Dieu a établi tel par la résurrection, celui que Dieu a fait Seigneur (= Dieu) tant pour les Juifs que pour les non Juifs. Paul n’a connu que le ressuscité (révélation du chemin de Damas), dans sa bouche, le « Christ » est, comme « le Fils » chez Jean, une Personne charismatique (un don du Saint Esprit).
Ainsi se forme le Christ de la foi.
Le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi ne sont pas séparables ou opposables, ils sont une seule et même personne. Le Christ de la foi renvoie au Jésus de l’histoire et inversement.
À propos de la foi : encore faut-il préciser ce qu’on entend par « foi » :
a) S’agit-il de la foi comme confiance, espérance et gratitude ou de la foi comme doctrine, credo, idéologie ecclésiastique ?
b) S’agit-il d’un être substantiellement divin (ce qui est antibiblique) ou de quelqu'un dont on témoigne charismatiquement (par le Saint Esprit) comme étant Dieu au milieu de nous, chemin vivant vers le Dieu vivant, celui qui nous fait entrer avec lui dans cette intimité unique qu’il partage avec Celui que, soutenus par le Saint Esprit, nous pouvons appeler Père à notre tour ?
À propos de Dieu lui-même : Au cours de leur histoire, les Églises ont privilégié les titres de Christ et de Fils de Dieu qui sont devenues équivalentes.
Le christianisme s’est hellénisé, s’éloignant de plus en plus de la mentalité hébraïque qui est celle où les termes de Christ (Messie) et de Fils de Dieu étaient pensés au départ. L’interprétation de l’expression Fils de Dieu qui a été privilégiée est l’interprétation selon laquelle Jésus est Dieu dans son être (ontologiquement) : il est divin.
Cela ne concorde pas avec la foi juive qui exclut que l’on nomme, que l’on définisse ou que l’on représente Dieu. Le nommer, le définir, le représenter, c’est le « poser » alors que l’idée juste de Dieu est que c’est lui et lui seul qui « pose » tout être, qu’il n’est « posé » par rien ni personne.
La foi juive est une relation personnelle avec Celui qui est « Le Nom » (autrement dit : La Personne), une relation personnelle qui s’appréhende comme sainteté et amour à travers des libérations qui conduisent à l’idée d’une Création (d’où les qualificatifs de Seigneur et Sauveur). Cette foi connaît un Dieu qui fait « Alliance », jamais un Dieu qui serait substance divine. Jésus dira, dans Jean 4, qu’il est « Esprit ». La Qabbale parle de « l’Infini », mais les Juifs orthodoxes le désapprouvent.
La conception (antibiblique) de l’Être substantiellement divin est à la base de la foi en la divinité pleine et entière de Jésus, l’Incarnation (le dogme des deux natures du concile de Chal­cé­doine, 451). Cette idée, passant dans l’Église (corps de Christ), devient la « théan­thropie » (mot formé de théos=dieu et anthrôpos=homme) ou plénitude. L’incarnation est une coulée ininter­rompue de divin venant du Christ, garantie par le pouvoir sacramentel épiscopal. Ce pouvoir est mis en œuvre par les prêtres dans les sacrements (baptême, confirmation, eucharistie, absolution, mariage, extrême onction).
On aboutit ainsi à des expressions telles que « Marie, mère de Dieu », « David, frère de Dieu », les Juifs « peuple déicide », on en vient à la vénération des reliques, des icônes, des inter­mé­diaires, des lieux, à la conception du théisme qui implique, en fin de parcours la divinisation de l’homme (« Dieu s’est fait homme pour que nous devenions Dieu », Athanase, en 318), à la définition de l’eucharistie comme transsubstantiation (le pain devient la chair même de Jésus), ce qui va de pair avec la création d’un sacrement de l’ordre, la conception hiérarchique de l’Église, l’existence d’un magistère.
La foi qui était confiance et espérance dans le Christ Jésus, gratitude à son égard, par la réception de son Évangile, qui était un don, devient adhésion à une doctrine, une idéologie, un ensemble de croyances, des actes sacerdotaux, en résumé : à des données. Elle devient même superstition.
Ainsi s’est produit, dans l’histoire du christianisme, un passage à la limite, on a outre­passé la limite que pose la foi d’Israël au Dieu unique que l’on ne peut voir, représenter ni nommer, la foi dont témoignent les Écritures hébraïques pour lesquelles aucune créature ne peut être divinisée ni ici-bas, ni au-delà.
Conclusion : Il faut savoir discerner si la personne qui parle du Christ ou du Fils croit à l’existence d’un « divin » (d’une nature divine, d’une substance divine qui peut s’écouler dans notre humanité et dans notre monde par les canaux homologués de l’Église) ou si elle se situe dans la relation charismatique (que nous rapportons à l’assistance du Saint Esprit) de confiance, d’espé­rance en Jésus et de gratitude pour lui, relation qui nous fait entrer dans la communion intime avec le Père et peut bien en cela s’appeler le Fils de Dieu.
Du même coup on choisit la voie trinitaire et non unitarienne. Il ne s’agit pas de la Trinité du credo idéologique (ce qu’on appelle, en termes techniques : la Trinité ontologique), mais la Trinité vécue dans et par la confiance et l’espérance, celle qu’exprime, par exemple, 2 Co 13, 13 : « L’amour du Père, la grâce de notre Seigneur Jésus Christ et la communion du Saint Esprit sont avec vous » (ce qu’on appelle, en termes techniques : la Trinité éco­no­mi­que).
Les unitariens peuvent-ils être chrétiens ? Ils l’affirment, je ne me permettrai pas de le contester. Pour moi, cela signifie qu’ils ont avec le Dieu biblique la même relation directe unique qu’avait Jésus, sans passer par le travail charismatique du Saint Esprit qui, par l’an­non­ce de l’Évangile*, nous donne en Jésus le Christ ou le Fils (un Seigneur et un Sauveur personnels et universels). Ils font de Jésus un Modèle (un intermédiaire et non plus le médiateur, dans la ligne d’Arius au iii ème siècle). Chaque chrétien est alors un petit christ tirant son salut personnel directement de Dieu, sans pouvoir être cependant seigneur ni sauveur de quiconque.
* l’Évangile est, en même temps : a) Évangile du Christ (la Bonne Nouvelle, dont Jésus est acteur et auteur, exerçant son action sur nous, de façon directe et actuelle, grâce au témoignage du Saint Esprit, et nous conduisant à confesser en lui le Christ, le Fils de Dieu) et b) Évangile au sujet du Christ (les textes qui rapportent les témoignages rétrospectifs de ceux qui, après sa résurrection, ont discerné le Christ le Fils de Dieu dans ce que Jésus a été, a dit, a fait). Nous allons sans cesse de l’Évangile du Christ à l’Évangile au sujet du Christ et inversement.
Autres questions : François de Sales : cité à propos de la critique sur les méthodes des évangéliques. Ils « achètent » les conversions ! (en réalité : les missionnaires rémunèrent à la hauteur d’un traitement pastoral aux États-Unis, en dollars, ceux des autochtones convertis qui acceptent d’accomplir un ministère dans les communautés nouvelles). François de Sales qui s’était donné pour mission de ramener à la foi catholique les protestants du Chablais (et y a réussi) n’hésitait pas à acheter des conversions.
L’Église latente de P. Tillich (dans sa dernière pensée, il ne parle plus en ces termes, mais exprime la même chose). Il transpose sur un plan ecclésial ce que les chrétiens ont cru, pensé et dit de tout temps : qu’il y a des « semences » d’évangile, de foi, d’amour, de salut dans les autres religions, les autres peuples, chez des gens sans religion. Pour P. Tillich, il y a aussi en eux des germes d’Église ou même une Élise implicite. Ce qui importe est de savoir quelle sera notre attitude face à ces gens : en ferons-nous des points de rencontre (ce qui est de l’évangélisation) ou des prétextes à récupération (ce qui est de la christianisation) ?
À propos du « Christ » : D’après le Nouveau Testament, Jésus n’a jamais parlé de lui que comme Fils de l’homme (figure eschatologique venue de Daniel 7). Ce que l’on peut rendre par cette périphrase : « celui qui est le signe de la proximité de l’accomplissement du salut – ou de la fin des temps). Le terme de « Messie » a un sens proche, mais, pour les Juifs, il ne concerne qué le rétablissement de leur peuple.
D’autre part, les évangiles témoignent de l’existence d’une relation unique au monde et même unique dans la Bible, entre Jésus à celui qu’il appelle le Père (pas Dieu « comme un père , mais le Père). Relation spontanée, intime, immédiate qui ne se dément pas, même sur la croix. Relation filiale exceptionnelle, une filialité, c'est à dire une manière d’être, une qualité d’être.
Tel est le Jésus de l’histoire.
NB : les gens qui ne veulent connaître que Jésus homme doivent accepter la filialité.
Il n’en va pas de même de ce qui est dit de lui par les gens extérieurs.
Lors de son baptême et lors de la transfiguration, une voix venant du ciel dit de lui « Tu es mon Fils, celui que j’adopte –ou engendre - aujourd'hui ». Cette formule se retrouve dans les cérémonies d’intronisation royale des autres peuples du Proche Orient ancien, elle était appliquée aux rois de Juda. Elle faisait du roi un médiateur entre le Dieu national et son peuple. Au premietr siècle, la dynastie qui régnait sur Israël, celle des Hérodes, était considérée par les israélites comme usurpatrice, non vraiment juive, fantoche des romains. Jésus est désigné comme vrai roi, authentique médiateur, entre Israël et son Dieu national.
Pierre dira : Tu es le Messie (en grec, langue du Nouveau Testament : le Christ), mais au sens du Messie nationaliste comme la suite immédiate du texte le montre.
Matthieu : Emmanuel, c'est à dire « Dieu au milieu de nous », le Juge du Dernier Jour.
Marc : (témoignage de l’officier qui commande la crucifixion, 15, 40 -de même Mt 27,54- et annonce liminale de son Évan­gile, 1,1) : Fils de Dieu, mais ce n’est pas une évidence, c’est à chacun de nous de le découvrit par nous-mêmes.
Luc : le Sauveur venu pour les pécheurs, Celui qui marque le milieu des temps.
Jean : la Parole créatrice, l’Agneau de Dieu, le roi d’Israël, la lumière, le chemin la résurrection et la vie, le bon berger, la vigne, le Fils du Père, Celui qui nous envoie l’Esprit, « Mon Seigneur et mon Dieu ».
Paul : le Christ : celui que Dieu a établi tel par la résurrection, celui que Dieu a fait Seigneur (= Dieu) tant pour les Juifs que pour les non Juifs.
Hébreux : le Médiateur entre Dieu et les humains.
Actes (c'est à dire les premières Églises) : le Seigneur, le Sauveur.
Apocalypse : l’Agneau comme immolé.
Toutes ces expressions sont équivalentes, ce sont des points de vue différents pris sur Jésus par des témoins. Autant de témoins, autant de point de vue, mais qui, tous, veulent rendre compte de l’effet unique produit sur eux par un même personnage. Ils le font dans la culture qui est la leur : celle de la religion juive dans le cadre de laquelle il faut les comprendre. Cependant, ils ne le font ni en hébreu ni en araméen, mais en grec, ce qui présente des risques de distorsions. La 4ème Évangile va plus loin : avec la « Parole faite chair », il tente l’adaptation de l’idée-force de la culture grecque, étrangère au monde hébraïque : le Logos, parole, raison, ordre des choses, mais au prix du paradoxe, car rien n’est plus scandaleux pour la pensée grecque que l’idée d’une incarnation du Logos dans un être humain.
Ainsi se forme le Christ de la foi.
Le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi ne sont pas séparables ou opposables, ils sont une seule et même personne, un peu comme ont peut dire : unetelle la Girouette, untel la Bourrasque… Le Christ de la foi renvoie au Jésus de l’histoire et inversement.
Je ne dirai pas la même chose des noms qui sont décernés à Jésus dans nos sociétés : un prophète, un rabbi, un sage, l’Ami, le Modèle, le mec qui naît à Noël est meurt à Pâques
Christ de la foi : encore faut-il préciser ce qu’on entend par « foi ». S’agit-il de la foi comme confiance et espérance ou de la foi comme doctrine ?
S’agit-il d’un être substantiellement divin (ce qui est antibiblique) ou de quelqu'un dont on témoigne charismatiquement (par le Saint Esprit) comme étant Dieu au milieu de nous, chemin vivant vers le Dieu vivant, celui qui nous fait entrer avec lui dans cette intimité unique qu’il partage avec Celui que, soutenus par le Saint Esprit, nous pouvons appeler Père à notre tour ?
Au cours de leur histoire, les Églises ont privilégié les titres de Christ et de Fils de Dieu qui sont devenues équivalentes.
Le christianisme s’est hellénisé, s’éloignant de plus en plus de la mentalité hébraïque qui est celle où les termes de Christ (Messie) et de Fils de Dieu étaient pensés au départ. L’interprétation de l’expression Fils de Dieu qui a été privilégiée est l’interprétation forte : Jésus est Dieu dans son être (ontologiquement), il est divin.
Cela ne concorde pas avec la foi juive. Elle est une relation personnelle avec Celui qui est « Le Nom » (autrement dit : La Personne). Elle est foi en un Dieu qui est sainteté et amour, libérateur et créateur, Seigneur et Sauveur. Jésus dira, dans Jean 4, qu’il est « Esprit ». Aujourd'hui, les Juifs, suite à la Qabbale, peuvent parler de « l’Infini ».
La conception de l’être substantiellement divin est à la base de la foi en la divinité pleine et entière de Jésus, l’Incarnation (le dogme des deux natures du concile de Chal­cé­doine, 451). Cette idée, passant dans l’Église (corps de Christ), devient la « théan­thropie » (mot formé de théos=dieu et anthrôpos=homme) ou plénitude, incarnation qui est une coulée ininter­rompue de divin garantie par le pouvoir sacramentel épiscopal (succession apostolique, sacrement de l’ordre, magistère). Ce pouvoir est mis en œuvre par les prêtres dans les sacrements (baptême, confirmation, eucharistie, absolution, mariage, extrême onction).
Elle est à la base de la foi en la divinité pleine et entière de Jésus, l’Incarnation (le dogme des deux natures du concile de Chalcédoine, 451). Cette idée, passant dans l’Église (corps de Christ), devient la « théanhropie » (mot formé de théos=dieu et anthrôpos=homme) ou plénitude, incarnation ininterrompue garantie par le pouvoir sacramentel épiscopal.
On aboutit ainsi à des expressions telles que « Marie, mère de Dieu », « David, frère de Dieu », les Juifs « peuple déicide », à la vénération des reliques, des icônes, des intermédiaires, des lieux, à la conception du théisme qui implique, en fin de parcours la divinisation de l’homme (« Dieu s’est fait homme pour que nous devenions Dieu », Athanase, en 318), à la définition de l’eucharistie comme transsubstantiation (le pain devient la chair même de Jésus), ce qui va de pair avec la création d’un sacrement de l’ordre, la conception hiérarchique de l’Église, l’existene d’un magistère.
La foi qui était confiance et espérance dans le Christ Jésus par la réception de son Évangile devient adhésion à une doctrine, une idéologie, un ensemble de croyances et même une superstition.
Ainsi s’est produit, dans l’histoire du christianisme, un passage à la limite, on a outrepassé la limite que pose la foi d’Israël au Dieu unique que l’on ne peut voir, représenter ni nommer, la foi dont témoignent les Écritures hébraïques pour lesquelles aucune créature ne peut être divinisée ni ici-bas, ni au-delà.
Conclusion : Il faut savoir discerner si la personne qui parle du Christ ou du Fils croit à l’existence d’un « divin » (d’une nature divine, d’une substance divine qui peut s’écouler dans notre humanité et dans notre monde par les canaux homologués de l’Église) ou si elle se situe dans la relation charismatique (que nous rapportons à l’assistance du Saint Esprit) de confiance et d’espé­rance en Jésus, lequel nous fait entrer dans la communion intime avec le Père et peut bien en cela s’appeler le Fils de Dieu.
Du même coup on choisit la voie trinitaire et non unitarienne. Non la Trinité du credo idéologique (ce qu’on appelle, en termes techniques : la Trinité ontologique), mais la Trinité vécue dans et par la confiance et l’espérance, celle qu’exprime, par exemple, 2 Co 13, 13 : « L’amour du Père, la grâce de notre Seigneur Jésus Christ et la communion du Saint Esprit sont avec vous » (ce qu’on appelle, en termes techniques : la Trinité économique).
Autres questions : François de Sales : cité à propos de la critique sur les méthodes des évangéliques. Ils « achètent » les conversions ! (en réalité : les missionnaires rémunèrent à la hauteur d’un traitement pastoral aux États-Unis, en dollars, ceux des autochtones convertis qui acceptent d’accomplir un ministère dans les communautés nouvelles). François de Sales qui s’était donné pour mission de ramener à la foi catholique les protestants du Chablais (et y a réussi) n’hésitait pas à acheter des conversions.
L’Église latente de P. Tillich (dans sa dernière pensée, il ne parle plus en ces termes, mais exprime la même chose). Il transpose sur un plan ecclésial ce que les chrétiens ont cru, pensé et dit de tout temps : qu’il y a des « semences » d’évangile, de foi, d’amour, de salut dans les autres religions, les autres peuples, chez des gens sans religion. Pour P. Tillich, il y a aussi en eux des germes d’Église ou même une Église implicite. Ce qui importe est de savoir quelle sera notre attitude face à ces gens : en ferons-nous des points de rencontre (ce qui est de l’évangélisation) ou des prétextes à récupération (ce qui est de la christianisation) ?
Différence entre foi et idéologie : la foi (confiance et espérance) naît du témoignage (biblique en premier lieu) elle est animée par le Saint Esprit, on lui substitue une idéologie qu’il faut croire. La conceptualisation de la foi est une bonne chose (la théologie d’invention chrétienne), mais en faire un credo obligatoire ? Le divin, le sacré, à l’origine de la vénération pour ses intermédiaires. Le vécu pour l’économie, le théologal ; le conçu pour la théologie.
Exige-t-on d’un l’utilisateur de l’ordinateur les connaissances qui permettent de créer des logiciels ?
Entre les Juifs qui sont seuls à se comprendre, les catholiques et les musulmans qui ont toujours raison, les protestants qui remettent sans cesse leur ouvrage sur le métier, le monothéisme n’est pas facile.
La Tradition catholique et orthodoxe développe dans un sens identitaire propre des vérités et croyances obligatoires : Dieu s’est fait homme pour que nous devenions Dieu (théisme, déification), théanthropie-plénitude, dogmes marials, purgatoire, enfer, pouvoir sacramentel, Dans la Bible, Dieu parle peu de lui-même, il ne parle de lui qu’en fonction de nous.
Les abstractions auxquelles il faut croire : Incarnation, Résurrection, Rédemption, Salut, préférer parler d’Emmanuel, de Ressuscité, de Réconciliation, de Libération.
Le kérygme (message) biblique part-il de la Création ou de la sortie d’’Egypte, de la création ou de la libération (barthisme) ?
Dans la Bible, Dieu est-il l’Être, a-t-il une essence qui existe par soi, est-il une Subtance infiniment bonne, possède-t-il une nature propre (ontothéologie) ou est-il dans la relation, relationnel ? Dieu Relation, c’est l’intérêt de la Trinité : Dieu saint relation en soi (périchorèse). Dans l’ordre de la relation : l’Alliance et la foi, la parole de Dieu (Écritures avec Saint Esprit), les libérations. La création par la Parole est de l’ordre d’un relationnel créateur (alors que dans Genèse 2, Dieu « modèle » Adam.
La foi non réponse, mais rebond de la Parole.
Quand la Parole devient Personne ?
Jésus : filialité et/ou filiation ? Les évangiles témoignent d’une relation unique au monde et même dans la Bible, de Jésus à celui qu’il appelle le Père (pas Dieu « comme un père »). Relation spontanée, intime, immédiate qui ne se dément pas, même sur la croix. Relation filiale exceptionnelle, filialité. Cette relation exige-t-elle la filiation, la communion dans le divin, la divinité infuse ? d’où le « mystère » de l’Incarnation qui se propage à et est à propager ? Non, si on n’opte pas pour le divin qui définit Dieu. La filialité : relation dans et par l’Esprit ; la filiation : relation substantielle.
Suggestion : la filialité est un fait, nous pouvons entrer dedans à la suite de Jésus (l’être en Christ). Ce faisant nous comprenons que cela ne suffit pas, qu’il faut aller plus loin, mais je ne l’interpréterai pas au sens de la filiation (Jésus est divin, il réalise dès à présent la plénitude de la divinité sur terre) sinon d’une filiation déjà la et pas encore : qui sera révélée au dernier jour, aller plus loin dans la perspective eschatologique. Notre être en Christ actuel de l’ordre d’un débordement par Christ. Être entourés, non infusés par la filiation d’avec le Dieu non divin, mais Relation (non que nous entrions dans la relaton intrarinitaire, mais que Jésus y soit et, par là, nous déborde).
À l’extrême opposé les unitariens, non trinitaires, croyants monothéistes qui, dans une tradition ou une culture chrétienne, feront référence de façon plus paticulière, voire insistante, préférentielle à Jésus. Cela fait-il le chrétien ?
Jésus Fils de Dieu ? Que signifie cette expression dans le contexte juif hébraïque ? Jésus a dit de lui : Fils de l’homme. Marc : Fils de Dieu, Jean : Fils du Père ; Paul : le Christ (=Messie de Dieu) ; Hébreux : le Médiateur. Toutes expressions qui renvoient à Seigneur-Adonaï et Sauveur-Libérateur. Evangelium de Christo : l’Évangile qui apporte la parole et rapporte les actes et comportements de Jésus ; Evangelium Christi : le témoignage sur la filiation divine de Jésus.
Que signifient les expressions « fils et filles de Dieu », « enfants de Dieu » ? Dans l’ordre de la foi ou dans celui de la divinisation ?
Que penser de : Dieu Créateur (Père), Dieu au milieu de nous (Jésus Christ) et Dieu en nous (Saint Esprit), dès qu’on appréhende l’un on est conduit vers l’autre ?
Nouveau Testament : une religion de la foi par opposition à celle de la Loi, mais aussi celle de la sacralité du divin. Paul, dans se épîtres, emploie une terminolgie de droit : héritiers, adoption, justification.
Confession de foi biblique (économique) : Jésus Seigneur et Sauveur (conceptualisé dans les christologies dont celle de Chalcédoine), amour de Dieu, grâce de notre Seigneur Jésus Christ, communion du Saint Esprit (2 Co 13,13) conceptualisé dans la doctrine trinitaire.
Le Saint Esprit est-il réservé aux élus ? Oui, à condition que ces élus prennent conscience qu’ils ont à témoigner pour les autres.
autre texte :
Jésus, qui es-tu ?
1) Lui donner la parole :
Les évangiles, Jésus ne parle jamais de lui que comme Fils de l’homme. Renvoi à Daniel 7, 9-14 : c’est une figure apocalyptique dont le sens est : Celui dont la venue ou la présence annonce que les temps sont accomplis, que le salut est à la porte.
Dans le contexte du moment, les gens de rencontre disent : C’est Jean-baptiste ressuscité, Élie de retour, un prophète. Un aveugle l’interpelle en l’appelant : Fils de David.
Pierre dira : Tu es le Christ (le Messie), mais au sens du Messie nationaliste comme la suite immédiate du texte le montre.
Matthieu : Emmanuel, c'est à dire « Dieu au milieu de nous », le Juge du Dernier Jour.
Marc : (témoignage de l’officier qui commande la crucifixion, 15, 40 -de même Mt 27,54- et annonce liminale de son Évan­gile, 1,1) : Fils de Dieu, mais ce n’est pas une évidence, c’est à chacun de nous de le découvrit par nous-mêmes.
Luc : le Sauveur venu pour les pécheurs, Celui qui marque le milieu des temps.
Jean : la Parole créatrice, l’Agneau de Dieu, la lumière, le chemin la résurrection et la vie, le bon berger, la vigne, le Fils du Père, celui qui nous envoie l’Esprit.
Paul : le Christ : celui que Dieu a établi tel par la résurrection, celui que Dieu a fait Seigneur (= Dieu) tant pour les Juifs que pour les non Juifs.
Hébreux : le Médiateur entre Dieu et les humains.
Actes, Pierre : le Seigneur, le Sauveur.
Apocalypse : l’Agneau comme immolé.
Toutes ces expressions sont équivalentes, ce sont des points de vue différents pris sur Jésus. Je ne dirai pas la même chose des titres qui sont décernés à Jésus dans nos sociétés : un prophète, un rabbi, un sage, l’Ami, le Modèle.
2) Quel est le sens donner à l’expression « fils de » ? L’expression, dans son interprétation faible, fat référence à une origine spirituelle, à l’esprit, la mentalité, qui anime quelqu'un (en français : fils de chien, fils de pute), à la limite : l’être.
Quel est le statut du « Fils » dans la foi chrétienne ? Il reflète un fait historique : sa relation filiale immédiate avec le Dieu d’Israël, qui ne se dément pas même sur la croix (« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ! » Mt 27,35, « Père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font » Lc 23,34, « Père, entre tes mains, je remets mon esprit » Lc 23,46). Les évangiles témoignent de cette filialité et, témoignant de cela, nous laissent sur notre faim : cela nous emmène plus loin, à la filiation. Filialité est de l’ordre de la qualité (Grand Robert). Un saut qualitatif infini ? La filialité se manifeste non seulment dans la prière de Jésus, mais dans ses sentiments, ses pensées, ses paroles, ses actes, ses comportements qui renvoient au Dieu saint et amour.
Dans l’esprit de l’époque hellénistique, cette interprétation forte de l’expression Fils de Dieu signifie que Jésus est Dieu dans son être (ontologiquement), qu’il est divin. Elle est à la base de la foi en la divinité pleine et entière de Jésus, l’Incarnation (le dogme des deux natures du concile de Chalcédoine, 451). Cette idée, passant dans l’Église (corps de Christ), devient la « théanhropie » (mot formé de théos=dieu et anthrôpos=homme) ou plénitude, incarnation ininterrompue garantie par le pouvoir sacramentel épiscopal. On aboutit ainsi à des expressions telles que « Marie, mère de Dieu », « David, frère de Dieu », à la vénération des reliques, des icônes, des intermédiaires, des lieux, à la conception du théisme qui implique, en fin de parcours la divinisation de l’homme (« Dieu s’est fait homme pour que nous devenions Dieu », Athanase, en 318), à la conception de l’eucharistie comme transsubstantiation, ce qui va de pair avec la création d’un sacrement de l’ordre et la conception hiérarchique de l’Église. La foi qui était confiance et espérance en Jésus par la réception de son Évangile devient adhésion à une doctrine, ensemble de croyances et même superstition.
Ainsi s’est produit, dans l’histoire du christianisme, un passage à la limite, on a outrepassé la limite que pose la foi d’Israël au Dieu unique que l’on ne peut voir, représenter ni nommer, la foi dont témoignent les Écritures hébraïques pour lesquelles aucune créature ne peut être divinisée ni ici-bas, ni au-delà.
3) La filialité de Jésus nous entraîne aussi plus loin en ce qui concerne la conception de Dieu qu’elle implique : non le Dieu des théologies (une Substance existant par soi, infiniment puissante et bonne), mais le Dieu vivant d’Abraham, Isaac et Jacob. Non l’Allah monolithique de l’islam, le Dieu solitaire des unitariens, le Dieu qui évolue en parallèle avec sa création de la théologie du Process, mais le Dieu trinitaire. Non celui des spéculations ontologiques (même si celles-ci présentent un réel intérêt au point de vue de la pensée), mais le Père Créateur, Fils au milieu de nous, Saint Esprit au-dedans de nous, socialisé en lui-même qui ne peut être Créateur sans que nous ne le reconnaissions en nous (par le Saint Esprit) et au milieu de nous (en Jésus) ; qui ne peut être en nous (Esprit) sans que nous ne reconnaissions sa présence en et par Jésus Christ, au milieu de nous et que nous soyons conduits à le louer comme Créateur de ce milieu-même ; qui ne peut être au milieu de nous (Emmanuel) sans être aussi au-dedans de nous et dans l’acte de création et de recréation.
4) Point de vue personnel : Comment vois-je les choses pour moi-même ? C’est vrai que la filialité de Jésus m’emmène plus loin, je sens que je ne peux en rester là, mais je vis cette certitude dans la perspective eschatologique du Fils de l’homme : non comme un fait patent, mais au sens de Cullmann : déjà là et pas encore. Jésus Fils de Dieu par filiation, c’est déjà là, mais pas encore et lorsque ce sera, nous ne serons pas divinisés, mais enfin tels qu’en nous-mêmes. Aujourd'hui, nous pouvons entrer à la suite de Jésus dans la filialité avec le Père, cela ne nous sacralise pas, mais nous permet d’être mieux des êtres humains ici et maintenant. C’est le sens de « fils, filles, enfants de Dieu », ce que Paul appelle d’un terme à résonance juridique et/ou charismatique, mais non sacramentaliste : l’adoption.
Je ne me range pas à l’adoptianisme. Les textes évangéliques qui parlent de l’adoption (baptême de Jésus, transfiguration) montrent que l’adoption est la limite au-delà de laquelle on ne peut aller au stade antépascal. Elle devient fausse lorsqu’on la reporte pour en faire la christologie postpascale (celle de l’Église).
Quelle interprétation du Jésus de l’histoire et du Christ de la foi ? Idée féconde de M. Kähler, à ne pas comprendre comme une dissociation de Jésus. Le Jésus de l’histoire, c’est la filialité, le Christ de la foi, c’est la filiation… pour autant que nous restions dans le domaine de la foi (de la christologie), que nous ne nous installions pas dans celui de la substance (l’ontique).
Il y a deux stades dans le témoignage : le témoignage antépascal qui rend compte de l’adop­tion et la de la filialité et le témoignage postpascal qui confesse le Christ Fils de Dieu (la filiation es un effet du Saint Esprit postpascal). Le second est partiellement reporté dans les textes des évangiles, mais totalement et de façon substantialiste (ontique) dans la christologie de l’Église, dans la doctrine de l’Église (le credo, son idéologie, qui prend la place de la foi confiance et espérance) et dans l’Église (pouvoir sacramentel).
La foi comme confiance et espérance à Jésus Seigneur et Sauveur, permet de confesser la foi postpascale de la filiation et la présence actuelle du Christ Jésus de façon charismatique (grâce à l’Esprit que le Fils nous envoie), de façon non ontique ou substantialiste et, par là, évite de reporter la filiation sur le Jésus de l’histoire.
5) Foi ou credo :
Quel sens donner à « Et la Parole a été faite chair, elle a dressé sa tente parmi nous ? »
Il faut savoir distinguer deux stades : le stade de la foi et celui du credo, le niveau de la confiance et de l’espérance et le niveau de l’idéologie. Dire, au stade de la foi : Jésus est le Seigneur (Adonaï, Dieu, en hébreu), et le Sauveur (le mien et celui des autres, celui de toute la création) ou : il est le Médiateur (le trait d’union charismatique entre Dieu et nous) sont équivalents de confesser, avec le credo de Chalcédoine : il est pleinement Dieu et pleinement homme, si, du moins, nous accordons un sens charismatique et pas substantialiste à ces expressions.
De la même manière, confesser l’amour de Dieu, la grâce de notre Seigneur Jésus Christ et la communion du Saint Esprit (2 Co 13 ,3), est l’équivalent de la Trinité conceptuelle (du moment que nous ne la concevons pas de façon ontologique).
Est-il bon et utile d’exiger des chrétiens une adhésion de foi à des doctrines plutôt qu’au prédogmatique qui est à leur point de départ ? De substituer le conçu au vécu de la foi, de remplacer la foi par des croyances ? Le choix des premiers siècles chrétiens pour la culture grecque plutôt que pou les religions orientales a eu deux conséquences, l’une bonne, l’autre mauvaise. La bonne c’est que ces premiers siècles ont voulu « penser » la foi (la théologie est une invention chrétienne), la mauvaise est que la foi est devenue de plus en plus une idéologie vécue au lieu d’un vécu de confiance et d’espérance.
Dans le jargon théologique, c’est la distinction entre l’économie et l’ontologie. Les chrétiens, les Églises vivent dans l’économie, pas dans l’ontologie, le mouvement de la pensée contemporaine (la déconstruction justifiée à mes yeux, de l’ontothéologie et du théisme) nous y aide.
Jésus inclassable : rabbin ?, prophète ?, sage ? , et plus encore ?

Juillet 2007

ÉLECTION ou PLÉBISCITE
Le jour où Jésus est entré à Jérusalem, il a été l’objet d’une fête improvisée. Selon ce qui nous est rapporté (ou conté ?). La foule ne doit pas faire illusion, elle ne peut être significative de l’ensemble du peuple d’Israël à l’époque, pas plus que celle qui criera « Crucifie ! ». On peut comprendre le succès de Jésus si l’on imagine que cette foule est constituée en majeure partie des pèlerins venant de Galilée où Jésus est devenu très populaire (pensons à la multiplication des pains). Il s’agit d’un plébiscite (plebs : foule, populace).
Les foules aiment les plébiscites. Les démocraties estampillées « populaires » ou de toute autre marque idéologique civile, religieuse, militaire, sont plébiscitaires. C'est à dire que la démocratie s’est niée elle-même. Dans une élection, nous donnons notre voix et nous conférons pour un temps donné des pouvoirs à certaines personnes, nous donnons notre accord sur un programme et sommes disposés à aider à sa réalisation, à partager de fait la responsabilité du proche avenir de notre pays, dans un esprit civique, avec les élus.
Dans un plébiscite, nous donnons notre voix et notre foi. C’est le cas des totalitarismes où un Président à vie (parfois même fondateur d’une dynastie), tenant d’une idéologie, se fait mettre en place d’une façon qui a les apparences de la démocratie, mais ne l’est nullement. En tant que chrétiens, nous donnerons notre voix, mais pas notre foi et nous ne donnerons pas notre voix à un parti politique ou religieux qui réclame les voix et la foi.
Lorsque j’étais au lycée (entre 1940 et 1944), j’avais quelques professeurs marxistes, et des camarades communistes. Ils exerçaient de réelles pressions : « On ne peut être vraiment antifasciste si on n’est pas communiste ». Ensuite on a connu les années du culte de la personnalité : « Tu aimeras Staline, le Père, de tout ton cœur, de toute ta force, de toute ta pensée et tu élimineras tous ceux qui ne sont pas dans la ligne du Parti». Durant ces années, le Sommaire de la Loi (Marc, 12, 28-34 et les parallèles dans Matthieu et Luc) m’a gardé d’adhérer à toute idéologie et de militer ailleurs que dans ma paroisse. Aujourd'hui je m’en félicite ou plutôt j’en rends grâces à Dieu. La foi (chrétienne dans le cas présent) est un facteur de résistance spirituelle qui nous insère dans l’histoire e façon clairvoyante et anime une vie de citoyen actif et néanmoins critique.
Nicolas de Zinzendorf, créateur du mouvement des frères moraves au xviiième siècle, se serait décidé à donner toute sa vie au Christ devant une image du Crucifié accompagnée de cette phrase « Regarde ce que j’ai fait pour toi, et toi qu’as-tu fait pour moi ? ». J-F. Kennedy, lors de son élection, appelait ses concitoyens à se poser la question : « Vu tout ce que mon pays a fait pour moi, que puis-je faire aujourd'hui pour lui ». Donner sa foi, c’est donner sa vie, donner sa voix, c’est confier des responsabilités et accepter de les partager.
Je n’ai jamais donné à aucune élection que ma voix, pas ma foi. Pourtant j’ai été plusieurs fois tenté de m’engager, non dans un parti ou une idéologie, mais à la suite des fortes aspirations populaires vers leur épanouissement social. Donner sa voix sans donner sa foi n’empêche pas de donner beaucoup sur le plan civique. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est César peut se comprendre comme faire le tri entre don de Dieu en Jésus Christ et ce que notre famille, l’École, notre pays (éventuellement notre Église) nous ont donné. Une dette fructueuse.
Que notre foi nous garde de donner à des hommes autres chose que notre voix n’annule pas le civisme. Il est la loyauté et la bonne volonté pour ceux à qui l’on a délégué les responsabilités civiles et militaires. Le civisme est la base de la vie commune des individus, à l’opposé de celle des peuples ayant une âme collective. chez une personne non individualiste,.
Donner sa voix c’est conférer une parcelle de pouvoir, ne pas donner sa foi, c’est garder une réserve de résistance à tous les pouvoirs. Nombre de personnes votent en fonction des partis (ou des personnages) auxquels ils peuvent adhérer de foi. Elles cherchent non seulement à participer à une action de circonstance, mais à épouser l’idéologie-miracle proposée pour un salut terrestre. Ils sont à la recherche d’une Église laïque apportant leur pierre à l’édification d’une quasi religion séculière. La distinction entre la foi et la voix est la base de la démocratie et de la laïcité.
Une élection n’est pas un plébiscite, mais elle peut être transformée en plébiscite. La voix que nous avons donnée peut être détournée par ceux à qui nous l’avons donnée et se retrouver transmuée en foi plébiscitaire. Nous avons gravement manqué de lucidité
L’application de cette attitude est délicate quand on se trouve en présence d’une autorité religieuse. S’agit-il d’une autorité ou d’un pouvoir ? Le sorcier, le chaman, le gourou, le prédicateur charismatique, mieux encore un Grand Prêtre, un Pontife, un Calife ou, peut-être même, un Secrétaire général, même s’ils sont les élus (ou plutôt cooptés) à un échelon quelconque, relèvent du plébiscite. Lorsqu’ils sont vus comme une médiation de l’Absolu ou comme l’é­manation d’une idéologie, s’il réunissent les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, ils sont un pouvoir. Dans la mesure où leur personne devient objet de vénération, d’un culte de la personnalité, tous les ingrédients pour un abus de pouvoir sont réunis. Il existe un amour possessif, on peut proposer des « services » qui sont des moyens de domination. Le serviteur s’efface et disparaît. Dieu (du moins celui de la Bible juive et/ou chrétienne) exige-t-il que l’on se soumette à lui ou est-il Celui en qui l’on met sa confiance, en qui l’on place son espérance, pour soi-même, pour l’humani­té et pour le monde d’une façon que l’on ne peut expliquer complètement.
Que penser de Jésus ? Jean 18, 36-37 nous rapporte ce qui suit : "Jésus répondit : Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi […], mais maintenant, mon royaume n'est pas d'ici- bas ". Jésus se retire-t-il du monde ou veut-il dire que sa royauté s'exerce dès à présent, mais sur un tout autre mode, sinon il aurait fait intervenir ses partisans ? Nous sommes appelés à faire quelque chose pour notre pays, pour le monde et pour la planète, mais à la manière de Jésus, en agissant sur l'opinion par des moyens pédagogiques et sur les situations à travers des initiatives politiques, mais non politiciennes, par des actions ponctuelles ou périodiques signifiantes. Sommes-nous citoyens français, citoyens du monde ou citoyens du Royaume ? Vivre en citoyens de notre pays et du monde, de la planète, mais à la façon dont Jésus a vécu, en vue du Royaume (de la Vie) déjà-là et pas-encore.
La question des relations entre l’Église et l’État a fait couler pas mal d’encre et même de sang. Les diverses façons dont il a pu être résolu à l’époque de la chrétienté ne sont pas des solutions d’avenir, mais, faute d’autre chose, beaucoup continuent de s’y agripper. Qu’il s’a­gis­se du constantinisme ou du césaro-papisme, des concordats (Saint Siège), d’un mandat de maintien de la cité reconnu au pouvoir civil (Luther), d’un prince ou d’un magistrat chrétien (Calvin), d’un pis-aller inspiré de l’attente du Royaume (puritains postcalvinistes).
D’autres voies ont pourtant été ouvertes : la résistance, la désobéissance civique, l’ob­jection de conscience, la préférence donnée aux pauvres, le témoignage qui peut aller jusqu’au martyre, l’utopie. Des conduites prophétiques ou même charismatiques voisinent avec des projets de réhabilitation du politique centrées sur l’humain dans ses diversités foncières ou épousant la religion occidentale moderne de l’Homme, altermondialisme d’accentuation chrétienne, présence dans la cité axée sur l’humanisation des conditions de vie dans les métropoles, attention apportée à la sélection selon la valeur personnelle au lieu de la sélection naturelle ou de celles qui proviennent de la naissance, de la richesse, de l’origine ethnique, nationale, sociale ou confessionnelle, instauration d’une culture de dialogue, démolition des murs de séparation, établissement de passerelles, accueils réciproques, toutes conditions où peuvent fleurir des affinités électives.
Tout dépend de la manière et la manière c’est l’esprit. Tout est dans l’Esprit.

Jacques Gruber


Septembre 2007

PAROLES d’ÉGLISE(s)


Les Églises se plaignent de ne pas avoir leur place dans l’espace public, mais utilisent-elles au mieux les possibilités qui leur sont offertes ?


Le monde postmoderne place les chrétiens devant des questions qui, par rapport à la Bible, sont entièrement nouvelles ou se posent de façon tout à fait différente. La Bible est-elle désormais dénuée de toute pertinence ?


Avons-nous pris la mesure de la confusion née de la libéralisation des mœurs, laquelle se trouve facilitée et sécurisée par les applications des progrès scientifiques ? Avant de parler, avons-nous su analyser le genre de société à laquelle nous allons nous adresser ? Est-ce une société où les enfants suivent les traditions familiales, voire ancestrales ; une société où les parents et les enfants calquent leurs conduites sur celles de leurs con­tem­po­rains ; une société où ce sont les enfants qui enseignent et éduquent les parents ou encore, une société où ces divers types d’entremêlent. Nous devrions savoir nous adresser en tenant compte des uns et des autres.
Nos sociétés occidentales produisent des individua­li­tés remarquables, capables d’assumer, avec des hauts et des bas, la plénitude de leur humaine condition, mais elle offre aussi l’exemple d’adultes qui ne veulent plus vieillir, de parents qui ne veulent plus assumer leur rôle, d’enfants délaissés, égarés ou rebelles, de gens qui ont perdus tous les repères. Il peut s’agir d’une fuite en avant et la libération peut aller jusqu’au refus des moyens pro­phy­lac­tiques, s’ac­com­pagner d’al­co­o­lis­me, de toxico­ma­nie, d’é­so­­­té­risme, d’un retour de supersti­tions.
Avons-nous compris que nous ne sommes plus dans une situation de chrétienté, que nous vivons dans une condition comparable à l’Exil, « étrangers et voyageurs sur la terre » (Hé 11, 13-16), dans un monde où tout n’est pas mauvais, d’où nous pouvons tirer du bien, où le Saint Esprit même peut être à l’œuvre incognito, mais où rien ni personne n’est spontanément situé dans l’Alliance ? Savons-nous bien que nous vivons de convictions et non de certitudes (nous sommes sauvés par la foi, pas par la sagesse) ?
Est-il alors judicieux de vouloir imposer un enseignement biblique ou, à l’opposé, de tenir la révélation biblique pour périmée au nom des révolutions culturelles survenues en Occident ? Ne vaut-t-il pas mieux remonter à la source de l’ins­piration, déplacer le débat du niveau des comportements à ce qui les commande : l’aspiration à la liberté, afin d’adopter une attitude de dialogue sur cette aspiration ?
C’est ce que faisait Jésus lorsqu’il faisait remonter l’observation des com­man­de­ments jusqu’à nos intentions (relisons le Sermon sur la montagne, dans Mt 5 à 7) ou lorsqu’il disait que la Loi a été faite pour l’homme, non l’homme pour la Loi (Mc 2,27). De même, Gamaliel lorsque Pierre et Jean comparaissaient pour avoir rendu témoignage à Jésus en dépit d’une interdiction : « Si c’est des hommes que vient leur résolution ou leur entreprise, elle disparaîtra d’elle-même ; si c’est de Dieu, vous ne pourrez pas la faire disparaître » (Ac 5, 38-39).
Sur les sujets de société, au lieu de se prononcer entre : « Nous approuvons », « Nous condamnons » ou « Nous sommes d’accord à telle et telle condition », les Églises ne pourraient-elles pas dire : « Voici nos convictions, nos valeurs, nos raisons et ce que nous attendons de ceux qui les partagent, voilà ce que nous disons aux pouvoirs publics et à la société ».
Plutôt que de s’exprimer au nom de croyances, de traditions, de certitudes, de règles, de prétendre détenir la vérité qui sauve, de crier au scandale, ne pourrions-nous pas placer nos interventions d’Églises sur le plan du ques­tion­ne­ment ?
Par exemple :
À propos des avortements, des divorces ou d’une suite d’aventures conjugales sans fondement (surtout s’il y a des enfants) : Quelles suites heu­reuses proches et plus lointaines avez-vous notées ?
Concernant la mort assistée sur les plans spirituel, affectif, intellectuel et médical, lorsqu’elle est formellement demandée et clini­que­ment recevable: Quelles conceptions de la dignité humaine, de la souffrance, de la vie et de la mort, de la destinée humaine, avez-vous ?
S’agissant des manipulations géné­ti­ques : Si elles sont faites en conscience, ce sera pour le bien de l’humanité, sinon, ne sera-ce pas pour sa perte ?
À l’adresse des homosexuels : Que mettez-vous derrière le mot de « mariage », quelle valeur lui donnez-vous ? Comment concevez-vous les tâches, les devoirs, les responsa­bi­lités correspondant au fait d’élever des enfants, d’exercer un ministère dans l’Église ?
D’une façon générale d’ailleurs, élever des enfants n’est-ce pas leur apprendre à se passer de nous ? Ils ne nous en aimeront que davantage en retour.
Pour les intellectuels qui déconstruisent l’hé­ri­tage judéo-gréco-latino-germano-anglo-chré­tien occidental : Savez-vous par quoi vous allez le remplacer ? Si vous créez un vide, ne sera-t-il pas rempli par autre chose, peut-être pire à vos yeux. Pensez-vous vous en tirer en disant : Ce n’est pas ça que je voulais ?
Comme citoyens : Que faisons-nous, que faites-vous pour votre pays, pour l’Eu­rope, pour le monde, pour l’humanité ? Attendons-nous tout des autres ? rejetons-nous sur l’ensemble des acteurs sociaux l’insatisfaction que nous avons de nous-mêmes, de notre propre vie ?
Sur le plan spirituel, que cherchons-nous, pour nous-mêmes et pour les autres : Notre divinisation ou le Dieu vivant ? le pouvoir ou le service ? d’abord le bonheur ou d’abord la sainteté ?
Plaçons-nous sur le plan de la liberté, demandons-nous, demandons à nos inter­lo­cu­teurs de quoi nous parlons. S’agit-il de la possession d’un libre arbitre permettant en toute circonstance de se décider avec évidence pour le meilleur pour soi-même et pour les autres ? S’agit-il d’autonomie, d’indé­pen­dance, d’indivi­du­alisme, d’esprit de contradiction ou encore de contestation, de pure et simple indiscipline, de goût pour l’informel, d’anarchie ?
Ensuite, posons-nous et posons à nos interlocuteurs des questions du genre suivant :
a) ne sommes-nous pas guidés à notre insu par une idéologie, une utopie ou une spiritualité, sommes-nous disposés à en prendre conscience et à l’assumer ?
b) quel esprit peut nous animer et animer nos interlocuteurs : celui de l’époque, d’un clan, d’un parti, d’une tradition religieuse, humaniste ou politique ?
c) quelle est la source où nous puisons notre inspiration : l’Homme, le goût du jour, les idées reçues, une philosophie, une sagesse, un Livre, la parole de Dieu ?
d) acceptons-nous les risques de la liberté (pour nous ? pour les autres) ?
e) notre liberté tient-elle compte de celle des autres ?, les libère-t-elle ?, délivre-t-elle des superstititons et des ambiguïtés ?, en quoi est-elle inspirée par le respect d’autrui et de la planète, par un civisme local, national, régional et mondial ?, comment contribue-t-elle à l’hu­ma­ni­sation des sociétés et du marché, à la promotion de la dignité humaine ?, quelle est sa portée pédagogique ? nous permet-elle de reconnaître nos erreurs, d’avouer nos fautes ?
f) acceptons-nous d’assumer toutes les conséquences de nos discours et de nos com­por­tements ? Que va-t-il se passer si d’autres suivent l’exemple que nous donnons ?
g) au nom de quelle sorte d’universalisme parlons-nous ou sommes-nous mis en question : un universalisme totalisateur (qui envisage de tout réunir sous sa bannière) ou un universalisme de témoignage (où l’unité réside dans l’accueil fait par chacun à un même Don qui nous dépasse tous et ne dépend d’aucun de nous) ?
En tant que chrétiens, au nom de l’Église, chaque fois que cela est nécessaire et possible, il faut nous exprimer. D’une part, à l’usage de ceux qui partagent notre foi et, d’autre part, dans l’espace public, sans mélanger les deux. Aux premiers, les Églises ont la tâche de rappeler, dans un langage accessible à tous, quel est le commun chemin de salut sur lequel ils se sont engagés ensemble par conviction, dans l’autre cas, elles ont pour mission de témoigner de leur différences ou de leurs divergences en engageant des dialogues propres à faire apparaître les spiritualités, ou l’ab­sen­ce de spiritualité, de leurs interlocuteurs. Avant d’ouvrir la bouche ou de publier un texte, pensons à demander conseil et à tourner notre langue dans notre bouche autant de fois qu’il le faut, prenons acte de nos frustrations et de celles qui peuvent être le lot de ceux qui recevront notre parole au sein de nos Églises comme hors d’elles.


Octobre 2007

MESSAGES
Notre calendrier est marqué par une série de jours de fête d’origine chrétienne mais dont la teneur spirituelle est perdue pour la plupart de nos contemporains. Pour la foi chrétienne, ce sont des dates signifiantes qui sont, chacune, porteuse d’un style de vie propre. Pour moi, la première d’entre elles est celle de Pâques qui serait mieux dite « de la Pâque ». Je vous propose, ce mois-ci, de prendre, tour à tour, le pouls de chacun de ces jalons rythmés (qui ne devraient pas devenir des rites).
PÂQUE
« Il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez » (Mt. 28, 7).
Un jour qu’une école faisait la visite de cette église que nous appelons le temple de Boissy-Saint-Léger, alors que j’expliquais que, chez nous, les croix ne portent pas le crucifié parce que Jésus est ressuscité, une petite fille (7-8 ans) m’a demandé, à plusieurs reprises, avec insis­tance, « Mais où est son corps aujourd'hui ? ».
La parole citée ici est une réponse : Il nous précède et, quand nous l’aurons rattrapé, nous le verrons. Mais il a de l’avance.
Les saintes femmes à qui cette parole est adressée n’ont pas encore rejoint Jésus sur des chemins qui, aujourd'hui, rayonnent de Galilée à travers le monde entier. Nous non plus ni aucun de millions de chrétiens qui se sont mis en route sur les chemins ouverts par l’Évangile. L’essentiel « aujourd'hui » est de suivre Jésus sur nos routes terrestres. Son corps est formé par le cortège de toutes celles et de tous ceux qui, depuis deux mille ans, avancent sur les chemins où il nous précède toujours encore.
Parole partagée, bulletin de l’Église réformée de Boissy-Saint-Léger
NB: Le thème de la « suite » ou « suivance » de Jésus (de préférence à celui de son « imitation »), qui se trouve en plusieurs endroits des évangiles, se double du thème eschatologique du Christ qui vient à notre rencontre depuis l’à-venir. La vie chrétienne conjugue ce cheminement et cette attente active.
ASCENSION
« Jésus s’éleva et une nuée vint le soustraire aux yeux de ses disciples » (Ac 1,9)
Ce n’est pas le moment de la séparation. En leur annonçant l’effusion du Saint Esprit, Jésus indique aux disciples sa nouvelle manière d’être au milieu d’eux. En revanche, c’est le moment du sevrage : « Pourquoi restez-vous à regarder le ciel ? » (v. 11).
Désormais, les disciples auront à se prendre en charge pour une mission de témoi­gnage à l’échelle de la terre entière (v.8).
Et cela dure encore.
L’Ascension exige une rude conversion. Cesser de rechercher des substituts à Jésus, des maîtres à penser, des directeurs de conscience, des guides de vie, des gourous, des patrons ou des patronnes, des héros, des modèles, des sauveurs, afin de les instituer en médiateurs ou de nous donner à eux corps et âme. Ne nous attacher qu’à la communauté et la communion des frères et sœurs répartis dans le monde entier en vue de rendre témoignage de l’espérance qui est en eux. Les ministres de l’Église sont au service de cette communion et de cette communauté en vue de son témoignage, il ne devraient pas en devenir les pères ou mères, les directeurs ou les monarques.
Les enfants de Dieu ne sont pas de perpétuels nourrissons, ils sont appelés à être des gens debout, à devenir des adultes matures qui se prennent en charge et assistent leurs frères et sœurs dans le témoi­gnage commun au sein des sociétés humaines où ils vivent. Ils sont ce que le Premier Testament signifie lorsque le messager du Seigneur dit à Abram : « Va vers toi » (Ge 17,1, dans la traduction d’André Chouraqui), c'est à dire : deviens ce que tu es parce que je t’appelle à l’être : le fondateur de mon Alliance avec l’humanité ; ce que le Nouveau Testament appelle des « saints ».
(inédit)
PENTECÔTE
"Le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom...vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit "(Jn 14,26)" Il vous fera accéder à la vérité tout entière "(Jn 16, 13)
Le mot grec de "Paraclet" a souvent été traduit par "Consolateur" (celui qui nous console du fait que Jésus ne soit plus parmi nous en chair et en os) on pourrait tout aussi bien le rendre par "Avocat", "Défenseur", "Celui qui nous affermit".
Lorsque je me rase le matin, en me regardant dans le miroir, je ne pense pas à être président de la République, ni même président de la Fédération Protestante de France, pas même président du conseil presbytéral de Boissy-Saint-Léger. Il me vient à l'esprit la parole de Jésus sur la paille et la poutre (Mt 7, 1-15) et je me dis : "Ai-je une paille ou une poutre dans l'oeil ?" Le Saint Esprit me fait ressouvenir d'une parole de Jésus. Bien entendu, mon miroir ne me renvoie ni paille ni poutre, mais dans la journée, je m'en souviendrai, et cela changera mon regard sur les autres. C’est comme cela que le Saint Esprit me conduira dans la vérité.
Parole partagée
NB: La traduction en hébreu du Nouveau Testament faite par le pro­fes­seur Franz Delitzsch (1813-1890) ne traduit pas Paraclet, elle le transpose en « Peraqe­lith ». L’hébreu a cependant le mot GaAL : vengeur, défenseur, garant, dont la gamme de sens est pro­che de celle de Paraclet. Pour les chrétiens, la traduction de GaAL par « rédempteur » (Job 19,25 par exemple) renvoie plus au Christ qu’au Saint Esprit. Peut-être, faudrait-il entendre les deux en même temps.
TEMPS de l’ÉGLISE
« Les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il n’en est pas ainsi parmi vous. Si quelqu'un veut être grand parmi vous qu’il soit votre serviteur […] Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Marc 10,42-45)
Dans les communautés qui se réclament de l’Évangile de Jésus règne l’esprit de service, non le pouvoir (qu’il s’agisse de prêtres ou de dirigeants laïcs). Il peut en être de même dans certaines associations amicales (pêcheurs, collectionneurs, pratiquants sportifs, chorales etc.) avec cette différence que, dans l’Église, ce ne sont ni des goûts ni des intérêts ni des profils communs qui nous réunissent. Au contraire, dans l’Église nous avons envie d’être ensemble bien que nous nous sentions fort différents, malgré ce qui, dans la vie ordinaire, nous opposerait les uns aux autres, C’est l’esprit (ou l’Esprit) qui règne parmi les gens qui suivent l’exemple de Jésus qui nous attire et nous unit.
Cet « esprit » ne peut pas se vivre hors de nos communautés où il ne rencontrerait pas la réciprocité indispensable. La vie courante s’orga­ni­se avec des chefs, des supérieurs, des patrons et des petits chefs … tout en rêvant de liberté. Il reste cependant qu’ ensemble nous pouvons rayonner. En Occident, les Église protestantes (particulièrement calvinistes) ont contribué à l’avènement de la démocratie. Elles ne l’ont pas inventée, mais elles ont beaucoup aidé à son installation dans les mœurs.
Pourquoi des Églises où se vit une parole (et une Parole) partagée ne produiraient-elles pas à leur tour, aujourd'hui, de nouveaux effets bénéfiques dans la société où elles vivent ?
Parole partagée,
NUIT DU 24 AOÛT
Une personne évoquant son mariage avec un protestant nous disait sa surprise rétrospective : « Je pensais qu’il n’y avait plus de protestants en France depuis la Saint Barthélémy » ; Serge Klarsfeld, reçu dans « C'est-à-dire », le jeudi 21 février 2008, a eu cette réflexion : « Depuis la Saint Barthélémy, il n’y avait plus eu de génocide ». Rappelons qu’avant cela, il y avait eu le massacre de Wassy et, cent ans plus tard, la révocation de l’Édit de Nantes. Comparé à celui des Juifs d’Europe dans les années 30 et 40, c’est un génocide artisanal. Nous n’étions pas encore dans l’ère bénie de l’indus­trie, mais l’intention y était.
Nous ne commémorons pas le 24 août. Date si occultée qu’elle a pu être choisie pour accueillir le sommet des Journées Mondiales de la Jeunesse catholique, les JMJ de 1997, à Paris, avec le pape Jean-Paul ii.
Évoquer les horreurs d’un massacre n’est pas de bon ton entre gens civilisés à telle en­seigne que nos Églises semblent répugner à donner leur place aux actuelles persécutions dont les chrétiens sont l’objet de par le monde. Et puis, les protestants de cette époque troublaient l’ordre public. Ailleurs, en Europe, ils ont aussi commis des exactions dont les catholiques étaient les victimes. Il est tacitement convenu de ne pas réveiller ces souvenirs. A quoi bon jeter un froid dans les relations oecuméniques ?
M’inspirant de la nuit du 4 août 1789, à mon tour, je fais un rêve : une prochaine nuit du 23-24 août, à Paris, où toutes les Églises, dûment accréditées, réunies entre Saint Germain l’Auxer­rois et l’Oratoire du Louvre, s’en­ga­geront par écrit, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, à renoncer à toute espèce, sorte, genre ou nature, de pouvoir, tant à usage interne qu’externe, que ce soit sur les corps, les esprits ou les consciences, en témoi­gna­ge de Celui qui ne fut pas un apôtre du non agir ni de la non violence, mais qui a dénoncé dans tout pouvoir (surtout lorsqu’il est religieux ou quasi-religieux) l’idolâtrie par excellence (Lc 4, 6). Ainsi cette nuit verra-t-elle se lever enfin un jour nouveau.
Qui a pu nous suggérer que Mt 16, 19 et Mt 28, 18 légitiment l’exercice d’un pouvoir ecclésiastique tellement semblable à celui des puissants de ce monde et si opposé à la puissance totalement démunie de la Croix ?
(inédit)
RÉFORMATION
La réformation est bien plus qu’une réforme, c’est une conversion collec­tive ou, tout au moins, communautaire.
Les Réformations sont exceptionnelles dans l’histoire.
Celle du xvi ème siècle, survenant dans une situation de chrétienté, a eu des répercussions dans tous les domaines de la vie. Elle a produit une ouverture aussi bien dans le domaine de la spiritualité et de l’éthique que dans les arts (la musique, en particulier), la science (A. Paré, B. Palissy, J. Kepler), la pensée (la philosophie allemande et anglo­sa­xon­ne), l’économie (O. de Serres, Sully), la politique et l’éducation (J-J. Rousseau). La rapide constitution d’une orthodoxie protestante a accéléré, par réaction, la prise d’indépen­dance de ces divers domaines, qui, par un effet de retour, ont agi sur l’évolu­tion du pro­tes­tan­tisme.
Le principe d’une Église appelée à se réformer sans cesse est interprété de plusieurs façons. Pour les uns (les libéraux), c’est dans l’aptitude à recevoir la modernité et à y contribuer ; pour le pape Jean xxiii ouvrant le concile de Vatican ii, c’était un « ag­gio­r­na­men­­to », une remise à l’heure touchant la forme sans changer le fond ; pour d’autres, c’est dans l’oecuménisme (la conversion des Églises les unes aux autres selon le Groupe de Dombes) qu’il se réalise aujourd'hui ; pour d’autres encore (théologie de la mort de Dieu), cela consiste à prendre nous-mêmes en charge la réalisation de l’œuvre commencée par un « Dieu » aujourd'hui démis ; pour d’autres enfin (les évangélicals), c’est dans une répé­ti­tion de l’Église du livre des Actes et de la piété des hom­mes du Premier Testament, en phase avec la tendance de l’ultra­mo­der­ni­té à renouer avec les cultures pre­mières.
Pour réformer, il peut suffire de changer la forme. Dans une « réfor­ma­tion » on sait qu’il n’est pas possible de changer la forme sans que le fond ne s’en trouve recréé. L’essentiel, c’est la main du potier liée à sa pensée et à son intention et sa main c’est l’Esprit Saint. Il modèle et remodèle l’Église, fidèle à lui-même mais, à vues humaines, non prévisible (le Saint Esprit est le féminin de Dieu). Le potier qui remet son ouvrage sur le métier use de la même masse d’argile, mais l’objet qui va en sortir sous le façonnage de ses mains est un autre produit de son art, ap­pro­prié à l’usage que réclament les changements de la vie en attendant que l’éternité nous fasse devenir enfin ce que, et qui, nous sommes et ce que c’était que l’Église.
(inédit)
NATIVITÉ
« Bienveillance envers les hommes » (Luc 2, 14).
Ces paroles ont été écrites dans un monde et à une époque où ne régnait nulle bienveillance.
C’est pourquoi elles sont tout à fait d’actualité.
Il ne s’agit pas de bonnes paroles.
Ici, la bienveillance est en acte, c’est un geste, le don au monde d’une personne.
Une personne qui reçoit le nom emblématique de Sauveur (Jésus en hébreu).
Ce n’est qu’un simple enfant, naissant d’un couple sans histoires en un endroit écarté d’un minuscule pays dans l’empire romain.
Du fond de notre obscurité, nous sommes les témoins de ce geste.
Chaque fois que nous annonçons en actes et en paroles la bienveillance de Dieu pour tout être humain, nous emboîtons le pas à Jésus.
Et c’est Noël.
Parole partagée
Il est just qu’une naissance, et plus encore une Nativité, engendre une fête, Aujourd'hui, je constate que l’on veut faire une fête à toute occasion. Certains même expri­ment la volonté que leur mort s’accomplisse au sein d’une fête de famille. N’est-ce pas une façon d’occulter la vérité de la vie ? Naguère, la religion était qualifiée d’opium du peuple, mais faire la fête pour ne plus regarder la réalité en face, n’est-ce pas une aliénation laïque ?
PASSION
"Jésus répondit [à Pilate] : "Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi, afin que je ne sois pas livré aux Juifs; mais maintenant, mon royaume n'est pas d'ici- bas." Jean 18, 36-37.
Pilate lui dit : "Tu es donc roi ? " Jésus répondit : "Tu le dis : je suis roi. Voici pourquoi je suis né et voici pourquoi je suis venu dans le monde : pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix."
Jésus ne dit pas qu'il se retire du monde, sa royauté s'exerce dès à présent, mais sur un tout autre mode, sinon, comme il le dit, il aurait fait intervenir les armées célestes.
Nous sommes appelés à faire quelque chose pour notre pays, pour le monde et pour la planète, mais à la manière de Jésus, en agissant sur l'opinion par des moyens pédagogiques et sur les situations à travers des initiatives politiques, mais non politiciennes, par des actions ponctuelles ou périodiques signifiantes.
Parole partagée
NB : Pilate, qui est romain, ignore jusqu'au mot de « Messie », pour lui, ce qui s’en approche le plus est le titre de roi. C’est ainsi qu’il qualifie moqueusement Jésus sur la pancarte (le titulus) qu’il fait fixer au-dessus de la tête du crucifié. Jésus Christ, Jésus Messie, n’est jamais un Christ Roi, il est plutôt le Seigneur incognito dont parlait Kierkegaard.
Si nous sommes appelés à faire quelque chose pour notre pays, le monde et la planète, en revanche, nous ne sommes pas appelés à « faire quelque chose pour Dieu » comme le disent Etty Hillesum et Dorothée Sölle, pour qui j’ai la plus haute estime. Nul ne se met à la place de Dieu, c’est lui qui s’est mis à notre place. En Jésus Christ nous trouvons notre vraie place et, par là, la vraie place de tout être humain et de toute créature terrestre ou extraterrestre.
Jacques Gruber


Novembre 2007
À la mémoire du Cardinal Lustiger
Le cardinal Jean-Marie Aron Lustiger, décédé cette année, en demandant que soit affirmée son identité juive lors de ses obsèques et que mention en soit faite sur sa tombe dans la crypte de Notre Dame de Paris par ces mots : « Je suis né Juif, devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis resté Juif, comme les apôtres… », a ouvert une porte : il est possible à un Juif de devenir chrétien sans être coupé de son peuple. Le cardinal doit à sa notoriété la reconnaissance jusqu’ici refusée aux Juifs messianiques (ou Juifs pour Jésus).
Pour saluer sa mémoire, je rapporte ici les mots que je lui avais adressés peu avant son décès, en réponse à la conférence qu’il avait donnée sur « Vocation juive, vocation chrétienne et le salut des nations » à la Maison des familles de Sucy-en-Brie, dans le cadre de l’Amitié judéo-chrétienne du Val-de-Marne, le 13 mai 2007 :
M. le Cardinal, je vous remercie en mon nom personnel et au nom de tous ceux qui sont ici présents pour votre conférence.
Comme protestant je ne peux que souscrire à tout ce que vous avez dit.
Nous sommes réunis devant nos amis Juifs dans la repentance et dans l’espérance.
Vous aves bien indiqué l’attitude juste à l’égard du peuple Juif et du Judaïsme en parlant de l’action de grâces.
Concernant le salut des nations, je vous ferai part de ce qui est pour moi un permanent sujet d’étonnement : Que Dieu ait choisi un aussi petit peuple qu’Israël et un Juif aussi humble que Jésus pour sauver l’humanité et le monde.
Il faudrait que l’Église s’en souvienne dans son message et dans son témoignage.
Jacques Gruber

JUIFS ET CHRÉTIENS, LA DIVERGENCE DU MONOTHÉISME
(première partie)
Examiner les cent premières années de relations entre le Judaïsme rabbinique et le chris­tia­nis­me naissants est un sujet délicat où l’on risque sans cesse de choquer quelqu'un, j’ai choisi de le traiter sur le plan humain, espérant, par là, être reçu par tous.
Le Judaïsme manquait-il de quelque chose pour qu’une autre religion mo­no­théiste pousse à ses côtés ? Ou, au contraire, était-il trop riche, de sorte qu’il a été débordé par son propre message ?
Il a été dommageable que la Synagogue et l’Église en soient venues à se mé­con­­naître. Il serait injuste qu’Israël devienne victime de sa surabondance. Peut-être peut-il encore s’enri­chir, à son tour, de l’Évangile par lequel il s’est trouvé débordé ?
Nous ne pouvons pas comprendre les événements au cours desquels judaïsme rabbinique et christianisme naissants se sont séparés si nous ne nous mettons pas dans la mentalité de l’épo­que. Elle est intolérante et exclusiviste : tout ce qui n’est pas grec est bar­bare, tous ceux qui ne sont pas libres sont esclaves, tous ceux qui ne sont pas de genre masculin adulte, sont mineurs, tous ceux qui ne sont pas Juifs sont goyim. En même temps, c’est un monde « re­li­gieux » où le respect, la piété vont jusqu’à la dévotion, voire la vénération ou même l’ado­ra­tion de certains hommes (parents, chefs religieux, empereurs), un monde partageant une grande insatisfaction, porté par une grande attente. La civilisation de Rome est celle du droit, en particu­lier du droit de l’individu, c’est celle de la paix romaine (pax romana), mais Rome ne tolère aucun trouble à l’ordre public et réprime tout désordre avec la plus grande brutalité.
La séparation qui s’est produite entre juifs et chrétiens est une histoire hors de l’Histoire. Elle n’a pas fait l’actualité à l’époque et n’est entrée dans l’Histoire que a posteriori.
Pour suivre cette histoire, on peut au moins fixer un certain nombre de repères et de traces qui jalonnent les cent années qui vont, en gros, des années trente (celles du ministère de Jésus et des tout premiers chrétiens) aux années cent-trente de l’ère courante.
années trente à Jérusalem : dernières années du règne de Tibère (14 à 37), pro­con­su­lat de Pilate en Judée (26-36), crucifixion de Jésus, mort d’Étienne.
a) Pour les années 30 à 60, notre source principale est le livre des Actes de la Bible chrétienne. Ce livre, écrit vingt ans après les derniers événements qu’il relate, par un chrétien d’o­ri­gine grecque (Luc), n’est pas dénué de valeur historique même s’il ne peut être considéré comme objectif, au sens moderne du terme (note 1). Si ce livre porte déjà la marque d’une rupture en cours, il n’en souligne pas moins l’ancrage fondamental de la voie nouvelle dans le judaïsme.
b) Comment appeler les premières communautés chrétiennes ? À plusieurs reprises, les Actes disent : « la Voie » (Ac 9,2 ; 18,25-26 ; 19,9, 23 ; 24,14,22). Ils signalent que le sobriquet de « chrétiens » (les « gominés », selon l’étymologie du mot grec christos : oint) est appliqué pour la première fois à Antioche aux sectateurs du Christ Jésus (Ac 11, 26). Il ne s’agit alors encore que d’une reconnaissance locale, ponctuelle. La coutume s’est établie de parler de judéo-chrétiens (Juifs chrétiens) et de pagano-chrétiens (chrétiens venus du paganisme). Bien que ces appellations soient approximatives et insatisfaisantes, il m’arrivera de les utiliser à défaut de mieux. On ne peut pas encore parler d’É­­glise (Église de la circoncision, Église des incirconcis) au sens de l’Église-institution d’aujourd'hui. Si ce mot apparaît trois fois dans Matthieu (16,18 ; 18 ,17), 20 fois dans Actes, 51 fois dans les épîtres, 20 fois dans l’Apocalypse, il ne s’agit encore que d’églises locales. Dès le départ, les communautés chrétiennes ont dû compter à la fois des circoncis et des incirconcis. Le nom qui a été donné aux communautés formées de Juifs devenus chrétiens et qu’ils ont, semble-t-il adopté, est celui de « nazôréens » (parfois, par erreur : « nazaréens ») ou, plus exactement encore : de « naçôréens » (les rescapés, les sauvés). Entre eux, les premiers chrétiens s’appellent disciples, frères, croyants, saints.
c) La communauté-mère de Jérusalem tente de vivre une vie nouvelle au sein du judaïsme (Ac 2,44-47 ; 4,32-37 ; tentative d’autogestion : 6,5 ; 15,22). En particulier, ses membres continuent de pratiquer le culte du Temple (Ac 2,46). Du côté judéo-chrétiens, les esprits sont disposés à une formule où les disciples Juifs du Messie Jésus trouveraient leur place dans la diversité juive de l’épo­que (juifs chrétiens à côté de juifs pharisiens, sadducéens, esséniens, zélotes, hérodiens, hellénistes). Ils lisent le Premier Testament (les écrits de Paul ne circulant pas avant 50 et les autres textes qui vont constituer le Nouveau Testament chrétien datant des années 60-80 à 90-100), ils auront même leur évangile : l’Évangile des Hébreux, ou Évangile des Nazôréens, remaniement de l’évangile selon Matthieu, écrit en hébreu ou en araméen, datant d’environ l’an 100.
Au début, la communauté de Jérusalem est dirigée par Pierre, Jacques (fils de Zébédée) et Jean auxquels se joint aussi Barnabas (Ac 4,36 ; 9,24 ; 11,22-30 ; 12,25 ; 13,1-7, 42-50 ; 14, 1-28 ; 15,2-25, 35-39), mais ensuite une personnalité nouvelle prend la tête : Jacques dit « le frère du Seigneur » ou « le Juste » (voir plus loin). À noter qu’à la même époque existe, à côté de lui, un collège d’anciens (Ac 11,50 ;15, 2 6 ; 21,18).
d) L’essor de cette première communauté touche tous les domaines : Pour eux le Messie attendu est Jésus de Nazareth ; ce n’est pas un Messie qui assure la sécurité définitive d’Israël, c’est un Messie souffrant ; le message de Jésus concernant le règne de Dieu cède la place à un évangile de la messianité de Jésus ; la proximité d’une parousie du Messie Jésus (à ne pas confondre avec un retour, millénariste, de Jésus sur terre) alimente l’en­thou­siasme, la poussée missionnaire, le partage communautaire. Le livre des Actes participe de cet élan. Peut-on le lui reprocher ? L’acte d’intégration est le baptême donné une seule fois, la vie ecclésiale consiste en réunions régulières avec repas en commun et entraide (les veuves, les pauvres). La communauté est dirigée par les apôtres, au premier rang desquels Pierre et Jean à qui se joignent les frères selon la chair de Jésus (incroyants du vivant de Jésus) et, parmi ceux-ci, Jacques. Dans les communautés vont surgir des apôtres, des prophètes, des enseignants, tous charismatiques (1 Co 12,28). Le ministère des « sept » (les diacres) est moins évident, il semble provenir des hellénistes et concerner l’administration de la communauté, mais on ne voit pas quelle est leur relation avec le groupe de douze ni jusqu’à quand ce ministère a duré.
e) Ce dynamisme inquiète les autorités juives parce qu’il porte son témoignage dans les synagogues, parce qu’il essaime (Galilée, Syrie, Égypte), parce qu’il trouve un bon accueil dans une partie de la population juive, mais surtout parce que ses porte-paroles (qui sont des Juifs) ont un discours polémique (Ac 2,22-36 ; 4,9-12 ; 7,53).
Celui qui va le plus loin dans ce domaine est Étienne, un Juif helléniste (Étienne, est un nom grec qui signifie « cou­ronne ») qui s’exprime dans les termes suivants :
Actes 7,51 « Vous, hommes rebelles, dont le cœur et les oreilles sont fermés aux appels de Dieu, vous résistez toujours au Saint-Esprit! Vous êtes comme vos ancêtres! 52 Lequel des prophètes vos ancêtres n'ont-ils pas persécuté? Ils ont tué ceux qui ont annoncé la venue du seul juste; et maintenant, c'est lui que vous avez trahi et tué. 53 Vous qui avez reçu la loi de Dieu par l'intermédiaire des anges, vous n'avez pas obéi à cette loi! » (note 2).
D’autres, comme Pierre, ont un discours plus nuancé :
Actes 3, 17 « Cependant, frères, je sais bien que vous et vos chefs avez agi par ignorance à l'égard de Jésus. 18 Mais Dieu a réalisé ainsi ce qu'il avait annoncé autrefois par tous les prophètes; il avait dit que son Messie devait souffrir. 19 Changez donc de comportement et tournez-vous vers Dieu, pour qu'il efface vos péchés ».
f) Les autorités juives se sentent menacées et réagissent (lapidation d’Étienne, Ac 6,8-15 ; 7, 54-8,1). Lors de la comparution de Pierre et de Jean, pour une guérison faite au nom de Jésus, le Sanhédrin reçoit l’avis d’un sage :
_____________
note 1 : Sur la question, D. Marguerat,, Introduction au Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 2000, p. 111-126, J. Dujardin, L’Église catholique et le peuple Juif. Un autre regard, Paris, Calmann-Lévy, 2003, p. 120-124.
note 2 : Les citations bibliques sont tirées de la TOB.
Actes 5,34 Un homme se leva dans le Sanhédrin: c'était un Pharisien du nom de Gamaliel, un docteur de la Loi estimé de tout le peuple. Il ordonna de faire sortir un instant les prévenus, 35 puis il déclara: "Israélites, prenez bien garde à ce que vous allez faire dans le cas de ces gens. 36 Ces derniers temps, on a vu surgir Theudas: il prétendait être quelqu'un et avait rallié environ quatre cents hommes; lui-même a été tué, tous ceux qui l'avaient suivi se sont débandés, et il n'en est rien resté. 37 On a vu surgir ensuite Judas le Galiléen, à l'époque du recensement: il avait soulevé du monde à sa suite; lui aussi a péri, et tous ceux qui l'avaient suivi se sont dispersés. 38 Alors, je vous le dis, ne vous occupez donc plus de ces gens et laissez-les aller! Si c'est des hommes en effet que vient leur résolution ou leur entreprise, elle disparaîtra d'elle-même; 39 si c'est de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. N'allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu!". Se rangeant à son avis, 40 ils rappelèrent les apôtres, les firent battre de verges et, après leur avoir enjoint de ne plus prononcer le nom de Jésus, ils les relâchèrent. 41 Les apôtres quittèrent donc le Sanhédrin, tout heureux d'avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom ».
Les responsables du peuple souhaitent étouffer ce mouvement naissant dans l’œuf. D’où une première répression touchant les chrétiens d’origine juive (une seconde répression sera l’œuvre de l’autorité royale, d’Hérode Agrippa 1er, voir plus loin, mort de Jacques, fils de Zébédée). Nous avons des échos de la première vague de répression dans Actes 8,1-4 et dans Galates 1,13-14.
Cette vague de persécution aura cependant des effets contraires, l’action des Juifs chrétiens de Jérusalem fait tache d’huile et les premiers non-juifs se rallient à la prédication des témoins de Jésus, Messie ressuscité.
Actes 11, 19 La persécution qui survint au moment où Étienne fut tué obligea les croyants à se disperser. Certains d'entre eux s'en allèrent jusqu'en Phénicie, à Chypre et à Antioche, mais ils ne prêchaient la parole de Dieu qu'aux Juifs. 20 Cependant, quelques croyants, qui étaient de Chypre et de Cyrène, se rendirent à Antioche et s'adressèrent aussi à des non-Juifs en leur annonçant la Bonne Nouvelle du Seigneur Jésus. 21 La puissance du Seigneur était avec eux, de sorte qu'un grand nombre de personnes crurent et se convertirent au Seigneur ».
environ 37 (ou peut-être même plus tôt) : Paul sur le chemin de Damas (trois récits dans Actes 9, 1-19a ; 22,4-21 ; 26,9-18) l’activité missionnaire de Paul avant sa conversion s’inscrit dans le cadre de la réaction énergique des autorités juives menée contre les sectateurs de Jésus. Paul lui-même relate ces circonstances dans sa lettre aux Galates :
Galates : 1,13 Car vous avez entendu parler de mon comportement naguère dans le judaïsme: avec quelle frénésie je persécutais l'Église de Dieu et je cherchais à la détruire; 14 je faisais des progrès dans le judaïsme, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma race par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. 15 Mais, lorsque celui qui m'a mis à part depuis le sein de ma mère et m'a appelé par sa grâce a jugé bon 16 de révéler en moi son Fils afin que je l'annonce parmi les païens, aussitôt, loin de recourir à aucun conseil humain 17 ou de monter à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour l'Arabie, puis je suis revenu à Damas. 18 Ensuite, trois ans après, je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas [Pierre] et je suis resté quinze jours auprès de lui, 19 sans voir cependant aucun autre apôtre, mais seulement Jacques, le frère du Seigneur. 20 Ce que je vous écris, je le dis devant Dieu, ce n'est pas un mensonge. 21 Ensuite, je me suis rendu dans les régions de Syrie et de Cilicie. 22 Mais mon visage était inconnu aux Églises du Christ en Judée; 23 simplement, elles avaient entendu dire: "Celui qui nous persécutait naguère annonce maintenant la foi qu'il détruisait alors". 24 et elles glorifiaient Dieu à mon sujet.
43 ou 44 : mise à mort de Jacques, fils de Zébédée frère de Jean, l’un des Douze (dit « le Majeur ») (Ac 12,1-3). Une seconde persécution, plus dure, se situe dans les années quarante (43-44). Elle est le fait d’Hérode Agrippa 1er (Lc 23, 8, 12) devenu roi en Judée et Samarie en 41 après avoir intrigué à Rome au début du règne de Claude (qui succède à Caligula en 41).
Actes 12,1 En ce temps-là, le roi Hérode se mit à persécuter quelques-uns des membres de l'Église. 2 Il fit mourir par l'épée Jacques, le frère de Jean. 3 Puis, quand il vit que cela plaisait aux [chefs des] Juifs, il fit encore arrêter Pierre, au moment de la fête des pains sans levain.
dans les années 44 ou 46 : Conférence de Jérusalem : Celui qui apparaît alors com­me le chef de la communauté de Jérusalem est Jacques (entendre « Jacob ») : Ac 15, 1-35, 1 Co 15,7 ; Ga 1 et 2, en particulier 2,12.
a) Qui est ce Jacques ? Il ne s’agit ni du frère de Jean (exécuté en 43/44, comme on vient de le lire) ni de Jacques, fils d’Alphée (un autre des douze disciples de Jésus), mais de celui qui est appelé « le frère du Seigneur » ou « le Juste ».
Le Nouveau Testament mentionne un frère de Jésus s’appelant Jacques, frère de Joset ou Joseph (Mc 6,3 ; Mt 27,56 et par.) et de Jude (Jude 14) qui était marié (1 Co 9,5) et aurait vu le Seigneur ressuscité (1 Co 15,7), auteur de l’épître qui porte son nom. L’expression « frère du Seigneur » ou « le Juste » se trouve aussi hors du Nouveau Testament chez Josèphe, écrivain Juif, dans les Antiquités Judaïques (20,200), datant de la fin du premier siècle et chez Eusèbe (note 3), évêque de Césarée, auteur chrétien d’une Histoire ecclésiastique (2, 23, 3-s), écrivant au début du iv ème siècle. Ces auteurs rapportent qu’il serait mort martyr en 62 ou en 66 (voir plus bas). On a trouvé récemment une inscription funéraire portant la mention : « Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus ».
Pour ceux qui se refusent à l’idée que Jésus a eu des frères et sœurs, ce serait Jacques le Mineur ou le Petit, fils de Clopas et de « l’autre Marie » (Mc 15,40 ; 16,1 ; Mt 28,1 ; Jn 19,25). Selon Eusèbe III, xi, xxxii, le successeur de Jacques sera Siméon, fils de Clopas (frère de Joseph, selon Hégésippe, chrétien écrivant autour de 180), cousin (anepsios) de Jésus. Nous sommes dans la ligne de la succession dynastique.
Les frères de Jésus (qui ne croyaient pas en lui, Jn 7,5) ne se trouvent pas au pied de la croix. Jésus ne remet pas sa mère à Jacques ou à un autre de ses frères, mais à Jean. À ce moment-là, Jacques est entièrement effacé, il vient au devant de la scène au moment où la communauté, née de son frère, prend son essor. Eusèbe (Histoire, iii, 19) parle, au même endroit, d’un autre frère de Jésus : Jude. « Jude qui était un frère du Sauveur selon la chair », il cite Hégésippe selon qui « Il y avait encore de la race du Sauveur, les petits-fils de Jude, qui, lui-même, était appelé son frère selon la chair ».
b) L’enjeu pour le christianisme : Jacques, frère de Jésus fait figure de chef dynastique de la communauté de Jérusalem. Vu les conceptions de l’époque (qui continuent de régner en Orient), il revient à un mâle de la famille du fondateur de prendre sa suite à la tête du mouvement (voir le califat musulman avec les gendres de Mahomet). L’un des enjeux, non des moindres, en ces années, pour le christianisme, est de savoir s’il aura des chefs dynas­ti­ques ou charismatiques. Si le christianisme avait eu une succession de chefs dynastiques, il aurait toujours eu un Juif à sa tête. Pierre, Juif, lui aussi, qui fait figure de médiateur entre Jacques et Paul lors de la conférence de Jérusalem de 44, s’installant à Rome, éclipsera la succession dynastique de Jacques et fera pencher la balance de l’histoire du côté des chefs religieux charismatiques (qu’ils soient Juifs ou non) pour les Églises.
c) Pourquoi une « conférence » à Jérusalem ? (Ac 15,1-35) : La communauté judéo-chrétienne (tout comme la pagano-chrétienne) n’est pas homogène, des désaccords internes se manifestent entre les plus intransigeants sur la pratique juive et ceux qui se rapprochent de Paul, avec une fraction moyenne menée par Pierre.
Pierre et Paul font l’expérience de non-juifs qui reçoivent manifestement le Saint Esprit (Ac 10,44-48 ; 11,1-4). La question se pose de savoir s’ils doivent d’abord devenir Juifs pour être chrétiens (Ac 15,1-2). La circoncision constitue ici un obstacle. Le baptême chrétien deviendra le signe de l’entrée dans l’Église. On peut y retrouver la trace du baptême des prosélytes Juifs administré aux femmes et, aux hommes, après la circoncision, car il existait un prosélytisme juif à cette époque (Mt 23,15 ; Ac 2,11 ; 6,5 ; 13,43). La communauté essé­nienne de Qumrân pratiquait non seulement le baptême, mais des baptêmes rituels fréquents et le baptême de Jean-Baptiste, destiné aux Juifs (circoncis), avait le sens d’un acte scellant une repentance.
Suite à des heurts entre « gens de Jacques » et Paul (qui conduisent Pierre à une conduite ambiguë) que rapporte l’épître aux Galates (1, 6-10 ; 2, 11-21), Paul et Barnabas se rendent à Jérusalem pour y rencontrer Jacques, Pierre, Jean et les anciens de cette Église. Pierre ayant joué le rôle d’intermédiaire entre Jacques (qu’il ne veut pas heurter) et Paul (avec qui il partage l’idée de ne pas imposer la circoncision aux païens qui adhèrent à la foi au Christ Jésus ressuscité), Jacques se rend aux arguments de Pierre et de Paul, concernant les païens « qui se tournent vers Dieu » (Ac 15,19). Ils se donnent la main d’as­so­cia­tion et reconnaissent l’apostolat de Paul auprès des non-juifs, du moment qu’un minimum de limites ne sont pas transgressées.
d) Conséquence de cette conférence : les protagonistes qui se mettent d’accord représen­tent en germe quatre tendances majeures du christianisme : Jacques, Pierre, Paul et Jean, il forment un embryon d’Église, une autorité religieuse à vocation universelle qui, à terme, ne peut que contrebalancer celle du peuple Juif, mais qui, à cette date, constitue une infime minorité par rapport au judaïsme.
Cette autorité ecclésiale va se manifester par l’envoi aux diverses autres églises d’une Lettre dont le texte est le suivant :
Actes 15,23 « Les apôtres et les anciens, vos frères, adressent leurs salutations aux frères d'origine non juive qui vivent à Antioche, en Syrie et en Cilicie. 24 Nous avons appris que des gens venus de chez nous vous ont troublés et inquiétés par leurs paroles. Nous ne leur avions donné aucun ordre à ce sujet. 25 C'est pourquoi, nous avons décidé à l'unanimité de choisir des délégués et de vous les envoyer. Ils accompagneront nos chers amis Barnabas et Paul 26 qui ont risqué leur vie au service de notre Seigneur Jésus-Christ. 27 Nous vous envoyons donc Jude et Silas qui vous diront personnellement ce que nous écrivons ici. 28 En effet, le Saint-Esprit et nous-mêmes avons décidé de ne vous imposer aucun fardeau en dehors des devoirs suivants qui sont indispensables: 29 ne pas manger de viandes provenant de sacrifices offerts aux idoles; ne pas manger de sang, ni de la chair d'animaux étranglés; vous garder de l'immoralité. Vous agirez bien en évitant tout cela. Fraternellement à vous! ».
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note 3 : Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, traduction G. Bardy, Collection Sources chrétiennes, Paris, Éditions du Cerf, tome 1, 1952, tome 2, 1955.

On lira aussi la façon dont Paul rend compte de cet événement dans Galates 2, 1-10.
49 : Claude chasse les Juifs de Rome : nous avons sur ce point deux témoigna­ges concordants le Nouveau Testament et un historien latin : Suétone. Un signe de la valeur historique du livre des Actes.
Ac 18, 1-3 : « En quittant Athènes, Paul se rendit ensuite à Corinthe. Il rencontra là un Juif nommé Aquilas, originaire du Pont qui venait d’arriver d’Italie avec sa femme Priscille. Claude, en effet, avait décrété que tous les juifs devaient quitter Rome ».
Suétone (Vie des douze Césars, chapitre 25, « Vie de Claude », écrit vers 120) : « Claude expulsa de Rome les Juifs qui, à l’instigation de Chrestos, fomentaient sans arrêt des troubles » (note 4).
Origine de la population juive de Rome : Pompée (en 63 avant l’ère courante) y avait amené un grand nombre de prisonniers Juifs. Rapidement libérés par leurs maîtres, ils font souche et se regroupent au-delà du Tibre et à Putéoli. Selon certaines estimations, au 1er siècle de l’ère courante, dix pour cent de la population de l’empire romain étaient des prosélytes juifs (les « craignants Dieu » étant un autre groupe encore). À Rome même, il y avait une forte présence juive de plus d’un millier de personnes. Paul serait arrivé à Rome en 61 (de l’ère courante) (note 5). On ne signale pas de Juifs en Espagne avant le 3ème siècle.
L’intervention de Claude (mort en 54) indique que la communauté chrétienne (judéo-chrétienne) à Rome existait avant 50. Elle est antérieure à la venue de Pierre et de Paul (venus dans les années 60), les salutations du chapitre 16 de l’épître aux Romains (datant de 56) montrent que Paul connaissait d’assez nombreux membres de la communauté romaine, avant même de s’être rendu dans cette ville.
Comment interpréter le texte de Suétone ? : Les chrétiens d’origine juive estimaient qu’ils avaient toujours le droit de suivre les offices de la synagogue, mais les Juifs ne l’en­ten­daient pas ainsi ; surtout qu’à ces occasions ils ne devaient pas manquer de témoigner de leur foi au Christ Jésus (d’où la mention, mal comprise, de : « sous l’im­pul­sion de Chrestos »). Cela avait dû provoquer des tumultes dans les synagogues de Rome, mais, on l’a compris, Suétone ne distingue pas Juifs et chrétiens. Les autorités romaines qui détestent les troubles à l’ordre public et qui n’agissent pas de main morte ont chassés tous ces « Juifs », sans entrer dans le détail. Ainsi, Aquilas et Priscille, qui font partie de ces Juifs expulsés, se trouvent être des chrétiens (judéo-chrétiens, selon l’appellation traditionnelle).
années 50 : Voyages et Lettres de Paul, l’Église d’Antioche envoie Barnabas et Paul en mission : Ac 13,1-3.
a) On dénombre trois voyages missionnaires de Paul et un voyage involontaire qui l’amènera, prisonnier, à Rome (note 6). Sur la démarche missionnaire de Paul et sur son expérience on se reportera au livre des Actes. Paul s’adresse toujours d’abord aux Juifs, mais constate leur refus de recevoir le message du Messie Jésus (Ac 13, 44-52 ; 28, 16-31). Son discours divise les Juifs, mais, dans l’ensemble, c’est le refus qui l’em­porte. Paul prend alors la résolution de s’adresser aux non-juifs (Ac 2,39 ; 3,26 ; 18,6 ; 19, 8-9 ; 28, 17, 28 ; 28,27 , note 7). Annoncer Jésus Christ à partir de la Loi et des prophètes est typique du message chrétien lucanien (Ac 28,20). Le refus majoritaire des Juifs entre dans le plan de Dieu tel que les messagers judéo-chrétiens le présentent. (Ac 27, 16-31 ; 28, 26-27).
b) Le Nouveau Testament contient treize lettres attribuées à Paul (dont environ la moitié sont d’inspiration paulinienne sans que l’on puisse penser qu’elles soient de sa main –ou dictées par lui-). Toutes ces lettres écrites avant ou après la ruine du Temple (en 70) ne tirent donc aucun argument apologétique de cet événement. Elles argumentent sur l’an­­té­riorité de la promesse, donc de la foi (Abraham) sur le don de la Loi, donc de l’ob­ser­vance des comman­de­ments (Moïse). La foi accomplit la Loi, sans pour autant que le commandement cesse d’être « saint juste et bon » (« Ainsi, la loi elle-même est sainte et le commandement saint, juste et bon », Rm 7,12). Paul porte souvent la responsabilité de la rupture avec le judaïsme, cela est contredit par ce qu’il dit de son attachement au judaïsme (Ph 3,5 ; Rm 9, 2-5) et bien des traits des évangiles sont annonciateurs d’une telle évolution (critique des pharisiens, des chefs du peuple Juifs, sans minimiser la
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note 4 C. Kirch, Enchiridion fontium historiae ecclesiasticae antiquae (Manuel des sources pour l’histoire de l’Église ancienne), n0 39, p. 28.
note 5 E. Schürer, Lehrbuch des neutestamentlichen Zeitgeschichte (Histoire de l’époque du Nouveau Testament), Leipzig, 1874, p. 625.
note 6 : 45-49, premier voyage missionnaire de Paul et Barnabas (Ac 13) ; 50-52, deuxième voyage de Paul (Ac 15,36-17,34) ; printemps 52, Paul comparaît devant Gallion (Ac18,12-17) ; 53-58, troisième voyage missionnaire de Paul (Ac 18,23-21,16) ; Pentecôte 58, Paul arrêté à Jérusalem (Ac 21,27-23,22), comparution devant Félix (Ac 23,23-24,27) ; 60, Paul à Césarée, comparaît devant Festus (Ac 25-26) ; automne 60, voyage pour Rome (Ac 28,16-31) 61-63, Paul en résidence surveillée à Rome (Ac 28,16-31) ; 64 mort de Paul à Rome ( ?).
note 7 Sur ces divers passages, voir les notes de la traduction de la Bible TOB.
responsabilité de la puissance occupante romaine païenne). On s’interroge sur la connaissance que Paul aurait eu ou non des paroles de Jésus, mais que pourrait signifier la mention de l’Évangile (60 fois dans les épîtres attribuées sans conteste à l’apôtre) s’il n’avait jamais fait usage de paroles de Jésus dans sa prédication ? Paul n’aurait-il eu qu’une prédication au sujet du Christ sans aucune annonce des paroles de Jésus ?
c) En ce qui concerne notre sujet, on s’arrêtera sur Rm 9-11, texte majeur de la maturité de Paul sur la relation entre Juifs et chrétiens (et, au sein des premières communautés chré­tiennes, entre chrétiens d’origine juive et chrétiens d’origine non-juive, Ac 6,1 ; 10,9-33 ; 11,1-18 ; 15,1-35 ; Ga 2). Comme cela lui arrive en d’autres cas (voir 1 Co 11, 2-16, où la thèse convaincante que Paul fait sienne est exprimée dans les vv. 11-12),
Paul pense en même temps qu’il écrit (ou dicte, étant donné sa mauvaise vue).
Ainsi, il commence sur une lancée : les Juifs qui ont reconnu la messianité de Jésus sont le petit reste du peuple d’Israël. Cette conception peut conduire à la théologie de la substi­tu­tion, mais pas dans l’esprit de Paul. Il parle en Juif s’adressant à des Juifs, et reprend un thème prophétique (celui du « reste » dans 1 R 19,18 ; 2 R 19,4, 31, mais surtout à partir du Second Ésaïe, 43,4 ; 10,20-22 ; 11, 11,16 ; 28,5 ; 37, 4,32 ; 46,3, chez Jérémie, Ézéchiel etc.). Dans le judaïsme post-exilique la notion d’ « Israël de Dieu » désigne la communauté religieuse, autour du Temple et de la Loi, en vue de sa mission. Le peuple est distinct des autorités. La nationalité est connotée par le terme de « judéen ». Israël est employé dans une perspective d’avenir (note 8).
Mais Paul se reprend peu après et s’engage dans une autre direction : les chrétiens ont été greffés sur le tronc d’Israël qui restera vivant jusqu’à la fin des siècles (Rm 11,2 « Dieu n'a pas rejeté son peuple, qu'il s'est choisi d'avance »).
Les non-Juifs devenus chrétiens sont greffés sur Israël grâce aux chrétiens d’origine juive qui leur ont apporté la sève du peuple de Dieu (Rm 11,17 « Israël est comme un olivier auquel Dieu a coupé quelques branches; à leur place, il t'a greffé, toi qui n'es pas juif, comme une branche d'olivier sauvage: tu profites maintenant aussi de la sève montant de la racine de l'olivier »). Nous rencontrons ainsi, à cette époque, une pensée forte sur la relation historique, mais surtout spirituelle entre Juifs et chrétiens, chacun à sa place, sans exclusion ni confusion, les chrétiens devant se garder de « mépriser les branches coupées » (Rm 11,18). « Ainsi, il n'y a pas de différence entre les Juifs et les non-Juifs: ils ont tous le même Seigneur qui accorde ses biens à tous ceux qui font appel à lui » (Rm 10,12).
Pourtant, Paul n’est pas entièrement satisfait de ses arguments ni de ses images, il exprime ce que nous pouvons considérer comme son dernier mot sur la question en ces termes : Romains 11 , 34 « Qui connaît la pensée du Seigneur? Qui peut être son conseiller? 35 Qui a pu le premier lui donner quelque chose, pour recevoir de lui un paiement en retour ? 36 Car tout vient de lui, tout existe par lui et pour lui. A Dieu soit la gloire pour toujours! Amen ». Selon que l’on sera catholique ou protestant on parlera de « Mystère » (note 9) ou d’épreuve de la foi (la foi mise à l’épreuve).
d) Le texte paulinien d’Ép 2,14 : parle du mur de la séparation qui a été abattu, d’un phragmos, une: clôture de haies, non d’un schisma, un fossé qui évoquerait une séparation spirituelle irrémédiable.
62, mise à mort de Jacques le Juste, frère du Seigneur : Il n’est pas nécessaire de revenir sur ce qui a été dit plus haut de Jacques, frère du Seigneur, dit « le Juste ». Ce que nous devons ajouter concerne sa mort et nous vient de Josèphe (Antiquités judaïques 20,200) (note 10).
« Ananias le jeune, dont nous avons dit qu’il avait accepté la grande prêtrise, homme de tempérament hardi et supérieurement audacieux, du parti des sadducéens, qui, à côté des autres Juifs, sont les plus acerbes dans leur façon de juger, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer. Tel étant donc Ananias, Festus étant mort et Albinus encore en chemin, le moment fut jugé opportun pour réunir le sanhédrin en séance de tribunal. Le frère de Jésus appelé Christ, Jacques de son nom, et certains autres [dirigeants de l’église] comparurent. Ils furent jugés comme agissant de manière contraire à la Loi et livrés pour être lapidés. Mais tous ceux qui, parmi les habitants de la ville, étaient d’esprit le plus mesuré et les plus adonnés à la Loi par ailleurs, ressentirent cette peine comme trop lourde et envoyèrent en secret [des gens] au roi l’exhortant d’écrire à Ananias de ne plus se livrer à de tels actes, cependant celui-ci n’en fit pas sa priorité comme il eût été correct de le faire. »
Eusèbe, Histoire ecclésiastique, ii, 23, 4-s, rapporte la mort de Jacques telle qu’Hégésippe la décrit dans ses Mémoires, mais il s’agit d’un récit invraisemblable qui suppose que Jacques ait été grand prêtre d’Israël à l’époque.
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note 8 : Vocabulaire biblique, Neuchâtel-Paris, Delachaud et Niestlé, 2ème édition, 1956, p. 134 B-135 A
note 9 : J. Dujardin, p. 115.
note 10 : Enchiridion fontium, n° 9, p. 8-9.
64 : Incendie de Rome : En 64, Néron (selon Tacite) accuse les chrétiens de l’in­­­cen­­die de Rome. Mais l’empire ne fera vraiment la distinction entre Juifs et chrétiens qu’à dater des persécutions de Domitien, en 95 et de Tra­­­­­­­­­­­jan, éche­­lonnées entre 106 et 117.
dL’incendie de Rome, le 19 juillet 64, dure neuf jours, Néron (fils de Claude et de sa seconde épouse : Agrip­pine), accusé d’avoir fait mettre le feu, détourne la colère de la population sur les chrétiens. Au moment de l’incendie de Rome, Tacite, qui appartient à une famille de premier plan (il sera proconsul d’Asie) a entre 12 et 15 ans, 36 ans après les événements vers 48 ou 51 ans il écrit :
« Aucun moyen humain ni largesses princières ni cérémonies expiatoires ne faisaient reculer la rumeur infamante d’après laquelle l’incendie avait été ordonné [par Néron, qui aurait dit, contemplant de loin le spectacle : « Quel artiste ne suis-je pas »]. Aussi, pour l’ané­an­tir, Néron supposa des coupables et infligea des tourments raffinés à ceux que leurs abominations faisaient détester et que la foule appelait chrétiens. Ils doivent leur nom à un certain Christus que, sous le principat de Tibère, le procurateur Ponce Pilate avait livré au supplice. Réprimée sur le moment, cette détestable superstition perçait de nouveau, non pas seulement en Judée, où le mal avait pris naissance, mais encore dans Rome où tout ce qu’il y a d’affreux et de honteux dans le monde afflue et trouve une nombreuse clientèle » (note 11). Allusion à des racontars selon lesquels les chrétiens sacrifiaient de humains et les mangeaient dans leurs cérémonies. On lit le même jugement dépréciatif sur les chrétiens chez Suétone : « Vie de Néron » (écrit vers 120) : « Envoyés aux supplices les « christiani », « espèce d’humains d’une superstition nouvelle et nuisible » (note 12). Même Marc-Aurèle a peu d’estime pour les chrétiens, nous ne trouvons une juste appréciation que chez Epictète (esclave libéré) et chez le médecin Claude Galien (note 13).
Pour l’intelligentsia romaine, les chrétiens sont englobés avec les Juifs, décrits par Pline l’Ancien comme un « Peuple qui se distingue par son attitude injurieuse à l’égard de toutes les divinités » (Histoire naturelle, xiii, 4, 46), au sujet desquels Tacite écrit : « L’esprit juif ne comprend qu’une seule divinité : ils qualifient de profanes ceux qui représentent dieu par des images à figure humaine fabriquées avec des matériaux passagers ; leur Dieu suprême et éternel ne peut être ni représenté ni détruit. Ainsi, on ne trouvera aucun simulacre dans leurs villes, à plus forte raison, ils n’y placent pas de temples, ils ne se prosternent devant aucun roi, ils ne rendent pas l’honneur aux Césars » (Histoire v, 5) et dont Cicéron parlera comme d’une « superstition barbare » (pro Flacco, c. 28).
À cette date et à Rome, les chrétiens sont distingués des Juifs (peut-être du fait que Poppée Sabine, épouse de Néron, aurait été prosélyte juive). Que Paul ait été tué lors de cette persécution n’est pas certain, c’est plus sûr en ce qui concerne Pierre. Il semble que cette persécution a plutôt renforcé la communauté chrétienne de Rome.
NB, un autre incendie ravagera Rome en 80, dernière année du règne et de la vie de Titus.
exposé présenté à la réunion des adhérents de l’Amitié judéo-chrétienne du Val-de-Marne à Sucy-en-Brie au Relais Sainte Bernadette le 9 décembre 2004.
La seconde partie du texte : de la première guerre juive (66-74) à Justin martyr (135), paraîtra en décembre 2007.
Jacques Gruber
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note 11 : Annales 15, 44, « Les Belles Lettres », 1925, tome iii, p. 491. On trouvera également ce texte dans Enchiridion, n° 34 , p. 25.
note 12 : Enchiridion, n° 40, p. 28.
note 13 : Ibid, texte de Marc-Aurèle, n° 77, p. 54, texte de Galien, n° 154, p. 92.
Décembre 200
Commentaire reçu :

FL. : Il y a un trou qui s’explique, je suppose, par l’absence de do­cu­ments et qui m’intrigue. Comment s’est faite l’annonce de l’Évangile (sans écrits et avant Paul) dans toutes les toute premières années sur le pourtour méditerranéen et notamment à Rome. De quoi était faite, au juste, cette annonce ? Était-ce à partir de logia orales ? Par des judéo-chrétiens immédiatement relayés par des paganos, donc déconnectés de toute culture juive ! Autour de la Cène ? Mais quel type d’enseignement : un certain Christos ressuscité, le salt pour tous, mais que pouvait représenter la notion de salut pour des paganos romains ? Par exemple, Priscilla, qui l’avait baptisée et enseignée ? Par exemple : était-ce le message « social » de la délivrance de l’esclavage qui séduisait ? Il devait s’agir d’un message rudimentaire, bien loin de la théorisation ultérieure de Paul ? Quand les chrétiens étaient qualifiés de « barbares », cela voulait-il désigner leurs mœurs (crainte de la désobéissance civile) ou leur athéisme (refus de sacrifier aux dieux romains) ?


Réponse :

approche culturelle : Dans l’empire romain régnait la paix (la pax romana musclée), les voies de communication étaient nombreuses et bien entretenues, les gens voyageaient beaucoup (voir Priscille et Aquilas), les nouvelles et les libelles se répandaient vite.

La religion romaine, mythologique et politique ne répondait pas aux aspirations de beaucoup. Il y avait une insatisfaction et une attente religieuse. Les populations étaient sollicitées par les religions orientales (Mithra, cultes à mystères), une frange non négligeable était attirée par le judaïsme (les « craignant Dieu »), lequel pratiquait le prosélytisme (les païens qui embrassaient le judaïsme et qui reculaient devant la circoncision passaient par un baptême : le baptême des prosélytes du judaïsme a précédé le baptême chrétien).

Pour les premiers chrétiens, il fallait qu’ils soient perçus comme non-Juifs et pour les Juifs, il était impératif d’écarter toute confusion avec les chrétiens.
Le dynamisme missionnaire des premiers chrétiens qui prenait sa source dans l’annonce du Ressuscité et les dons (charismes) du Saint Esprit, les persécutions, les procès qui leur sont faits, tant par les Juifs que par les romains, ont activé la diffusion de leur message.
approche kérygmatique : On peut connaître le message initial de l’Église primitive en direction des Juis, des grecs, du tout venant, dans le livre des Actes. Les discours qu’on y lit, bien que reconstitués pour certains, sont considérés comme fiables.
Le message chrétien, annonçant l’ouverture aux païens de l’Alliance du Dieu unique d’Ab­ra­ham, Isaac, Jacob, Moïse, des prophètes, a dû rencontrer un accueil providentiel parmi les gens (déçus de la religion romaine officielle et des autres offres religieuses) qui étaient attirés par le judaïsme.
Comparés aux religions initiatiques ou aux catégorisations sociales, les dons de l’Esprit accordés sans distinction d’origine (la grâce), avait un goût de salut.
L’annonce d’une proche Parousie du Seigneur devait répondre aux attentes de tous ceux qui, désespérant du régime impérial et de la condition qui leur y était faite, aspiraient à un renouvellement profond.
La possibilité de sortir de son destin par le baptême, pour trouver des frères et sœurs issus de tous les milieux, d’entrer dans les communautés fraternelles de prière, d’agapes, d’entraide, où la cène créait la communion au Seigneur et Sauveur, ont dû avoir un effet libérateur.
Le vécu « spirituel » (charismatique) du sacrifice pouvait attirer les personnes en recherche d’une spiritualité qui libère en vue d’investissements intellectuels, lyriques, sociaux ou même politiques (avant d’être récupérée par l’ecclésial).
Enfin, les premières théologies où les croyances sont pensées, voire conceptualisées (Paul, Jean, Hébreux), phénomène nouveau, autre que le midrache, plus proche de la philosophie, peuvent avoir attiré des intellectuels.
approche historique, en suivant les années au rebours (peut être lu en partant du haut ou du bas) :
en 70, la communauté chrétienne de Jérusalem (réfugiée à Pella avant la pris de la Ville) a subi la même dispersion que la nation juive dans son ensemble ;
entre 65 et avant 70, évangile selon Marc ;
64 ou 67, martyre de Pierre à Rome ;
61-63 : Paul est à Rome, assigné à résidence dans l’attente de son procès ;
62, le grand prêtre Anan fait lapider Jacques, frère du Seigneur, il est remplacé par Siméon à la tête de l’Église de Jérusalem ;
été 58, Jacques, frère du Seigneur, prend la tête de la communauté chrétienne de Jérusalem, on peut penser que Pierre est alors à Rome ;
entre et 51 et 56, les épîtres de Paul sont rédigées;
53-58, troisième voyage missionnaire de Paul ;
50-52, deuxième voyage missionnaire de Paul ;
c’est vers 50 que l’on place le début de la mise par écrit de l’Évangile oral ;
48-49, Conférence de Jérusalem (Ac 15) entre Jacques, Pierre et Paul ;
45-49, premier voyage missionnaire de Paul ;
vers 43 : Paul et Barnabas à Antioche, l’Église qui les enverra en mission, Pierre en Samarie et sur la côte (le centurion Corneille) ;
43 ou 44, décapitation de Jacques, frère de Jean par Agrippa 1er ;
39 : premier contact de Paul avec les chefs de l’Église, à Jérusalem (Ga 1, 18-s) ;
37 : conversion de Paul, sa retraite en Arabie et à Damas (Ac 9, 19-s, Ga 1, 17-s);
36-37 : martyre d’Étienne dispersion de la communauté chrétienne des Jérusalem qui essaime en Syrie ou plus loin (Ac 9, 1-s);
années 30 : mort et résurrection de Jésus, la Pentecôte, les premiers témoignages rapportés dans Actes (discours de Pierre, d’Étienne) rédigés vers 80, mais se rapportant à # 30 ;
genèse spirituelle : les une à trois années de l’activité de Jésus sont le temps des semailles ; à partir de la Pentecôte, c’est le temps où la semence prend racine et se développe ; jusqu’à la fin du 1er siècle, les graînes produites par cette première plantation se répandent pour de nouveaux ensemencements et de nouvelles récoltes.

LA DIVERGENCE MONOTHÉISTE (deuxième partie)





        Du même auteur : « La Représentation de Dorothée Sölle, Revue d’histoire et de philosophie religieuse, Strasbourg, 66ème année, 1986, n° 2 et 3 ;

Entendre la Parole. Le témoignage intérieur du Saint Esprit, Paris, Édi­tions du Cerf, 2003,

« Vous serez mes témoins ». Pour un temps de confusion et de mutations, Paris, Éditions du Cerf, 2009.
Décembre 2007


LA DIVERGENCE MONOTHÉISTE (deuxième partie)
Décembre 2007
Commentaire reçu :
FL. : Il y a un trou qui s’explique, je suppose, par l’absence de do­cu­ments et qui m’intrigue. Comment s’est faite l’annonce de l’Évangile (sans écrits et avant Paul) dans toutes les toute premières années sur le pourtour méditerranéen et notamment à Rome. De quoi était faite, au juste, cette annonce ? Était-ce à partir de logia orales ? Par des judéo-chrétiens immédiatement relayés par des paganos, donc déconnectés de toute culture juive ! Autour de la Cène ? Mais quel type d’enseignement : un certain Christos ressuscité, le salt pour tous, mais que pouvait représenter la notion de salut pour des paganos romains ? Par exemple, Priscilla, qui l’avait baptisée et enseignée ? Par exemple : était-ce le message « social » de la délivrance de l’esclavage qui séduisait ? Il devait s’agir d’un message rudimentaire, bien loin de la théorisation ultérieure de Paul ? Quand les chrétiens étaient qualifiés de « barbares », cela voulait-il désigner leurs mœurs (crainte de la désobéissance civile) ou leur athéisme (refus de sacrifier aux dieux romains) ?
Réponse :
approche culturelle : Dans l’empire romain régnait la paix (lapax romana musclée), les voies de communication étaient nombreuses et bien entretenues, les gens voyageaient beaucoup (voir Priscille et Aquilas), les nouvelles et les libelles se répandaient vite.
La religion romaine, mythologique et politique ne répondait pas aux aspirations de beaucoup. Il y avait une insatisfaction et une attente religieuse. Les populations étaient sollicitées par les religions orientales (Mithra, cultes à mystères), une frange non négligeable était attirée par le judaïsme (les « craignant Dieu »), lequel pratiquait le prosélytisme (les païens qui embrassaient le judaïsme et qui reculaient devant la circoncision passaient par un baptême : le baptême des prosélytes du judaïsme a précédé le baptême chrétien).
Pour les premiers chrétiens, il fallait qu’ils soient perçus comme non-Juifs et pour les Juifs, il était impératif d’écarter toute confusion avec les chrétiens.
Le dynamisme missionnaire des premiers chrétiens qui prenait sa source dans l’annonce du Ressuscité et les dons (charismes) du Saint Esprit, les persécutions, les procès qui leur sont faits, tant par les Juifs que par les romains, ont activé la diffusion de leur message.
approche kérygmatique : On peut connaître le message initial de l’Église primitive en direction des Juis, des grecs, du tout venant, dans le livre des Actes. Les discours qu’on y lit, bien que reconstitués pour certains, sont considérés comme fiables.
Le message chrétien, annonçant l’ouverture aux païens de l’Alliance du Dieu unique d’Ab­ra­ham, Isaac, Jacob, Moïse, des prophètes, a dû rencontrer un accueil providentiel parmi les gens (déçus de la religion romaine officielle et des autres offres religieuses) qui étaient attirés par le judaïsme.
Comparés aux religions initiatiques ou aux catégorisations sociales, les dons de l’Esprit accordés sans distinction d’origine (la grâce), avait un goût de salut.
L’annonce d’une proche Parousie du Seigneur devait répondre aux attentes de tous ceux qui, désespérant du régime impérial et de la condition qui leur y était faite, aspiraient à un renouvellement profond.
La possibilité de sortir de son destin par le baptême, pour trouver des frères et sœurs issus de tous les milieux, d’entrer dans les communautés fraternelles de prière, d’agapes, d’entraide, où la cène créait la communion au Seigneur et Sauveur, ont dû avoir un effet libérateur.
Le vécu « spirituel » (charismatique) du sacrifice pouvait attirer les personnes en recherche d’une spiritualité qui libère en vue d’investissements intellectuels, lyriques, sociaux ou même politiques (avant d’être récupérée par l’ecclésial).
Enfin, les premières théologies où les croyances sont pensées, voire conceptualisées (Paul, Jean, Hébreux), phénomène nouveau, autre que le midrache, plus proche de la philosophie, peuvent avoir attiré des intellectuels.
approche historique, en suivant les années au rebours (peut être lu en partant du haut ou du bas) :
en 70, la communauté chrétienne de Jérusalem (réfugiée à Pella avant la pris de la Ville) a subi la même dispersion que la nation juive dans son ensemble ;
entre 65 et avant 70, évangile selon Marc ;
64 ou 67, martyre de Pierre à Rome ;
61-63 : Paul est à Rome, assigné à résidence dans l’attente de son procès ;
62, le grand prêtre Anan fait lapider Jacques, frère du Seigneur, il est remplacé par Siméon à la tête de l’Église de Jérusalem ;
été 58, Jacques, frère du Seigneur, prend la tête de la communauté chrétienne de Jérusalem, on peut penser que Pierre est alors à Rome ;
entre et 51 et 56, les épîtres de Paul sont rédigées;
53-58, troisième voyage missionnaire de Paul ;
50-52, deuxième voyage missionnaire de Paul ;
c’est vers 50 que l’on place le début de la mise par écrit de l’Évangile oral ;
48-49, Conférence de Jérusalem (Ac 15) entre Jacques, Pierre et Paul ;
45-49, premier voyage missionnaire de Paul ;
vers 43 : Paul et Barnabas à Antioche, l’Église qui les enverra en mission, Pierre en Samarie et sur la côte (le centurion Corneille) ;
43 ou 44, décapitation de Jacques, frère de Jean par Agrippa 1er;
39 : premier contact de Paul avec les chefs de l’Église, à Jérusalem (Ga 1, 18-s) ;
37 : conversion de Paul, sa retraite en Arabie et à Damas (Ac 9, 19-s, Ga 1, 17-s);
36-37 : martyre d’Étienne dispersion de la communauté chrétienne des Jérusalem qui essaime en Syrie ou plus loin (Ac 9, 1-s);
années 30 : mort et résurrection de Jésus, la Pentecôte, les premiers témoignages rapportés dans Actes (discours de Pierre, d’Étienne) rédigés vers 80, mais se rapportant à # 30 ;
genèse spirituelle : les une à trois années de l’activité de Jésus sont le temps des semailles ; à partir de la Pentecôte, c’est le temps où la semence prend racine et se développe ; jusqu’à la fin du 1ersiècle, les graînes produites par cette première plantation se répandent pour de nouveaux ensemencements et de nouvelles récoltes.
divergence monothéiste (deuxième partie) la
66-74 première guerre juive : la fin des années 60 est l’époque où l’on situe la rédaction de l’évan­gile selon Marc.
Les Juifs se rebellent contre Rome pour retrouver leur indépendance (« un poste romain est attaqué à Massada, le clergé du temple refuse d’accomplir les sacrifices réguliers pour l’empereur » , note 14). le général romain Vespasien, envoyé par Néron, n’attaque pas directement Jérusalem, il commence par faire le vide autour de la ville. c’est la campagne de Galilée où le commandant en chef, du côté Juif, est Josèphe, futur chroniqueur de cette guerre (la guerre juive) et auteur d’une histoire du peuple juif (Les Antiquités juives).
La campagne de Judée est interrompue en 69 parce que les légions ont proclamé Ves­pa­sien empereur après la mort de Vitellius. son fils Titus prend sa suite au siège de Jérusalem qui tombera sans s’être rendue au cours de l’été 70. le Temple (dont la réfection et les embellissements voulus par Hérode s’étaient achevés en 64 est détruit en 70). Titus avait donné l’ordre de ne pas y toucher, mais un subalterne ignorant de cet ordre ou désobéissant y a mis le feu. la ville est mise à sac, le chandelier d’or du temple fait partie du triomphe de Titus à Rome. c’est dans cette guerre que se situe le siège de la forteresse de Massada (en 74) et que la communauté essénienne de Qumrân, chassée de son couvent et dispersée, cache dans des grottes ses manuscrits qui seront retrouvés en 1947 (date contestée). Israël, détaché de la province de Syrie, devient province sénatoriale romaine de Palestine, une légion y est installée en permanence, un camp romain est établi à Jérusalem, le Temple n’est pas reconstruit. le centre du judaïsme se transporte à Yavnè, autour de Yohannan ben Zakkaï.
En 67, la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, écoutant une prédiction, avait quitté la ville pour se réfugier à Pella (à l’est du Jourdain, dans le territoire appelé, à l’épo­que : Décapole). après 70, elle ne peut plus envisager de revenir à Jérusalem. les communautés judéo-chrétiennes se trouvent alors à l’est du Jourdain. on connaît l’existence d’une importante communauté judéo-chrétienne à Kokaba (Baranie). il s’en trouvait égale­ment en Coelésyrie, en Syrie. sinon, ce ne sont que des minorités en Asie mineure, minorités qui se conforment de plus en plus aux communautés pagano-chrétiennes et finissent par s’y fondre.
années 80, époque de la rédaction des évangiles selon Matthieu et selon Luc, du livre des Actes des apôtres (dû à Luc). ces textes reflètent la destruction du Temple en 70, interprétée comme un désaveu de dieu à l’égard du judaïsme de l’époque. Luc, grec, médecin de son état, amené à la foi chrétienne par Paul, est le seul témoin non-juif du Nouveau Testament.
De ces années date aussi l’épître aux Hébreux, qui insiste sur la continuité et les ruptures entre l’histoire sainte des juifs et la nouvelle foi des chrétiens.
90 assemblée de Yavné (pointe nord de l’actuelle bande de Gaza): décision y est prise de chasser les judéo-chrétiens des synagogues et d’ajouter aux chemonè ezre une 19ème bénédiction (la birkhat haminim, qui, implicitement, prononce l’excécration des (judéo-) chrétiens, les notzrim [nazaréens ou nazôréens ?]). la rupture entre judaïsme et judéo-chrétiens est consa­crée.
____________
note 14 : Écrits intertestamentaires, p. xxix.
95, persécution de Domitien : Domitien, second fils de Vespasien succède à son frère aîné Titus, c’est un homme emporté qui sera assassiné. nous avons quelques échos de cette persécution : c’est à cette occasion que l’auteur de l’Apo­­ca­lypse a été exilé à Patmos (ap 1,9). les chrétiens sont poursuivis [à Rome] pour « vivre à la juive » [alors qu’ils n’en sont pas], punis en étant astreints à contribuer à l’impôt des juifs (le fiscus judaïcus). au cours de cette perécution Flavia Domitilla, qui avait fait don à la communauté chrétienne de Rome du cimetière qui porte encore aujourd'hui son nom, exilée dans l’île de Pontia, trouva la mort. la persécution s’étend hors de la capitale, à l’est (mort d’An­­ti­pas à Pergame, ap. 2,13). Domi­tien vise aussi les juifs. comme son père Vespasien, il fait rechercher les descendants de David dans l’idée de les éliminer (Eusèbe, iii, xii et xix).
Dernières années du premier siècle : évangile selon Jean, Apocalypse, diverses Épîtres, (110-116 dates où Tacite écrit ses Annales). l’attribution du iv ème évangile à Jean, l’un des douze disciples de jésus, est discutée, même si Jean a pu vivre jusqu’à un âge avancé. les écrits du Nouveau Testament, mis sous le patronage de Jean, reflètent vraisemblablement l’enseignement de ce dernier, mis en forme par certains de ses disciples (par conséquent, des disciples du disciple Jean).L
L’évangile selon Jean est marqué par deux traits caractéristiques : l’accusation des « Juifs » et la « haine du monde » pour les disciples de Jésus, Fils de Dieu ». c’est le reflet de la condition, devenue tragique des judéo-chrétiens entre 70 et 100 : exclus des synagogues et persécutés par Domitien. la tradition johannique peut aussi être marquée par une animosité du disciple de Jésus à l’égard de ceux qui ont mis à mort son frère (Jacques) en 43 ou 44.
Le Nouveau Testament : en ces années, les textes qui seront, ultérieurement, canonisés par les chrétiens sont tous rédigés (à quelques exceptions près comme la seconde Épître de Pierre). l’expression « Ancien Testament » se trouve pour la première fois sous la plume de Méliton de Sardes en 170, celle de « Nouveau Testament » chez Tertullien (en 200) note 15. l’exis­tence de nouveaux écrits fondateurs ne peut qu’avoir agi, elle aussi, dans le sens de la séparation d’avec les juifs.
Ce recueil témoigne d’une rupture et d’une continuité. une rupture linguistique et une continuité thématique.
Le Nouveau Testament est écrit en grec (ni en hébreu ni en araméen), dans le grec commun, dit de la koïnè, qui est la langue administrative, commerciale, culturelle de l’empire romain à cette époque. est-ce volonté de rupture ou d’ouverture ? une volonté d’ouverture qui produit une rupture ? il cite (même si c’est souvent dans la version de la Septante, traduction grecque du premier testament rapportée à Ptolémée Philadelphe d’Alexandrie, 285-246 avant l’ère courante) les textes des livres qui seront ultérieurement, retenus par les Juifs pour former le canon de leur Bible (le Thanak) alors qu’il y avait à leur disposition une foule de textes dits « intertestamentaires » note 16. les éditeurs du nouveau testament grec relèvent les influences d’un certain nombre de ces écrits, mais la seule citation proprement dite que l’on peut y relever est celle du livre d’Hénoch (Premier livre d’Hénoch, 1,9) dans Jude 14 note 17. on trouve, le plus souvent, la mention : « Moïse et les prophètes » (Lc 16,29), « la loi et les prophètes » (Ac 13,15) ou « la loi, les prophètes et les psaumes ».
la continuité est dans les notions (on peut relever au moins une centaine de mots qui renvoient à des thématiques du Premier Testament) et même dans les hébraïsmes que l’on relève chez les divers auteurs de ces textes. pourtant, la transposition en grec des notions juives peut avoir été déformante (exemple : kavod rendu par doxa, gloire), en revanche, la malekout éloa n’est pas mal rendue par la basiléïa tou théou (ou tôn ouranôn), c’est la traduction française par « royaume de dieu » qui est moins bonne, il vaudrait mieux dire « règne de dieu ».
Dans le milieu de l’église judéo-chrétienne naît l’ Évangile des Hébreux lié aux milieux des chrétiens d’origine juive d’Égypte (écrit en grec, mais dont il existait, sur la foi de Jérôme qui l’a consulté, un exemplaire araméen à Césarée, texte qui donne de l’importance à Jacques, frère du seigneur) ou  l' Évangile des Nazôréens (plutôt, naçoréens), texte hébreu ou araméen sur la base de l’évangile selon Matthieu originaire de Syrie. l’Évangile des Ébionites (les petits, les pauvres), apparenté au précédent, serait aussi celui d’une communauté de chrétiens d’origine juive vivant en Transjordanie, attestée au milieu du ii ème siècle. c’est une reprise de Matthieu reflétant la position des Ébionites (hostilité aux sacrifices, au culte du temple, à la consommation de viande, négation de la naissance virginale de Jésus).
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 note 15 : Dictionnaire encyclopédique de la Bible, édition de Maredsous, Brepols éditeur, 1987, p. 230 b.
 note 16 : La Bible, Écrits intertestamentaires, paris, Gallimard, Pléiade, 1987, volume de plus de 1800 pages.
 note 17 : les notes marginales du Nouveau Testament de Nestlé ou le tableau de A.C. Sundberg (The Old Testament in the early chruch, p. 54-55) indiquent des traces de références aux Psaumes de Salomon, 2ème Esdras, Hénoch éthiopien, -seule mention explicite : Jude 14- ou Premier Hénoch, Assomption (ou Testament) de Moïse, Ascension (ou Martyre) d’Ésaïe, 4 Maccabées (Dictionnaire encyclopédique de la Bible, p. 229 b), soit, en tout, sept livres sur 19 de ceux que publie la littérature intertestamentaire de la Pléiade. le Nouveau Testament de Aland (p.  xi-xii) cite aussi Baruch, 1er Esdras, Judith, 1,2,1,3 Maccabées, Sirach, Suzanne, Tobit, Sagesse, et, dans la littérature profane : Aratus, Épiménides , Pseudo-épiménides, Ménandre.
            Contrairement aux écrits de Qumrân (Règle de la communauté, Pléiade, p. 22, « poser un fondement de vérité en Israël », « une maison de vérité en Israël » p. l31-132) les livres du Nouveau Testament ne contiennent pas l’expression ni l’idée que les chrétiens en général seraient le nouvel Israël, le vrai Israël, l’Israël selon l’esprit par opposition à un Israël selon la chair. Dans Lc 24,21, ac 1,16, Jésus est compris dans la perspective d’Israël. Paul n’innove pas quand il dit que tous les membres du peuple d’Israël ne sont pas Israël (Rm 9,6) (voir 1 r 19,18 ; 2 r 19,4, 31, Amos, Ésaïe, 43,4 ; 10, 20-22 ; 11, 11,16 ; 28,5 ; 37, 4,32 ; 46,3, Jérémie, Ézéchiel etc., Jean-Baptiste dans Mt 3,7-10). dans Ga 6,16, l’Israël de dieu n’est pas l’Église, mais l’Israël qui a reconnu Jésus comme le Christ, l’Israël défini par la circoncision et par la foi d’Abraham imputée à justice (Rm 4, 12, 9,6).
113, persécution de Trajan : nous possédons deux sources sur cet événement : Eusèbe, iii, xxxiii et la correspondance entre Pline le jeune et Trajan lui-même. sous le règne de Trajan (né en Espagne à Italica, province romaine de Bétique –actuelle Andalousie- en 58, mort à Sélinonte, en Cilicie, en 117, empereur de 98 à 117), les chrétiens sont nettement distingués des Juifs et persécutés parce qu’ils ne sont pas une religion reconnue (religio licita) qu’ils ne peuvent prétendre à la dérogation accordée aux seuls Juifs de ne pas rendre de culte à l’empereur. être chrétien est, sans aucun doute, punissable aux yeux de Trajan (ils menacent l’unité morale de l’empire, ils sont non civiques et risquent d’être déloyaux).
Pline le jeune, neveu du naturaliste Pline l’ancien, mor t à Stabies (port de Pompéï, lors de l’éruption du Vésuve de 79) est gouverneur de Bithynie (côte méridionale de la mer noire, nord de l’actuelle Turquie, royaume indépendant du iii ème siècle jusqu’à 75 avant l’ère courante, annexée par Rome à cette date). il adresse en 113 une lettre à Trajan (note 18) où il fait part à l’empereur des problèmes que lui pose la mise en œuvre de l’ordon­nance concernant les chrétiens : que faire des plus opiniâtres, des repentis, des autres ? quelle valeur donner aux libelles anonymes contenant des listes de noms de personnes dénoncées comme chrétiennes qu’il a reçus ? à cette occasion, il donne des renseignements sur le culte des chrétiens. ils se rassemblent le dimanche et le culte comporte deux services, l’un, le matin (lectures bibliques, prédication, chants), l’autre le soir (centré sur le repas communautaire au cours duquel était célébrée la cène).
« Ils chantent tous ensemble en l’honneur de christus comme s’il était un dieu et s’obligent les uns les autres sous la foi du serment à ne commettre aucun délit, à ne pas voler, à ne pas commettre d’adultère, à tenir leur parole, à ne jamais refuser la restitution d’un bien qui leur a été confié. ils ont aussi l’habitude de prendre un repas en commun ».
Trajan se veut apaisant, il écrit à Pline :
« Il ne faut pas faire d’enquête ; s’ils sont dénoncés et que le délit [refus de sacrifier devant l’image de l’empereur en jetant une boule d’encens dans une cassolette, adorer la bête selon ap 20,4] est prouvé, ils doivent être punis, mais celui qui nie être chrétien et prouve ses dires en adorant nos dieux, celui-la doit être gracié pour son remords, quels que soient les soupçons qui aient pu planer sur lui par le passé », suivre des dénonciations serait « donner un très mauvais exemple et être indigne de notre temps »( note 19). cela n’empêchera pas qu’Ignace, évêque d’Antioche, soit livré aux bêtes, à Rome, lors de cette persécution.
La méconnaissance des chrétiens a diminué, la religion chrétienne n’est plus asociale, mais elle est toujours tenue pour non civique.
Sous le même règne, les Juifs d’Égypte, de Cyrène et de Chypre, également en Mésopo­ta­mie, se révoltent contre le pouvoir romain, cela donne lieu à des émeutes sanglantes, d’où une répression romaine de la dernière rigueur.
130-135, deuxième guerre juive : règne d’Hadrien (né à Italica en Bétique, Espagne, ville natale de Trajan, mort à Baïes en 138, fils adoptif de Trajan, empereur de 117 à138). avant d’être disgracié et d’écrire ses livres, Suétone est son archiviste. cette guerre n’a pas de chroniqueur, comme Josèphe pour la première, elle ne donne pas lieu à une véritable campa­gne, c’est une guérilla.
Au début de son règne, Hadrien s’était montré favorable aux Juifs, jusqu’à autoriser la reconstruction du Temple à Jérusalem (il y avait donc de nouveau une communauté juive active à Jérusalem tout au moins). Sans doute mal conseillé, il change de politique et décide que le temple de Jérusalem, dont on a commencé les travaux, sera dédié à Jupiter et il interdit la circoncision (note 20). c’est l’origine du soulèvement de Ben Kosiba (appelé Bar kkocheba, fils de l’étoile, en référence à l’oracle de balaam dans nombres 24,17, par les chrétiens en aramén, note 21) qui se donne ou est présenté comme le messie et est reconnu comme tel par le rabbi Aqiva (note22). les juifs lui donneront le surnom de "kozeba" (le menteur).
____________
note 18 : lettre 96, livre x, Enchiridion, n° 28-30, p.22-24, réponse de Trajan, n° 31, p.24.
 note 19 : C. Grimberg, Histoire universelle, 12 volumes, édition Marabout université, tome  iii, 1963, p. 244-245.
 note 20 : Schürer, p. 355-356
 note 21 : Écrits intertestamentaires, p. xxx
 note 22 : Schürer, p. 357-s, 364-s.
Le soulèvement s’étend à tout Israël (Palestine) et les chrétiens locaux sont durement at­ta­qués par les partisans de Bar Kochebah qui exigent qu’ils renient le christ Jésus (té­moignages de Justin, Eusèbe, 0rose) (note 23).Jérusalem est aux mains de révoltés et dans Ble Temple, a demi reconstruit, les offrandes reprennent, un grand prêtre (Éléasar) est choisi. Hadrien envoie alors une armée commandée par le commandant en chef de la Grande Bretagne : Jules Sévère. au bout de trois ans Jérusalem est prise par T. Annius Rufus (gouverneur de la pro­vince) qui fait passer la charrue sur l’emplacement du Temple. Sévère ne fait pas de cam­pa­gnes, de batailles, il affame les populations. finale­ment Bar Kochebah et ses fidèles sont retranchés dans un réduit, la forteresse mon­tagneuse de Béther (note 24), au sud de Jérusalem. Bar Kochebah et sans doute aussi Rabbi Aqiva sont mis à mort avec nombre d’autres martyrs, mais on n’a guère de témoignages sur la fin de la sédition. qui, dans son ensemble, donnera lieu à des récits d’épopée.
La guerre a été coûteuse en hommes et en argent pour Hadrien. Jérusalem devient Aelia capitolina (n.b. aelia, féminin d’aélius, prénom d’Hadrien, capitolina : du capitole, non seulement de la capitale de l’empire, mais du lieu du pouvoir impérial romain) et elle est repeuplée avec des populations païennes, les juifs sont dépossédés par Rome de leur terre (devenue province romaine de Palestine). dispersés dans l’empire, à partir de 138, l’empereur Antonin ayant aboli les édits d’Hadrien, ils jouissent de la reconnaissance légale avec un statut religieux par­­­ti­­cu­lier, unique dans l’empire (ils sont dispensés des actes de vénération rendus aux empereurs).
La ruine du Temple et la grande dispersion des Juifs expliquent l’essor du juda­ïs­me rabbinique et talmudique sous l’impulsion de Yorhanan ben Zakkaï et dont le christianisme sera désormais le vis-à-vis. les chrétiens d’origine juive chassés des synagogues peu­vent avoir été pour quelque chose dans la naissance des gnosticismes (les Elkésaïtes) ou de sectes comme celle des Ébionites. leur disparition (sans doute chose faite à la fin du ii e siècle), jointe au choix que les pagano-chrétiens feront de la rationalité grecque plutôt que des religions orientales, explique l’hellénisation rapide du chris­tia­nisme primitif.
Arrivés à ce point, on doit souligner que les communautés tant juives que chrétiennes connaissent pendant ces années de terribles traumatismes. En 135, la province romaine de Palestine est ravagée, la Judée n’est plus qu’un désert, les esclaves juifs se vendent moins cher qu’un cheval sur le marché annuel des Thérébinthes, près d’Hébron. les chrétiens, eux, souffrent des persécutions générales qui s’étendent sur trois siècles de façon intermittente, mais toujours renouvelées (note 25). sous Dioclétien (au iv ème siècle) les fonctionnaires et militaires chrétiens sont licenciés, un édit de 303 ordonne la destruction de toutes les communautés chrétiennes, la destruction des bibles. Les chrétiens meurent martyrs, sont réduits en escla­vage, envoyés dans les mines de sel, les femmes livrées aux lupanars (note 26).
De part et d’autres, les communautés sont obligées de parer à leur survie immédiate et à affirmer leur identité de manière plus forte. la fossé entre Juifs et chrétiens ne cesse de s’agrandir. et pourtant des dialogues peuvent encore exister.
135, Justin : Dialogue avec Tryphon :
Justin est un intellectuel grec né en Palestine en 100 qui embrasse le christianisme et écrira, entre autres, ce dialogue avec un juif du nom de Tryphon. il mourra martyr, à Rome, en 165.
Vers la fin du dialogue, pour la première fois, est clairement conçue et affirmée par un chrétien la revendication d’être le vrai Israël (comme, aussi, la vraie philosophie). « la société chrétienne, œuvre des apôtres, est en toute vérité la race promise à Abraham, l’héritière de toutes les promesses de l’Ancien Testament » (note 27). cette prétention a devancé l’établissement du christianisme comme religion de l’empire sous Constantin et, surtout, Théodose (note 28). un chré­tien se pense et s’exprime dans des termes qui, jusqu’ici, n’étaient recevables qu’au sein d’Is­raël (que la communauté de Qumrân se dise communauté de la nouvelle alliance, qu’elle se présente comme nouvel Israël, reste d’Is­raël, ou vrai Israël pouvait être légitime du moment qu’elle était exclusivement constituée de Juifs).
Nb : Clément de Rome applique aux chrétiens les appellations que le Premier Testament réserve à Israël : peuple choisi, « part d’élection », « portion sainte » (Épître aux Corinthiens, 42,44, sources chrétiennes, 167, p. 169, 173, rédigée en 95-96).
Mais il ne s’agit encore que d’une opinion personnelle, la deuxième Épître de Pierre rédigée vers la même époque (ou dix ans plus tôt) est respectueuse des écritures, Eusèbe, qui rapporte les deux guerres juives, n’y voit pas de désaveu de dieu, mais parle avec compassion des malheurs de ce peuple (ii, vi, xix, xx, xxvi ; iii, v, vi, ; iv, ii, vi).
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  note 23 : ibid, p. 138.
  note 24 : ibid, p. 360, Écrits intertestamentaires, p. xxx, Eusèbe iv, 6
 note 25 : Grimberg, iii, p. 284-s..
  note 26 : ibid, p. 286-s..
  note 27 : cité dans F. Cayré, Patrologie et histoire de la théologie, Paris, Desclée et cie, tome 1, 1953, p. 139
 note 28 : Grimberg, iii, p. 300-s..
Pourtant, vers la même époque, l’Épitre de Barnabé ou Barnabas oppose judaïsme et christianisme comme la voie des ténèbres contre la voie de la lumière. cet écrit, considéré comme apocryphe par l’église, n’en dénote pas moins l’existence d’un état d’esprit simpliste, réducteur et dangereux (note 29). Marcion (né à Sinope, dans le Pont, se trouve actif à Rome vers 140), veut réformer une église qu’il juge judaïsante, il oppose le démiurge du Premier Testament (influence de la métaphysique grecque) et le dieu sauveur du Nouveau Testament, il considère le Premier Testament comme caduc et expurge le Nouveau Testament. on ne peut le classer parmi les gnostiques. l’Église rejettera sa pensée et son expurgation du Nouveau Testament, mais elle continuera dans la ligne de la pensée de Justin. des communautés mar­cio­nites se perpétueront jusqu’au iii ème siècle.
En 135, une communauté chrétienne s’établit de nouveau à Jérusalem (après 65 ans de vide), mais c’est une communauté pagano-chrétienne, ce qui est significatif.
À dater de cette fin de règne d’Hadrien, les églises se constituent en une Église insti­tu­tion­nelle avec des conciles, un accord sur des normes communes, une règle de foi, un canon du Nouveau Testament, l’adoption du canon de la Bible juive, l’épiscopat monarchique, la succession apostolique, la constitution hiérarchique du clergé, la supériorité des clercs sur les laïcs. Désormais, le christianisme est une religion structurée à côté du judaïsme rabbinique qui, lui aussi, s’est structuré.
Bref aperçu de la suite : les Juifs entreprennent un double travail qui va s’éten­­dre sur plusieurs siècles : l’éta­blis­se­ment du texte de la Tôrâh et la clôture du canon du premier testament. ces démarches reflètent la nouvelle situation du judaïsme rabbinique en diaspora qui, pour ne pas se fondre dans les autres peuples, exige une « clôture ». les chrétiens sont occupés de l’apologie de leur foi, de la lutte contre le paganisme et les déviations qui se font jour dès le ii ème siècle. certains rejettent le judaïsme, d’autres soulignent sa supériorité par rapport aux grecs, dans l’en­semble, ils s’ap­pro­prient les écritures juives.
En 274, Aurélien (sous le règne de qui se produit la première dévaluation de l’histoire), se donne les titres de dominus et deus (seigneur et dieu), alors que, jusque là, les empereurs étaient apothéosés après leur mort. il adopte le culte du soleil d’Émèse (sol invictus : le soleil invincible) confondu avec le culte de l’empereur et en fait la religion officielle de l’empire (nous avons connu le « roi soleil »).
En 311 édit de tolérance en faveur des chrétiens promulgué par les deux Césars : Galère et Constantin. En 312 Constantin bat Maxence sous les murs de Rome au Pont Milvius. en 313, il donne l’édit de milan qui met fin aux persécutions et fait du christianisme une religion licite..
Théodose (né vers 347 à Cauca en Espagne, mort à Milan en 395, empereur de 379 à 395) (note 30). en. 391, date à laquelle Théodose devient seul empereur, il promulgue l’édit de Thessalonique : le christianisme est érigé en religion d’état. l’empereur veut une seule religion dans l’empire. il s’en suit une persécution de la religion païenne, de ses prêtres, de ses adeptes, mais je ne lis nulle part que les Juifs soient inquiétés de quelque manière. les sacrifices d’animaux sont interdits de même que le culte domestique, les jeux olympiques (en 394), les combats de gladiateurs. le paganisme a alors ses martyrs, telle la philosophe néoplatonicienne Hypatie d’Alexandrie, lynchée en 415. à la mort de Théodose, l’empire est partagé entre ses fils Arcadius (orient) et Honorius (occident).
En 529, Justinien (né à Taurestium - ?- en 482, mort à Constantinople en 565 où il fait bâtir Sainte Sophie, empereur byzantin de 527 à 565) ferme l’académie platonicienne d’Athènes et interdit l’enseignement de la philosophie dans cette ville.

Conclusions :
Il ne s’est pas seulement produit une séparation, il y a eu un renversement de situation : dans les cent années que nous venons d’évoquer, le rapport des forces, de la qualité des protagonistes et la nature du conflit ont entièrement changé.
a) le rapport de forces : au départ et jusqu’en 391 (Théodose, une seule religion pour l’em­pire, la religion chrétienne) le rapport des forces est en faveur des Juifs. majoritaires de façon écrasante en Israël jusqu’en 70, évalués à 10% (prosélytes compris) de la population de l’empire, très nombreux à Rome depuis Pompée (108-48 avant l’ère courante), les Juifs sont religio licita (les hommes parvenus à leur majorité admis à ne pas exécuter l’acte de piété devant la statue de l’empereur, ceci contre le paiement d’un impôt, le fiscus judaïcus) alors que les chrétiens sont non licites (jusqu’en 311 : édit de tolérance galère-constantin et 313, édit de Milan ). les deux guerres juives équivalent aux plus sanglantes persécutions, mais ensuite, la diaspora juive n’est pas persécutée, ceux qui le sont, pendant plus de 250 ans (avec des accalmies comme les 40 ans entre Gallien et
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 note 29 : Schürer, p. 355, note 2.
 note 30 : Grimberg, iii, p.300-s..
Dioclétien), d’abord à Rome, puis sélectivement dans l’empire, enfin de façon généralisée, ce sont les chrétiens. à la fin du iv ème siècle (édit de Thessalonique de 391 qui fait du christianisme la religion de l’empire) le rapport des forces est complètement inversé.
Si l’on veut remonter aux origines, tout le malheur d’Israël vient de l’empire romain païen. en chassant le peuple Juif de sa terre, en effaçant le souvenir de celle-ci, afin d’étouffer les tentatives réitérées des Juifs pour reconquérir leur indépendance, le pouvoir impérial a, de fait, livré les Juifs, déracinés et dispersés, aux aléas de l’histoire. Essayons d’imaginer quelle serait la situation d’Israël aujourd'hui s’il n’avait pas été effacé par les romains, si le Temple n’avait pas été rasé ni la population juive chassée de sa terre ? la conquête arabe aurait-elle été aussi loin que les romains ?
b) la qualité des protagonistes : jusqu’en 70, les chrétiens sont des Juifs, entre 70 et 135 les chrétiens Juifs diminuent jusqu’à disparaître entièrement, les chrétiens sont, de plus en plus, des chrétiens grecs (païens). les écrits du Nouveau Testament (échelonnés entre 50 et 100) sont (sauf exception de Luc et Actes) rédigés par des chrétiens juifs. ce qui apparaît aujourd'hui comme des traits antisémites de ces écrits ne l’est pas plus que les critiques des prophètes, que Jérémie appelant Nabuchodosor (qui va anéantir Juda, détruire le Temple et déporter la population judéenne) : « le serviteur du seigneur », annonçant une « nouvelle alliance ». suite à l’évolution du rapport des forces sus-indiqué, on est passé progressivement d’un différent entre juifs à une confrontation entre non-juifs devenus chrétiens et juifs.
c) la nature du conflit : les chrétiens d’origine juive ayant disparu par l’effet d’une triple cause : leur expulsion de la synagogue, la persécution impériale et le développement exponentiel des chrétiens d’origine païenne, une médiation essentielle a manqué. ce qui était un débat entre juifs s’est mué en affrontement entre juifs et non-juifs devenus chrétiens.
quelles conséquences pour aujourd'hui ? les Églises chrétiennes ont publiquement fait acte de repentance à la suite de la Choah. il s’agit de comportements collectifs qui n’ont sans doute pas d’anté­cé­dents dans l’histoire. des relations nouvelles, de respect et même d’amitié se sont créées entre juifs et chrétiens tant catholiques que protestants. il importe cependant que la repentance entre dans la vie quotidienne des églises et des chrétiens.
1) replacer les textes dans leur contexte historique, mais aussi spirituel.
Le contexte historique : comme non-juifs, nous n’avons pas à entrer dans ce qui est et doit rester une polémique interne au judaïsme. ce qui est admissible entre Juifs, est inad­missible quand des non-juifs y prennent fait et cause. cela exige une démarche intellectuelle qui remette chaque texte dans son contexte historique précis, mais cela découle aussi d’une attitude spirituelle.
Le contexte spirituel nous vient de la croix : « père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font » (lc 23,34). Jésus ne dit pas « je leur pardonne », il demande à son père de pardonner (et, comme chrétiens, nous ne devons pas mettre en doute l’exaucement de cette prière), de pardonner les protagonistes sans discernement de sa passion. qu’il s’agisse des Juifs d’a­lors et des romains de l’époque ou de nous qui, par une substitution à rebours, occupons aujour­d'hui leur place dès lors que nous ne faisons pas justice et ne portons pas secours aux plus petits auxquels jésus s’identifie (mt 25,31-46). moins que jamais, nous ne pouvons nous contenter d’un christianisme formel.
2) comme chrétiens, prendre conscience que l’autorité « humaine » du Nouveau Testa­ment relève de ce qu’il est l’ex­pres­sion originale judéo-chrétienne de notre foi. en particulier, accepter de ne nous référer au premier testament, de ne parler de nouvelle alliance, que dans le cadre du témoignage néotestamentaire, en quelque sorte, avec l’autorisation, l’aval ou sous le couvert de l’usage que les chrétiens d’origine juive, dont nous avons le témoignage dans le nouveau testament, en ont fait.
L’église des juifs chrétiens a disparu, mais son témoignage qui fait autorité pour la foi des chrétiens subsiste. en voici un exemple : le témoin de l’Apocalypse, décrivant la vision de la Jérusalem céleste descendant du ciel (Ap 21, 12) parle d’une ville qui a la forme d’un cube comme le saints des saints du temple, dont les douze portes sont appelées des noms des douze tribus d’Israël et les douze rangées de fondations des noms des douze apôtres. tout être humain pourra entrer et sortir librement en passant par l’une des tribus d’israël et tout être humain pourra vivre de la présence, fondé sur le témoignage évangélique.
Sachons faire aimer celui, de l’amour de qui nous sommes les témoins et, peut-être, nous ferons-nous aimer en retour, sans l’avoir cherché.
Jacques Gruber


 LA DIVERGENCE MONOTHÉISTE (deuxième partie)
Décembre 2007
Commentaire reçu :
FL. : Il y a un trou qui s’explique, je suppose, par l’absence de do­cu­ments et qui m’intrigue. Comment s’est faite l’annonce de l’Évangile (sans écrits et avant Paul) dans toutes les toute premières années sur le pourtour méditerranéen et notamment à Rome. De quoi était faite, au juste, cette annonce ? Était-ce à partir de logia orales ? Par des judéo-chrétiens immédiatement relayés par des paganos, donc déconnectés de toute culture juive ! Autour de la Cène ? Mais quel type d’enseignement : un certain Christos ressuscité, le salt pour tous, mais que pouvait représenter la notion de salut pour des paganos romains ? Par exemple, Priscilla, qui l’avait baptisée et enseignée ? Par exemple : était-ce le message « social » de la délivrance de l’esclavage qui séduisait ? Il devait s’agir d’un message rudimentaire, bien loin de la théorisation ultérieure de Paul ? Quand les chrétiens étaient qualifiés de « barbares », cela voulait-il désigner leurs mœurs (crainte de la désobéissance civile) ou leur athéisme (refus de sacrifier aux dieux romains) ?
Réponse :
approche culturelle : Dans l’empire romain régnait la paix (lapax romana musclée), les voies de communication étaient nombreuses et bien entretenues, les gens voyageaient beaucoup (voir Priscille et Aquilas), les nouvelles et les libelles se répandaient vite.
La religion romaine, mythologique et politique ne répondait pas aux aspirations de beaucoup. Il y avait une insatisfaction et une attente religieuse. Les populations étaient sollicitées par les religions orientales (Mithra, cultes à mystères), une frange non négligeable était attirée par le judaïsme (les « craignant Dieu »), lequel pratiquait le prosélytisme (les païens qui embrassaient le judaïsme et qui reculaient devant la circoncision passaient par un baptême : le baptême des prosélytes du judaïsme a précédé le baptême chrétien).
Pour les premiers chrétiens, il fallait qu’ils soient perçus comme non-Juifs et pour les Juifs, il était impératif d’écarter toute confusion avec les chrétiens.
Le dynamisme missionnaire des premiers chrétiens qui prenait sa source dans l’annonce du Ressuscité et les dons (charismes) du Saint Esprit, les persécutions, les procès qui leur sont faits, tant par les Juifs que par les romains, ont activé la diffusion de leur message.
approche kérygmatique : On peut connaître le message initial de l’Église primitive en direction des Juis, des grecs, du tout venant, dans le livre des Actes. Les discours qu’on y lit, bien que reconstitués pour certains, sont considérés comme fiables.
Le message chrétien, annonçant l’ouverture aux païens de l’Alliance du Dieu unique d’Ab­ra­ham, Isaac, Jacob, Moïse, des prophètes, a dû rencontrer un accueil providentiel parmi les gens (déçus de la religion romaine officielle et des autres offres religieuses) qui étaient attirés par le judaïsme.
Comparés aux religions initiatiques ou aux catégorisations sociales, les dons de l’Esprit accordés sans distinction d’origine (la grâce), avait un goût de salut.
L’annonce d’une proche Parousie du Seigneur devait répondre aux attentes de tous ceux qui, désespérant du régime impérial et de la condition qui leur y était faite, aspiraient à un renouvellement profond.
La possibilité de sortir de son destin par le baptême, pour trouver des frères et sœurs issus de tous les milieux, d’entrer dans les communautés fraternelles de prière, d’agapes, d’entraide, où la cène créait la communion au Seigneur et Sauveur, ont dû avoir un effet libérateur.
Le vécu « spirituel » (charismatique) du sacrifice pouvait attirer les personnes en recherche d’une spiritualité qui libère en vue d’investissements intellectuels, lyriques, sociaux ou même politiques (avant d’être récupérée par l’ecclésial).
Enfin, les premières théologies où les croyances sont pensées, voire conceptualisées (Paul, Jean, Hébreux), phénomène nouveau, autre que le midrache, plus proche de la philosophie, peuvent avoir attiré des intellectuels.
approche historique, en suivant les années au rebours (peut être lu en partant du haut ou du bas) :
en 70, la communauté chrétienne de Jérusalem (réfugiée à Pella avant la pris de la Ville) a subi la même dispersion que la nation juive dans son ensemble ;
entre 65 et avant 70, évangile selon Marc ;
64 ou 67, martyre de Pierre à Rome ;
61-63 : Paul est à Rome, assigné à résidence dans l’attente de son procès ;
62, le grand prêtre Anan fait lapider Jacques, frère du Seigneur, il est remplacé par Siméon à la tête de l’Église de Jérusalem ;
été 58, Jacques, frère du Seigneur, prend la tête de la communauté chrétienne de Jérusalem, on peut penser que Pierre est alors à Rome ;
entre et 51 et 56, les épîtres de Paul sont rédigées;
53-58, troisième voyage missionnaire de Paul ;
50-52, deuxième voyage missionnaire de Paul ;
c’est vers 50 que l’on place le début de la mise par écrit de l’Évangile oral ;
48-49, Conférence de Jérusalem (Ac 15) entre Jacques, Pierre et Paul ;
45-49, premier voyage missionnaire de Paul ;
vers 43 : Paul et Barnabas à Antioche, l’Église qui les enverra en mission, Pierre en Samarie et sur la côte (le centurion Corneille) ;
43 ou 44, décapitation de Jacques, frère de Jean par Agrippa 1er;
39 : premier contact de Paul avec les chefs de l’Église, à Jérusalem (Ga 1, 18-s) ;
37 : conversion de Paul, sa retraite en Arabie et à Damas (Ac 9, 19-s, Ga 1, 17-s);
36-37 : martyre d’Étienne dispersion de la communauté chrétienne des Jérusalem qui essaime en Syrie ou plus loin (Ac 9, 1-s);
années 30 : mort et résurrection de Jésus, la Pentecôte, les premiers témoignages rapportés dans Actes (discours de Pierre, d’Étienne) rédigés vers 80, mais se rapportant à # 30 ;
genèse spirituelle : les une à trois années de l’activité de Jésus sont le temps des semailles ; à partir de la Pentecôte, c’est le temps où la semence prend racine et se développe ; jusqu’à la fin du 1ersiècle, les graînes produites par cette première plantation se répandent pour de nouveaux ensemencements et de nouvelles récoltes.
divergence monothéiste (deuxième partie) la
66-74 première guerre juive : la fin des années 60 est l’époque où l’on situe la rédaction de l’évan­gile selon Marc.
Les Juifs se rebellent contre Rome pour retrouver leur indépendance (« un poste romain est attaqué à Massada, le clergé du temple refuse d’accomplir les sacrifices réguliers pour l’empereur » , note 14). le général romain Vespasien, envoyé par Néron, n’attaque pas directement Jérusalem, il commence par faire le vide autour de la ville. c’est la campagne de Galilée où le commandant en chef, du côté Juif, est Josèphe, futur chroniqueur de cette guerre (la guerre juive) et auteur d’une histoire du peuple juif (Les Antiquités juives).
La campagne de Judée est interrompue en 69 parce que les légions ont proclamé Ves­pa­sien empereur après la mort de Vitellius. son fils Titus prend sa suite au siège de Jérusalem qui tombera sans s’être rendue au cours de l’été 70. le Temple (dont la réfection et les embellissements voulus par Hérode s’étaient achevés en 64 est détruit en 70). Titus avait donné l’ordre de ne pas y toucher, mais un subalterne ignorant de cet ordre ou désobéissant y a mis le feu. la ville est mise à sac, le chandelier d’or du temple fait partie du triomphe de Titus à Rome. c’est dans cette guerre que se situe le siège de la forteresse de Massada (en 74) et que la communauté essénienne de Qumrân, chassée de son couvent et dispersée, cache dans des grottes ses manuscrits qui seront retrouvés en 1947 (date contestée). Israël, détaché de la province de Syrie, devient province sénatoriale romaine de Palestine, une légion y est installée en permanence, un camp romain est établi à Jérusalem, le Temple n’est pas reconstruit. le centre du judaïsme se transporte à Yavnè, autour de Yohannan ben Zakkaï.
En 67, la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, écoutant une prédiction, avait quitté la ville pour se réfugier à Pella (à l’est du Jourdain, dans le territoire appelé, à l’épo­que : Décapole). après 70, elle ne peut plus envisager de revenir à Jérusalem. les communautés judéo-chrétiennes se trouvent alors à l’est du Jourdain. on connaît l’existence d’une importante communauté judéo-chrétienne à Kokaba (Baranie). il s’en trouvait égale­ment en Coelésyrie, en Syrie. sinon, ce ne sont que des minorités en Asie mineure, minorités qui se conforment de plus en plus aux communautés pagano-chrétiennes et finissent par s’y fondre.
années 80, époque de la rédaction des évangiles selon Matthieu et selon Luc, du livre des Actes des apôtres (dû à Luc). ces textes reflètent la destruction du Temple en 70, interprétée comme un désaveu de dieu à l’égard du judaïsme de l’époque. Luc, grec, médecin de son état, amené à la foi chrétienne par Paul, est le seul témoin non-juif du Nouveau Testament.
De ces années date aussi l’épître aux Hébreux, qui insiste sur la continuité et les ruptures entre l’histoire sainte des juifs et la nouvelle foi des chrétiens.
90 assemblée de Yavné (pointe nord de l’actuelle bande de Gaza): décision y est prise de chasser les judéo-chrétiens des synagogues et d’ajouter aux chemonè ezre une 19ème bénédiction (la birkhat haminim, qui, implicitement, prononce l’excécration des (judéo-) chrétiens, les notzrim [nazaréens ou nazôréens ?]). la rupture entre judaïsme et judéo-chrétiens est consa­crée.
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note 14 : Écrits intertestamentaires, p. xxix.
95, persécution de Domitien : Domitien, second fils de Vespasien succède à son frère aîné Titus, c’est un homme emporté qui sera assassiné. nous avons quelques échos de cette persécution : c’est à cette occasion que l’auteur de l’Apo­­ca­lypse a été exilé à Patmos (ap 1,9). les chrétiens sont poursuivis [à Rome] pour « vivre à la juive » [alors qu’ils n’en sont pas], punis en étant astreints à contribuer à l’impôt des juifs (le fiscus judaïcus). au cours de cette perécution Flavia Domitilla, qui avait fait don à la communauté chrétienne de Rome du cimetière qui porte encore aujourd'hui son nom, exilée dans l’île de Pontia, trouva la mort. la persécution s’étend hors de la capitale, à l’est (mort d’An­­ti­pas à Pergame, ap. 2,13). Domi­tien vise aussi les juifs. comme son père Vespasien, il fait rechercher les descendants de David dans l’idée de les éliminer (Eusèbe, iii, xii et xix).
Dernières années du premier siècle : évangile selon Jean, Apocalypse, diverses Épîtres, (110-116 dates où Tacite écrit ses Annales). l’attribution du iv ème évangile à Jean, l’un des douze disciples de jésus, est discutée, même si Jean a pu vivre jusqu’à un âge avancé. les écrits du Nouveau Testament, mis sous le patronage de Jean, reflètent vraisemblablement l’enseignement de ce dernier, mis en forme par certains de ses disciples (par conséquent, des disciples du disciple Jean).L
L’évangile selon Jean est marqué par deux traits caractéristiques : l’accusation des « Juifs » et la « haine du monde » pour les disciples de Jésus, Fils de Dieu ». c’est le reflet de la condition, devenue tragique des judéo-chrétiens entre 70 et 100 : exclus des synagogues et persécutés par Domitien. la tradition johannique peut aussi être marquée par une animosité du disciple de Jésus à l’égard de ceux qui ont mis à mort son frère (Jacques) en 43 ou 44.
Le Nouveau Testament : en ces années, les textes qui seront, ultérieurement, canonisés par les chrétiens sont tous rédigés (à quelques exceptions près comme la seconde Épître de Pierre). l’expression « Ancien Testament » se trouve pour la première fois sous la plume de Méliton de Sardes en 170, celle de « Nouveau Testament » chez Tertullien (en 200) note 15. l’exis­tence de nouveaux écrits fondateurs ne peut qu’avoir agi, elle aussi, dans le sens de la séparation d’avec les juifs.
Ce recueil témoigne d’une rupture et d’une continuité. une rupture linguistique et une continuité thématique.
Le Nouveau Testament est écrit en grec (ni en hébreu ni en araméen), dans le grec commun, dit de la koïnè, qui est la langue administrative, commerciale, culturelle de l’empire romain à cette époque. est-ce volonté de rupture ou d’ouverture ? une volonté d’ouverture qui produit une rupture ? il cite (même si c’est souvent dans la version de la Septante, traduction grecque du premier testament rapportée à Ptolémée Philadelphe d’Alexandrie, 285-246 avant l’ère courante) les textes des livres qui seront ultérieurement, retenus par les Juifs pour former le canon de leur Bible (le Thanak) alors qu’il y avait à leur disposition une foule de textes dits « intertestamentaires » note 16. les éditeurs du nouveau testament grec relèvent les influences d’un certain nombre de ces écrits, mais la seule citation proprement dite que l’on peut y relever est celle du livre d’Hénoch (Premier livre d’Hénoch, 1,9) dans Jude 14 note 17. on trouve, le plus souvent, la mention : « Moïse et les prophètes » (Lc 16,29), « la loi et les prophètes » (Ac 13,15) ou « la loi, les prophètes et les psaumes ».
la continuité est dans les notions (on peut relever au moins une centaine de mots qui renvoient à des thématiques du Premier Testament) et même dans les hébraïsmes que l’on relève chez les divers auteurs de ces textes. pourtant, la transposition en grec des notions juives peut avoir été déformante (exemple : kavod rendu par doxa, gloire), en revanche, la malekout éloa n’est pas mal rendue par la basiléïa tou théou (ou tôn ouranôn), c’est la traduction française par « royaume de dieu » qui est moins bonne, il vaudrait mieux dire « règne de dieu ».
Dans le milieu de l’église judéo-chrétienne naît l’ Évangile des Hébreux lié aux milieux des chrétiens d’origine juive d’Égypte (écrit en grec, mais dont il existait, sur la foi de Jérôme qui l’a consulté, un exemplaire araméen à Césarée, texte qui donne de l’importance à Jacques, frère du seigneur) ou  l' Évangile des Nazôréens (plutôt, naçoréens), texte hébreu ou araméen sur la base de l’évangile selon Matthieu originaire de Syrie. l’Évangile des Ébionites (les petits, les pauvres), apparenté au précédent, serait aussi celui d’une communauté de chrétiens d’origine juive vivant en Transjordanie, attestée au milieu du ii ème siècle. c’est une reprise de Matthieu reflétant la position des Ébionites (hostilité aux sacrifices, au culte du temple, à la consommation de viande, négation de la naissance virginale de Jésus).
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 note 15 : Dictionnaire encyclopédique de la Bible, édition de Maredsous, Brepols éditeur, 1987, p. 230 b.
 note 16 : La Bible, Écrits intertestamentaires, paris, Gallimard, Pléiade, 1987, volume de plus de 1800 pages.
 note 17 : les notes marginales du Nouveau Testament de Nestlé ou le tableau de A.C. Sundberg (The Old Testament in the early chruch, p. 54-55) indiquent des traces de références aux Psaumes de Salomon, 2ème Esdras, Hénoch éthiopien, -seule mention explicite : Jude 14- ou Premier Hénoch, Assomption (ou Testament) de Moïse, Ascension (ou Martyre) d’Ésaïe, 4 Maccabées (Dictionnaire encyclopédique de la Bible, p. 229 b), soit, en tout, sept livres sur 19 de ceux que publie la littérature intertestamentaire de la Pléiade. le Nouveau Testament de Aland (p.  xi-xii) cite aussi Baruch, 1er Esdras, Judith, 1,2,1,3 Maccabées, Sirach, Suzanne, Tobit, Sagesse, et, dans la littérature profane : Aratus, Épiménides , Pseudo-épiménides, Ménandre.
            Contrairement aux écrits de Qumrân (Règle de la communauté, Pléiade, p. 22, « poser un fondement de vérité en Israël », « une maison de vérité en Israël » p. l31-132) les livres du Nouveau Testament ne contiennent pas l’expression ni l’idée que les chrétiens en général seraient le nouvel Israël, le vrai Israël, l’Israël selon l’esprit par opposition à un Israël selon la chair. Dans Lc 24,21, ac 1,16, Jésus est compris dans la perspective d’Israël. Paul n’innove pas quand il dit que tous les membres du peuple d’Israël ne sont pas Israël (Rm 9,6) (voir 1 r 19,18 ; 2 r 19,4, 31, Amos, Ésaïe, 43,4 ; 10, 20-22 ; 11, 11,16 ; 28,5 ; 37, 4,32 ; 46,3, Jérémie, Ézéchiel etc., Jean-Baptiste dans Mt 3,7-10). dans Ga 6,16, l’Israël de dieu n’est pas l’Église, mais l’Israël qui a reconnu Jésus comme le Christ, l’Israël défini par la circoncision et par la foi d’Abraham imputée à justice (Rm 4, 12, 9,6).
113, persécution de Trajan : nous possédons deux sources sur cet événement : Eusèbe, iii, xxxiii et la correspondance entre Pline le jeune et Trajan lui-même. sous le règne de Trajan (né en Espagne à Italica, province romaine de Bétique –actuelle Andalousie- en 58, mort à Sélinonte, en Cilicie, en 117, empereur de 98 à 117), les chrétiens sont nettement distingués des Juifs et persécutés parce qu’ils ne sont pas une religion reconnue (religio licita) qu’ils ne peuvent prétendre à la dérogation accordée aux seuls Juifs de ne pas rendre de culte à l’empereur. être chrétien est, sans aucun doute, punissable aux yeux de Trajan (ils menacent l’unité morale de l’empire, ils sont non civiques et risquent d’être déloyaux).
Pline le jeune, neveu du naturaliste Pline l’ancien, mor t à Stabies (port de Pompéï, lors de l’éruption du Vésuve de 79) est gouverneur de Bithynie (côte méridionale de la mer noire, nord de l’actuelle Turquie, royaume indépendant du iii ème siècle jusqu’à 75 avant l’ère courante, annexée par Rome à cette date). il adresse en 113 une lettre à Trajan (note 18) où il fait part à l’empereur des problèmes que lui pose la mise en œuvre de l’ordon­nance concernant les chrétiens : que faire des plus opiniâtres, des repentis, des autres ? quelle valeur donner aux libelles anonymes contenant des listes de noms de personnes dénoncées comme chrétiennes qu’il a reçus ? à cette occasion, il donne des renseignements sur le culte des chrétiens. ils se rassemblent le dimanche et le culte comporte deux services, l’un, le matin (lectures bibliques, prédication, chants), l’autre le soir (centré sur le repas communautaire au cours duquel était célébrée la cène).
« Ils chantent tous ensemble en l’honneur de christus comme s’il était un dieu et s’obligent les uns les autres sous la foi du serment à ne commettre aucun délit, à ne pas voler, à ne pas commettre d’adultère, à tenir leur parole, à ne jamais refuser la restitution d’un bien qui leur a été confié. ils ont aussi l’habitude de prendre un repas en commun ».
Trajan se veut apaisant, il écrit à Pline :
« Il ne faut pas faire d’enquête ; s’ils sont dénoncés et que le délit [refus de sacrifier devant l’image de l’empereur en jetant une boule d’encens dans une cassolette, adorer la bête selon ap 20,4] est prouvé, ils doivent être punis, mais celui qui nie être chrétien et prouve ses dires en adorant nos dieux, celui-la doit être gracié pour son remords, quels que soient les soupçons qui aient pu planer sur lui par le passé », suivre des dénonciations serait « donner un très mauvais exemple et être indigne de notre temps »( note 19). cela n’empêchera pas qu’Ignace, évêque d’Antioche, soit livré aux bêtes, à Rome, lors de cette persécution.
La méconnaissance des chrétiens a diminué, la religion chrétienne n’est plus asociale, mais elle est toujours tenue pour non civique.
Sous le même règne, les Juifs d’Égypte, de Cyrène et de Chypre, également en Mésopo­ta­mie, se révoltent contre le pouvoir romain, cela donne lieu à des émeutes sanglantes, d’où une répression romaine de la dernière rigueur.
130-135, deuxième guerre juive : règne d’Hadrien (né à Italica en Bétique, Espagne, ville natale de Trajan, mort à Baïes en 138, fils adoptif de Trajan, empereur de 117 à138). avant d’être disgracié et d’écrire ses livres, Suétone est son archiviste. cette guerre n’a pas de chroniqueur, comme Josèphe pour la première, elle ne donne pas lieu à une véritable campa­gne, c’est une guérilla.
Au début de son règne, Hadrien s’était montré favorable aux Juifs, jusqu’à autoriser la reconstruction du Temple à Jérusalem (il y avait donc de nouveau une communauté juive active à Jérusalem tout au moins). Sans doute mal conseillé, il change de politique et décide que le temple de Jérusalem, dont on a commencé les travaux, sera dédié à Jupiter et il interdit la circoncision (note 20). c’est l’origine du soulèvement de Ben Kosiba (appelé Bar kkocheba, fils de l’étoile, en référence à l’oracle de balaam dans nombres 24,17, par les chrétiens en aramén, note 21) qui se donne ou est présenté comme le messie et est reconnu comme tel par le rabbi Aqiva (note22). les juifs lui donneront le surnom de "kozeba" (le menteur).
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note 18 : lettre 96, livre x, Enchiridion, n° 28-30, p.22-24, réponse de Trajan, n° 31, p.24.
 note 19 : C. Grimberg, Histoire universelle, 12 volumes, édition Marabout université, tome  iii, 1963, p. 244-245.
 note 20 : Schürer, p. 355-356
 note 21 : Écrits intertestamentaires, p. xxx
 note 22 : Schürer, p. 357-s, 364-s.
Le soulèvement s’étend à tout Israël (Palestine) et les chrétiens locaux sont durement at­ta­qués par les partisans de Bar Kochebah qui exigent qu’ils renient le christ Jésus (té­moignages de Justin, Eusèbe, 0rose) (note 23).Jérusalem est aux mains de révoltés et dans Ble Temple, a demi reconstruit, les offrandes reprennent, un grand prêtre (Éléasar) est choisi. Hadrien envoie alors une armée commandée par le commandant en chef de la Grande Bretagne : Jules Sévère. au bout de trois ans Jérusalem est prise par T. Annius Rufus (gouverneur de la pro­vince) qui fait passer la charrue sur l’emplacement du Temple. Sévère ne fait pas de cam­pa­gnes, de batailles, il affame les populations. finale­ment Bar Kochebah et ses fidèles sont retranchés dans un réduit, la forteresse mon­tagneuse de Béther (note 24), au sud de Jérusalem. Bar Kochebah et sans doute aussi Rabbi Aqiva sont mis à mort avec nombre d’autres martyrs, mais on n’a guère de témoignages sur la fin de la sédition. qui, dans son ensemble, donnera lieu à des récits d’épopée.
La guerre a été coûteuse en hommes et en argent pour Hadrien. Jérusalem devient Aelia capitolina (n.b. aelia, féminin d’aélius, prénom d’Hadrien, capitolina : du capitole, non seulement de la capitale de l’empire, mais du lieu du pouvoir impérial romain) et elle est repeuplée avec des populations païennes, les juifs sont dépossédés par Rome de leur terre (devenue province romaine de Palestine). dispersés dans l’empire, à partir de 138, l’empereur Antonin ayant aboli les édits d’Hadrien, ils jouissent de la reconnaissance légale avec un statut religieux par­­­ti­­cu­lier, unique dans l’empire (ils sont dispensés des actes de vénération rendus aux empereurs).
La ruine du Temple et la grande dispersion des Juifs expliquent l’essor du juda­ïs­me rabbinique et talmudique sous l’impulsion de Yorhanan ben Zakkaï et dont le christianisme sera désormais le vis-à-vis. les chrétiens d’origine juive chassés des synagogues peu­vent avoir été pour quelque chose dans la naissance des gnosticismes (les Elkésaïtes) ou de sectes comme celle des Ébionites. leur disparition (sans doute chose faite à la fin du ii e siècle), jointe au choix que les pagano-chrétiens feront de la rationalité grecque plutôt que des religions orientales, explique l’hellénisation rapide du chris­tia­nisme primitif.
Arrivés à ce point, on doit souligner que les communautés tant juives que chrétiennes connaissent pendant ces années de terribles traumatismes. En 135, la province romaine de Palestine est ravagée, la Judée n’est plus qu’un désert, les esclaves juifs se vendent moins cher qu’un cheval sur le marché annuel des Thérébinthes, près d’Hébron. les chrétiens, eux, souffrent des persécutions générales qui s’étendent sur trois siècles de façon intermittente, mais toujours renouvelées (note 25). sous Dioclétien (au iv ème siècle) les fonctionnaires et militaires chrétiens sont licenciés, un édit de 303 ordonne la destruction de toutes les communautés chrétiennes, la destruction des bibles. Les chrétiens meurent martyrs, sont réduits en escla­vage, envoyés dans les mines de sel, les femmes livrées aux lupanars (note 26).
De part et d’autres, les communautés sont obligées de parer à leur survie immédiate et à affirmer leur identité de manière plus forte. la fossé entre Juifs et chrétiens ne cesse de s’agrandir. et pourtant des dialogues peuvent encore exister.
135, Justin : Dialogue avec Tryphon :
Justin est un intellectuel grec né en Palestine en 100 qui embrasse le christianisme et écrira, entre autres, ce dialogue avec un juif du nom de Tryphon. il mourra martyr, à Rome, en 165.
Vers la fin du dialogue, pour la première fois, est clairement conçue et affirmée par un chrétien la revendication d’être le vrai Israël (comme, aussi, la vraie philosophie). « la société chrétienne, œuvre des apôtres, est en toute vérité la race promise à Abraham, l’héritière de toutes les promesses de l’Ancien Testament » (note 27). cette prétention a devancé l’établissement du christianisme comme religion de l’empire sous Constantin et, surtout, Théodose (note 28). un chré­tien se pense et s’exprime dans des termes qui, jusqu’ici, n’étaient recevables qu’au sein d’Is­raël (que la communauté de Qumrân se dise communauté de la nouvelle alliance, qu’elle se présente comme nouvel Israël, reste d’Is­raël, ou vrai Israël pouvait être légitime du moment qu’elle était exclusivement constituée de Juifs).
Nb : Clément de Rome applique aux chrétiens les appellations que le Premier Testament réserve à Israël : peuple choisi, « part d’élection », « portion sainte » (Épître aux Corinthiens, 42,44, sources chrétiennes, 167, p. 169, 173, rédigée en 95-96).
Mais il ne s’agit encore que d’une opinion personnelle, la deuxième Épître de Pierre rédigée vers la même époque (ou dix ans plus tôt) est respectueuse des écritures, Eusèbe, qui rapporte les deux guerres juives, n’y voit pas de désaveu de dieu, mais parle avec compassion des malheurs de ce peuple (ii, vi, xix, xx, xxvi ; iii, v, vi, ; iv, ii, vi).
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  note 23 : ibid, p. 138.
  note 24 : ibid, p. 360, Écrits intertestamentaires, p. xxx, Eusèbe iv, 6
 note 25 : Grimberg, iii, p. 284-s..
  note 26 : ibid, p. 286-s..
  note 27 : cité dans F. Cayré, Patrologie et histoire de la théologie, Paris, Desclée et cie, tome 1, 1953, p. 139
 note 28 : Grimberg, iii, p. 300-s..
Pourtant, vers la même époque, l’Épitre de Barnabé ou Barnabas oppose judaïsme et christianisme comme la voie des ténèbres contre la voie de la lumière. cet écrit, considéré comme apocryphe par l’église, n’en dénote pas moins l’existence d’un état d’esprit simpliste, réducteur et dangereux (note 29). Marcion (né à Sinope, dans le Pont, se trouve actif à Rome vers 140), veut réformer une église qu’il juge judaïsante, il oppose le démiurge du Premier Testament (influence de la métaphysique grecque) et le dieu sauveur du Nouveau Testament, il considère le Premier Testament comme caduc et expurge le Nouveau Testament. on ne peut le classer parmi les gnostiques. l’Église rejettera sa pensée et son expurgation du Nouveau Testament, mais elle continuera dans la ligne de la pensée de Justin. des communautés mar­cio­nites se perpétueront jusqu’au iii ème siècle.
En 135, une communauté chrétienne s’établit de nouveau à Jérusalem (après 65 ans de vide), mais c’est une communauté pagano-chrétienne, ce qui est significatif.
À dater de cette fin de règne d’Hadrien, les églises se constituent en une Église insti­tu­tion­nelle avec des conciles, un accord sur des normes communes, une règle de foi, un canon du Nouveau Testament, l’adoption du canon de la Bible juive, l’épiscopat monarchique, la succession apostolique, la constitution hiérarchique du clergé, la supériorité des clercs sur les laïcs. Désormais, le christianisme est une religion structurée à côté du judaïsme rabbinique qui, lui aussi, s’est structuré.
Bref aperçu de la suite : les Juifs entreprennent un double travail qui va s’éten­­dre sur plusieurs siècles : l’éta­blis­se­ment du texte de la Tôrâh et la clôture du canon du premier testament. ces démarches reflètent la nouvelle situation du judaïsme rabbinique en diaspora qui, pour ne pas se fondre dans les autres peuples, exige une « clôture ». les chrétiens sont occupés de l’apologie de leur foi, de la lutte contre le paganisme et les déviations qui se font jour dès le ii ème siècle. certains rejettent le judaïsme, d’autres soulignent sa supériorité par rapport aux grecs, dans l’en­semble, ils s’ap­pro­prient les écritures juives.
En 274, Aurélien (sous le règne de qui se produit la première dévaluation de l’histoire), se donne les titres de dominus et deus (seigneur et dieu), alors que, jusque là, les empereurs étaient apothéosés après leur mort. il adopte le culte du soleil d’Émèse (sol invictus : le soleil invincible) confondu avec le culte de l’empereur et en fait la religion officielle de l’empire (nous avons connu le « roi soleil »).
En 311 édit de tolérance en faveur des chrétiens promulgué par les deux Césars : Galère et Constantin. En 312 Constantin bat Maxence sous les murs de Rome au Pont Milvius. en 313, il donne l’édit de milan qui met fin aux persécutions et fait du christianisme une religion licite..
Théodose (né vers 347 à Cauca en Espagne, mort à Milan en 395, empereur de 379 à 395) (note 30). en. 391, date à laquelle Théodose devient seul empereur, il promulgue l’édit de Thessalonique : le christianisme est érigé en religion d’état. l’empereur veut une seule religion dans l’empire. il s’en suit une persécution de la religion païenne, de ses prêtres, de ses adeptes, mais je ne lis nulle part que les Juifs soient inquiétés de quelque manière. les sacrifices d’animaux sont interdits de même que le culte domestique, les jeux olympiques (en 394), les combats de gladiateurs. le paganisme a alors ses martyrs, telle la philosophe néoplatonicienne Hypatie d’Alexandrie, lynchée en 415. à la mort de Théodose, l’empire est partagé entre ses fils Arcadius (orient) et Honorius (occident).
En 529, Justinien (né à Taurestium - ?- en 482, mort à Constantinople en 565 où il fait bâtir Sainte Sophie, empereur byzantin de 527 à 565) ferme l’académie platonicienne d’Athènes et interdit l’enseignement de la philosophie dans cette ville.

Conclusions :
Il ne s’est pas seulement produit une séparation, il y a eu un renversement de situation : dans les cent années que nous venons d’évoquer, le rapport des forces, de la qualité des protagonistes et la nature du conflit ont entièrement changé.
a) le rapport de forces : au départ et jusqu’en 391 (Théodose, une seule religion pour l’em­pire, la religion chrétienne) le rapport des forces est en faveur des Juifs. majoritaires de façon écrasante en Israël jusqu’en 70, évalués à 10% (prosélytes compris) de la population de l’empire, très nombreux à Rome depuis Pompée (108-48 avant l’ère courante), les Juifs sont religio licita (les hommes parvenus à leur majorité admis à ne pas exécuter l’acte de piété devant la statue de l’empereur, ceci contre le paiement d’un impôt, le fiscus judaïcus) alors que les chrétiens sont non licites (jusqu’en 311 : édit de tolérance galère-constantin et 313, édit de Milan ). les deux guerres juives équivalent aux plus sanglantes persécutions, mais ensuite, la diaspora juive n’est pas persécutée, ceux qui le sont, pendant plus de 250 ans (avec des accalmies comme les 40 ans entre Gallien et
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 note 29 : Schürer, p. 355, note 2.
 note 30 : Grimberg, iii, p.300-s..
Dioclétien), d’abord à Rome, puis sélectivement dans l’empire, enfin de façon généralisée, ce sont les chrétiens. à la fin du iv ème siècle (édit de Thessalonique de 391 qui fait du christianisme la religion de l’empire) le rapport des forces est complètement inversé.
Si l’on veut remonter aux origines, tout le malheur d’Israël vient de l’empire romain païen. en chassant le peuple Juif de sa terre, en effaçant le souvenir de celle-ci, afin d’étouffer les tentatives réitérées des Juifs pour reconquérir leur indépendance, le pouvoir impérial a, de fait, livré les Juifs, déracinés et dispersés, aux aléas de l’histoire. Essayons d’imaginer quelle serait la situation d’Israël aujourd'hui s’il n’avait pas été effacé par les romains, si le Temple n’avait pas été rasé ni la population juive chassée de sa terre ? la conquête arabe aurait-elle été aussi loin que les romains ?
b) la qualité des protagonistes : jusqu’en 70, les chrétiens sont des Juifs, entre 70 et 135 les chrétiens Juifs diminuent jusqu’à disparaître entièrement, les chrétiens sont, de plus en plus, des chrétiens grecs (païens). les écrits du Nouveau Testament (échelonnés entre 50 et 100) sont (sauf exception de Luc et Actes) rédigés par des chrétiens juifs. ce qui apparaît aujourd'hui comme des traits antisémites de ces écrits ne l’est pas plus que les critiques des prophètes, que Jérémie appelant Nabuchodosor (qui va anéantir Juda, détruire le Temple et déporter la population judéenne) : « le serviteur du seigneur », annonçant une « nouvelle alliance ». suite à l’évolution du rapport des forces sus-indiqué, on est passé progressivement d’un différent entre juifs à une confrontation entre non-juifs devenus chrétiens et juifs.
c) la nature du conflit : les chrétiens d’origine juive ayant disparu par l’effet d’une triple cause : leur expulsion de la synagogue, la persécution impériale et le développement exponentiel des chrétiens d’origine païenne, une médiation essentielle a manqué. ce qui était un débat entre juifs s’est mué en affrontement entre juifs et non-juifs devenus chrétiens.
quelles conséquences pour aujourd'hui ? les Églises chrétiennes ont publiquement fait acte de repentance à la suite de la Choah. il s’agit de comportements collectifs qui n’ont sans doute pas d’anté­cé­dents dans l’histoire. des relations nouvelles, de respect et même d’amitié se sont créées entre juifs et chrétiens tant catholiques que protestants. il importe cependant que la repentance entre dans la vie quotidienne des églises et des chrétiens.
1) replacer les textes dans leur contexte historique, mais aussi spirituel.
Le contexte historique : comme non-juifs, nous n’avons pas à entrer dans ce qui est et doit rester une polémique interne au judaïsme. ce qui est admissible entre Juifs, est inad­missible quand des non-juifs y prennent fait et cause. cela exige une démarche intellectuelle qui remette chaque texte dans son contexte historique précis, mais cela découle aussi d’une attitude spirituelle.
Le contexte spirituel nous vient de la croix : « père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font » (lc 23,34). Jésus ne dit pas « je leur pardonne », il demande à son père de pardonner (et, comme chrétiens, nous ne devons pas mettre en doute l’exaucement de cette prière), de pardonner les protagonistes sans discernement de sa passion. qu’il s’agisse des Juifs d’a­lors et des romains de l’époque ou de nous qui, par une substitution à rebours, occupons aujour­d'hui leur place dès lors que nous ne faisons pas justice et ne portons pas secours aux plus petits auxquels jésus s’identifie (mt 25,31-46). moins que jamais, nous ne pouvons nous contenter d’un christianisme formel.
2) comme chrétiens, prendre conscience que l’autorité « humaine » du Nouveau Testa­ment relève de ce qu’il est l’ex­pres­sion originale judéo-chrétienne de notre foi. en particulier, accepter de ne nous référer au premier testament, de ne parler de nouvelle alliance, que dans le cadre du témoignage néotestamentaire, en quelque sorte, avec l’autorisation, l’aval ou sous le couvert de l’usage que les chrétiens d’origine juive, dont nous avons le témoignage dans le nouveau testament, en ont fait.
L’église des juifs chrétiens a disparu, mais son témoignage qui fait autorité pour la foi des chrétiens subsiste. en voici un exemple : le témoin de l’Apocalypse, décrivant la vision de la Jérusalem céleste descendant du ciel (Ap 21, 12) parle d’une ville qui a la forme d’un cube comme le saints des saints du temple, dont les douze portes sont appelées des noms des douze tribus d’Israël et les douze rangées de fondations des noms des douze apôtres. tout être humain pourra entrer et sortir librement en passant par l’une des tribus d’israël et tout être humain pourra vivre de la présence, fondé sur le témoignage évangélique.
Sachons faire aimer celui, de l’amour de qui nous sommes les témoins et, peut-être, nous ferons-nous aimer en retour, sans l’avoir cherché.
Jacques Gruber


Commentaire reçu :
FL. : Il y a un trou qui s’explique, je suppose, par l’absence de do­cu­ments et qui m’intrigue. Comment s’est faite l’annonce de l’Évangile (sans écrits et avant Paul) dans toutes les toute premières années sur le pourtour méditerranéen et notamment à Rome. De quoi était faite, au juste, cette annonce ? Était-ce à partir de logia orales ? Par des judéo-chrétiens immédiatement relayés par des paganos, donc déconnectés de toute culture juive ! Autour de la Cène ? Mais quel type d’enseignement : un certain Christos ressuscité, le salt pour tous, mais que pouvait représenter la notion de salut pour des paganos romains ? Par exemple, Priscilla, qui l’avait baptisée et enseignée ? Par exemple : était-ce le message « social » de la délivrance de l’esclavage qui séduisait ? Il devait s’agir d’un message rudimentaire, bien loin de la théorisation ultérieure de Paul ? Quand les chrétiens étaient qualifiés de « barbares », cela voulait-il désigner leurs mœurs (crainte de la désobéissance civile) ou leur athéisme (refus de sacrifier aux dieux romains) ?
Réponse :
approche culturelle : Dans l’empire romain régnait la paix (lapax romana musclée), les voies de communication étaient nombreuses et bien entretenues, les gens voyageaient beaucoup (voir Priscille et Aquilas), les nouvelles et les libelles se répandaient vite.
La religion romaine, mythologique et politique ne répondait pas aux aspirations de beaucoup. Il y avait une insatisfaction et une attente religieuse. Les populations étaient sollicitées par les religions orientales (Mithra, cultes à mystères), une frange non négligeable était attirée par le judaïsme (les « craignant Dieu »), lequel pratiquait le prosélytisme (les païens qui embrassaient le judaïsme et qui reculaient devant la circoncision passaient par un baptême : le baptême des prosélytes du judaïsme a précédé le baptême chrétien).
Pour les premiers chrétiens, il fallait qu’ils soient perçus comme non-Juifs et pour les Juifs, il était impératif d’écarter toute confusion avec les chrétiens.
Le dynamisme missionnaire des premiers chrétiens qui prenait sa source dans l’annonce du Ressuscité et les dons (charismes) du Saint Esprit, les persécutions, les procès qui leur sont faits, tant par les Juifs que par les romains, ont activé la diffusion de leur message.
approche kérygmatique : On peut connaître le message initial de l’Église primitive en direction des Juis, des grecs, du tout venant, dans le livre des Actes. Les discours qu’on y lit, bien que reconstitués pour certains, sont considérés comme fiables.
Le message chrétien, annonçant l’ouverture aux païens de l’Alliance du Dieu unique d’Ab­ra­ham, Isaac, Jacob, Moïse, des prophètes, a dû rencontrer un accueil providentiel parmi les gens (déçus de la religion  romaine officielle et des autres offres religieuses) qui étaient attirés par le judaïsme.
Comparés aux religions initiatiques ou aux catégorisations sociales, les dons de l’Esprit accordés sans distinction d’origine (la grâce), avait un goût de salut.
L’annonce d’une proche Parousie du Seigneur devait répondre aux attentes de tous ceux qui, désespérant du régime impérial et de la condition qui leur y était faite, aspiraient à un renouvellement profond.
La possibilité de sortir de son destin par le baptême, pour trouver des frères et sœurs issus de tous les milieux, d’entrer dans les communautés fraternelles de prière, d’agapes, d’entraide, où la cène créait la communion au Seigneur et Sauveur, ont dû avoir un effet libérateur.
Le vécu « spirituel » (charismatique) du sacrifice pouvait attirer les personnes en recherche d’une spiritualité qui libère en vue d’investissements intellectuels, lyriques, sociaux ou même politiques (avant d’être récupérée par l’ecclésial).
Enfin, les premières théologies où les croyances sont pensées, voire conceptualisées (Paul, Jean, Hébreux), phénomène nouveau, autre que le midrache, plus proche de la philosophie, peuvent avoir attiré des intellectuels.
approche historique, en suivant les années au rebours (peut être lu en partant du haut ou du bas) :
en 70, la communauté chrétienne de Jérusalem (réfugiée à Pella avant la pris de la Ville) a subi la même dispersion que la nation juive dans son ensemble ;
entre 65 et avant 70, évangile selon Marc ;
64 ou 67, martyre de Pierre à Rome ;
61-63 : Paul est à Rome, assigné à résidence dans l’attente de son procès ;
62, le grand prêtre Anan fait lapider Jacques, frère du Seigneur, il est remplacé par Siméon à la tête de l’Église de Jérusalem ;
été 58, Jacques, frère du Seigneur, prend la tête de la communauté chrétienne de Jérusalem, on peut penser que Pierre est alors à Rome ;
entre et 51 et 56, les épîtres de Paul sont rédigées;
53-58, troisième voyage missionnaire de Paul ;
50-52, deuxième voyage missionnaire de Paul ;
c’est vers 50 que l’on place le début de la mise par écrit de l’Évangile oral ;
48-49, Conférence de Jérusalem (Ac 15) entre Jacques, Pierre et Paul ;
45-49, premier voyage missionnaire de Paul ;
vers 43 : Paul et Barnabas à Antioche, l’Église qui les enverra en mission, Pierre en Samarie et sur la côte (le centurion Corneille) ;
43 ou 44, décapitation de Jacques, frère de Jean par Agrippa 1er;
39 : premier contact de Paul avec les chefs de l’Église, à Jérusalem (Ga 1, 18-s) ;
37 : conversion de Paul, sa retraite en Arabie et à Damas (Ac 9, 19-s, Ga 1, 17-s);
36-37 : martyre d’Étienne dispersion de la communauté chrétienne des Jérusalem qui essaime en Syrie ou plus loin (Ac 9, 1-s);
années 30 : mort et résurrection de Jésus, la Pentecôte, les premiers témoignages rapportés dans Actes (discours de Pierre, d’Étienne) rédigés vers 80, mais se rapportant à # 30 ;

genèse spirituelle : les une à trois années de l’activité de Jésus sont le temps des semailles ; à partir de la Pentecôte, c’est le temps où la semence prend racine et se développe ; jusqu’à la fin du 1ersiècle, les graînes produites par cette première plantation se répandent pour de nouveaux ensemencements et de nouvelles récoltes.


Décembre 2007
Commentaire reçu :
FL. : Il y a un trou qui s’explique, je suppose, par l’absence de do­cu­ments et qui m’intrigue. Comment s’est faite l’annonce de l’Évangile (sans écrits et avant Paul) dans toutes les toute premières années sur le pourtour méditerranéen et notamment à Rome. De quoi était faite, au juste, cette annonce ? Était-ce à partir de logia orales ? Par des judéo-chrétiens immédiatement relayés par des paganos, donc déconnectés de toute culture juive ! Autour de la Cène ? Mais quel type d’enseignement : un certain Christos ressuscité, le salt pour tous, mais que pouvait représenter la notion de salut pour des paganos romains ? Par exemple, Priscilla, qui l’avait baptisée et enseignée ? Par exemple : était-ce le message « social » de la délivrance de l’esclavage qui séduisait ? Il devait s’agir d’un message rudimentaire, bien loin de la théorisation ultérieure de Paul ? Quand les chrétiens étaient qualifiés de « barbares », cela voulait-il désigner leurs mœurs (crainte de la désobéissance civile) ou leur athéisme (refus de sacrifier aux dieux romains) ?
Réponse :
approche culturelle : Dans l’empire romain régnait la paix (lapax romana musclée), les voies de communication étaient nombreuses et bien entretenues, les gens voyageaient beaucoup (voir Priscille et Aquilas), les nouvelles et les libelles se répandaient vite.
La religion romaine, mythologique et politique ne répondait pas aux aspirations de beaucoup. Il y avait une insatisfaction et une attente religieuse. Les populations étaient sollicitées par les religions orientales (Mithra, cultes à mystères), une frange non négligeable était attirée par le judaïsme (les « craignant Dieu »), lequel pratiquait le prosélytisme (les païens qui embrassaient le judaïsme et qui reculaient devant la circoncision passaient par un baptême : le baptême des prosélytes du judaïsme a précédé le baptême chrétien).
Pour les premiers chrétiens, il fallait qu’ils soient perçus comme non-Juifs et pour les Juifs, il était impératif d’écarter toute confusion avec les chrétiens.
Le dynamisme missionnaire des premiers chrétiens qui prenait sa source dans l’annonce du Ressuscité et les dons (charismes) du Saint Esprit, les persécutions, les procès qui leur sont faits, tant par les Juifs que par les romains, ont activé la diffusion de leur message.
approche kérygmatique : On peut connaître le message initial de l’Église primitive en direction des Juis, des grecs, du tout venant, dans le livre des Actes. Les discours qu’on y lit, bien que reconstitués pour certains, sont considérés comme fiables.
Le message chrétien, annonçant l’ouverture aux païens de l’Alliance du Dieu unique d’Ab­ra­ham, Isaac, Jacob, Moïse, des prophètes, a dû rencontrer un accueil providentiel parmi les gens (déçus de la religion romaine officielle et des autres offres religieuses) qui étaient attirés par le judaïsme.
Comparés aux religions initiatiques ou aux catégorisations sociales, les dons de l’Esprit accordés sans distinction d’origine (la grâce), avait un goût de salut.
L’annonce d’une proche Parousie du Seigneur devait répondre aux attentes de tous ceux qui, désespérant du régime impérial et de la condition qui leur y était faite, aspiraient à un renouvellement profond.
La possibilité de sortir de son destin par le baptême, pour trouver des frères et sœurs issus de tous les milieux, d’entrer dans les communautés fraternelles de prière, d’agapes, d’entraide, où la cène créait la communion au Seigneur et Sauveur, ont dû avoir un effet libérateur.
Le vécu « spirituel » (charismatique) du sacrifice pouvait attirer les personnes en recherche d’une spiritualité qui libère en vue d’investissements intellectuels, lyriques, sociaux ou même politiques (avant d’être récupérée par l’ecclésial).
Enfin, les premières théologies où les croyances sont pensées, voire conceptualisées (Paul, Jean, Hébreux), phénomène nouveau, autre que le midrache, plus proche de la philosophie, peuvent avoir attiré des intellectuels.
approche historique, en suivant les années au rebours (peut être lu en partant du haut ou du bas) :
en 70, la communauté chrétienne de Jérusalem (réfugiée à Pella avant la pris de la Ville) a subi la même dispersion que la nation juive dans son ensemble ;
entre 65 et avant 70, évangile selon Marc ;
64 ou 67, martyre de Pierre à Rome ;
61-63 : Paul est à Rome, assigné à résidence dans l’attente de son procès ;
62, le grand prêtre Anan fait lapider Jacques, frère du Seigneur, il est remplacé par Siméon à la tête de l’Église de Jérusalem ;
été 58, Jacques, frère du Seigneur, prend la tête de la communauté chrétienne de Jérusalem, on peut penser que Pierre est alors à Rome ;
entre et 51 et 56, les épîtres de Paul sont rédigées;
53-58, troisième voyage missionnaire de Paul ;
50-52, deuxième voyage missionnaire de Paul ;
c’est vers 50 que l’on place le début de la mise par écrit de l’Évangile oral ;
48-49, Conférence de Jérusalem (Ac 15) entre Jacques, Pierre et Paul ;
45-49, premier voyage missionnaire de Paul ;
vers 43 : Paul et Barnabas à Antioche, l’Église qui les enverra en mission, Pierre en Samarie et sur la côte (le centurion Corneille) ;
43 ou 44, décapitation de Jacques, frère de Jean par Agrippa 1er;
39 : premier contact de Paul avec les chefs de l’Église, à Jérusalem (Ga 1, 18-s) ;
37 : conversion de Paul, sa retraite en Arabie et à Damas (Ac 9, 19-s, Ga 1, 17-s);
36-37 : martyre d’Étienne dispersion de la communauté chrétienne des Jérusalem qui essaime en Syrie ou plus loin (Ac 9, 1-s);
années 30 : mort et résurrection de Jésus, la Pentecôte, les premiers témoignages rapportés dans Actes (discours de Pierre, d’Étienne) rédigés vers 80, mais se rapportant à # 30 ;
genèse spirituelle : les une à trois années de l’activité de Jésus sont le temps des semailles ; à partir de la Pentecôte, c’est le temps où la semence prend racine et se développe ; jusqu’à la fin du 1ersiècle, les graînes produites par cette première plantation se répandent pour de nouveaux ensemencements et de nouvelles récoltes.
La divergence monothéiste (deuxième partie) 

LA DIVERGENCE MONOTHÉISTE (deuxième partie)
Décembre 2007
Commentaire reçu :
FL. : Il y a un trou qui s’explique, je suppose, par l’absence de do­cu­ments et qui m’intrigue. Comment s’est faite l’annonce de l’Évangile (sans écrits et avant Paul) dans toutes les toute premières années sur le pourtour méditerranéen et notamment à Rome. De quoi était faite, au juste, cette annonce ? Était-ce à partir de logia orales ? Par des judéo-chrétiens immédiatement relayés par des paganos, donc déconnectés de toute culture juive ! Autour de la Cène ? Mais quel type d’enseignement : un certain Christos ressuscité, le salt pour tous, mais que pouvait représenter la notion de salut pour des paganos romains ? Par exemple, Priscilla, qui l’avait baptisée et enseignée ? Par exemple : était-ce le message « social » de la délivrance de l’esclavage qui séduisait ? Il devait s’agir d’un message rudimentaire, bien loin de la théorisation ultérieure de Paul ? Quand les chrétiens étaient qualifiés de « barbares », cela voulait-il désigner leurs mœurs (crainte de la désobéissance civile) ou leur athéisme (refus de sacrifier aux dieux romains) ?
Réponse :
approche culturelle : Dans l’empire romain régnait la paix (lapax romana musclée), les voies de communication étaient nombreuses et bien entretenues, les gens voyageaient beaucoup (voir Priscille et Aquilas), les nouvelles et les libelles se répandaient vite.
La religion romaine, mythologique et politique ne répondait pas aux aspirations de beaucoup. Il y avait une insatisfaction et une attente religieuse. Les populations étaient sollicitées par les religions orientales (Mithra, cultes à mystères), une frange non négligeable était attirée par le judaïsme (les « craignant Dieu »), lequel pratiquait le prosélytisme (les païens qui embrassaient le judaïsme et qui reculaient devant la circoncision passaient par un baptême : le baptême des prosélytes du judaïsme a précédé le baptême chrétien).
Pour les premiers chrétiens, il fallait qu’ils soient perçus comme non-Juifs et pour les Juifs, il était impératif d’écarter toute confusion avec les chrétiens.
Le dynamisme missionnaire des premiers chrétiens qui prenait sa source dans l’annonce du Ressuscité et les dons (charismes) du Saint Esprit, les persécutions, les procès qui leur sont faits, tant par les Juifs que par les romains, ont activé la diffusion de leur message.
approche kérygmatique : On peut connaître le message initial de l’Église primitive en direction des Juis, des grecs, du tout venant, dans le livre des Actes. Les discours qu’on y lit, bien que reconstitués pour certains, sont considérés comme fiables.
Le message chrétien, annonçant l’ouverture aux païens de l’Alliance du Dieu unique d’Ab­ra­ham, Isaac, Jacob, Moïse, des prophètes, a dû rencontrer un accueil providentiel parmi les gens (déçus de la religion romaine officielle et des autres offres religieuses) qui étaient attirés par le judaïsme.
Comparés aux religions initiatiques ou aux catégorisations sociales, les dons de l’Esprit accordés sans distinction d’origine (la grâce), avait un goût de salut.
L’annonce d’une proche Parousie du Seigneur devait répondre aux attentes de tous ceux qui, désespérant du régime impérial et de la condition qui leur y était faite, aspiraient à un renouvellement profond.
La possibilité de sortir de son destin par le baptême, pour trouver des frères et sœurs issus de tous les milieux, d’entrer dans les communautés fraternelles de prière, d’agapes, d’entraide, où la cène créait la communion au Seigneur et Sauveur, ont dû avoir un effet libérateur.
Le vécu « spirituel » (charismatique) du sacrifice pouvait attirer les personnes en recherche d’une spiritualité qui libère en vue d’investissements intellectuels, lyriques, sociaux ou même politiques (avant d’être récupérée par l’ecclésial).
Enfin, les premières théologies où les croyances sont pensées, voire conceptualisées (Paul, Jean, Hébreux), phénomène nouveau, autre que le midrache, plus proche de la philosophie, peuvent avoir attiré des intellectuels.
approche historique, en suivant les années au rebours (peut être lu en partant du haut ou du bas) :
en 70, la communauté chrétienne de Jérusalem (réfugiée à Pella avant la pris de la Ville) a subi la même dispersion que la nation juive dans son ensemble ;
entre 65 et avant 70, évangile selon Marc ;
64 ou 67, martyre de Pierre à Rome ;
61-63 : Paul est à Rome, assigné à résidence dans l’attente de son procès ;
62, le grand prêtre Anan fait lapider Jacques, frère du Seigneur, il est remplacé par Siméon à la tête de l’Église de Jérusalem ;
été 58, Jacques, frère du Seigneur, prend la tête de la communauté chrétienne de Jérusalem, on peut penser que Pierre est alors à Rome ;
entre et 51 et 56, les épîtres de Paul sont rédigées;
53-58, troisième voyage missionnaire de Paul ;
50-52, deuxième voyage missionnaire de Paul ;
c’est vers 50 que l’on place le début de la mise par écrit de l’Évangile oral ;
48-49, Conférence de Jérusalem (Ac 15) entre Jacques, Pierre et Paul ;
45-49, premier voyage missionnaire de Paul ;
vers 43 : Paul et Barnabas à Antioche, l’Église qui les enverra en mission, Pierre en Samarie et sur la côte (le centurion Corneille) ;
43 ou 44, décapitation de Jacques, frère de Jean par Agrippa 1er;
39 : premier contact de Paul avec les chefs de l’Église, à Jérusalem (Ga 1, 18-s) ;
37 : conversion de Paul, sa retraite en Arabie et à Damas (Ac 9, 19-s, Ga 1, 17-s);
36-37 : martyre d’Étienne dispersion de la communauté chrétienne des Jérusalem qui essaime en Syrie ou plus loin (Ac 9, 1-s);
années 30 : mort et résurrection de Jésus, la Pentecôte, les premiers témoignages rapportés dans Actes (discours de Pierre, d’Étienne) rédigés vers 80, mais se rapportant à # 30 ;
genèse spirituelle : les une à trois années de l’activité de Jésus sont le temps des semailles ; à partir de la Pentecôte, c’est le temps où la semence prend racine et se développe ; jusqu’à la fin du 1ersiècle, les graînes produites par cette première plantation se répandent pour de nouveaux ensemencements et de nouvelles récoltes.
divergence monothéiste (deuxième partie) la
66-74 première guerre juive : la fin des années 60 est l’époque où l’on situe la rédaction de l’évan­gile selon Marc.
Les Juifs se rebellent contre Rome pour retrouver leur indépendance (« un poste romain est attaqué à Massada, le clergé du temple refuse d’accomplir les sacrifices réguliers pour l’empereur » , note 14). le général romain Vespasien, envoyé par Néron, n’attaque pas directement Jérusalem, il commence par faire le vide autour de la ville. c’est la campagne de Galilée où le commandant en chef, du côté Juif, est Josèphe, futur chroniqueur de cette guerre (la guerre juive) et auteur d’une histoire du peuple juif (Les Antiquités juives).
La campagne de Judée est interrompue en 69 parce que les légions ont proclamé Ves­pa­sien empereur après la mort de Vitellius. son fils Titus prend sa suite au siège de Jérusalem qui tombera sans s’être rendue au cours de l’été 70. le Temple (dont la réfection et les embellissements voulus par Hérode s’étaient achevés en 64 est détruit en 70). Titus avait donné l’ordre de ne pas y toucher, mais un subalterne ignorant de cet ordre ou désobéissant y a mis le feu. la ville est mise à sac, le chandelier d’or du temple fait partie du triomphe de Titus à Rome. c’est dans cette guerre que se situe le siège de la forteresse de Massada (en 74) et que la communauté essénienne de Qumrân, chassée de son couvent et dispersée, cache dans des grottes ses manuscrits qui seront retrouvés en 1947 (date contestée). Israël, détaché de la province de Syrie, devient province sénatoriale romaine de Palestine, une légion y est installée en permanence, un camp romain est établi à Jérusalem, le Temple n’est pas reconstruit. le centre du judaïsme se transporte à Yavnè, autour de Yohannan ben Zakkaï.
En 67, la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, écoutant une prédiction, avait quitté la ville pour se réfugier à Pella (à l’est du Jourdain, dans le territoire appelé, à l’épo­que : Décapole). après 70, elle ne peut plus envisager de revenir à Jérusalem. les communautés judéo-chrétiennes se trouvent alors à l’est du Jourdain. on connaît l’existence d’une importante communauté judéo-chrétienne à Kokaba (Baranie). il s’en trouvait égale­ment en Coelésyrie, en Syrie. sinon, ce ne sont que des minorités en Asie mineure, minorités qui se conforment de plus en plus aux communautés pagano-chrétiennes et finissent par s’y fondre.
années 80, époque de la rédaction des évangiles selon Matthieu et selon Luc, du livre des Actes des apôtres (dû à Luc). ces textes reflètent la destruction du Temple en 70, interprétée comme un désaveu de dieu à l’égard du judaïsme de l’époque. Luc, grec, médecin de son état, amené à la foi chrétienne par Paul, est le seul témoin non-juif du Nouveau Testament.
De ces années date aussi l’épître aux Hébreux, qui insiste sur la continuité et les ruptures entre l’histoire sainte des juifs et la nouvelle foi des chrétiens.
90 assemblée de Yavné (pointe nord de l’actuelle bande de Gaza): décision y est prise de chasser les judéo-chrétiens des synagogues et d’ajouter aux chemonè ezre une 19ème bénédiction (la birkhat haminim, qui, implicitement, prononce l’excécration des (judéo-) chrétiens, les notzrim [nazaréens ou nazôréens ?]). la rupture entre judaïsme et judéo-chrétiens est consa­crée.
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note 14 : Écrits intertestamentaires, p. xxix.
95, persécution de Domitien : Domitien, second fils de Vespasien succède à son frère aîné Titus, c’est un homme emporté qui sera assassiné. nous avons quelques échos de cette persécution : c’est à cette occasion que l’auteur de l’Apo­­ca­lypse a été exilé à Patmos (ap 1,9). les chrétiens sont poursuivis [à Rome] pour « vivre à la juive » [alors qu’ils n’en sont pas], punis en étant astreints à contribuer à l’impôt des juifs (le fiscus judaïcus). au cours de cette perécution Flavia Domitilla, qui avait fait don à la communauté chrétienne de Rome du cimetière qui porte encore aujourd'hui son nom, exilée dans l’île de Pontia, trouva la mort. la persécution s’étend hors de la capitale, à l’est (mort d’An­­ti­pas à Pergame, ap. 2,13). Domi­tien vise aussi les juifs. comme son père Vespasien, il fait rechercher les descendants de David dans l’idée de les éliminer (Eusèbe, iii, xii et xix).
Dernières années du premier siècle : évangile selon Jean, Apocalypse, diverses Épîtres, (110-116 dates où Tacite écrit ses Annales). l’attribution du iv ème évangile à Jean, l’un des douze disciples de jésus, est discutée, même si Jean a pu vivre jusqu’à un âge avancé. les écrits du Nouveau Testament, mis sous le patronage de Jean, reflètent vraisemblablement l’enseignement de ce dernier, mis en forme par certains de ses disciples (par conséquent, des disciples du disciple Jean).L
L’évangile selon Jean est marqué par deux traits caractéristiques : l’accusation des « Juifs » et la « haine du monde » pour les disciples de Jésus, Fils de Dieu ». c’est le reflet de la condition, devenue tragique des judéo-chrétiens entre 70 et 100 : exclus des synagogues et persécutés par Domitien. la tradition johannique peut aussi être marquée par une animosité du disciple de Jésus à l’égard de ceux qui ont mis à mort son frère (Jacques) en 43 ou 44.
Le Nouveau Testament : en ces années, les textes qui seront, ultérieurement, canonisés par les chrétiens sont tous rédigés (à quelques exceptions près comme la seconde Épître de Pierre). l’expression « Ancien Testament » se trouve pour la première fois sous la plume de Méliton de Sardes en 170, celle de « Nouveau Testament » chez Tertullien (en 200) note 15. l’exis­tence de nouveaux écrits fondateurs ne peut qu’avoir agi, elle aussi, dans le sens de la séparation d’avec les juifs.
Ce recueil témoigne d’une rupture et d’une continuité. une rupture linguistique et une continuité thématique.
Le Nouveau Testament est écrit en grec (ni en hébreu ni en araméen), dans le grec commun, dit de la koïnè, qui est la langue administrative, commerciale, culturelle de l’empire romain à cette époque. est-ce volonté de rupture ou d’ouverture ? une volonté d’ouverture qui produit une rupture ? il cite (même si c’est souvent dans la version de la Septante, traduction grecque du premier testament rapportée à Ptolémée Philadelphe d’Alexandrie, 285-246 avant l’ère courante) les textes des livres qui seront ultérieurement, retenus par les Juifs pour former le canon de leur Bible (le Thanak) alors qu’il y avait à leur disposition une foule de textes dits « intertestamentaires » note 16. les éditeurs du nouveau testament grec relèvent les influences d’un certain nombre de ces écrits, mais la seule citation proprement dite que l’on peut y relever est celle du livre d’Hénoch (Premier livre d’Hénoch, 1,9) dans Jude 14 note 17. on trouve, le plus souvent, la mention : « Moïse et les prophètes » (Lc 16,29), « la loi et les prophètes » (Ac 13,15) ou « la loi, les prophètes et les psaumes ».
la continuité est dans les notions (on peut relever au moins une centaine de mots qui renvoient à des thématiques du Premier Testament) et même dans les hébraïsmes que l’on relève chez les divers auteurs de ces textes. pourtant, la transposition en grec des notions juives peut avoir été déformante (exemple : kavod rendu par doxa, gloire), en revanche, la malekout éloa n’est pas mal rendue par la basiléïa tou théou (ou tôn ouranôn), c’est la traduction française par « royaume de dieu » qui est moins bonne, il vaudrait mieux dire « règne de dieu ».
Dans le milieu de l’église judéo-chrétienne naît l’ Évangile des Hébreux lié aux milieux des chrétiens d’origine juive d’Égypte (écrit en grec, mais dont il existait, sur la foi de Jérôme qui l’a consulté, un exemplaire araméen à Césarée, texte qui donne de l’importance à Jacques, frère du seigneur) ou  l' Évangile des Nazôréens (plutôt, naçoréens), texte hébreu ou araméen sur la base de l’évangile selon Matthieu originaire de Syrie. l’Évangile des Ébionites (les petits, les pauvres), apparenté au précédent, serait aussi celui d’une communauté de chrétiens d’origine juive vivant en Transjordanie, attestée au milieu du ii ème siècle. c’est une reprise de Matthieu reflétant la position des Ébionites (hostilité aux sacrifices, au culte du temple, à la consommation de viande, négation de la naissance virginale de Jésus).
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 note 15 : Dictionnaire encyclopédique de la Bible, édition de Maredsous, Brepols éditeur, 1987, p. 230 b.
 note 16 : La Bible, Écrits intertestamentaires, paris, Gallimard, Pléiade, 1987, volume de plus de 1800 pages.
 note 17 : les notes marginales du Nouveau Testament de Nestlé ou le tableau de A.C. Sundberg (The Old Testament in the early chruch, p. 54-55) indiquent des traces de références aux Psaumes de Salomon, 2ème Esdras, Hénoch éthiopien, -seule mention explicite : Jude 14- ou Premier Hénoch, Assomption (ou Testament) de Moïse, Ascension (ou Martyre) d’Ésaïe, 4 Maccabées (Dictionnaire encyclopédique de la Bible, p. 229 b), soit, en tout, sept livres sur 19 de ceux que publie la littérature intertestamentaire de la Pléiade. le Nouveau Testament de Aland (p.  xi-xii) cite aussi Baruch, 1er Esdras, Judith, 1,2,1,3 Maccabées, Sirach, Suzanne, Tobit, Sagesse, et, dans la littérature profane : Aratus, Épiménides , Pseudo-épiménides, Ménandre.
            Contrairement aux écrits de Qumrân (Règle de la communauté, Pléiade, p. 22, « poser un fondement de vérité en Israël », « une maison de vérité en Israël » p. l31-132) les livres du Nouveau Testament ne contiennent pas l’expression ni l’idée que les chrétiens en général seraient le nouvel Israël, le vrai Israël, l’Israël selon l’esprit par opposition à un Israël selon la chair. Dans Lc 24,21, ac 1,16, Jésus est compris dans la perspective d’Israël. Paul n’innove pas quand il dit que tous les membres du peuple d’Israël ne sont pas Israël (Rm 9,6) (voir 1 r 19,18 ; 2 r 19,4, 31, Amos, Ésaïe, 43,4 ; 10, 20-22 ; 11, 11,16 ; 28,5 ; 37, 4,32 ; 46,3, Jérémie, Ézéchiel etc., Jean-Baptiste dans Mt 3,7-10). dans Ga 6,16, l’Israël de dieu n’est pas l’Église, mais l’Israël qui a reconnu Jésus comme le Christ, l’Israël défini par la circoncision et par la foi d’Abraham imputée à justice (Rm 4, 12, 9,6).
113, persécution de Trajan : nous possédons deux sources sur cet événement : Eusèbe, iii, xxxiii et la correspondance entre Pline le jeune et Trajan lui-même. sous le règne de Trajan (né en Espagne à Italica, province romaine de Bétique –actuelle Andalousie- en 58, mort à Sélinonte, en Cilicie, en 117, empereur de 98 à 117), les chrétiens sont nettement distingués des Juifs et persécutés parce qu’ils ne sont pas une religion reconnue (religio licita) qu’ils ne peuvent prétendre à la dérogation accordée aux seuls Juifs de ne pas rendre de culte à l’empereur. être chrétien est, sans aucun doute, punissable aux yeux de Trajan (ils menacent l’unité morale de l’empire, ils sont non civiques et risquent d’être déloyaux).
Pline le jeune, neveu du naturaliste Pline l’ancien, mor t à Stabies (port de Pompéï, lors de l’éruption du Vésuve de 79) est gouverneur de Bithynie (côte méridionale de la mer noire, nord de l’actuelle Turquie, royaume indépendant du iii ème siècle jusqu’à 75 avant l’ère courante, annexée par Rome à cette date). il adresse en 113 une lettre à Trajan (note 18) où il fait part à l’empereur des problèmes que lui pose la mise en œuvre de l’ordon­nance concernant les chrétiens : que faire des plus opiniâtres, des repentis, des autres ? quelle valeur donner aux libelles anonymes contenant des listes de noms de personnes dénoncées comme chrétiennes qu’il a reçus ? à cette occasion, il donne des renseignements sur le culte des chrétiens. ils se rassemblent le dimanche et le culte comporte deux services, l’un, le matin (lectures bibliques, prédication, chants), l’autre le soir (centré sur le repas communautaire au cours duquel était célébrée la cène).
« Ils chantent tous ensemble en l’honneur de christus comme s’il était un dieu et s’obligent les uns les autres sous la foi du serment à ne commettre aucun délit, à ne pas voler, à ne pas commettre d’adultère, à tenir leur parole, à ne jamais refuser la restitution d’un bien qui leur a été confié. ils ont aussi l’habitude de prendre un repas en commun ».
Trajan se veut apaisant, il écrit à Pline :
« Il ne faut pas faire d’enquête ; s’ils sont dénoncés et que le délit [refus de sacrifier devant l’image de l’empereur en jetant une boule d’encens dans une cassolette, adorer la bête selon ap 20,4] est prouvé, ils doivent être punis, mais celui qui nie être chrétien et prouve ses dires en adorant nos dieux, celui-la doit être gracié pour son remords, quels que soient les soupçons qui aient pu planer sur lui par le passé », suivre des dénonciations serait « donner un très mauvais exemple et être indigne de notre temps »( note 19). cela n’empêchera pas qu’Ignace, évêque d’Antioche, soit livré aux bêtes, à Rome, lors de cette persécution.
La méconnaissance des chrétiens a diminué, la religion chrétienne n’est plus asociale, mais elle est toujours tenue pour non civique.
Sous le même règne, les Juifs d’Égypte, de Cyrène et de Chypre, également en Mésopo­ta­mie, se révoltent contre le pouvoir romain, cela donne lieu à des émeutes sanglantes, d’où une répression romaine de la dernière rigueur.
130-135, deuxième guerre juive : règne d’Hadrien (né à Italica en Bétique, Espagne, ville natale de Trajan, mort à Baïes en 138, fils adoptif de Trajan, empereur de 117 à138). avant d’être disgracié et d’écrire ses livres, Suétone est son archiviste. cette guerre n’a pas de chroniqueur, comme Josèphe pour la première, elle ne donne pas lieu à une véritable campa­gne, c’est une guérilla.
Au début de son règne, Hadrien s’était montré favorable aux Juifs, jusqu’à autoriser la reconstruction du Temple à Jérusalem (il y avait donc de nouveau une communauté juive active à Jérusalem tout au moins). Sans doute mal conseillé, il change de politique et décide que le temple de Jérusalem, dont on a commencé les travaux, sera dédié à Jupiter et il interdit la circoncision (note 20). c’est l’origine du soulèvement de Ben Kosiba (appelé Bar kkocheba, fils de l’étoile, en référence à l’oracle de balaam dans nombres 24,17, par les chrétiens en aramén, note 21) qui se donne ou est présenté comme le messie et est reconnu comme tel par le rabbi Aqiva (note22). les juifs lui donneront le surnom de "kozeba" (le menteur).
____________
note 18 : lettre 96, livre x, Enchiridion, n° 28-30, p.22-24, réponse de Trajan, n° 31, p.24.
 note 19 : C. Grimberg, Histoire universelle, 12 volumes, édition Marabout université, tome  iii, 1963, p. 244-245.
 note 20 : Schürer, p. 355-356
 note 21 : Écrits intertestamentaires, p. xxx
 note 22 : Schürer, p. 357-s, 364-s.
Le soulèvement s’étend à tout Israël (Palestine) et les chrétiens locaux sont durement at­ta­qués par les partisans de Bar Kochebah qui exigent qu’ils renient le christ Jésus (té­moignages de Justin, Eusèbe, 0rose) (note 23).Jérusalem est aux mains de révoltés et dans Ble Temple, a demi reconstruit, les offrandes reprennent, un grand prêtre (Éléasar) est choisi. Hadrien envoie alors une armée commandée par le commandant en chef de la Grande Bretagne : Jules Sévère. au bout de trois ans Jérusalem est prise par T. Annius Rufus (gouverneur de la pro­vince) qui fait passer la charrue sur l’emplacement du Temple. Sévère ne fait pas de cam­pa­gnes, de batailles, il affame les populations. finale­ment Bar Kochebah et ses fidèles sont retranchés dans un réduit, la forteresse mon­tagneuse de Béther (note 24), au sud de Jérusalem. Bar Kochebah et sans doute aussi Rabbi Aqiva sont mis à mort avec nombre d’autres martyrs, mais on n’a guère de témoignages sur la fin de la sédition. qui, dans son ensemble, donnera lieu à des récits d’épopée.
La guerre a été coûteuse en hommes et en argent pour Hadrien. Jérusalem devient Aelia capitolina (n.b. aelia, féminin d’aélius, prénom d’Hadrien, capitolina : du capitole, non seulement de la capitale de l’empire, mais du lieu du pouvoir impérial romain) et elle est repeuplée avec des populations païennes, les juifs sont dépossédés par Rome de leur terre (devenue province romaine de Palestine). dispersés dans l’empire, à partir de 138, l’empereur Antonin ayant aboli les édits d’Hadrien, ils jouissent de la reconnaissance légale avec un statut religieux par­­­ti­­cu­lier, unique dans l’empire (ils sont dispensés des actes de vénération rendus aux empereurs).
La ruine du Temple et la grande dispersion des Juifs expliquent l’essor du juda­ïs­me rabbinique et talmudique sous l’impulsion de Yorhanan ben Zakkaï et dont le christianisme sera désormais le vis-à-vis. les chrétiens d’origine juive chassés des synagogues peu­vent avoir été pour quelque chose dans la naissance des gnosticismes (les Elkésaïtes) ou de sectes comme celle des Ébionites. leur disparition (sans doute chose faite à la fin du ii e siècle), jointe au choix que les pagano-chrétiens feront de la rationalité grecque plutôt que des religions orientales, explique l’hellénisation rapide du chris­tia­nisme primitif.
Arrivés à ce point, on doit souligner que les communautés tant juives que chrétiennes connaissent pendant ces années de terribles traumatismes. En 135, la province romaine de Palestine est ravagée, la Judée n’est plus qu’un désert, les esclaves juifs se vendent moins cher qu’un cheval sur le marché annuel des Thérébinthes, près d’Hébron. les chrétiens, eux, souffrent des persécutions générales qui s’étendent sur trois siècles de façon intermittente, mais toujours renouvelées (note 25). sous Dioclétien (au iv ème siècle) les fonctionnaires et militaires chrétiens sont licenciés, un édit de 303 ordonne la destruction de toutes les communautés chrétiennes, la destruction des bibles. Les chrétiens meurent martyrs, sont réduits en escla­vage, envoyés dans les mines de sel, les femmes livrées aux lupanars (note 26).
De part et d’autres, les communautés sont obligées de parer à leur survie immédiate et à affirmer leur identité de manière plus forte. la fossé entre Juifs et chrétiens ne cesse de s’agrandir. et pourtant des dialogues peuvent encore exister.
135, Justin : Dialogue avec Tryphon :
Justin est un intellectuel grec né en Palestine en 100 qui embrasse le christianisme et écrira, entre autres, ce dialogue avec un juif du nom de Tryphon. il mourra martyr, à Rome, en 165.
Vers la fin du dialogue, pour la première fois, est clairement conçue et affirmée par un chrétien la revendication d’être le vrai Israël (comme, aussi, la vraie philosophie). « la société chrétienne, œuvre des apôtres, est en toute vérité la race promise à Abraham, l’héritière de toutes les promesses de l’Ancien Testament » (note 27). cette prétention a devancé l’établissement du christianisme comme religion de l’empire sous Constantin et, surtout, Théodose (note 28). un chré­tien se pense et s’exprime dans des termes qui, jusqu’ici, n’étaient recevables qu’au sein d’Is­raël (que la communauté de Qumrân se dise communauté de la nouvelle alliance, qu’elle se présente comme nouvel Israël, reste d’Is­raël, ou vrai Israël pouvait être légitime du moment qu’elle était exclusivement constituée de Juifs).
Nb : Clément de Rome applique aux chrétiens les appellations que le Premier Testament réserve à Israël : peuple choisi, « part d’élection », « portion sainte » (Épître aux Corinthiens, 42,44, sources chrétiennes, 167, p. 169, 173, rédigée en 95-96).
Mais il ne s’agit encore que d’une opinion personnelle, la deuxième Épître de Pierre rédigée vers la même époque (ou dix ans plus tôt) est respectueuse des écritures, Eusèbe, qui rapporte les deux guerres juives, n’y voit pas de désaveu de dieu, mais parle avec compassion des malheurs de ce peuple (ii, vi, xix, xx, xxvi ; iii, v, vi, ; iv, ii, vi).
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  note 23 : ibid, p. 138.
  note 24 : ibid, p. 360, Écrits intertestamentaires, p. xxx, Eusèbe iv, 6
 note 25 : Grimberg, iii, p. 284-s..
  note 26 : ibid, p. 286-s..
  note 27 : cité dans F. Cayré, Patrologie et histoire de la théologie, Paris, Desclée et cie, tome 1, 1953, p. 139
 note 28 : Grimberg, iii, p. 300-s..
Pourtant, vers la même époque, l’Épitre de Barnabé ou Barnabas oppose judaïsme et christianisme comme la voie des ténèbres contre la voie de la lumière. cet écrit, considéré comme apocryphe par l’église, n’en dénote pas moins l’existence d’un état d’esprit simpliste, réducteur et dangereux (note 29). Marcion (né à Sinope, dans le Pont, se trouve actif à Rome vers 140), veut réformer une église qu’il juge judaïsante, il oppose le démiurge du Premier Testament (influence de la métaphysique grecque) et le dieu sauveur du Nouveau Testament, il considère le Premier Testament comme caduc et expurge le Nouveau Testament. on ne peut le classer parmi les gnostiques. l’Église rejettera sa pensée et son expurgation du Nouveau Testament, mais elle continuera dans la ligne de la pensée de Justin. des communautés mar­cio­nites se perpétueront jusqu’au iii ème siècle.
En 135, une communauté chrétienne s’établit de nouveau à Jérusalem (après 65 ans de vide), mais c’est une communauté pagano-chrétienne, ce qui est significatif.
À dater de cette fin de règne d’Hadrien, les églises se constituent en une Église insti­tu­tion­nelle avec des conciles, un accord sur des normes communes, une règle de foi, un canon du Nouveau Testament, l’adoption du canon de la Bible juive, l’épiscopat monarchique, la succession apostolique, la constitution hiérarchique du clergé, la supériorité des clercs sur les laïcs. Désormais, le christianisme est une religion structurée à côté du judaïsme rabbinique qui, lui aussi, s’est structuré.
Bref aperçu de la suite : les Juifs entreprennent un double travail qui va s’éten­­dre sur plusieurs siècles : l’éta­blis­se­ment du texte de la Tôrâh et la clôture du canon du premier testament. ces démarches reflètent la nouvelle situation du judaïsme rabbinique en diaspora qui, pour ne pas se fondre dans les autres peuples, exige une « clôture ». les chrétiens sont occupés de l’apologie de leur foi, de la lutte contre le paganisme et les déviations qui se font jour dès le ii ème siècle. certains rejettent le judaïsme, d’autres soulignent sa supériorité par rapport aux grecs, dans l’en­semble, ils s’ap­pro­prient les écritures juives.
En 274, Aurélien (sous le règne de qui se produit la première dévaluation de l’histoire), se donne les titres de dominus et deus (seigneur et dieu), alors que, jusque là, les empereurs étaient apothéosés après leur mort. il adopte le culte du soleil d’Émèse (sol invictus : le soleil invincible) confondu avec le culte de l’empereur et en fait la religion officielle de l’empire (nous avons connu le « roi soleil »).
En 311 édit de tolérance en faveur des chrétiens promulgué par les deux Césars : Galère et Constantin. En 312 Constantin bat Maxence sous les murs de Rome au Pont Milvius. en 313, il donne l’édit de milan qui met fin aux persécutions et fait du christianisme une religion licite..
Théodose (né vers 347 à Cauca en Espagne, mort à Milan en 395, empereur de 379 à 395) (note 30). en. 391, date à laquelle Théodose devient seul empereur, il promulgue l’édit de Thessalonique : le christianisme est érigé en religion d’état. l’empereur veut une seule religion dans l’empire. il s’en suit une persécution de la religion païenne, de ses prêtres, de ses adeptes, mais je ne lis nulle part que les Juifs soient inquiétés de quelque manière. les sacrifices d’animaux sont interdits de même que le culte domestique, les jeux olympiques (en 394), les combats de gladiateurs. le paganisme a alors ses martyrs, telle la philosophe néoplatonicienne Hypatie d’Alexandrie, lynchée en 415. à la mort de Théodose, l’empire est partagé entre ses fils Arcadius (orient) et Honorius (occident).
En 529, Justinien (né à Taurestium - ?- en 482, mort à Constantinople en 565 où il fait bâtir Sainte Sophie, empereur byzantin de 527 à 565) ferme l’académie platonicienne d’Athènes et interdit l’enseignement de la philosophie dans cette ville.

Conclusions :
Il ne s’est pas seulement produit une séparation, il y a eu un renversement de situation : dans les cent années que nous venons d’évoquer, le rapport des forces, de la qualité des protagonistes et la nature du conflit ont entièrement changé.
a) le rapport de forces : au départ et jusqu’en 391 (Théodose, une seule religion pour l’em­pire, la religion chrétienne) le rapport des forces est en faveur des Juifs. majoritaires de façon écrasante en Israël jusqu’en 70, évalués à 10% (prosélytes compris) de la population de l’empire, très nombreux à Rome depuis Pompée (108-48 avant l’ère courante), les Juifs sont religio licita (les hommes parvenus à leur majorité admis à ne pas exécuter l’acte de piété devant la statue de l’empereur, ceci contre le paiement d’un impôt, le fiscus judaïcus) alors que les chrétiens sont non licites (jusqu’en 311 : édit de tolérance galère-constantin et 313, édit de Milan ). les deux guerres juives équivalent aux plus sanglantes persécutions, mais ensuite, la diaspora juive n’est pas persécutée, ceux qui le sont, pendant plus de 250 ans (avec des accalmies comme les 40 ans entre Gallien et
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 note 29 : Schürer, p. 355, note 2.
 note 30 : Grimberg, iii, p.300-s..
Dioclétien), d’abord à Rome, puis sélectivement dans l’empire, enfin de façon généralisée, ce sont les chrétiens. à la fin du iv ème siècle (édit de Thessalonique de 391 qui fait du christianisme la religion de l’empire) le rapport des forces est complètement inversé.
Si l’on veut remonter aux origines, tout le malheur d’Israël vient de l’empire romain païen. en chassant le peuple Juif de sa terre, en effaçant le souvenir de celle-ci, afin d’étouffer les tentatives réitérées des Juifs pour reconquérir leur indépendance, le pouvoir impérial a, de fait, livré les Juifs, déracinés et dispersés, aux aléas de l’histoire. Essayons d’imaginer quelle serait la situation d’Israël aujourd'hui s’il n’avait pas été effacé par les romains, si le Temple n’avait pas été rasé ni la population juive chassée de sa terre ? la conquête arabe aurait-elle été aussi loin que les romains ?
b) la qualité des protagonistes : jusqu’en 70, les chrétiens sont des Juifs, entre 70 et 135 les chrétiens Juifs diminuent jusqu’à disparaître entièrement, les chrétiens sont, de plus en plus, des chrétiens grecs (païens). les écrits du Nouveau Testament (échelonnés entre 50 et 100) sont (sauf exception de Luc et Actes) rédigés par des chrétiens juifs. ce qui apparaît aujourd'hui comme des traits antisémites de ces écrits ne l’est pas plus que les critiques des prophètes, que Jérémie appelant Nabuchodosor (qui va anéantir Juda, détruire le Temple et déporter la population judéenne) : « le serviteur du seigneur », annonçant une « nouvelle alliance ». suite à l’évolution du rapport des forces sus-indiqué, on est passé progressivement d’un différent entre juifs à une confrontation entre non-juifs devenus chrétiens et juifs.
c) la nature du conflit : les chrétiens d’origine juive ayant disparu par l’effet d’une triple cause : leur expulsion de la synagogue, la persécution impériale et le développement exponentiel des chrétiens d’origine païenne, une médiation essentielle a manqué. ce qui était un débat entre juifs s’est mué en affrontement entre juifs et non-juifs devenus chrétiens.
quelles conséquences pour aujourd'hui ? les Églises chrétiennes ont publiquement fait acte de repentance à la suite de la Choah. il s’agit de comportements collectifs qui n’ont sans doute pas d’anté­cé­dents dans l’histoire. des relations nouvelles, de respect et même d’amitié se sont créées entre juifs et chrétiens tant catholiques que protestants. il importe cependant que la repentance entre dans la vie quotidienne des églises et des chrétiens.
1) replacer les textes dans leur contexte historique, mais aussi spirituel.
Le contexte historique : comme non-juifs, nous n’avons pas à entrer dans ce qui est et doit rester une polémique interne au judaïsme. ce qui est admissible entre Juifs, est inad­missible quand des non-juifs y prennent fait et cause. cela exige une démarche intellectuelle qui remette chaque texte dans son contexte historique précis, mais cela découle aussi d’une attitude spirituelle.
Le contexte spirituel nous vient de la croix : « père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font » (lc 23,34). Jésus ne dit pas « je leur pardonne », il demande à son père de pardonner (et, comme chrétiens, nous ne devons pas mettre en doute l’exaucement de cette prière), de pardonner les protagonistes sans discernement de sa passion. qu’il s’agisse des Juifs d’a­lors et des romains de l’époque ou de nous qui, par une substitution à rebours, occupons aujour­d'hui leur place dès lors que nous ne faisons pas justice et ne portons pas secours aux plus petits auxquels jésus s’identifie (mt 25,31-46). moins que jamais, nous ne pouvons nous contenter d’un christianisme formel.
2) comme chrétiens, prendre conscience que l’autorité « humaine » du Nouveau Testa­ment relève de ce qu’il est l’ex­pres­sion originale judéo-chrétienne de notre foi. en particulier, accepter de ne nous référer au premier testament, de ne parler de nouvelle alliance, que dans le cadre du témoignage néotestamentaire, en quelque sorte, avec l’autorisation, l’aval ou sous le couvert de l’usage que les chrétiens d’origine juive, dont nous avons le témoignage dans le nouveau testament, en ont fait.
L’église des juifs chrétiens a disparu, mais son témoignage qui fait autorité pour la foi des chrétiens subsiste. en voici un exemple : le témoin de l’Apocalypse, décrivant la vision de la Jérusalem céleste descendant du ciel (Ap 21, 12) parle d’une ville qui a la forme d’un cube comme le saints des saints du temple, dont les douze portes sont appelées des noms des douze tribus d’Israël et les douze rangées de fondations des noms des douze apôtres. tout être humain pourra entrer et sortir librement en passant par l’une des tribus d’israël et tout être humain pourra vivre de la présence, fondé sur le témoignage évangélique.
Sachons faire aimer celui, de l’amour de qui nous sommes les témoins et, peut-être, nous ferons-nous aimer en retour, sans l’avoir cherché.
Jacques Gruber



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