samedi 28 mai 2011

année 2010, archives "alleztheo"




Nouveau texte : Loyaux-avec-la-foi.blogspot.com





pour encourager la théologie
Je me propose de publier ici, dix fois par an, un texte théologique ou spirituel, des compte-rendus critiques de lectures. Je suis de culture protestante, mais ma question con­cerne la façon dont le christianisme peut s’anticiper aujourd'hui. Pareille, perspective ne peut s’ac­com­moder d’une attitude purement confessionnelle ou dogmatique.
Je tire une inspiration indépassable de la source biblique et je m’adosse à la tradition chrétienne dont je suis solidaire. En même temps, je vis en tension l’incomplétude actuelle de la réalité et de la vérité (ce qui est différent du doute), avec les autres religions et cultures, la mo­dernité et la postmodernité.
Jacques Gruber

Janvier 2010
VOEUX
Voici, à nouveau, la période des vœux
C’est une coutume sympathique qui donne à chacun l’occasion de dire aux autres qu’on ne les oublie pas et qu’on leur veut du bien.

Personne ne croit cependant que cet échange de bons sentiments et de bonnes intentions sera suffisant pour écarter réellement toute maladie, misère, échec, épreuve …

Les vœux souffrent d’une trop forte accentuation personnelle, de se borner au domaine du privé.

Mais, nous ne sommes pas dupes, nous savons bien que rien n’est possible si l’état de la planète, l’économie du monde, les politiques sociales et extérieures des États ne le permettent pas.

La prière est supérieure aux vœux parce qu’elle est réaliste, elle ne se cache rien de ce qui ne va pas, de ce qui menace ni de l’immensité de l’espérance, elle s’ouvre aux autres, connus ou inconnus, elle est se met aux dimensions du monde et de l’Église.
En ce début de décennie, nos vœux et nos prières ne doivent pas omettre le terrorisme et les terroristes.
Prier pour eux, pour leurs victimes, pour demander le courage et non la lâcheté devant le terrorisme.
La religion de Vie et de Paix qui est la nôtre, comme chrétiens, n’est pas la religion de la vie qui est le partage général de nos contemporains en Occident. Nous n’imaginons pas la religion qui met si haut la vie dans l’au-delà qu’elle recule devant la vie du corps, la liberté de penser, le droit d’user de tout, jusqu’à préférer se donner la mort du moment que cela fera le plus de morts possibles autour de soi.
Mes vœux sont ceux-ci : que les peuples vivant sous des gouvernements qui font usage de la terreur policière passent au régime des droits de l’homme et de la démocratie ; que les croyants vivant sous la menace des peines éternelles dans des religions totalisatrices décou­vrent la libération par la foi ; que les femmes, les hommes, les enfants, les jeunes, qui vivent sous des régimes où l’on reçoit sa religion par la naissance et dont on ne sort qu’à sa mort ou sous peine de condamnation à mort, soient délivrés de cette violence.
Que les peuples vivant en démocratie, qui jouissent du respect des Droits de l’Homme, de l’instruction, d’un système de santé performant, des garanties sociales, soient libérés de la religion de la vie, de la pensée que tout se vaut, que rien de neuf n’est possible et de toutes les voix (propagandes, pu­bli­cités, théories, doctrines) qui les induisent à se recentrer excessive­ment sur eux-mêmes.
Jacques Gruber



Février 2010
TREMBLEMENT DE TERRE DU 12 JANVIER 2010 A HAÏTI
« C’est dans le calme et la confiance que sera votre force », Ésaïe 30, 15
Le 6 janvier 2010 au matin, le monde apprenait le tremblement de terre qui frappait Haïti. Nous savons que notre planète n’est pas un corps céleste mort, qu’elle est vivante, mais pourquoi, si souvent, ses mouvements se produisent-ils là même où nous avons construit de grandes villes surpeuplées ? Un séisme ravage Lisbonne en 1755 (note 1), aujourd'hui, nous savons que Nice (zone de collision entre la plaque africaine et la plaque eurasienne) ou San Francisco (faille de San Andreas) sont construites dans des zones de frac­ture et peuvent être ravagées demain. D’autres manifestations, comme les éruptions volcaniques qui peuvent provoquer des ras-de-marées (tsunamis), attestent que notre planète est vivante et nous rappellent notre fra­gil­i­té.
Les connaissances scientifiques que nous avons acquises nous donnent une responsa­bi­lité, mais lorsqu’un malheur à cette échelle frappe indistinctement jeunes et vieux, égoïstes et généreux, riches et pauvres, les accusations sont inadaptées. La question est des savoir si et comment nous pouvons nous situer à l’échelle qui correspond au niveau de ces événements. Cela ne peut relever que d’une spiritualité qui transcende nos mentalités (en particulier, celle qui, en ces jours-même, consiste à prodiguer à chacun des vœux de bonheur qui ne nous enga­gent pas vraiment). Pire que la catastrophe, est que nous cherchions à écarter la question de notre spiritualité et, particulièrement, les questions que nous pose la parole de Dieu bi­blique.
Lorsque le malheur nous frappe, que nous sommes sous le coup, nous ne pouvons guère mieux faire que de nous répéter l’interrogation de Job, l’homme intègre qui, après avoir perdu ses biens et ses enfants se trouve frappé d’un ulcère généralisé : « Nous acceptons le bonheur comme un don de Dieu et le malheur, pourquoi ne l’accepterions-nous pas aussi ? » (Job 2, 10). Sous le coup du malheur, nous pouvons crier, pleurer, invectiver, briser un objet que nous avons sous la main ou rester muets. Nous ne pouvons pas « parler », ni du sort ou du destin ni de la société ou de la nature, encore moins de Dieu.
Ensuite, quand notre épreuve s’engage dans la durée, atteint son paroxysme, notre secours vient de ce que nous pouvons nous associer à la Passion de Jésus, le Juste qui est calomnié, condamné, supplicié : « Qui nous séparera de l’amour de Christ ? […] J’ai l’assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ, notre Seigneur » (Rm 8, 35, 38-9)
Une femme interrogée au sortir de la messe célébrée dans l’église du 19 ème arrondissement en solidarité avec les Haïtiens disait : « C’est la dernière station du chemin de croix ».
Rien ni personne ne peut nous séparer de l’amour de Dieu du moment que cet amour nous rejoint dans les dernières épreuves. Le malheur ne fait que resserrer nos liens avec le Dieu crucifié.
Même lorsque nous sommes extérieurs au malheur qui atteint d’autres êtres humains, nous sommes concernés. Penserons-nous que c’est le signe d’un châtiment de Dieu ? Commel’es­ti­maient ces gens à propos des dix-huit personnes qui avaient péri sous l’écroulement de la tour de Siloé (suite à une petite secousse tellurique ?) (Luc 13, 4-5) que Jésus reprend. Ou bien, respecterons-nous la mémoire de ces gens et ferons-nous un juste retour sur nous-mêmes, y entendant un appel à être prêts à tout ?
Dans l’ensemble, les réactions dont la presse et les médias font état est celle de la compassion. Espérons qu’il ne se trouve plus personne pour penser que cette catastrophe est une punition méritée pour les fautes visibles ou cachées de ce malheureux et vaillant peuple. Nombreux sont les États de la Planète qui se sont portés au secours de ce malheureux et courageux peuple. Ce qui m’a frappé pourtant c’est qu’aucune information ou émission sur le sujet n’a jamais fait état de la présence du Croissant Rouge ou de tout secours en provenance de pays musulmans, ou est-ce que je me trompe.
Enfin, quand le malheur s’éloigne, que nous nous y référons rétrospectivement, c’est encore de Romains 8 (19-25) que nous tirerons la vision d’ensemble qui nous éclairera : « Les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu : livrée au pouvoir du néant […] elle garde l’espérance [la couleur verte de la nature n’est-elle pas la couleur de l’espérance ?] elle aussi, elle sera libérée de l’esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. […] La création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. […] Nous aussi qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance pour notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ».
Lorsque nous écoutons ces paroles, que nous les recevons, que nous nous les remémorons, que nous les méditons, cela change quelque chose en nous, cela nous prépare à ce qui peut nous advenir, cela nous fortifie pour faire face à toutes les misères et les horreurs du monde auxquelles nous sommes, presque quotidiennement, confrontés.
En dépit de tout ce qui se passe, de tout ce qui m’arrive : « Mon âme, bénis le Seigneur et n’oublie aucun de ses bienfaits » Ps 103, 1.
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note 1 : En cette circonstance, Voltaire de ridiculiser la Providence divine et Rousseau de répondre : « Dieu a-t-il jamais dit de construire une grande ville à cet emplacement ?

Jacques Gruber



Mars 2010
L'ORIGINE DU MAL ?
À la suite de mon précédent blog, l’un de mes lecteurs m’a fait la remarque que je n’ai pas traité, du moins directement, de l’origine du mal.
On ne peut donner ici qu’une réponse dynamique :
Un quartier entier d’une ville est en feu. Quelques maisons sont encore épargnées par les flammes et les pouvoirs publics exhortent leurs habitants à quitter les lieux, mais ceux-ci discutent : avant de partir, ils veulent savoir d’où vient le sinistre, quels sont les responsables et comment leurs biens seront gardés des pillages. Or, le feu les rattrape.
Dans notre monde qui brûle depuis des siècles, les chrétiens, qui ne doivent qu’aux circonstances d’être encore épargnés, veulent savoir l’origine du mal. Ils ne comprennent pas que l’urgence est de croire aux mesures de salut qu’on leur indique et de les mettre en pratique. L’incendie des autres est à leur porte. Le temps n’est pas de demander des comptes, mais d’agir pour leur propre sécurité et au secours de leurs frères et sœurs humains.
Quand l’incendie aura pris fin, ils sauront et ils découvriront qu’ils sont eux-mêmes parmi les premiers responsables à cause des manières de vivre qu’ils ont adoptées depuis l’origine des sociétés humaines.
Après Haïti, c’est le Chili, après le Chili, c’est la Vendée (où les responsabilités à tous les niveaux sont patentes), après la Vendée, c’est la Turquie, mais non moins grave, dans l’ordre économique et politique : la faillite de la Grèce (due, justement, à des manières de vivre inciviles et inciviques).
L’heure n’est pas de juger, mais de venir au secours des victimes. Les observateurs comprennent bien le pourquoi des événements, mais après qu’ils ont eu lieu. Ils savent nous les expliquer a posteriori, sans nous assurer que l’expérience nous aide à l’avenir parce que les drames sont toujours différents.
Que dire, comme chrétiens, à ceux qui sont victimes, aux autres ?
Aux premiers, il est difficile de tenir un autre discours que celui de la compassion et du courage doublé d’une aide pratique effective.
Aux autres il faut surtout tenir le langage de la solidarité active.
Mais, à tous, c’est avant qu’il faudrait que nos Églises aient le courage de tenir le langage de la vérité sur la satisfaction des désirs individuels anarchiques, l’incurie des pouvoirs publics, les politiques immobilières, la corruption, la recherche effrénée des profits, les petites combines.
« Bienheureux les affligés, ils seront consolés ou, mieux, comme André Chouraqui nous l’a appris : « En avant les affligés, ils seront consolés » (Mt 5, 4).
Moi-même, je suis affligé par ce que je vois, ce que je conçois, ce que je prévois et je sais que je ne serai pas consolé si tous ne le sont pas aussi.
Alors, « en avant », cessons d’être des observateurs qui se soumettent au destin qu’ils savent si bien diagnostiquer, cessons d’être des spectateurs qui ne comprennent pas qu’ils sont sur un terrain qui va leur manquer, cessons de regarder en arrière comme la femme de Lot. « En avant », pour accomplir ensemble la tâche urgente : que, par le témoignage évangélique, changent les cœurs, changent les mentalités, changent les regards.
Nous n’avons pas besoin de connaître l’origine du mal (ce qui nous couperait bras et jambes) ; ce qui est à notre portée faisons-le : consoler et porter secours, rendre courage, mieux répartir les richesses, appliquer de justes prévisions, espérer.
Les Églises, qui pensent jouer les Samaritains secourables, sont ébranlées dans leurs fonde­ments par des secousses qui viennent de loin. Si cer­taines s’imaginent qu’elles se sauveront elles-mêmes ou sans une aide mutuelle, elles sont dans une bien grande erreur.
Jacques Gruber



Avril 2010

PÂQUES 2010
Du matin de la Résurrection jusqu’à l’Ascension, se déroule une période de quarante jours pendant lesquels à plusieurs reprises, Jésus s’est présenté, en chair et en os, aux dis­ciples.
Il ne nous est pas possible d’apprécier véritablement ces témoignages uniques en leur genre dans toute les traditions religieuses connues, qui offrent la particularité d’être attestés dans les quatre évangiles bien que chacun de ces livrets ait été rédigé par des personnes bien différentes par leur personnalité, leur spiritualité, leurs intérêts théologiques et que ces apparitions ne soient pas seulement individuelles, mais surviennent aussi dans des groupes..
En tout cas, elles prennent fin avec l’Ascension et le don du Saint Esprit à la Pentecôte inaugure un temps nouveau pour la présence de Jésus, celui de l’Église, où cette présence de ne sera plus réservée à ceux, seuls, qui ont partagé ses années de vie publique, mais sera éten­due à tout être humain jusqu’à la fin des temps.
Notre question est : De quelle façon, Jésus se manifeste-t-il vivant aujourd'hui, sur le chemin de l’Église ?
Pour y répondre, je vais vous raconter l’histoire que le musicien Gustave Mahler a mise en musique dans l’un de ses Lieder.
Saint Antoine se rend à l’Église un dimanche pour y faire son sermon, mais l’église est déserte. Comme par enchantement, tous les fidèles ont eu ce matin-là une tâche urgente à accomplir, un rendez-vous incontournable.
Antoine se rend alors sur le bord de la rivière et, dès qu’ils ont aperçu le reflet de son visage dans l’eau, les poissons se rassemblent en masse :goujons, tanches, carpes, truites, brochets, perches, anguilles et d’autres encore.
Le Saint leur fait son sermon comme Saint François d’Assise l’a fait pour les oiseaux. Les poissons l’écoutent bouche bée et, quand il a fini, l’opinion unanime est que le sermon a bien plu. Mais rien n’a changé et, dès qu’Antoine a eu le dos tourné, ils se sont remis à se dévorer entre eux.
La façon que Jésus a de se manifester vivant aujourd'hui, pour nous, c’est que lorsque suite à une prédication, une lecture de la Bible que nous avons faite chez nous, une étude biblique, une conférence chrétienne, etc., quelque chose a changé pour nous, dans notre vie ou autour de nous, touchant nos intérêts, notre caractère, nos comportements, notre façon de voir les choses, les gens, les événements, notre existence concrète.
Nous nous rendons compte de quelque chose même si ce n’est qu’un peu plus tard que nous en prenons complètement conscience.
La cène est le moment par excellence où cela peut se produire. La cène est une parole en acte. Le moment essentiel est celui où sont prononcées ces paroles : « Ceci est mon corps donné pour vous, ceci est mon sang répandu pour vous ».
Celui ou celle qui les prononce n’occupe pas la place de Jésus, il n’est qu’un porte-parole comme Aaron auprès de Moïse. Mieux que de savoir comment le pain et le vin peuvent être dits corps et sang par Jésus (prétention à un savoir qui a conduit à des anathèmes toujours en vigueur et qui divise les Églises), ce qui est décisif c’est la portée de ces paroles : nous comprenons que Jésus ne les a pas limitées au seul groupe des douze avec qui il a partagé son dernier repas, mais nous imaginons peut-être que, les prononçant, Jésus avait en vue « la multitude », c'est à dire tout le monde d’une façon générale, indistinctement.
Il en va tout autrement si, chaque fois que nous recevons ces paroles de Jésus au sein de la communauté rassemblée par Lui-même à ce moment-là, en ce lieu où nous nous trouvons, la pensée nous est inspirée que Jésus les a prononcées, en pensant déjà, en quelque sorte nommément, à nous : « C’est pour vous ici-même (et pour beaucoup d’autres) que mon corps est donné, pour vous (et de nombreux autres), en ce moment-même, que mon sang est répandu ». Deux mille ans sont comme deux instants aux yeux du Seigneur, recevant aujourd'hui ces paroles, nous sommes transportés dans la chambre haute de Jérusalem, nous sommes contemporains de Jésus avant même la croix et la résurrection, contemporains de la croix et de la résurrection, capables de l’identifier après sa résurrection où que ce soit.
Jacques Gruber
Mai 2010

SIDDHARTA (le Bouddha) ET JESUS (Christ)
La 5ème chaîne a diffusé au mois de mars dernier un documentaire qui reconstituait l’aventure vécue par Lincoln Hall.
Alpiniste américain, au cours d’une ascension dans l’Himalaya, il est laissé pour mort, selon tous les critères cliniques, par ses compagnons. Or, il sera ramené vivant par une autre cordée d’alpinistes de rencontre.
Hall est adepte du bouddhisme qui enseigne que le monde est illusion, la mort délivrance des apparences et accès à la plénitude de la conscience du Soi. Il raconte comment, avant de perdre connaissance, il suivait intérieurement les étapes de l’extinction de sa vie telles que la tradition bouddhique les décrit, jusqu’à la dernière.
Au final, il dit son incompréhension totale que, ce processus étant parvenu à son terme, il n’ait pas connu le nirvâna, mais un retour à la case départ. S’il avait été juif ou chrétien, ce retour à la vie aurait pris tout son sens. La Bible nous ouvre l’esprit, non à une « religion de la vie », mais à une « religion de Vie ».
Cet épisode est plein de sens pour nous. Il illustre les mutations en tout genre d’au­jourd'hui où des gens nés dans le christianisme, baptisés, adoptent d’autres religions ou idéo­lo­gies : boud­dhisme, islam, naguère encore : communisme. Il confirme que le christia­nisme est une religion ouverte : on ne naît pas chrétien, on le devient ; on n’est pas condamné à mort si l’on abandonne la foi chrétienne ; passé à une autre religion ou à une idéologie, un ex-chrétien enrichit souvent ces dernières. Il doit aussi nous rendre attentifs à ne pas confondre l’actuelle « religion de la vie » (qui verse, bien souvent, dans une « culture de mort », comme disait le pape Jean-Paul ii), soutenue par les progrès géants de la médecine et les applications des sciences, avec la « religion de Vie » que nous annoncent les textes bibliques (Premier Testament et Nouveau Testament ensemble).
Depuis Abraham, jusqu’à la première Pentecôte chrétienne et au-delà, la Bible est l’annonce d’un Dieu qui appelle, met en marche, lève, relève. Elle nous apprend que « vivre » ne signifie pas respirer, mais être avec Dieu, que « mourir » n’est pas un phénomène bio­lo­gique, mais « être séparé de Dieu » (De 30, 15-16, 19-20 ; Lc 15, 20-24, 31-32). Pâques et Pentecôte sont embléma­tiques de cela et vont plus loin : l’Esprit de Vie est à l’œuvre partout, mais, sans le témoignage bi­blique, notre humanité peut l’ignorer, rester à jamais incapable de le nommer par son Nom, vivre avec et pourtant à côté, s’imaginant que c’est l’action des « esprits » ou le fait du progrès ou l’œuvre de tel ou tel grand homme, bienfaiteur de l’hu­manité.
Si nous étions plus fidèles, intelligents et déterminés dans notre témoignage, tous les Lincoln Hall apprendraient quelque chose de bien différent de ce qu’ils savent des religions ou des idéologies qu’ils ont choisies et même de ce qu’ils pensent être le christianisme.
Jacques Gruber




Juin 2010

BOUDDHISME
À la suite de mon précédent blog, j’ai reçu le texte ci-dessous qui précise bien des points. Je vous en donne donc connaissance ci-après, persuadé qu’il en intéressera plus d’un-e,
Jacques Gruber
Cher Jacques,
Je suis avec grand intérêt et profit (spirituels !) votre blog mensuel.
En marge du dernier sur Bouddha et Jésus, voici quelques réflexions (je n’ai pas vu l’émission) :
Le « bouddhisme qui enseigne que le monde est illusion, la mort délivrance des apparences et accès à la plénitude de la conscience du Soi » est-il celui de l’australien Lincoln Hall ou l’image fausse et hélas largement diffusée qu’a voulu en présenter la 5e chaîne ?
Cette image est à l’opposé de ce qu’enseignent toutes les écoles du bouddhisme :
Le monde n’est pas illusion, ce sont les images que nous nous en faisons qui sont illusions.
Ce n’est pas la mort mais le nirvana qui est délivrance des apparences. Et le nirvana ne peut être atteint que dans la vie-même. Il est libération de l’égoïsme et plénitude de l’amour universel, libération de l’illusion du Soi et de la soif de devenir.
Le nirvana est accès à la plénitude de la conscience non pas du Soi, mais du non-Soi !
Ce qui choque certains chrétiens et en attire d’autres, c’est que le bouddhisme enseigne que l’âme, le soi, l’ego sont impermanents. Les énergies physiques et mentales dont nous sommes composés naissent et meurent à chaque instant. Il n’y a donc jamais pour notre conscience retour à la case départ.
Le cœur du bouddhisme n’est pas une religion, mais une philosophie, une philosophie de Vie, certes souvent prolongée en pratiques religieuses, philosophie souvent défigurée en occident, comme dans le cas présent.
Je partage donc tout à fait votre mise en garde envers ces Lincoln Hall, qui se tournent vers d’autres religions, philosophies ou idéologies, en méconnaissant et parfois trahissant à la fois leurs propres racines judéo-chrétiennes et leur nouvelle voie …
Car l’écoute attentive et l’étude inlassable sont indispensables dans toute quête de la Parole divine, quelle que soit la « langue » dans laquelle elle s’exprime …
« Depuis Abraham, jusqu’à la première Pentecôte chrétienne et au-delà, la Bible est l’annonce d’un Dieu qui appelle, met en marche, lève, relève. Elle nous apprend que « vivre » ne signifie pas respirer, mais être avec Dieu, que « mourir » n’est pas un phénomène biologique, mais « être séparé de Dieu » … l’Esprit de Vie est à l’œuvre partout »
Merci pour ces paroles !
Comme vous le dites en conclusion et comme l’empereur bouddhiste Asoka (-250 E.C.) le grava dans le roc : « On ne devrait pas honorer seulement sa propre religion … mais on devrait honorer les religions des autres … ainsi on aide à grandir sa propre religion »
Pour cautionner ce qui est dit ci-dessus, deux livres de référence sur le bouddhisme :
- L’enseignement du Bouddha d’après les textes les plus anciens (Walpola Rahula, 1961)
- Le bonheur-liberté, bouddhisme profond et modernité (Serge Kolm, 1982)
Amitiés,
M.D.




Juillet 2010

LA PORTE ÉTROITE
Luc 13, 22-30
« Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite,
car beaucoup, je vous le dis,
chercheront à entrer et ne le pourront pas ».
v. 24
Mis à part le dernier verset (« Et ainsi, il y a des derniers qui seront les premiers et des premiers qui seront les derniers », Mc 10,31), ce passage réunit des paroles qui ne sont communes qu’à Matthieu et à Luc, qui proviennent donc de la Source Q (ou Logia). Luc a regroupé des paroles que Matthieu rapporte séparément, dans d’autres contextes aux chapitres 7 (qui fait encore partie du Sermon sur la montagne) et 8. Luc insiste sur la menace de forclusion et n’a pas la mention de la voie et de la porte qui « mènent à la vie » (Mt 7, 14).
Le regroupement de Luc pourrait avoir pour titre : « De surprise en surprise » : a) Quoi ! Nous étions familiers et tu ne nous reconnais plus ! ; b) Quoi ! Nous sommes le peuple élu et nous voici mêlés à des gens de toute origine ! ; c) Quoi ! Nous étions les premiers er nous voici les derniers alors que de gens de peu se trouvent en première place !
Dans l’histoire du christianisme, la « porte étroite » a été comprise en un sens négatif, comme une voie de refus du plaisir, d’ascèse (sortir de ce monde), de privations et même d’exaltation de la souffrance, comme l’observance à la lettre d’obligations reli­gieuses et sociales, l’accomplissements de rites, la soumission à des interdits. André Gide a écrit sous ce titre (La Porte étroite), en 1909, un roman où il décrit comment le puritanisme annule progressivement tous les dons d’une belle jeune femme (Alissa) pleine d’avenir. La porte étroite qui ouvre sur la Vie (suivant Matthieu) commence par détruire la vie.
Est-il possible de sortir de cette ornière ? Il est salutaire de pouvoir parler d’étroit passage lorsque nous sommes dans une épreuve que nous n’avons nullement cherchée. Pouvoir se dire alors : « Je passe par la porte étroite qui mène à la Vie » est un puissant re­constituant.
Dietrich Bonhoeffer, dans une Lettre de la prison de Flössenburg en date du 30 avril 1944 (il sera exécuté par les nazis le 8 avril 1945) écrivait ceci : « Les discussions sur les limites humaines me sont devenues suspectes, (la mort elle-même, que les hommes ne craignent plus guère et le péché qu’ils ne comprennent plus sont-ils encore de véritables limites ?), il me semble toujours que nous voulons ménager timidement une place à Dieu ; j’aimerais parler de Dieu, non aux limites, mais au centre, non dans la faiblesse, mais dans la force, non à propos de la mort et de la faute, mais dans la vie et dans la bonté de l’homme » (Résistance et Soumission, traduction Labor et Fides, p. 123). Pareil texte nous permet de mesurer le tournant spirituel et théologique que constitue Bonhoeffer.
La porte large, nous comprenons de quoi il s’agit : la facilité, l’entraînement (faire comme les autres), la vie qui se passe dans l’agitation. L’actualité, l’histoire proche et récente nous fournissent une quantité d’exemples de vies gâchées pour avoir suivi les prophètes modernes de la vie en toute liberté ou, simplement cru que « Tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil ». Petits mensonges, petites lâchetés, petites ingrati­tudes, La porte large et la voie large sont exal­tantes, mais risquées. Il faut être armé au physique, au moral, au mental et au spirituel pour affronter le monde où elles con­duisent sinon sans dommages, du moins sans regrets et sans remords.
Je propose de comprendre la « porte étroite » au sens d’une porte ordinaire de nos habitations où l’on ne passe, normalement, qu’un à un, à tour de rôle, contrairement à de grands por­tails où le flot de la foule se déverse. La porte étroite est celle qui exige une décision individuelle pour Jésus, un engagement personnel pour l’Évangile, une vie pour la Vie. C’est moins le renoncement que l’engagement (qui a pour conséquence que nous abandonnons, sans même nous en aviser, des complaisances, des compromis, des conforts).
Bonhoeffer écrivait que l’homme moderne ne comprend plus le péché, il ne comprend plus non plus le salut qu’il confond avec un sauvetage. Lorsque je regarde rétro­spectivement dans ma vie, ce qui me reste de meilleur ce ne sont ni les honneurs ni les succès (tout est relatif), mais le souvenir des occasions où il m’a été donné de pouvoir venir en aide ou secourir des personnes. C’est peut-être cela l’annonce du salut.
Jacques Gruber
septembre 2010
JOURNÉES BIEN REMPLIES A BERLIN
Entre les deux journées nationales de protestation contre la réforme du régime des retraites, mon épouse et moi avons pu répondre à une invitation à Berlin, pour quatre jours.
Nous avons bénéficié d’un beau temps de septembre et de cousins franco-allemands qui nous ont permis de découvrir la ville sans trop de fatigue et avec toute la compétence désirable.
Berlin, entièrement reconstruite par les meilleurs architectes contemporains, conserve quelques monuments « kitchs » de l’époque wilhelmienne, mais, dans l’ensemble, elle a perdu la lour­deur germanique que l’on retrouve dans d’autres villes alémaniques. Les graphs et tags n’ornent pas que les vestiges du sinistre « mur » qui a coupé la ville en deux (suivant un tracé fractal à souhait) pendant vingt ans, on en trouve aussi un peu partout, comme chez nous, et le métro n’est guère plus propre qu’à Paris. Des nombreux musées de la ville, nous n’avons pu visiter que le Pergamon Museum. Les archéologues allemands y ont reconstruit, à partir de vestiges épars, tirés des sables du Moyen Orient, des ensembles de la taille d’un immeuble, comme l’Autel de Pergame (Ap 1, 11 ; 2, 12), la Porte du Marché de Milet (Ac 20, 15, 17 ; 2 Tim 4, 20), la Porte d’Ichtar (Astarté) de Babylone, dont les textes bibliques se font l’écho.
C’est une ville aérée grâce à de nombreux parcs, complantés d’arbres encore jeunes, à des espaces verts, des allées arborées, du fait de la Sprée et de son canal de dérivation, des forêts et des lacs qui l’entourent.
J’ai retiré l’impression d’une vie à la fois active et détendue. On y a pris le parti du « bien vivre ». Les restaurants sont un tiers moins cher que chez nous. Dans le quartier de Kreuzberg, où nous étions reçus, les rez-de-chaussées pourvus de jardinets étaient souvent dévolus à des « jardins d’enfants » ; les Turcs étaient bien présents, il y avait quelques femmes voilées, mais nous n’avons pas ren­con­tré de niqab. En divers endroits, c’étaient les successeurs des hippies qui avaient établi leurs quartiers.
Comparé au faste de notre République, installée dans ses palais, témoins de l’insolence nobiliaire de l’Ancien Régime, l’État allemand est modeste. La résidence du président de la République, le château de « Bellevue », ne diffère guère du château privé français, courant de province, tel celui que nous avons vu, en juin dernier, à La Bastide d’Arma­gnac, par exemple. Madame Angela Merckel, la Chancelière, loge tout simple­ment en ville.
Le souvenir des huguenots, qui ont donné son essor à Berlin (au xviii ème siècle, un tiers des berlinois était de langue française) se maintient autour de la Französicher­stras­se et du Gendarmenmarkt (la plus belle place du monde à en croire Goethe). Le culte célébré dans l’Église française (en allemand, à l’heure où nous y sommes allés) suivait le même déroulement que les nôtres. Bien que ce fût le second culte de la matinée, l’église (qui doit contenir au moins deux-cents personnes) était à peu près pleine (emplie par de lointains descendants de huguenots ?). Une salle annexe de l’église, où des cultes sont aussi célébrés, porte le nom de Georges Casalis, naguère pro­fes­­seur de notre Institut protestant de théologie. En tant qu’aumônier des forces fran­çaises à Berlin, il a marqué de sa forte personnalité les difficiles années du protestan­tisme ber­li­nois de l’immédiat après-guerre. C’est aux huguenots réfugiés que l’Europe doit son plus grand Centre Hospitalier Universitaire : l’Hôpital de « La Charité ». Le res­tau­rant situé dans le sous-sol a nom : « Refugium », un clin d’œil supplémentaire ! « La Révocation e l’Édit de Nantes est la plus grande catastrophe que la France ait connue » (Philippe Seguin).
Les protestants français se souviennent-ils de leur histoire ? Lorsqu’il m’arrive d’en parler, si je ne rencontre pas un chauvinisme huguenot doublé de fondamentalisme qui n’a plus grand-chose de chrétien, le plus souvent, c’est un silence respectueux. Cela n’in­­téresse pas les protestants d’aujour­d'hui. Il ne s’agit pas d’asseoir notre foi sur notre histoire, d’en retirer une gloriole, de ritualiser ce passé à travers des fêtes et des commémorations, mais de découvrir cette histoire et d’en avoir une mémoire pré­sente dans la gratitude. Un groupe social qui oublie son histoire, ou la met entre parenthèses, pèche lourdement par ingratitude envers des femmes et des hommes qui ont permis à leur foi d’exister aujourd'hui, au prix de leur confort, de leur avenir, et de celui de leurs enfants, bien souvent, au prix de leur vie. Le résultat de cette ingratitude peut signifier que le protestantisme d’aujourd'hui n’aura pas d’avenir, même dans la mémoire des protestants de demain. Une meilleures connaissance de notre passé protestant français aiderait à notre présence dans la société d’aujourd'hui.
Ce qui nous a le plus marqué est la façon dont Berlin assume sa responsabilité dans la mémoire de la persécution des Juifs. La grande synagogue a été entièrement reconstruite à l’identique et, sur le seuil des maisons où ils habitaient, des pavés recouverts de pla­ques de cuivre rappellent les noms des familles juives déportées (parfois plusieurs pour un même immeuble). Le monument dédié à l’extermination des Juifs ne porte pas le nom de « Denkmal » (monument du souvenir), mais de « Mahnmal » (monument qui doit servir d’avertissement). Dans sa conception architecturale qui couvre la superficie d’une vaste place, c’est un exemple réussi de « sculpture contemporaine », mais, surtout, ce n’est pas un monument que l’on regarde, que l’on contemple de façon satisfaite, on est conduit à entrer dedans, il nous interroge, nous oblige à marcher, à nous souvenir à chercher à comprendre.
Sommes-nous meilleurs ? Pour cela, il faudrait au moins que nous consacrions dans Paris une aussi belle surface et une architecture aussi suggestive pour tenir en éveil la conscience de nos concitoyens à partir du rappel de la traite africaine dont un certain nombre de bonnes maisons protestantes (de Bordeaux entre autres) ont bénéficié. Quelle parole de Rome avons-nous entendue à propos des persécutions de l’Inqui­si­tion ? Pour la Saint Barthélémy, Paris s’en tire avec une brève mention sur le socle de la statue de l’amiral Gaspard de Coligny. Notre capitale continue de s’illustrer par une église Notre Dame des Victoires, une place, une rue et même une synagogue de la Victoire commé­morent et célèbrent même les victoires de Louis xiii sur les protestants (La Rochelle).
Berlin est sans doute aujourd'hui la seule ville au monde qui fasse ainsi repentance de son passé. D’autres villes allemandes me semblent non moins responsables : Munich, Nuremberg (ou même Vienne, en Au­triche). Font-elles aussi mé­moire ? Chez nous, l’ab­so­lutisme royal, la Terreur révolutionnaire, les guerres napoléo­nien­nes, font l’objet de célébrations qui ignorent le moindre bémol.
Je regrette une chose, c’est que le monument sur la déportation des Juifs porte le nom de « Holocaust Mahnmal » : dans la Bible hébraïque, le mot traduit par « holocauste » (HrôLâH : en entier) désigne un sacrifice complet demandé par le Seigneur. Les Juifs préfèrent parler de la Choah (l’anéantisse­ment) et c’est mieux nommé ainsi (sauf lorsque nous utilisons –par quel conformisme linguistique ?- la graphie anglosaxonne de Shoah !).
Jacques Gruber


octobre 2010
LES CONTEMPORAINS ELOIGNES
(Benoît XVI et moi)
Bien que le pape Benoît xvi soit un peu plus jeune que moi, on peut considérer que nous sommes (au moins chronologiquement) des contemporains. Ce rapprochement étant fait, dès le départ nous étions sur des starting blocks bien éloignés : lui catholique, Allemand, provincial, moi protestant, Français, parisien.
J’ai été tenté d’imaginer un parallèle entre les deux européens que nous sommes cependant, qui avaient entre 12-14 et 17-19 ans lors de la dernière guerre mondiale.
De mon enfance, j’ai le souvenir d’une période puritaine, raciste, antisémite, sexiste. La France était politiquement instable et les français, qui tiraient orgueil de leurs colonies et admiraient leur armée, étaient assez nationalistes. Les classes étaient très marquées et nous avons assisté aux premières grandes conquêtes sociales. Pour nous, la famille et l’Église constituaient un milieu chaleureux et intéressant, une époque où l’on faisait, avec plaisir, de bonnes études, certes élitistes, mais où celui qui avait des dispo­si­tions était soutenu et pouvait réussir. Nous avions peu de commodités pour l’hygiène, une médecine sans comparaison avec celle d’aujourdhui, aucune sécurité sociale. L’esprit public n’était pas bon, il était fait de dénigrement et d’intolérance, de méchanceté même, c’était un temps de mépris pour les Juifs, mais pas seulement pour eux, un temps de frus­tra­tions et de ressentiments. J’ai rétrospective­ment honte de notre Exposition coloniale de 1931 où l’on nous avait amenés comme, plus tard, au Zoo de Vincennes, mais dont je ne garde pas un exact souvenir ; à l’Exposition universelle de 1938, j’avais été impressionné par le défi qui se dégageait du face à face des imposants pavillons de l’Al­le­magne nazie et de l’Union sovié­ti­que.
On ne peut sans doute pas comparer l’éducation dont le jeune Joseph Ratzinger a bénéficié dans la proximité de cette capitale régionale qu’est Munich à celle d’un petit parisien : dès l’âge de onze ans, je circulais seul dans le métro où j’avais appris à me diriger en suivant les plans qui sont affichés sur les quais.
J’avais fait, avec l’une de mes sœurs, deux séjours en Allemagne, en 1936 et 1937 pendant les vacances alors dites « de Pâques ». Nous étudiions l’allemand au lycée. Au pas­sage de la frontière : après le pont sur le Rhin, en gare de Kehl, aussitôt le train arrêté, les portières étaient verrouillées, une sentinelle en armes se postait devant. Des douaniers et des policiers contrôlaient les voyageurs de ma­nière suspicieuse. Lors de l’un de ces passages l’un d’eux, grand, botté, sanglé, avec son brassard à croix gammée m’a interpellé dans sa langue : « Voyagez-vous en tant que civil ou que militaire ? » …, j’étais un enfant de treize ans en culotte courte. Après un moment de stupéfaction, j’ai réussi à lui réponde, avec mes rudiments d’allemand, que je n’étais pas un militaire en civil.
Cette période de l’année correspondait à l’anniversaire d’Hitler, dans les rues pavoisée défilaient au pas, en chantant sur des airs martiaux, des enfants et des jeunes de la jeunesse hitlérienne (obligatoire) en uniforme, avec fanfares, drapeaux, fanions et banderolles. J’étais très impressionné, je dirais même fasciné : à la fois attiré parce qu’il s’agissait de garçons et de filles de mon âge et repoussé parce que je ressentais cela comme une menace.
La petite ville du pays de Bade où nous séjournions, qui s’enorgueillit aujourd'hui d’un musée de l’aviation, était entourée de campagne. J’allais m’y promener, longeant des étendues de prairies marécageuses où des cigognes attrapaient des grenouilles. Les hommes que je croisais dans ces chemins plutôt écartés, me saluaient d’un salut hitlérien accompagné de Heil Hitler, je ne répondais jamais, mais, chaque fois, j’avais peur d’être inquiété ou même conduit au commissariat de police. Le contraste était complet avec les séjours de septembre en Suisse alémanique où les personnes croisées me saluaient d’un « Grüszgott » (« Dieu te salue »). La Pâque, la Pessah, le « passage » qualifiait donc plutôt la traver­sée du Rhin, au retour vers Paris.
De ces séjours dans l’Allemagne des années de plomb, je garde la vision d’un embrigadement, personne ne pouvait être fonctionnaire s’il ne prêtait serment à Hitler,comme commerçants ou profession libérale on n’avait simplement pas de clients quand on n’était pas membre du parti nazi. Ce qui peut expliquer qu’à cette époque, en de pareilles conditions, sans se prétendre héroïques, des garçons et des filles antinazis ont pu trouver une issue en s’engageant dans les diverses instituions d’Église. J’imagine bien dans quelle atmosphère délétère Joseph Ratzin­ger, enfant puis adolescent, a baigné contre son gré, en dépit de l’antinazisme de son milieu familial et ecclésial.
Pour donner une idée de l’atmosphère qui régnait en France, en 1938, année de ma confirmation (trois mois avant les accords de Munich), la tension engendrée par la proximité du conflit était telle qu’un jour, évoquant la situation devant nous, notre pasteur avait fondu en larmes en pleine heure de catéchisme. Des années de guerre, outre ce à quoi je vais venir au prochain alinéa, je retiendrai les perpétuelles alertes des bombardements qui nous pré­ci­pi­taient, nuit après nuit, dans notre cave classée « abri » où nous retrouvions les voisins du quartier habillés à la hâte, à moins que ce ne soit, de jour, dans les sous-sols du lycée où les cours se poursuivaient, vaille que vaille, sans tables ni chaises (quelques uns, s’échappant par les sou­pi­raux, en profitaient pou aller faire du canotage sur le miroir d’eau du parc de Sceaux).
Je ne sais ce que, âgé de 17 ou 18 ans, il a pu savoir de la Choah en cours. En ce qui concerne notre cellule familiale, nous avons senti le vent du boulet. En 1943, année où Aloïs Brunner est venu en France pour accélérer la déjudaïsation, nous avons été dénoncés (nous présumons que c’était anonymement) comme Juifs. Cela n’avait rien à voir avec la réalité, mais à partir de là le processus implacable s’est enclenché. Mon frère conserve les sinistres archives de ce temps, j’ai gardé la trace d’un interro­ga­toire auquel j’ai été soumis au Commis­sariat aux affaires juives de M. du Paty de Clam, à Paris, rue des Victoires si mon souvenir est bon. Un de nos cousins disait à notre père : « Il n’y a que la libération qui puisse vous sau­ver ». Elle est venue à point nommé, mais, malheureusement, notre père était décédé quelques mois avant, en janvier 1944. Dans les mêmes années l’un de nos oncles était déporté à Buchenwald, l’un de nos cousins à Dora, un autre de nos oncles, expulsé d’Alsace, était emprisonné au Fort Montluc, à Lyon, à l’époque de Barbie. Tous ne sont pas revenus.
Dans quelle mesure la Bavière a-t-elle pu être, en particulier, le théâtre de la guerre, de quelles détresses le jeune Joseph Ratzinger a-t-il pu être le témoin lors de la chute de l’Alle­ma­gne nazie ? Peut-être nous le dira-t-il un jour. En tout cas, en 1945 il n’y avait plus ni conscription ni mobilisation outre Rhin, je présume que le jeune Ratzinger a pu entrer im­mé­dia­tement à l’université. Il a dû commencer ses études de théologie avant moi, parce qu’en août 1944 je me suis engagé dans la Première armée française, sur la poche de Colmar jusqu’au printemps 1945, puis en occupation dans la vallée du Rhin. Rétrospectivement, j’apprécie que ma spécialité d’observa­teur de bataillon m’a évité de tuer directement per­sonne. Je n’ai com­mencé mes études de théo­logie qu’après ma dé­mo­bi­li­sation, en 1947. Le jeune Ratzinger a donc dû prendre de l’avance sur moi. À partir de là, bien que suivant des voies comparables, nos cheminements ne pouvaient que diverger de plus en plus. Je suppose que le jeune théologien bavarois est entré au séminaire alors que, de mon côté, j’ai été dans l’obligation de gagner ma vie (et, avec l’aide de mes deux sœurs aînées, celle d’une sœur et d’un frère plus jeune, encore adoles­cents) tout au long de mes cinq années de théologie à Paris, jusqu’à ce que j’obtienne, au vu de ma performance lors de ma thèse de baccalauréat en théologie (la maîtrise d’aujourd'hui), une bourse de doctorat, à Strasbourg.
En 1955, alors que s’enclenchaient les guerres d’Indochine, puis d’Algérie, que Joseph Ratzinger entamait une carrière uni­ver­si­taire et gravissait tous les échelons des ordres romains, j’entrais, pour trente cinq ans dans le ministère pastoral, école d’éga­li­ta­risme. Le premier donnait des cours supérieurs à l’Uni­versité de Ratisbonne, de mon côté, outre mon ministère paroissial, je formais à la prédication et à la conduite des cultes un groupe où se côtoyaient dans la plus parfaite cohésion des agriculteurs, un facteur, des ouvriers, des mères de famille, un instituteur, un commissaire de police, un avocat, un chercheur en biologie, un cantonnier, deux militaires en retraite et j’assurais, par ailleurs, la catéchèse des enfants inadaptés mentaux (qui ne sont pas inférieurs en humanité). Alors que l’éminent spirituel et intellectuel catholique vivait dans la communauté sacerdotale épouse du Christ, j’avais le bonheur de rencontrer l’épouse qui a partagé, jusqu’à aujourd'hui, les joies et les peines, les satisfactions et les déceptions, de la vie qui s’offrait à nous. Au cours des sombres années de la guerre les grand-parents de mon épouse (M. et Mme. Henri Pelet) ont caché et sauvé Mme. Brunsch­wicg, épouse du philosophe Léon Brunschwicg et ses parents (M. et Mme. Albert Pelet), de même, le peintre Willy Einsenschitz (voir Google à ce nom). Michel Hollard « L’homme qui a sauvé Londres » est un cousin germain de la mère de mon épouse (Annette Hollard), L’un des oncles de mon épouse, Jean-François Pelet a été fusillé pour cause de résistance à Saint-Dié en 1943. Michel Hollard « L’homme qui a sauvé Londres » est un cousin germain de ma belle mère, Annette Hollard.
On voit comment deux européens contemporains également chrétiens, théologiens, entrés dans le sacerdoce ou le ministère, ont pu avoir des destinées bien différentes, non seule­ment du fait de leurs points de départ éloignés, de leurs capacités inégales, mais encore des événements et de l’expérience qu’ils devaient en tirer.
Comment Joseph Ratzinger a-t-il vécu les années d’après guerre ? Comme pasteur, en France, je me suis trouvé en première ligne pour recevoir tous les contrecoups de ces années. Jusqu’an 1990, on subissait la pression multiforme des communistes (on était vilipendé lorsqu’on soutenait qu’il y avait des camps de concentration en URSS), à partir de 1965 et surtout de 1968, comptant avec le ressac de la révolution dite culturelle chinoise et dans le sillage de la décolonisation, la libération des mœurs, les pas de géant des sciences et de leurs applications, tous les comportements (sexualité, famille, monde du travail, Églises, techno­lo­gies) allaient évoluer. En ces années-là, avec mon épouse, nous avons milité dans le MRAP et avec la Vie Nouvelle, nous avons connu les séquelles des guerres de libération dans les an­ciennes colonies françaises d’Asie du sud-est en recevant une jeune laotienne réfugiée à notre foyer. Le militantisme du ministère pastoral n’était guère favorable à la poursuite de travaux universitaires, j’ai cependant réussi un DEA et le certificat de doctorat, il m’a fallu attendre d’être à la retraite pour mener à terme ce dernier. Une fois à la retraite, dans la Région parisienne, mon épouse et moi avons pu rejoindre l’Amitié judéochrétienne.
Je crois savoir que Joseph Ratzinger a été affecté par ces événements, que de là date son revirement d’une attitude ouverte à un retour de conservatisme. De mon côté, je vivais sur la lancée de ce que l’on appelait l’Église pour le monde, sans re­joindre pour cela les théo­lo­giens marxistes (Georges Casalis, la théologie de la libéra­tion). C’étaient aussi des années de remises en cause théologiques et exégétiques (Bultmann, Tillich, la sémiologie, le Process, d’autres encore), il fallait tenir bien fort son guidon pour ne pas se laisser distancer ou perdre l’équi­libre. Au concile de Vatican ii, le cardinal Ratzinger est, avec le cardinal Wojtyla, l’une des principales voix de la minorité d’op­po­sition. Suite au concile, nous avons connu les débuts de l’oecuménisme vécu à la base et parfois instrumentalisé. Aujourd'hui, Benoît xvi cherche à renouer avec les orthodoxes, il veut ignorer les protestants (ce n’est pas une Église et, de toute façon, les protestants sont finis). Qu’en est-il aujourd'hui des espoirs soulevés par le concile ?
En dépit de tout ce qui peut nous paraître aujourd'hui, à juste titre, insatisfaisant ou culturellement perdu sous l’influence des mélanges stimulants avec les autres cultures du monde, je peux dire que, dans l’ensemble, du moins dans notre Occident, par rapport à avant guerre et malgré les effets pervers de l’indispensable démocratisation de l’enseignement, nous sommes devenus, en général, plus respectueux les uns des autres, de ceux qui ne nous ressemblent pas, qui ont des orientations et des choix différents, voire en opposition, aux nôtres. Nous sommes passés d’une démocratie formelle à une démocratie plus réelle, sans que des retours à l’autoritarisme charismatique ou, à l’opposé, du chaos social, naissant de l’abdi­ca­tion de la pensée, aient cessé de nous menacer pour autant.
Si, avec d’autres de cette génération, nous n’avons pas perdu la foi, c’est sûrement aussi que nous étions entourés de fortes prières. Rétrospectivement, je me rends compte que, grâce à toute cette vie spirituelle qui nous a accompagnés et à laquelle nous participions, ces multiples expériences m’ont aguerri, fortifié et ouvert. J’ai l’impression que ceux qui n’ont pas vécu ces mutations en direct, qui n’en ont pas été les acteurs, peuvent avoir pris le risque d’une margina­li­sation. Je ne doute pas que la vie de mon contemporain Ratzinger a aussi été spirituellement, intellectuellement et humai­ne­ment riche et remplie, mais dans des domaines et des directions si différents. Que signifie : être contemporains ?
Qu’aurais-je dit à la place du pape Benoît xvi, ces derniers jours au Proche Orient ? « Rapprochons-nous ensemble de la Source commune, ranimons l’esprit prophétique qui irri­gue nos sources particulières afin que notre l’humanité s’enrichisse au-dedans de chacun de nous, qu’elle rayonne depuis ce Proche-Orient d’où le Jour s’est levé sur toute la terre. Qui a dit que les montagnes ne se rencontrent jamais ? : l’Horev du Sinaï, le Moriya ou le Rocher de Sion, le Golgotha, la plus sainte, le plus sacrée, la plus cruciale, se sont rencontrées. Que signifie aujourd'hui ce que nous confessons en tant que mo­nothéistes : « La Terre appartient au Seigneur », ce que nous voulons comme humanistes : l’harmonie des peuples, la sérénité de la parole, l’éthique avant le politique ? Devons-nous admettre une défaite totale de l’Esprit et de l’esprit alors que c’est de lui, en dernière analyse, que nous tirons notre légitimité de croyants et d’humains ? « Ni par la puissance ni par la force, mais par mon Esprit, dit l’Éternel des armées » (Zac 4,6) ». Étant entendu que je m’applique ce message, en premier, à moi-même et aux miens.
On a compris que je ne cherche pas à me comparer à celui qui occupe actuellement le siège pon­ti­fi­cal (mais qui soupèse le vrai poids de chacun ?). Je me contente, avec une pointe de malice, d’opérer un rapproche­ment que nos dates de naissance, nos curriculum vitae et les temps que nous avons traversées peuvent autoriser. Je ne souhaite que du bien à l’Église sœur et à son pape Benoît xvi dans sa tâche si difficile, j’aimerais que nos Églises, qui ne sont ni confondues ni séparées (comme dit la christologie de Chalcé­doine des Personnes de la Tri­ni­té) puissent se retrouver sur le plan du témoignage auquel l’Évan­gile nous appelle au sein de notre monde et pour ses lendemains.
Jacques Gruber





novembre 2010
FOI ET RAISON
annotations
Placer la question sur le plan de l’intelligibilité.
Diverses intelligibilités ?
Celle de la raison est la mieux partagée, mais celle de la grâce existe du fait de la révélation biblique (parole de Dieu). L’essentiel n’est pas qu’elle soit partagée par tous dès l’abord, mais qu’elle soit là.
Inelligibilité du cœur (qui a ses raisons que la raison ne connaît pas, Pascal), le LeV HaQaM, cœur intelligent de la Bible hébraïque.
La folie de Dieu (1 Co 1). Voir Claude Vigée, Sens 12/2007, p. 649.
Foi : mouvement de confiance, d’espérance, de gratitude avant d’être doctrine, un credo.
Foi confessante, foi confessée.
La foi est subjectivité, elle engendre une vérité subjective, mais elle doit aussi être capable d’en rendre compte, de prendre une certaine distance, d’en parler objectivement.
Donner raison de sa foi n’est pas rationaliser la foi, ni avoir raison.
La foi que l’on croit mise en avant c’est remplacer la foi par une idéologie.
L’intelligence conceptualise les données de la foi, les justifie, ne les remplace pas, ne peut se substituer à la foi.
Le lien de la foi chrétienne avec le texte biblique ?
parole de Dieu ? , rationalisation du message biblique ?
Il ya des lacunes dans le message biblique ? Ou bien : la Bible ne répond pas à notre curiosité, elle donne à penser. Elle met en question, interpelle, nous révèle qui nous sommes.
L’Église s’arroge le droit de compléter le message.
Il n’y a pas de doctrine biblique globale (ni même thématique) dans la ligne de Calvin que l’on retrouve chez les fondamentalistes.
La théologie : une invention chrétienne, répondant à une exigence grecque (l’effet Grec), mais qui a aussi moulé la pensée dans les formes gréco-latines.
Tous théologiens ? Sauf que c’est quand même l’affaire de spécialistes. Démagogie.
La conceptualisation de la foi est théologie, mais peut aussi virer à la théologie rationnelle (métaphysique chrétienne) ou à a théologie naturelle (à partir de la Création).
La théologie chrétienne systématisée du côté protestant a donné lieu à une sécularisation (Fichte, Hegel : la vraie théologie est la philosophie) puis à une idéologie athée (Feuerbach, Marx : l’être humain appelé à récupérer le meilleur de lui-même qu’il a aliéné en Dieu) ce qui va aboutir à des quasi-religions séculières (communismes).
Les statuts théologiques respectifs de la Trinité immanente et de la Trinité économique, de la christologie de Chalcédoine ou évangélique et pragmatique ?
FOI et INTELLIGENCE
Quelle différence y a-t-il entre ces deux assertions : « Je crois que Jésus est le Seigneur [= Dieu] et le Sauveur » [agissant ici et maintenant] et « Je crois aux deux natures du Christ, pleinement Dieu et pleinement homme » (dogme proclamé au concile de Chalcédoine en 451) ? Sur le fond, les deux expressions disent la même chose, elles reflètent cependant deux stades, deux conceptions et deux fonctionnements différents de la foi.
On dit : Fides qua, fides quae : pour parler français : disons : la foi ou la doctrine.
La première se situe au stade de la tradition apostolique (les confessions de foi du Nou­­veau Testament) ; la seconde se trouve au stade de la succession apostolique (de la Tradition de l’Église). La première est l’expression de la foi comme gratitude, confiance et espérance, de la foi comme don ; la seconde est un « article de foi », elle renvoie à la foi comme ensemble de données ecclésiales. La première ouvre sur une intelligence de la foi ; la seconde est une intellectualisation de la foi.
Comment en est-on venu là ? C’est la conséquence de l’alliance entre christianisme et monde grec. Dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, la foi nouvelle, dont les références de base (la Bible hébraïque et le Nouveau Testament) sont en Orient, pouvait opérer une alliance culturelle soit avec les religions orientales (comme l’ont illustré divers mouvements chrétiens, comme le monachisme chrétien ou la gnose, marginalisée par la suite) soit avec la culture grecque.
Les témoins du Nouveau Testament qui, à l’exception de Luc, auteur de l’évangile qui porte son nom et du livre des Actes des apôtres, sont Juifs, ont opéré une ouverture en ce dernier sens lorsqu’ils ont rédigé leur témoignage en grec, la langue administrative, commerciale et culturelle de l’empire à cette époque. Celui qui va le plus loin dans ce sens est l’évangile selon Jean, l’écrit du Nouveau Testament à la fois le plus juif (quand il puise dans les épisodes, les notions, le vocabulaire de la Bible hébraïque) et le plus grec dans son recours à l’idée-force de l’époque : le Logos, auquel il identifie Jésus, ce qui le conduit à la distinction entre le Père et le Fils.
Les dirigeants chrétiens (suivant en cela certains auteurs Juifs : Philon et les traducteurs de la Bible hébraïque en grec, la Septante) ont renforcé cette option et se trouveront confirmés dans leur choix lorsque, à partir de la fin du iv ème siècle, le christianisme deviendra la religion officielle de l’empire (Théodose, 380).
Avant cette date, les thèses suivant lesquelles l’Église est le véritable Israël et la véritable philosophie avaient déjà été publiées (Justin martyr qui vivait au tout début du second siècle). La pensée chrétienne, que l’on ne peut pas encore qualifier vraiment de « théologie », rayonne à partir de centres dont les principaux sont l’École d’Antioche et l’École d’A­lex­an­drie.
Durant la période qui va jusqu’au milieu du v ème siècle, les écrivains chrétiens appelés « Pères grecs » ont organisé la vie spirituelle chrétienne dans un cadre conceptuel pour lequel ils font appel au platonisme ou au néoplatonisme, la philosophie de l’époque. Cette seconde source va faire triompher la conception de la foi comme doctrine.
C’est la conception qui règne dans les conciles oecuméniques. Le rôle des Pères grecs dans les conciles (Cyrille à Chalcédoine)
Le terme de theologia apparaît chez le pseudo-Denys. Le sans de parole de Dieu pour Vatican ii.
Deux conséquences de cette évolution, l’une bonne (création chrétienne de la théologie), l’autre mauvaise (le doctrinarisme). Fides quae : Obliger les gens à adhérer, à entrer dans une doctrine au lieu que la fides qua crée la foi gratitude, confiance et espérance. L’effort de conceptualisation de la foi est une bonne chose, la fixation définitives de vérités universelles et l’obligation d’y souscrire, une mauvaise.
Je me sers de mon ordinateur, je vais à la découverte de ses multiples fonctions et je les utilise, je sais que des ingénieurs en détiennent le secret de fabrication, que je puis, si j’en suis capable, y accéder et les posséder aussi, mais, pour entrer dans la communauté électronique, on ne m’oblige pas à connaître le langage et à réciter par cœur les formules de la cybernétique.
Plutôt que foi et raison, intelligence et foi.
Dans le Premier Testament et dans le Nouveau Testament : la foi comme gratitude, con­fiance et espérance. Promesse, Alliance, lien avec Jésus.
Dans le Judaïsme, certains penseurs témoignent d’une rationalisation, par exemple : Dieu a créé l’être humain libre. Référence : De 30, mais que signifie ce texte ? Justement qu’i n’y a pas de choix, Dieu a mis devant son peuple la vie et la mort afin qu’il choisisse la vie.
Les Pères grecs : la foi comme vraie doctrine. Vatican ii, discours de Ratisbonne, der­nier rapport du Groupe des Dombes.
Naissance de la theologia, l’analogie de la foi biblique ou ecclésiasique, la parole de Dieu selon les Réformateurs ou selon Vatican ii.
raison en crise, raison et/ou intelligibilité, intelligibilité de l’Esprit, du Saint Esprit
Le mystère ou le paradoxe ?
Confesser Jésus comme son Seigneur et son Sauveur n’est pas substantiellement diffé­rent du credo de Chalcédoine. Il est plus proche de la tradition apostolique que ce credo. Il est la tradition apostolique revivifiée.
Jésus-Christ Fils de Dieu. La foi chrétienne vécue dans ce que les théologiens appellent « l’économie », de façon théologale, non doctrinale, mérite tout notre respect. Jésus Seigneur et Sauveur, est une confession de foi apostolique qui dit en substance tout autant que le dogme de Chalcédoine sur les deux natures du Christ. Le témoignage de Paul : « La grâce de notre Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint Esprit » (2 Co 13,13) est l’expression vécue de ce qui deviendra le dogme trinitaire. Les chrétiens des premiers siècles se sont affrontés sur ce dogme qui reste un sujet de discorde entre chrétiens orientaux et occidentaux (le filioque). La formule paulinienne est bien plus consensuelle.
On dit : c’est un retour à la foi archaïque, à la christologie basse, un appauvrissement quand on le compare aux développements christologiques et trinitaires des premiers siècles. Mais cette foi est plus proche du vécu du Nouveau Testament, de l’ethos apostolique, par conséquent de la tradition apostolique. Les conciles oecuméniques se sont beaucoup inspirés de l’une des théologies du Nouveau Testament : la théologie johannique qui se prêtait le mieux à la culture grecque, au détriment des autres théologies du même Nouveau Testament.
C’est tout à l’honneur des conciles oecuméniques d’avoir su conceptualiser la christologie et la Trinité. Ce sont des éléments essentiels de la formulation doctrinale de la foi. Elles sont la base de la réflexion théologique chrétienne. Mais pourquoi exiger l’adhésion de foi des chrétiens à des doctrines ? Donne-t-on sa foi à unedoctrine ? La confiance et l’espérance naissent de la Parole qui crée une relation personnelle avec le Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob, le Créateur et le Père, en Jésus Christ, par le Saint Esprit, lesquels peuvent, ensuite, être reconnus dans le credo, sur le plan d’une intellection de la foi. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs, n’exigeons de personne de confesser plus que ce que confessent explicitement les Écritures.
Jacques Gruber



décembre 2010
RETRAITES, QUE DE DÉGÂTS EN VOTRE NOM
Je me sens mal à l’aise dans les rapports de force et les épreuves de forces sur le plan socio-politique. Dans tout autre domaine (sport, science, commerce, économie …) je ne ressens pas ce malaise. Je reconnais la réalité de la lutte pour la vie qui sous-tend nos conduites individuelles et pour laquelle existent des règles, des lois et même des organismes d’aide et de secours. Toute personne ou groupe qui possède un pouvoir est tenté d’en abuser, mettre en péril les infrastructures économiques d’un pays pour empêcher une loi sur les retraites de passer au vote des assemblées élues, peut-il se jus­ti­fier ?
Dans le conflit ouvert dans notre pays à l’occasion de la loi sur les retraites, j’ai entendu et vu beaucoup de choses :
* le gouvernement a bien consulté les syndicats, mais il n’a pas ouvert de négo­ciations avec eux (est-ce que, les conditions démographiques et économiques étant ce qu’elles sont, une telle négociation aurait pu donner le jour à un projet fondamentale­ment différent de celui contre lequel on se bat ?) ;
* le gouvernement agit en technocrate autoritaire (il est vrai qu’il est composé de personnes qui n’ont jamais su -ni même déjà leurs parents- ce que c’est que d’être salarié !) ;
* le rôle de l’État n’est pas d’être juge et partie dans les conflits, mais de les arbitrer ;
* nous ne voulons pas compliquer la vie des gens par nos grèves (mais, de fait, nous la compliquons) ; nous ne voulons pas mettre en péril la croissance de la France (mais le résultat est bien celui-là et, dès aujourd'hui, tout augmente suite à l’augmentation des carbu­rants) ; « Je ne fais pas le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas » (Rm. 7, 19) ;
* nous ne demandons pas le retrait du projet, mais un amendement de fond / ou bien : nous ne voulons pas d’a­mende­ments, mais le retrait pur et simple du projet ; nous n’avons pas le projet de faire la révolution (mais si cela pouvait être le prélude au Grand Soir cela nous paraîtrait dans la logique de l’histoire) ;
* le refus du gouvernement d’ouvrir des négociations lui fait endosser l’entière responsabilité des dégâts économiques et sociaux courus (dans un conflit, c'est à dire dans un affrontement où chacun est assuré de son bon droit et décidé à ne pas se laisser faire, les respon­sa­bi­lités sont toujours partagées) ;
* pour financer les retraites, il n’y a qu’à prendre l’argent où il est (avant qu’il ne parte à l’étranger) ;
* dans les reportages recueillis sur « la base » (est-elle « le peuple » ?) j’ai entendu des propos intelli­gents et mesurés : « La réforme est injuste » (mais c’est le marché international et même la mentalité mondiale qui sont faussés par la cupidité des gens d’argent et par l’impérialisme du commerce). J’ai aussi vu des visages de haine et entendu des discours qui exprimaient un ressenti­ment qui n’avait plus rien à voir avec la loi sur les retraites. Pour les uns, il ne fallait pas que le mouvement nuise à la France, pour d’autres, il fallait faire tomber le gouvernement, pour d’autres encore, il fallait déstabiliser l’État afin de laisser place à une alternative politique révolutionnaire.
* le mouvement contre la loi sur les retraites a trouvé un vaste écho dans la masse de nos compatriotes attachés à la justice, à la sécurité et au « bien vivre », mais aussi inquiets de l’avenir (surtout les jeunes). Peut-être même qu’une pareille réforme touche à nos fantasmes les plus profonds, il y a quelque années, un observateur étranger disait : « La religion des français, ce sont les congés ». Combien de per­sonnes auraient manifesté, se seraient mises en grève, contre une loi qui aurait eu des relents racistes, contre un gouvernement à caractère nationaliste ou poli­cier, contre une politique éco­no­mique irresponsable, combien de citoyens se mobi­lisent-ils pour nos compatriotes retenus en otage?
Ces divers échos laissent voir a) le poids réel des arguments, b) que la masse des salariés qui votent les grèves si elle est unanime sur ce qu’il faut détruire ne l’est pas sur ce qu’il faudrait construire ; c) qu’il n’existe aucun réel dialogue social dans notre pays et, peut-être même, aucun dialogue social possible ou souhaité étant donné les menta­li­tés de part et d’autre; d) que les intérêts corporatistes ou même individuels annulent tout sens du bien commun.
Dégâts économiques, dégâts sociaux, dégâts moraux, altération de l’image de notre pays à l’étranger, nous devons y faire face maintenant, espérant que cela ne fera pas boule de neige. .
Pour cela, ce ne sont pas de nouvelles lois, de nouvelles élections, de nouvelles économies dont nous avons besoin d’abord, mais d’une éducation citoyenne. D’où vient-t-il qu’elle ne soit pas faite ? Peut-elle rivaliser avec les informations et les fictions que la télévi­sion nous donne à voir ?
Une fausse conception et une mauvaise pratique de la séparation du théologique et du politique, à laquelle nous sommes attachés à juste titre, a pour conséquence que le message de nos Églises se borne à l’in­dividu et à nos relations interindividuelles (dans un sens person­na­liste chez nous, dans un sens moraliste chez les « évangéliques ») alors que dans le judaïsme et l’islam on ne se prive pas de faire de la politique en chaire. La séparation du théologique et du politique nous libère pour une parole d’éthique poli­tique. Pourquoi nos Églises ne prendraient-elles pas la tête d’une réflexion et d’une action sur une révolution qui ne serait plus « bourgeoise » « populaire », « populiste » ou « prolétarienne », mais citoyenne, placée sur le plan de l’éthique politique, sociale et économique (et, par là, vraiment « du peuple » et populaire) ? Une révolution citoyenne est une forme citoyenne de révolution culturelle.
Aurions-nous peur de « Souffrir avec ceux qui souffrent », « avec Christ » c'est à dire avec les petits, les pauvres, les exclus, les persécutés, « pour la foi » (1 Co 12, 26 ; 2 Th 1, 5 ; 2 Tm 1,8 ; 2, 12 ; 1 Pi 2, 19-21 ; 4, 1 ; 4, 19 ; Ap 2, 3 et 10). ? Dans le cas présent, témoins de la Parole, serions-nous prêts à être inquiétés pour avoir osé dire (sans esprit de jugement, mais avec la distance que la foi nous donne par rapport à la vie politique), dans nos églises, chez nous, autour de nous, que, dans notre pays :
*** il n’y a plus de citoyens, plus de citoyenneté, plus de civisme, plus de dialogue social, plus de respect de l’ad­versaire, en grande partie parce que, à force d’être limitée à la sphère du privé, il n’y a plus aucune forme de vie spirituelle com­mune, mais, en revanche, le retour d’une sensibilité magique et superstitieuse ;
*** il n’y a plus d’intelligence du bien commun à court, moyen, long terme ; nos dieux sont l’argent, la force, le pouvoir ; dans un camp comme dans l’autre règnent les intérêts individuels, corporatistes, de caste, les idéologies ; du côté du gouvernement, on trouve un autoritarisme quasi absolutiste, du côté des mouvements populaires un quasi terrorisme écono­mi­co-social ;
*** il n’y a, de la part des responsables de tous ordres, aucun effort pour ouvrir les esprits de nos concitoyens sur les mutations de notre temps qui sont à l’échelle du monde, nul courage de les regarder en face, aucune volon­té d’y participer, d’en tirer une émulation, au lieu de les subir ; on nous tient soit un discours démagogique, soit un langage tranquillisant ; de­puis les discours politiques jusqu’aux publicités, on nous laisse croire au Père Noël : « La France mère des lettres, des armes et des lois. Nations des droits de l’homme. Terre d’asile. Pays du bien vivre », et nous nous endormons dans notre mentalité hexago­nale d’un mauvais sommeil agité de secousses sociales,.
Quand nous nous réveillerons, ce sera trop tard et nos Églises, emportées par la vague, ne pourront que constater qu’elles ont failli à leur vocation. La séparation du théologique et du politique, nous permet d’apporter à ceux qui nous écoutent non pas une parole prétentieusement prophétique, mais simplement actuelle.
Jacques Gruber

        Du même auteur : « La Représentation de Dorothée Sölle, Revue d’histoire et de philosophie religieuse, Strasbourg, 66ème année, 1986, n° 2 et 3 ;
Entendre la Parole. Le témoignage intérieur du Saint Esprit, Paris, Édi­tions du Cerf, 2003,
« Vous serez mes témoins ». Pour un temps de confusion et de mutations, Paris, Éditions du Cerf, 2009.

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